Cela faisait plusieurs jours que je n’étais plus vraiment rentré au QG. Je passais mon temps à m’entraîner, à surveiller la maison en en profitant pour redécouvrir ma famille à distance, et à passer un peu de temps avec Alessandra. Je ne mangeais également plus grand-chose, laissant la plupart de mes rations à mes parents. Kim me laissait étrangement tranquille, même si je tombais encore bien sur des sentinelles faisant tout pour me ramener. J’évitais les Membres, j’étais devenu une sorte de fantôme sur mon propre territoire. Mais cela me convenais pour l’instant, du moment que je pouvais garder un œil sur Al et ma famille.

Il faisait à peine jour lorsque je sorti de ma cachette. J’avais décidé d’aller flâner près du territoire sud afin de voir si je pouvais glaner quelques informations à transmettre à Alessandra sur son clan. Je me rafraîchis d’abord avec l’eau que j’avais emporté avec moi et me mis en route, direction le territoire des Jaguars.
Mais je devais être encore un peu dans le gaz, car je ne remarquais pas la présence qui me suivait depuis un moment, continuant d’un bon pas vers mon objectif…

Depuis la Fête des Orages, il flottait un vent étrange sur le territoire des Jaguars. Les choses avaient déjà pris un tournant particulier lorsque Noâ avait banni sa Seconde pour une mystérieuse raison, mais Aaron avait été encore plus surpris lorsque, trois jours plus tard, il avait été convoqué dans le plus grand secret par sa Chef. Dans la salle de réunion, il avait retrouvé Roxanne, ainsi que Grey et Anton, et il avait été flatté d'être considéré de la même façon que les Membres auxquels Noâ accordait le plus de crédit. La mission qu'elle lui avait exposé par la suite était perturbante et complètement illogique selon lui, mais il avait obéis sans broncher, question de survie. Depuis, il s'appliquait à remplir sa part du travail en suivant le dénommé Eli, Aigle considéré comme l'homme de confiance de Kim Dong-Yul et une menace potentielle d'après ce qu'il avait compris. Pour une raison qui lui échappait totalement, ce dernier aidait Alessandra, c'était donc pour ça qu'il le surveillait lui plutôt qu'elle. Décidément, Aaron était complètement paumé... Après des jours d'observation peu fructueuse - il se contentait de surveiller Eli qui lui-même surveillait la Jaguar -, l'occasion qu'il attendait s'était enfin présentée. En voyant l'Aigle s'approcher des frontières du Sud, il s'était empressé d'aller prévenir le reste de l'équipe qui s'était rapidement mise en place.

Lorsque que le jeune homme dépassa l'ombre de la vigie, les dés étaient jetés. Au sommet de la tour de garde sud-est, Roxanne avait remplacée la sentinelle en poste et attendait qu'il entre dans son angle de tir pour l'avoir. L’œil dans le viseur, elle gardait son arc bandé, prête à tirer cette flèche paralysante qu'elle avait encochée quelques instants plus tôt. Expirant calmement, elle lâcha finalement le projectile qui fila vers sa jambe du Membre. Plutôt que de s'y planter, elle l'écorcha simplement, répandant dans son corps la substance concoctée par Charly qui l'entraverait durant un petit moment. Le but était simplement de faciliter la tâche aux personnes qui seraient chargés de le ramener à Noâ. Elle resta à couvert le temps que le produit fasse effet - on ne savait jamais, il avait peut-être une arme à feu avec lui -, puis descendit et fit venir le duo qui terminerait le travail. Grey et Anton l'attrapèrent chacun par un bras et le traînèrent jusqu'au QG, aux sous-sols. Les salles d'entraînement avaient été interdites aux Membres pour une durée de deux jours, seule la cuisine pouvant être atteinte par les personnes concernées. L'avantage était que cette zone était insonorisée, personne ne viendrait donc déranger le prisonnier et ses charmants compagnons. Eli fut attaché à une chaise solide et durant quelques instants, Roxanne fut la seule à rester à ses côtés.

Et puis, Noâ et Zayne passèrent la porte, la première arborant un air neutre alors que l'autre souriait ostensiblement. Cette soudaine bonne humeur n'annonçait rien de bon, même l'Aigle devait en être conscient. Il alla s'adosser à une poutre, suivant du regard sa Chef qui faisait lentement des allers-retours devant celui qu'il supposait être un ennemi.

Je suppose que tu sais pourquoi tu es ici ?
Moi pas vraiment alors ce serait sympa t'éclaircir l'affaire, mon grand.

Non, l'attitude de Zayne n'était vraiment pas nette...

Ce que je pouvais être con ! J’espérais quoi, pouvoir passer tranquillement la frontière sans être vu sous prétexte qu’il était encore tôt ? Il était temps que je reprenne des forces. Entrainement et manque de nourriture donnait un mélange qui avait apparemment un impact sur la concentration. Comme si je ne le savais pas…
De toute façon, c’était trop tard, j’étais repéré. Une flèche m’égratigna la jambe droite, et je ne pris pas le temps de me demander pourquoi le tireur n’avait pas mieux visé, filant pour essayer de me mettre à couvert. Mais je n’eus pas l’occasion d’aller bien loin. Un soudain engourdissement pris possession de ma jambe, s’étendant rapidement au reste de mon corps. Je ne pus que limiter la chute en m’appuyant contre un mur et me retrouvais dans un corps totalement hors de contrôle. Du poison… c’était plutôt le style des Vipères… pourtant c’était bien trois Jaguars qui apparurent devant moi sans dire un mot. Les deux mecs me traînèrent sans ménagement jusqu’à leur QG où je fus attaché dans les sous-sols. Incapable de bouger le moindre muscle, j’avais pesté intérieurement durant tout le trajet. A voir leur organisation, cela faisait un moment qu’ils préparaient leur coup, et je m’étais fait avoir comme un bleu. C’était humiliant… Mais je me gardais bien de laisser transparaitre une quelconque colère ou quoi que ce soit d’autre à travers mon regard, le reste étant de toute façon HS.

