Dieu qu'elle était fatiguée. Le sang battait à ses tempes à une vitesse vertigineuse. Ses mains tremblaient. Elle n'allait pas tenir longtemps. La patience n'avait jamais été son fort. Et là, on pouvait dire qu'elle avait fait un grand, un immense effort pour tenir autant de temps. Elle en avait assez. Assez d'entendre des jérémiades toute la sainte journée. Ses oreilles ne demandaient qu'à être achevées. Elle allait exploser comme bombe et faire un tas de dégâts. Les prémices de sa colère étaient déjà visibles. Des "Aish" lâchés à tout va, des ébouriffements de chevelure répétés, des pas plus rapides...qui engendraient encore plus de plaintes. C'en était trop, ils avaient réussi. Il l'avait fait sortir de ses gongs. Ce n'était guère bon présage pour eux et pour elle aussi. Une crise de colère de la demoiselle ne se faisait presque jamais en silence.

- YAAAAAA ! Vous n'en avez JAMAIS assez de vous plaindre ?!
- Mais vous alliez trop vite.

Alors ça, c'était la meilleure. Elle allait trop vite ? Mais qui étaient-ils déjà ? Elle ne leur avait jamais demandé de la suivre. Sa colère montant en puissance, elle leva les yeux au ciel, passa sa langue sur ses lèvres et ébouriffa encore une fois sa chevelure sauvage avant de leur jeter un regard à glacer le sang.

- QUI VOUS A DIT DE ME SUIVRE ALORS ?! HEIN !

Hurla-t-elle avant de foncer sur le meneur du groupe et de lui tirer violement l'oreille. C'était dérangeant dans une situation comme la leur, en ce moment. En effet, les jeunes gens s'étaient infiltrés sur un territoire. Rian pensait qu'il s'agissait de celui des Jaguars du Sud mais étant donné la médiocrité de son sens de l'orientation, ils pouvaient très bien se trouver sur n'importe quel autre territoire. Plus d'une fois, elle s'était retrouvée sur le territoire d'un clan en pensant qu'il s'agissait d'un autre. Il valait mieux pour eux qu'il s'agisse de celui des Jaguars. Il était le moins dangereux à ses yeux. Elle avait cru comprendre par d'autres Libres que certains membres du clan étaient en chasse. Ni d'une ni deux, Rian avait eu l'idée saugrenue de s'y infiltrer, se rationner et y mettre un peu le boxon avant de s'en aller. Malheureusement, en chemin, elle avait croisé la route de ce petit groupe de Libre. Elle avait tout fait pour les éviter mais il fallait croire que cela n'avait pas été suffisant. Depuis, ils la talonnaient. Par un accord tacite, elle les autorisait à la suivre à condition qu'ils ne fassent pas de bruits, qu'ils lui massent les pieds à la fin de la journée et elle avait même obtenu d'eux qu'ils la vouvoient et l'appellent "Mademoiselle Rian".

- Mademoiselle Rian ! S'il vous plaît, ne vous mettez pas dans ces états.

C'était le second et il avait raison. Elle devait reprendre son calme. Elle cessa donc le savon qu'elle faisait subir au meneur et fit mine de remettre ses vêtements en place. Vu comme elle avait hurlé, on avait sans doute du les entendre. Il valait mieux ne pas rester sur place. Ebouriffant encore une fois ses cheveux, elle soupira.

- Aish, j'espère pour vous qu'ils ne nous trouveront pas. Je ne compte pas passer Soumise par la faute d'une bande de crétin. Elle fit un pas en avant. Je n'hésiterai pas à vous laisser sur place au moindre danger.
- Ne craignez rien Mademoiselle Rian, nous ne serons pas des fardeaux pour vous !
- N'est-ce pas déjà ce que vous êtes ?...Aish, vraiment...une vie de soumis vous irait très bien, vous savez ?