Je me retrouvais un instant seule avec la fille qui m’avait également accompagnée, moment durant lequel je retrouvais peu à peu l’usage de mes muscles. D’abord un doigt, puis deux, le visage, j’essayais de me dégourdir, et également au passage de tester la solidité des liens. Autant dire que j’étais dans la merdre…
Lorsque Noâ et un mec que je connaissais vaguement de vue entrèrent dans la pièce, je me figeais, restant droit et inexpressif, comme à mon habitude en fait… Noâ, dont l’air neutre ne présageait rien de bon (même moi je le savais), me posa une question à laquelle l’autre répondit à ma place. Son sourire ne me disait rien qui vaille, mais je pris tout de même mon temps pour lui répondre, vérifiant par la même occasion que j’avais récupéré toutes mes capacités musculaires. Une fois que ce fût chose faite, je répondit sur un ton neutre, posé, ne laissant rien paraître sur le stress et l’énervement qui bouillonnais en moi.

« Hormis le fait que j’ai été pris sur votre territoire, et je doute que ce soit pour ça que je me retrouve ici, je ne vois pas de quelle affaire vous parlez. »

Bien sûr il était évident que je mentais, mais je n’avais aucune raison d’avouer à la féline ce pour quoi elle m’accusait. Je ne lui devais rien, et je doutais fort qu’elle aille trop loin pour me faire avouer, ou payer. Le mec par contre… il ne devait pas être là pour rien… et la fille non plus. Mais qu’importe, je n’allais surement m’abaisser encore plus en jouant le parfait petit prisonnier qui coopère pour sauver sa peau.

Le blond prit tout son temps avant de répondre, tirant un peu sur la patience que Zayne n'avait pas. S'il restait d'humeur égale, ses yeux avaient commencés à s'assombrir, ce simple changement annonçant qu'il passerait bientôt à l'action. Il attendit pourtant qu'il parle, ne voulant pas saper l'autorité de sa Chef. Par contre, s'il faisait quoi que ce soit justifiant une punition, il ne se priverait pas de lui infliger pour qu'il comprenne qu'il n'était pas ici pour une petite discussion tranquille. Bien entendu, il priait pour qu'il se rebelle, le contraire ne serait vraiment pas drôle. Aussi, lorsque l'Aigle s'exprima, se moquant au passage discrètement de Noâ, il réagit au quart de tour. En trois enjambées, il se retrouva devant lui et lui envoya un coup de poing latéral dans la pommette droite. S'il voulait jouer les durs, il allait être servi.

Il faut croire que la question n'était pas assez compréhensible, mais elle s'éclaircira peut-être grâce à ça.

Un nouveau sourire étirant ses lèvres, il leva lentement la jambe, puis avec une vitesse bien plus fulgurante lui frappa l'abdomen du pied. Suite à son geste, un sifflement agacé provenant de la Chef lui indiqua qu'il devait arrêter là, il s'écarta donc de quelques pas pour lui laisser le champ libre. Au regard courroucé de cette dernière, il haussa simplement les épaules pour lui signifier qu'il n'avait rien fait de mal, puis croisa les bras sur son torse, attendant la suite. Son visage s'animant un peu plus, la blonde fronça les sourcils et s'approcha à son tour, les mains calées dans les poches de son pantalon. Si elle conservait son calme, ce n'était ici qu'une façade. Eli n'était pas le seul à pouvoir jouer les insensibles, elle était aussi rôdé à ce petit jeu.

Tu pensais vraiment que je ne te ferais pas surveiller ? Dès que Alessandra a été conduite en dehors de notre territoire et que tu as été repéré, je t'ai fait suivre. Il était évident que vous alliez entrer en contact. Pourtant, j'espérais vainement qu'elle prendrait la bonne décision en décidant de ne pas se reposer sur toi...

La jeune femme poussa un profond soupir. Voir Eli ici était plus difficile qu'elle ne le pensait, il ne faisait que lui rappeler la distance qui s'était creusée entre elle et sa Seconde. Pourtant, cette étape était nécessaire. Et si cela ne changeait rien au final, elle aurait au moins eu l'occasion de calmer cette rancœur qui la dévorait.

Ma réponse n’avait pas du plaire au brun, car il combla rapidement la distance qui nous séparait pour m’asséna un coup de poing qui aurait pu décrocher ma tête du reste de mon corps s’il avait été donné à plein puissance. Je n’eus pas le temps de reprendre mon souffla que l’air fût violement expulsé de mes poumons par un coup de pied qui me fit comprendre que la chaise était soit fixée au sol, soit suffisamment lourde pour ne pas basculer au moindre choc… même si ce choc-là n’était pas moindre…

Serrant les dents et les poings, j’essayais de récupérer de l’oxygène, mais ma respiration était saccadée, et chaque inspiration me lançait douloureusement dans le ventre. Me crispant, je me forçais à reprendre une respiration normale et garder les yeux fixé sur Noâ qui me faisait maintenant face. Si elle posait les questions, le mec était là pour frapper… et la fille… ?

La chef laissa échappé un profond soupire à la fin de ses explications, répondant ainsi ma place à l’autre dont le sourire était toujours présent. Elle attendait quoi, que j’avoue une chose qu’elle savait déjà ? Que je m’excuse ? Ou voulait-elle juste se défouler sur quelqu’un d’autre qu’un Jaguars ?
Le pouls encore un peu trop rapide à mon goût, je relevais le menton et répondit à la Jaguar.

« N’espères pas que j’avoue quoi que ce soit, car je n’ai rien à avouer, et je ne suis coupable de rien. »

C’était vrai au fond, pourquoi aurais-du me sentir coupable ? Oui j’avais aidé une Membre bannie, mais elle en avait besoin, et non je ne comptais pas le dire à Noâ, puisqu’elle le savait de toute façon déjà. Et son gorille n’avait qu’à s’informer auprès de quelqu’un d’autre.

La réplique d'Eli fit doucement rire Noâ. Coupable de rien ? Ses actes avaient semés la discorde dans deux clans, l'alliance tacite qu'ils avaient été forcés de passer créant une brèche face aux autres groupes, mais à part ça, il n'avait rien fait de mal ? Certes, il n'avait pas agit seul, Alessandra était aussi coupable que lui, mais il y avait des personnes à qui on passait plus de choses avec une facilité naturelle. Et malheureusement, l'Aigle ne faisait pas partie de ces personnes pour la blonde. Si à une époque, l'amour aurait parfaitement justifié la casse à ses yeux, ce n'était désormais plus le cas. Elle le savait, ce genre de sentiments était une véritable épée de Damoclès pendue au dessus des têtes du couple. Il pouvait soit donner une force inopposable, soit créer des conséquences qui finiraient par briser les cœurs fragiles. Dans tous les cas, le monde ne cessait jamais de tourner contrairement à l'impression que donnait l'euphorie amoureuse et lorsque l'on s'en rendait compte, il était déjà trop tard généralement. Car l'amour était aussi la plus grande des faiblesses. C'était donner à l'autre la possibilité de vous détruire, mais aussi offrir à ses ennemis un point faible que l'on pouvait difficilement cacher. Pourtant, elle ne pouvait leur reprocher d'éprouver tout cela, mais elle l'acceptait bien trop difficilement.

Qu'as-tu à lui offrir ? Kim n'acceptera jamais votre relation ! Tu comptes le rejeter, quitter ton clan pour vivre avec elle ? Mais crois-tu qu'elle franchira le pas ? Tu sais très bien l'attachement qu'Alessandra porte aux Jaguars, nous sommes sa famille. Malgré ce visage de marbre, tu dois comprendre au moins un peu l'importance d'appartenir à un groupe, non ? Si elle emprunte ce chemin, elle le regrettera un jour. Et qui subiras le poids de ses reproches ? Votre histoire est vouée à l'échec...

Pourquoi est-ce que dire tout cela, dans le but de le blesser lui, créait un étrange malaise en elle ? Une boule s'était formée dans son estomac au fur et à mesure qu'elle parlait, faisant perdre de la puissance à sa voix. Le problème, c'est qu'elle ne voulait pas totalement voir Eli s'éloigner d'Al. Elle savait la blessure que cela occasionnerait sur le cœur de la brune et elle aurait voulu qu'elle n'ait jamais à la subir, mais d'un autre côté, il n'y avait pas vraiment de solution miracle.

Noâ ne sembla pas convaincue par ma réplique. Elle garda le silence un moment avant de reprendre, et ce qu’elle sortit me fit serrer les poings encore plus, m’enfonçant les ongles dans les paumes, mais je m’efforçais de rester neutre. Alors c’est comme ça qu’elle voulait la jouer ? Elle ne faisait que soulever une question qui m’était revenue de nombreuse fois en tête et sur laquelle j’avais déjà cogité longtemps. Mais elle n’avait quand même pas organisé toute cette mise en scène pour juste me parler, si ?

Gardant le silence à mon tour afin d’assurer ma voix, je fini par reprendre pour répondre à ses questions.

« Kim ne l’acceptera jamais, et alors ? Et je ne demanderai jamais à Alessandra de choisir… »

Je ne pus terminer ma phrase. L’attachement d’Al à son clan était le plus grand obstacle entre nous, et j’en étais bien conscient, mais je me devais de ne montrer aucune faiblesse ici, particulièrement concernant Alessandra.
Pour reprendre contenance, je lui retournais alors sa question, ou plutôt son affirmation.

« Tu as vraiment monté tout ça pour finir par la jouer psychologique ? Ok, alors j’ai une question pour toi. Kim fera tout pour me détruire et m’éloigner définitivement d’elle. Et toi, jusqu’où pourrais-tu aller si cette relation te déplaît tant ? »

Pour Kim, il était clair que je ne comptais plus me laisser faire. Pour Noâ, j’avais bien perçu le changement d’intonation dans sa voix, et puisqu’elle semblait vouloir discuter, et bien nous allons discuter. Je gardais les yeux fixés dans les siens, résistant à l’envie de jeter un œil aux deux autres, sachant qu’un nouveau coup pourrait survenir à tout moment.

La patience n'avait jamais été le fort de Noâ, mais le temps de réflexion que prit Eli avant de lui répondre fut encore plus difficile à supporter qu'elle ne le pensait au départ. Alors lorsqu'il parla enfin, elle éprouva un certain soulagement. Elle aurait voulu le secouer pour qu'il se dépêche un peu, mais à l'heure actuelle, ce n'était pas vraiment la bonne tactique. Ses paroles lui plurent pas beaucoup, ses réponses étaient trop vagues ou alors il retournait simplement les questions. Plutôt pénible. Néanmoins, un élément la fit un peu tiquer. Il ne demanderait pas à Alessandra de choisir ? Mais alors que ferait-il ? Cette question se poserait bien à un moment ou à un autre, si elle ne s'était pas déjà posée.

A la façon d'un rapace surveillant sa proie, Zayne s'était mis à tourner autour du blond. Il marchait calmement, les bras toujours croisés sur son torse, attendant que le prisonnier se décide à dire quelque chose qui mériterait une correction. Et cela se produisit enfin. Cette fois-ci, il lui écrasa violemment le fourreau de son katana sur l'épaule avant de lui empoigner les cheveux pour lui basculer la tête en arrière. Penché à ses côtés, il lui parla à l'oreille, mais suffisamment fort pour que tout le monde entende.

Les questions, c'est pas toi qui les posent, enfoiré.

Pendant qu'il jouait les intimidateurs, Noâ avait pris le temps de réfléchir. Elle aurait dû simplement ignorer les interrogations de l'Aigle, mais quelque chose la poussait à répondre.

Je ne chercherais jamais à détruire Al, elle est trop importante pour moi.

Comme je le pressentais, le brun réagis au quart de tour. Une douleur me vrilla l’épaule gauche et se répandit dans mon corps tel un courant électrique, mais je n’eus pas à m’inquiéter de retenir le cri qui monta, car celui-ci fût étouffé lorsqu’il me bascula la tête vers l’arrière en m’arrachant quelque cheveux au passage. Sa mise en garde était claire, mais j’eu tout de même envie de lui lancé une réplique cinglante. Malheureusement, si l’on peut dire…, Noâ prit la parole, et elle me donna une nouvelle occasion de l’enfoncée dans ses propres réflexions, évitant ainsi les miennes, et même si cela allait surement me valoir un nouveau coup de l’homme de main...