Fin de la discussion. Ils reprirent leur marche et miraculeusement, le petit groupe avait cessé de se plaindre. Ah, les inconvénients des voyages en groupe. Ils purent encore avancer plusieurs centaines de mètre avant d'être inquiétés. Ensuite, ils avaient entendu des voix et des bruits de pas et après, ce fut chacun pour soi. Rian s'était tournée à toute vitesse vers le garçon qui était désigné pour porter les sacs (parce que ça faisait aussi partie de l'accord) et avait attrapé le sien si vite qu'ils mirent plusieurs secondes à comprendre qu'elle prenait la fuite. Rian avait énormément de défauts dont l'égoïsme mais celui-ci avait balancé avec l'une de ses qualités, la franchise. Elle les avait prévenus qu'en cas de pépin, elle ne serait plus là pour veiller sur eux. Ils n'avaient donc aucunement le droit de lui en vouloir. Voilà ce qu'elle se disait alors qu'elle parcourait une longue distance à toute allure. Rian avait un atout majeur. Elle courrait vite, vraiment très vite. Jusqu'à présent, aucun membre de quel clan que ce soit n'avait réussi à lui mettre la main dessus en la poursuivant. Elle gardait toujours une bonne distance devant eux. De plus, elle n'était pas bien grande et pas facilement repérable et ce, malgré l'extravagance de sa garde-robe. Elle arrivait toujours à se fondre dans le décor et à ne pas se faire localiser. C'était pour ces raisons qu'elle évitait les confrontations directes. Elle préférait toujours fuir que de prendre le risque d'être blessée. Bien sûr, elle savait aussi se défendre mais elle préférait définitivement ne pas se salir les mains. En somme, elle aurait fait une parfaite recrue pour les clans si elle n'avait pas un caractère aussi sauvage.

- Aish ! Si après ça, je n'ai pas perdu ce foutu kilo en trop...

Essoufflée, elle prit le temps, quelques secondes, pour reprendre son souffle. Gardant les sens en alerte, elle balayait la zone de son regard de lynx. Peut-être qu'au final, il n'y avait pas de danger ? Ou alors, l'arrestation du petit groupe avait fait diversion ? Quoiqu'il en soit, elle ne pouvait pas rester là, à découvert. Elle aperçut une bâtisse assez bien située et réussit à s'y faufiler sans trop de mal. C'était quand même étrange ce manque flagrant de surveillance ? Peut-être était-ce un piège ? Ou plus simplement, un bâtiment civil ? Un simple logement pour soumis ? Méfiante mais glacée, elle continua sa percée dans le bâtiment. Un bruit lui indiqua que ça s'agitait là-dehors. Sans bruit, elle parvint jusqu'à une pièce qui dégageait plus de chaleur que les autres. En y pénétrant, la jeune femme ne put s'empêcher une réplique de son grand cru.

- Eh ben, y en a qui se font pas chier, ici.

Elle s'approcha de ce qui ressemblait à une cheminée et plaça ses mains au-dessus du feu. La douce chaleur qui s'en émanait lui donna tout de suite l'énergie nécessaire pour faire le tour de la pièce. Etrange...comment des simples soumis avaient-ils le droit de garder autant d'affaires personnelles ? Elle balaya cette pensée d'un coup de tête et entreprit de fouiller la mâle qui trônait dans la pièce. Elle était tellement prise par le contenu de la mâle qu'elle faillit ne pas entendre les pas qui se rapprochaient au-dehors. Sans plus attendre, elle attrapa son sac et se cacha sous le tas de couverture.

- Yaah ! Rian ah ! T'es vraiment douée pour te mettre dans des situations...

De tous les dons que possédait Rian, il y en avait un, qui bien que nullement intentionnel, était actif et s'améliorait de jour en jour. Ce don-là, elle aurait aimé ne jamais le posséder, quitte à passer le restant de sa vie dans une monotonie et une platitude totale. S'attirer des ennuis, se mettre dans les pires des situations, voilà quel était cette aptitude. Depuis son plus jeune âge, la jeune femme avait été prédisposée à s'attirer des ennuis. Elle avait hissé ce talent au rang d'Art. Sa vie entière se résumait à une succession de problèmes. Et aujourd'hui ne manquerait pas à la règle. Cachée sous son tas de couverture, comment la rebelle aurait-elle pu deviner que cet antre si chaleureux appartenait en réalité à la chef des Jaguars du Sud ? Certains indices auraient tout de même pu l'aiguiller et la mettre sur la piste. Le confort bien plus présent que dans tout ce qu'elle avait pu voir auparavant - du moins, depuis qu'elle était Libre -, le surplus d'effet personnel. Mais elle était là, cachée sous les couvertures, se demandant comment elle allait se sortir d'un tel pétrin. Le claquement de la porte, les bruits de pas ne pouvaient désormais plus la tromper. Qui que ce soit, le maître des lieux était de retour. Et même si elle avait voulu se voiler face, Rian n'aurait tout simplement pas pu ignorer le poids qui s'était ajouté sur la couchette.