« Si elle est si importante pour toi, pourquoi l’avoir dénoncée auprès de Kim ? Ce n’est que par respect pour toi qu’il ne l’a pas encore tuée… »

Sous le coup des paroles de Noâ, Zayne repoussa brutalement la tête de l'Aigle en avant et se remit à marcher. Il ne quittait pas son attitude de vautour, scrutant avec attention le jeune homme. Il brûlait de l'entendre prononcer une nouvelle provocation et son impatience faisait planer dans la pièce une tension nouvelle. Même Noâ commençait à devenir agitée et elle ne cherchait plus à retenir l'Ancien. Comme quoi, une bonne ambiance et tout devenait possible.

Eli parlait à peine que déjà un nouveau partait. Cette fois, ce n'était pas le brun qui avait réagis, mais Roxanne. Elle n'avait rien laissé paraître jusqu'ici, mais l'attaque singulière du blond avait été de trop. Ses gestes avaient été rapides et discrets, la jeune femme se trouvant dans l'ombre. Elle avait encochée une flèche et avait tiré sans l'once d'une hésitation, envoyant le projectile dans sa cuisse.

Ne parle pas de ce que tu ne connais pas...

Sa voix était incisive et ses paroles plus crachées que parlées. Il était rare que la Seconde s'énerve de cette façon, mais Eli avait été trop loin selon son point de vue.

Tu ne connais rien à la difficulté d'être Chef ! Elle n'avait pas le choix, c'était dans l'intérêt du clan. Et puis, imagine si c'était Kim qui vous avait découvert ? Il vous aurait sûrement tué sur le champ.

Zayne, maintenant Roxanne, décidément Noâ se sentait particulièrement bien assistée aujourd'hui. Elle n'avait même pas le temps d'en placer une que déjà l'un des deux réagissait. On était en plein délire...

Le coup ne vint pas d’où je l’attendais. Une flèche se planta dans ma cuisse droite, m’arrachant cette fois un grognement de douleur. Je cherchais des yeux d’où venait l’attaque et posais mon regard sur la fille qui ne s’était pas manifestée jusqu’à maintenant. Ils réagissaient avant même que Noâ ne réponde, et celle-ci ne semblait pas être gênée plus que ça… en apparence du moins. La brune répondit pour sa chef. Je l’écoutais en fermant les yeux, crispé, la mâchoire et les poings serrés, essayant d’ignorer la douleur qui irradiait maintenant dans tout mon corps, partant de divers points de chute. Je régulais ma respiration, inspirant et expirant lentement et profondément, avant de rouvrir les yeux et de fixer Noâ de nouveau. Le mec me tournait toujours autour, mais j’essayais d’ignorer sa présence.

« Me tuer aurait été trop facile pour lui… Et pour Al, ça n’aurait pas été dans l’intérêt du clan. »

Avec une pointe de sarcasme dans mes derniers mots, je détournais les yeux de Noâ pour les tourner vers la fille.

« Tu y connais quelque chose toi peut-être pour réagir à la place de ta chef ? »

Moi-même je n’aurais pas pu répondre si on m’avait demandé ce que je cherchais exactement. Je faisais tout pour les faire réagir, alors que j’étais clairement en position de faiblesse, et que je ne savais pas ce qu’ils voulaient non plus… Peut-être voulais-je tester les limites de la Jaguars… mais dans quel but ?

Voir Roxanne s'en prendre à quelqu'un avait quelque chose de choquant pour Noâ. Habituellement, c'était une fille adorable qui ne blessait que pour se défendre ou s'il s'agissait d'un ordre. Elle n'était fondamentalement belliqueuse, elle faisait simplement ce qu'il fallait quand il le fallait. Si elle s'énervait aujourd'hui, ce n'était pas sans raison, elle le faisait dans un but de protection. D'une certaine façon, elle restait donc parfaitement dans son cadre. La blonde n'en restait pas moins estomaquée d'être ainsi protégée. Elle n'était pas en sucre quand même ! Si Eli s'adressa à elle, elle ne se sentit pas vraiment prise en compte, d'ailleurs il était déjà reparti sur la Seconde qui lui avait quand même tendue une perche monumentale. Le sarcasme était ici facile. Dans tous les cas, sa pique fit mouche et la brune baissa un peu son arme, hésitant à réagir. Zayne en profita donc pour intervenir puisque personne ne semblait décidé à faire mal à l'effronté. En passant à côté de lui, il saisit la flèche et l'arracha d'un geste brusque.

C'est douloureux, hein ? Tu veux qu'elle t'en replante une que je puisse la retirer encore une fois ?

L'Ancien comprenait un peu mieux la situation et même s'il ne la commentait pas, il trouvait la raison de cet interrogatoire stupide. Ce mec aurait dû être tué directement pour avoir dévoyé une Membre des Jaguars. Et la dite Membre pour avoir pactisé avec un ennemi. Les jeunots ne savaient vraiment plus se tenir.

Franchement, je me demande ce que cette gamine te trouve. Je n'aurais jamais cru qu'un coup de poignard dans le dos des Jaguars viendrait d'elle...

Apparemment, j’avais visé juste, pour la fille du moins. L’autre en profita pour en rajouter une couche, et il arracha la flèche sans ménagement en me demandant si j’en voulais encore. Cette fois, la douleur me fît hurler, et j’eus le réflexe de vouloir lui rendre l’appareil, mais je ne réussis qu’à me scier les poignets en voulant me dégager. Je voulus fusiller le brun du regard, mais me retins, gardant les yeux baissés et essayant de prendre un maximum d’air à chaque inspirations saccadées par la douleur. Je réussi à marmonner une question entre mes dents, question qui me taraudait depuis un moment déjà.