Quoiqu'il en soit, elle ne devait pas paniquer, elle devait garder son calme. Elle comptait intérieurement, combien de temps lui restait-il avant que cette personne ne veuille s'allonger ? Ce temps lui serait-il suffisant pour élaborer un plan ? Certainement pas ! Mais qu'à cela ne tienne, Rian avait toujours su se sortir de situation périlleuse de par de son impulsivité et son amour du risque. Elle comptait toujours. Un, deux, trois, quatre...cinq et là voila découverte. Elle avait senti le tas de couverture se décoller peu à peu d'elle et avait vu la pointe d'une lame suinter à l'extrémité de celui-ci. Elle devait s'en éloigner le plus vite possible. C'était une nécessité pour plus de sécurité tout du moins. Sans vraiment réfléchir, par réflexe, elle sortit de sa cachette - qui n'en était plus une et qui n'aurait guère pu s'en vanter - approchant son visage de l'intruse.

- Bouh !

Pure provocation, accompagnée d'un coup de tête. Rian ne comptait vraiment pas se laisser avoir comme ça. Elle ne savait pas à qui elle avait à faire. S'agissait-il d'une soumise - car de toute évidence, c'était bel et bien une femme -, d'une membre, plus important que ça ? Au fond, c'était du pareil au même. Dans tous les cas, un seul cri pourrait suffire pour ameuter le reste de la troupe. Attrapant le tas de couverture, Rian l'envoya sur l'inconnue afin de lui bloquer la vue, le temps qu'elle attrape sa dague dans son sac et qu'elle se rapproche de la porte.

- Alors comme ça, on a aucune gêne à s'introduire par effraction chez les gens ?

Mensonge, encore et toujours. La jeune femme avait toujours préféré éviter de se salir les mains ou de se blesser quand elle en avait l'occasion. Si mentir pouvait l'y aider, elle n'allait pas tergiverser longtemps sur des raisons morales. Si elle analysait ses chances en ce moment, elle ne se donnerait pas un très haut pourcentage, quand bien même l'état de son adversaire était diminué, il suffisait qu'elle appelle des renforts pour que les choses se compliquent.

Si mon esprit n'avait pas été aussi brumeux, j'aurais probablement eu la bonne idée d'appeler du renfort, mais je n'y avais même pas songé. A cause d'un excès de fierté, j'avais jugé que je pouvais gérer l'intrus moi-même et sur le coup, je m'étais bien plantée. Ce dernier bondit soudainement de sous les couvertures et me surprit par un "Bouh" complètement hallucinant vu le contexte. Et elle enchaîna avec un coup de boule. Sérieusement ?! Je partis en arrière, gardant miraculeusement l'équilibre, ce qui m'arracha une grimace de douleur. Bordel, je n'avais vraiment pas besoin de ça en plus ! Difficilement, je me rattrapais au mur et m'y appuyais pour compenser ma faiblesse. Je pris ensuite le temps d'observer l'inconnu qui se révélait être une fille. J'avais beau détailler son visage, elle ne me disait strictement rien. Une chose était sûre, elle ne manquait vraiment pas de culot. En entendant sa question, je restais interloquée, ne sachant vraiment pas comment réagir. Bien malgré moi, je finis par rire un peu, m'arrêtant bien vite alors que le mal au niveau de ma gorge se faisait plus présent. Message reçu, il ne fallait plus que je rigole.

M'introduire par effraction chez les gens ? Je te retourne la question, ma grande. Tu es chez moi ici et j'aimerais savoir ce que tu fous là.

Ma voix ne laissait planer aucune animosité, j'étais fatiguée à cause des médicaments qui m'embrouillaient de plus en plus la tête. Une part de moi sentait bien poindre le danger, mais qu'importe, je n'aurais pas eu la force de réagir avec sérieux que ce soit physiquement ou mentalement.

Comment t'as fait ? J'veux dire, on entre pas dans le QG comme dans un moulin quoi.

Enfin, c'était ce que je croyais car sur le coup, j'allais sérieusement devoir revoir la sécurisation du bâtiment, si pas du territoire en lui-même.

Rian pestait contre elle-même...pourquoi avait-elle voulu jouer à la plus maligne ? Elle aurait pu profiter de l'effet de surprise pour prendre ses jambes à son cou et se trouver un autre endroit dans le bâtiment pour se terrer le temps que tout se calme et qu'elle puisse remettre le nez dehors. Mais non, il fallait toujours qu'une petite lumière rouge clignote quelque part dans son esprit insensé et la pousse à prendre la pire des décisions. Dans ce cas-ci, jouer à la maligne avec quelqu'un qui n'était définitivement pas une simple Soumise. Incrédule, Rian écouta le rire de son improbable victime. Elle espérait que ce rire n'avait rien de menaçant, gardant toujours à l'esprit qu'il suffisait d'un cri pour mettre fin à sa cavale longue de plusieurs années. L'inconnue semblait garder son calme, s'adressant à elle sur un ton duquel ne suintait aucune menace. Mais il ne fallait jamais accorder sa confiance aux autres. Les apparences étaient trompeuses. Une personne calme pouvait cacher un psychopathe expérimenté. Elle l'avait appris à plusieurs reprises dans son enfance. Restant d'abord sans voix face à la jeune femme, Rian finit par se gratter la tête à l'aide du manche de sa dague, quelque peu désorientée elle aussi.