« Mais t’es qui toi bordel ? »

Il ne se comportait pas comment un Membre. Si l’archère avait réagi à ma réplique, lui semblait s’en foutre complètement. Noâ quant à elle n’avait plus pipé mot depuis un moment, et laissait les choses allées sans réagir. Je commençais à me demander qui avait un compte à régler avec moi, elle ou l’autre sadique ?
Les derniers mots de celui-ci me firent relever la tête, mais je réussi à sauver les apparences en posant un regard vide sur lui, les traits le plus détendus possible malgré les lancements irréguliers et le sang s’échappant peu à peu de ma blessure.

« La gamine t’emmerde surement, et moi de même. »

S’il espérait m’impressionner avec ses coups et ses menaces… Qu’il s’amuse, ce ne serait que partie remise. Si je ne pouvais pas faire payer Noâ de peur de perdre Alessendra, peut-être pourrais-je me défouler sur lui un de ces quatre… Qu’il continue, j’aurais au moins une bonne raison de le faire payer.

Comment ça qui il était ? Cette question pourtant anodine avait eu pour effet de ternir la bonne humeur de Zayne. Certes, lui-même ne connaissait pas vraiment le type qu'il s'amusait à titiller, mais quand même il s'attendait à être reconnu. Des personnalités aussi sadiques, il n'en existait pas pourtant pas beaucoup chez les Jaguars. Et il avait suffisamment fait parler de lui. Du moins, ces derniers temps. Il était vrai qu'il avait été plutôt discret depuis sa retraite et il n'avait repris du service que très récemment, mais ce n'était quand même pas une raison.

Je suis Zayne, ancienne Fine Lame des Jaguars du Sud.

Et sur ces mots, il envoya un nouveau coup de fourreau, mais en visant cette fois sa blessure à la cuisse. Cette fois-ci, il se fichait bien des provocations du mouflet, il n'avait plus besoin de ça pour le frapper. Et vu que personne ne s'interposait, il n'allait pas se gêner. Au départ, il s'était attendu à plus de réactions de la part de Roxanne, mais cette dernière ne bronchait pas malgré qu'elle ait retrouvé son calme. Noâ était quand à elle aux abonnés absents et fixait la scène d'un œil vide. Elle n'avait ni envie de participer, ni t'intervenir pour arrêter l'effusion de sang.

Il fait trop calme, tu veux pas crier un coup ?

Et vlan, il lui envoya un coup de fourreau sur la tête. Oups, trop fort...

Décidément, il s’acharnait sur ma cuisse, la frappant cette fois avec le fourreau de sa lame. J’eus un nouveau mouvement, mais de recule cette fois, et agrippais les bras de la chaise en étouffant une exclamation de douleur. Il était désormais le seul acteur dans la pièce, et je me demandais de plus en plus ce que je faisais vraiment là. Mais je n’eus pas l’occasion de poser la question. Un éclaire frappa ma tête, et je me revis un instant allongé sur le sol froid du QG des Aigles, sonné, avant de sombrer dans l’inconscience, non sans avoir lancé un regard d’incompréhension à l’égard de Noâ.

Merde ! J'ai pas senti ma force...
Sérieux, tu aurais pu faire gaffe. On peut rien en faire s'il est assommé.

Affichant une moue boudeuse digne d'un enfant, le brun se pencha un peu vers Eli et lui tapota les joues pour tenter de lui faire reprendre connaissance. Puisqu'il ne se passait rien, il alla même jusqu'à lui mettre une claque qui résonna bien dans le silence des caves, mais sans succès. Cette fois-ci, il ne l'avait vraiment pas loupé. D'ailleurs, il était étonnant que Noâ n'ait pas réagis après tout ça. Haussant un sourcil surprit, il se tourna vers elle et la toisa durant quelques secondes. Non, elle était décidément dans le gaz. Presque aussi peu réactive que la Belle au Bois Dormant qui comatait sur la chaise. Il se demandait un peu quoi faire lorsque Roxanne se décida enfin à prendre les choses en main. Prudemment, elle s'approcha d'elle et posa la main sur son épaule pour la secouer brièvement. Un tel calme n'était pas normal, on aurait dit une coquille vide. Son âme ne tarda pourtant pas à revenir de sa balade et elle perçut ce rapprochement comme une agression. Sa réaction fut donc d'autant plus exacerbée et lorsque sa lame glissa sous la gorge de la Seconde, elle hésita sincèrement à aller plus loin. Mais elle frôla à peine sa peau, retenant son geste juste avant qu'une entaille ne s'ouvre.

Ne refais plus jamais ça. Jamais.
Désolé Noâ.

La brune restait de marbre, mais elle avait eu sacrément peur sur le coup. Elle laissa d'ailleurs passer un soupir de soulagement lorsque l'arme retrouva sa place à la ceinture de la Chef. Elle s'éloigna aussitôt de quelques pas, mais dû se résoudre à reprendre bien vite la parole.

Il a reçu un mauvais coup sur la tête et depuis il est dans les vapes.
De l'eau. On ne l'a pas amené ici pour qu'il pionce.

Sur ces mots, Noâ alla s'asseoir sur une chaise disposée un peu plus loin et cala ses pieds sur une lourde caisse qui servait habituellement de cible. Cet espèce de blanc avait eu un effet bénéfique sur elle car il lui avait permis de faire le point. De se recentrer sur les priorités même. Sous le regard de Zayne qui n'y comprenait plus grand chose, elle bailla aux corneilles et ferma même les yeux quelques instants. Depuis le départ de Alessandra, elle n'avait pas vraiment dormi, elle commençait donc à le sentir passer. Lorsque la Seconde revient, elle ne prit d'ailleurs même pas la peine de les rouvrir et lui intima de le jeter sur Eli, accompagnant ses paroles d'un signe du menton. La brune balança donc un demi-saut d'eau tiédasse sur le blond ce qui entraîna son réveil soudain.