Euh..je. C'est une très bonne question. Je..euh. Je me baladais ? Enfin, je me baladais sans mauvaise pensée, aucune. J'ai rien volé. Tu peux vérifier tout est là, répondit-elle légèrement confuse mais témoignant de sa bonne foi en vidant des poches qu'elle n'avait pas. C'est une belle chambre que tu as là...j'aime bien la décoration...et euh...l'ambiance.

Le comportement de Rian avait de quoi en dérouter plus d'un. Parce qu'elle pouvait s'introduire par effraction chez autrui, l'accuser de ses propres méfaits une seconde et l'instant d'après, retourner complètement sa veste et mener une conversation absurde avec la personne à qui elle avait fait du tort. Pourtant, cette fois-ci, elle était aussi déconcertée que son interlocutrice. La seconde question finissant de l'embrouiller. Allait-elle vraiment se contenter de la questionner ? Pas de cri ? Pas d'alerte ou de menace ? Et soudainement elle se rendit compte de la façon dont elle avait parlé de son intrusion dans le bâtiment...comme si ça avait été facile...ce qui pouvait facilement être considéré comme une insulte aux yeux d'un membre.

Ah non, pas comme dans un moulin. Enfin, je sais pas trop. J'ai couru, je crois. Comme je cours vite...peut-être que personne ne m'a vu. Je suis pas très grande alors c'est plus facile, tu vois, dit-elle en se montrant du doigt avant de reprendre précipitamment. Personne ne me bat à la course et y avait d'autres garçons avec moi. Ils ont sûrement du attirer les autres. Mais je crois que j'ai eu de la chance..alors je vais pas trop forcer dessus, hein. J'crois que je vais y aller maintenant. A bientôt...continua-t-elle toujours sans quitter des yeux la silhouette de la jeune femme avant de se reprendre. Enfin, sans vouloir t'offenser, parce que t'as l'air cool, je préférerais dire à jamais, finit-elle par lâcher esquissant un mouvement vers la poignée de la porte.

Si quelqu'un avait dû observer la scène qui se jouait dans la chambre de la Chef, il aurait probablement cru à une farce. Il y avait quelque chose de particulièrement délirant dans toute cette histoire et les médicaments qu'avaient ingérés Noâ n'étaient pas totalement responsables. Il ne justifiait que son état, l'esprit tordu de l’intruse s'occupant du reste. Il n'empêche que lorsque Rian lui servit l'excuse de la balade, la blonde ne put qu'acquiescer. Oui, c'était une très bonne excuse. Tout le monde avait besoin de se balader de temps en temps pour se changer les idées. La suite lui arracha un petit sourire, mais elle se retient de rire, ayant compris la leçon.

Non, mais j'te crois, t'inquiète pas.

Si au fond de son esprit, une petit voix lui hurlait qu'elle délirait complètement, les antidouleurs continuaient tranquillement à faire leur effet, rendant son discours plus qu'incohérent. Par la même occasion, elle la rendait visiblement aussi dupe qu'un enfant qui venait de naître.

Oh ouais, c'est important de courir vite. Faudra qu'on fasse la course une fois, ce serait cool.

L'espoir faisait vivre. Si elle se souvenait de cette conversation lorsqu'elle émergerait, ce serait déjà un miracle. Une partie des paroles de la brune lui échappèrent et elle reprit le fil conducteur en plein milieu, comprenant vaguement qu'elle souhaitait partir.

J'te raccompagne pas, je crois que tu connais le chemin. Toi, j't'aime bien alors si on me demande, je dirais que je t'ai pas vue.

Sur ces mots, elle alla s'allonger sur le lit en marmonnant quelques paroles incompréhensibles. Elle se sentait fatiguée tout d'un coup et si elle n'osa abuser de la gentillesse de sa visiteuse, elle aurait bien aimé qu'elle lui chante une berceuse. Tout compte fait, il valait mieux qu'elle ne se souvienne de rien...