Il me sembla qu’une éternité était passée depuis mon évanouissement. Mais mon répit ne dura pourtant pas longtemps. Une vague se jeta sur moi, et je repris connaissance dans une grande inspiration, cherchant de l’air et lançant des regards d’incompréhension autour de moi. Il me fallut quelques secondes pour me rappeler où j’étais, et dans quelles circonstances. Au moins, l’eau n’était pas glacée…

Mon premier réflexe fût de vouloir me relever, ce qui relança les sources de douleur, à savoir la cuisse, l’épaule, et maintenant la tête. Je fermais les yeux et renversais la tête en arrière, comme si cela allait m’aider. Voyant que ça ne changeait rien, je rouvris les yeux et cherchais Noâ du regard. La chef était installée sur une chaise, et sa position semblait confortable. J’étais complètement perdu, et j’avais du mal à savoir si cela venait du coup ou de l’atmosphère qui avait sensiblement changée dans la pièce. Fermant à nouveau les yeux, j’essayais de reprendre contenance, et je réussi à articuler quelques mots.

« Qu’est-ce que tu me veut Noâ ? »

Les yeux toujours fermés, tête baissée, je m’étais malgré tout efforcé de parler sur un ton assuré. L’eau avait beau être tiède, je frissonnais malgré moi, et chaque frisson déclenchais une vague de douleur qui m’assommait peu à peu, mais si l’inconscience me semblait douce, je me devais de lutter, au moins jusqu’à ce que je sache pourquoi j’étais là…

Étouffant un nouveau bâillement, la Chef fit l'effort d'ouvrir un œil pour scruter le prisonnier qui refaisait lentement surface. Tiens, elle aurait bien bu un coup aussi. Tapotant tranquillement son menton, elle hésita à demander à ce qu'on lui apporte à boire, mais cet ordre aurait vraiment fait tâche dans le contexte. Alors, elle prit sur elle et laissa le temps à Eli de refaire le point sur la situation. Et c'est qu'il en prit du temps le bougre, Zayne n'y avait vraiment pas été de main morte. Finalement, il parla et la blonde leva préventivement la main vers ses acolytes pour arrêter toute tentative d'intimidation. Sérieux, ils ne pouvaient pas lui en foutre une à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, c'était contre-productif. Mais que cherchait-elle à produire ? A vrai, Noâ ne savait foutrement pas pourquoi elle avait monté toute cette opération. A la base, c'était parce qu'elle n'avait pas supporté de voir le couple réunit dès le début de l'exile d'Alessandra, mais au final rien ne s'était passé comme prévu et elle n'était même plus sûre qu'il s'agissait de la vrai raison.

J'en sais foutrement rien. Et toi, tu poses trop de question. Elle adressa une œillade meurtrière à Zayne qui bien qu'immobile, semblait avoir été traversé par une idée. Et non, on ne lui tapera pas sur la gueule parce qu'il a parlé.

Le brun semblait déçu et il poussa un soupir de frustration. S'il croyait l'avoir avec cette petite comédie, il se fourrait le doigt dans l’œil.

Bon, j'en ai marre.

La jeune femme se leva et s'étira tranquillement en fixant l'Aigle. Elle ne savait plus trop quoi en faire. Une part d'elle aurait bien été somnolé dans un coin au soleil, mais elle ne pouvait décemment pas le laisser en compagnie de Zayne. Voir même sans une escorte baraquée qui empêchait le brun d'aller lui faire sa fête pendant son absence.

Prenons un exemple. Si jamais les Jaguars et les Aigles entraient en guerre, que feras-tu ? Al sera à nos côtés, c'est une certitude. Elle ne pourra pas vivre avec le poids de la chute de son clan sur la conscience, elle préféra mourir avec lui. C'est dans son caractère, elle est un peu extrême depuis qu'elle est toute petite. Sûrement l'influence de son père. Et la mienne aussi probablement. Enfin bref. Si nous sommes si importants pour elle, c'est parce qu'elle ne se souvient quasiment plus de sa vrai famille. Elle a peur d'être abandonnée par les siens. Manque de bol pour toi, ça n'arrivera jamais. Quoi qu'elle fasse, je ne pourrais jamais lui tourner complètement le dos.

Pourquoi est-ce qu'elle lui racontait tout ça ? Hum, elle n'en savait rien. C'était juste venu comme ça alors qu'elle songeait à Alessandra et les mots avaient finis par sortir touts seuls.

La chef me répondit sur un ton blasé, mais au moins se décidait-elle à tenir ses chiens en laisse, même si le brun ne semblait pas se conformer aux règles de bases… Je me retins de tourner les yeux vers l’homme, sentant sa frustration presqu’autant que mes blessures. Noâ semblait enfin se réveillée, et je pris soin de porter toute mon attention sur ses paroles. Si celles-ci ne répondaient pas à ma question, elles n’en restaient pas moins intéressantes. Enfin sa question avait eu le malheur de réveiller de vielles cogitations, mais je devais me contrer pour l’écoutée et éviter de me perdre dans mes pensées embrouillées.

Je ne savais pas pourquoi la Jaguars me racontait soudainement une partie de l’histoire d’Al, même infime, et je gardais longuement le silence après qu’elle ait fini de parler, réfléchissant à ce que je venais d’entendre, ou du moins essayant de réfléchir... La présence des deux autres n’était pas rassurante, et j’étais toujours aussi largué quant au comportement de leur chef, et je n’avais pas vraiment de réponse à sa question malgré le fait que celle-ci m’était également venue de nombreuse fois à l’esprit. Pourtant, des mots sortirent sans que je ne m’en rende vraiment compte, comme si je me parlais à moi-même…

« Jamais je ne m’attaquerai à Alessandra… »

Et jamais je ne trahirai mon clan non plus… J’avais tout de même perdu ma famille pour eux, mais si une guerre devait se déclarer, les choses allaient clairement se compliquer…

Soupirant, je relevais la tête et vrillais Noâ du regard.

« C’est étonnant comme tes actes ne collent pas avec tes paroles… ! »

Ok, cette fois, il lui prenait la tête. A chaque fois qu'elle faisait l'effort d'être un peu gentille pour compenser les manières de ses Membres, il fallait qu'il la provoque. A croire qu'il souhaitait vraiment la pousser à bout pour qu'elle lui en mette une. Combien de piques lui avait-il envoyé depuis qu'il était là ? Sûrement pas mal. Dans tous les cas, cette moquerie lassée porta cette fois ses fruits et se fut à elle de soupirer. Elle n'était en colère, elle en avait juste marre qu'il se foute de sa gueule. Un peu blasée donc. Puisqu'il voulait absolument qu'elle mette la main à la pâte...

Tu viendras pas te plaindre après...

Esquissant un petit sourire amusé, elle alla s'asseoir à califourchon sur les jambes de l'Aigle et passa un bras autour de sa nuque pour se maintenir en place. Récupérant son couteau à sa ceinture, elle s'appliqua ensuite à découper son t-shirt pour avoir accès à son torse.

Quelle vilaine cicatrice, votre infirmier n'est pas très doué visiblement...

Charly était très doué dans son domaine et il s'appliquait toujours à ce que les cicatrices ressortent propres. Ici, il s'agissait d'une balafre vraiment l'aide et elle ressentit une pointe de dégoût en l'observant. Mais ce n'était pas vraiment le moment de penser à ça. Après tout, elle ne faisait que réaliser un souhait qu'il semblait formuler depuis le début en agissant comme une vrai tortionnaire. Attrapant un morceau de son vêtement, elle le roula en boule et lui fourra dans la bouche.

Serre les dents, ça va faire mal.

Sur le coup, on aurait pu croire qu'elle allait lui enlever une balle et pas qu'elle allait le blesser encore plus qu'il ne l'était déjà. De la pointe de sa lame, elle redessina la cicatrice, un sourire effleurant toujours ses lèvres. Elle progressait doucement, cherchant à garder une profondeur de pénétration du couteau égale. Sur son passage, elle ne laissait qu'un filet de sang qui progressivement s'intensifiait alors qu'elle arrivait au bout. Ce geste était plus symbolique qu'autre chose, au moins Eli savait désormais que si Kim pouvait lui faire du mal, c'était aussi son cas.

Aïe, touché. Cette dernière provocation avait fait mouche, mais je sentis trop tard que cette fois j’avais été trop loin. Le sourire qu’afficha Noâ faisait froid dans le dos. Elle vint s’asseoir sur mes jambes, et son poids raviva la douleur dans ma cuisse. La main qu’elle passa dans ma nuque me fit autant frissonnée que le couteau qu’elle venait de dégainer, et mon pouls s’accéléra malgré moi, saccadant ma respiration. Cette proximité était malsaine, dans tous les sens du terme, et je ne pus que détourner les yeux, sans pour autant les baisser. Ses gestes étaient méthodiques et lents… trop lent. Je ne pris pas la peine de répondre à sa remarque concernant notre infirmier, ce n’était pas lui qui s’était occupé de moi.

Le tissu qu’elle m’enfonça dans la bouche m’étouffa, mais au moins étouffa-t-il également en partie le hurlement que je ne pus retenir lorsque la lame s’enfonça dans ma cicatrice et remonta lentement. Des images horribles me revenaient en tête, et tout mon corps se crispa sous les effets combinés de la douleur physique et morale que provoquais ce simple geste, considéré comme une torture banale pour beaucoup. J’avais le souffle court, mais c’est avec une rage non contenue cette fois que fusillais la Jaguars. Le message était passé, mais si elle croyait que cela allait m’intimider, elle se foutait le doigt bien profond…

La douleur était cuisante. La première blessure n’avait déjà pas fait du bien, mais la seconde était encore bien pire. Chaque respiration était comme un coup de couteau, au point que j’en arrivais à me retenir de respirer un maximum. Et en sois ce n’était pas trop difficile, vu le tissu qui m’obstruait toujours la bouche et qui affectait pas mal mon système respiratoire…

Au moins, l'Aigle avait enfin compris qu'il devait la fermer. Oups, il ne pouvait en réalité pas parler puisqu'il avait encore quelque chose dans la bouche. Affichant une moue désolée, elle retira le tissu et le jeta négligemment sur le sol. Il n'aurait pas fallu qu'il s'étouffe, elle ne pouvait décemment pas livrer un cadavre à Kim. Une fois ce petit détail réglé, elle se leva tranquillement et adressa à son prisonnier un regard blasé. Toute cette histoire devenait profondément ennuyante. De base, elle n'était déjà pas des plus passionnante, juste nécessaire. Noâ était de ces personnes qui préféraient chasser des proies vivantes et pleines de vie, les bêtes blessées ou attachées, très peu pour elle. Elle n'avait pas vraiment un goût prononcé pour la souffrance, juste pour la chasse.

On arrête là. Vous deux, allez le jeter dans la zone neutre qu'il puisse retourner chez lui. Ou se faire ramasser par quelqu'un, je m'en fous. Faites juste en sorte qu'il n'y passe pas.
Mais... Mais on peut pas le laisser partir comme ça ! On ne lui a encore rien fait.
Tu veux dire que TU ne lui as rien fait.
Mouais, c'est pareil...
Quand vous aurez fini de papoter, obéir ce serait pas mal aussi.

Roulant un regard désespéré vers le ciel, la blonde quitta tranquillement les caves et remonta vers sa chambre. Après encore quelques essais de Zayne qui espérait que Roxanne le laisserait foutre un ou deux coups à Eli, le duo finit par inoculer un nouveau paralysant à l'Aigle avant de commencer à le traîner vers l'extérieur.

La douleur était insoutenable, et pourtant je luttais pour rester conscient, ne voulant pas faire le plaisir à Noâ de partir à nouveau dans les vapes. Elle me retira le tissu de la bouche et je pris malgré moi une grande inspiration, ce qui maracha un nouveau cri, mais plus retenu cette fois. Ma respiration était sacadée, et j’étais tellement tendu qu’on aurait surement pû me briser d’un simple coup. Pourtant, Noâ ordonna de me libérer hors du territoire, pour le plus grand damne du brun qui rouspeta comme un gamin à qui on avait promis une sucette et qui ne l’avait pas eue. La chef sortit sans que je n’ai pu articulé quoi que ce soit, trop occupé à contenir la douleur. Les deux autres discutèrent encore un moment sans que je n’y prête vraiment attention, puis je recus une nouvelle dose de paralysant. Bizarrement, cela me fit aussi du bien… enfin si l’on peut dire. Le fait que mes muscles se détendes étanua légèrement le lancement qui se répandait de mon torse jusque dans tout mon corps. Pour la tête, je fûs plus assomé qu’autre chose, et c’est dans une semi conscience que je me sentis transporter, chaque mouvements brusques m’arrachant un grognement de douleur. Ils me le payeraient tous les trois, et si je ne pouvais pas m’attaquer à Noâ directement, je ferais en sorte de lui faire payer autrement, plus subtilement. Ils m’avaient humilié, cela allait leur couter cher.

Je n'avais vraiment fait la connaissance d'Eli qu'il y a très peu de temps - enfin techniquement c'était il y a environ quatre mois, mais avec la coupure durant la Saison Polaire, cela ne faisait plus grand chose -, mais je su immédiatement qu'il s'était passé quelque chose lorsqu'il ne se présenta pas au rendez-vous qu'il m'avait fixé deux jours plus tôt. Ce n'était définitivement pas son genre de faire faux bond à quelqu'un de cette façon. Bien sûr, il aurait pu avoir été convoqué par Kim pour une mission, mais d'après ce que je savais, ce n'était que peu probable. Donc, il ne pouvait y avoir eu qu'un incident grave. J'avais preuve d'une patience très relative avant de partir dès que la voie fut libre à l'extérieur. Ce séjour chez les Aigles m'avait permis de reprendre des forces. J'avais eu l'occasion de me reposer du moins. En courant vers l'extérieur du territoire, je constatais vite que j'avais retrouvé une partie de ma mobilité. Je progressais plus vite et, surtout, je me fatiguais moins. Lorsque je me glissais hors des frontières de l'Est, je compris instantanément que ma démarche était stupide. Ce n'était pas en courant partout que j'allais pouvoir le retrouver...

Eh ben ma grande, on s'est perdue ?

Une silhouette se détacha de l'ombre prodiguée par une façade à moitié écroulée et je déglutis difficilement en le reconnaissant. Aaron, l'Espion assigné aux Aigles, c'était bien ma veine. Il m'avait vu sortir de chez eux et connaissant ce fayot, il n'aurait aucun scrupule à aller tout raconter à Noâ. D'un côté, c'était son boulot, je pouvais le concevoir, mais cela n'excusait pas tout. L'homme rit à gorge déployée, puis lâcha une info étonnement intéressante, même si au début je cru bien qu'il avait un sérieux grain.

Tu as loupé un sacré truc. Deux chats sauvages ont alpagués un pigeon, c'était grandiose.
E... Eli ?!
Bingo !

Instinctivement, je me remis à courir vers le QG. Si quelque chose se tramait avec lui, Noâ était forcément au courant. Elle en était même probablement l'instigatrice même si je ne préférais pas trop penser à cela maintenant. Tout ce que je voulais, c'était retrouver Eli. Le retrouver entier, bien entendu. Une poignée de minutes plus tard, je déboulais dans le QG avec deux sentinelles à mes trousses. Elles étaient assez jeunes et, même si mon bannissement n'avait pas encore été levé, aucune n'avait osé m'arrêter. L'effet de surprise avait aussi bien joué. En traversant le hall, je tombais directement sur une vision horrifique. Eli était traîné par Zayne et Roxanne, visiblement inerte. Sans réfléchir, je récupérais l'arme cachée par mes vêtements et la pointait sur eux.

Qu'est-ce que vous lui avez fait ?

Question stupide, vu l'état du blond, ils avaient sûrement dû le passer à tabac.

On s'est juste un peu amusé...

Le sourire de Zayne était explicite. Néanmoins, il y avait quelque chose d'étrange dans cette histoire. Lorsque l'homme s'occupait de quelqu'un, il avait tendance à l'amputer d'un bras, ou au moins d'un doigt ou deux, mais à première vue, Eli paraissait complet. Cette réflexion fut rapidement écartée par Roxanne qui avait lâché l'Aigle pour encocher une flèche.

Qu'est-ce que tu fous ici ?! Passer nos frontières va à l'encontre de ton bannissement. Au regard de ton ancien rôle chez les Jaguars, je vais te laisser une chance de partir indemne, mais je te déconseille d'abuser de ma gentillesse...

Sa proposition était honorable, mais c'était hors de question. Je ne pouvais pas laisser Eli ici. Encore moins dans cet état. Il avait besoin de voir un soigneur et j'avais bien plus confiance en Charly qu'en n'importe quel autre infirmier. Un seul choix s'offrait donc à moi. Campée sur mes deux pieds, je pivotais vers l'actuelle Seconde pour la mettre en joug. Je n'avais aucune envie de lui tirer dessus, mais ma décision était prise et je ne pouvais donc plus que l'assumer. Je plantais mes yeux dans les siens, tentant de prendre le dessus à la suite d'un duel moins dangereux.

Je suis désolé Roxanne, mais je ne peux pas le laisser ici !

Quelques secondes s'écoulèrent sans qu'un bruit ne se fasse entendre, puis, sous le coup d'une impression fugace, je tirais. Le coup fila au moment même où sa flèche m'entailla le bras et alla lui érafler l'épaule. Un point partout, mais la balle était de mon côté. Contrairement à elle, je n'avais pas besoin de recharger mon arme pour faire mouche.

Je veux juste l'emmener. Personne ne saura que je suis là.
Il y a déjà trop de gens au courant...
Roxanne, ne m'oblige pas à en arriver là.
Barrez-vous ! Mais j'te jure que cette affaire ne restera pas sans conséquences.

Son regard ne laissait en effet planer aucun doute à ce sujet. Avec soulagement, je constatais néanmoins qu'elle baissa son arc et empoigna le bras de Zayne pour l'attirer vers la salle de réunion. Voir le brun si docile était perturbant, mais rien ne semblait tourner rond ces derniers temps de toute façon. Lorsque les sentinelles partirent elles aussi, je relâchais un peu ma garde pour rejoindre Eli qui s'était retrouvé à terre puisque lâché par ses deux géôliers. Heureusement, il était conscient contrairement à ce que j'avais pensé au départ. J'étais pourtant inquiète, aussi, sans un mot, je lui passais le bras en travers de mes épaules et entreprit de sortir. La tâche n'était pas facile, mais notre destination n'était qu'à deux pas.