Do You Remember the Time When We First Met?

Avant Icare, il y avait eu Tom. Tom était homosexuel. Avant d’en pincer pour les gays, j’avais aimé Dryss comme toutes les petites filles avaient pu aimer le garçon le plus attentionné de la bande. Dryss avait été déclaré disparu puis mort. Mon coeur est mort trois fois, au moins, avant de s’émietter et de se fragiliser, à l’annonce de cette nouvelle. Avant Dryss, il y avait eu Azel.

C’était un amour d’enfant, un amour pur, chaste et vibrant.

Les grands m’aimaient. J’étais ce genre d’enfant, une fillette mignonne, blonde et futée. J’étais lumineuse comme le soleil et aussi souriante que peut l’être une vieille amie qu’on retrouve enfin. J’étais docile et j’obéissais avec entrain; l’autorité ne me faisait pas peur. J’oubliais les méchancetés qu’on pouvait me dire aussi rapidement qu’elles m’avaient ébranlée et, qualité rare, je ne rapportais pas lorsqu’untel me giflait. La vie me semblait douce et facile, et le quotidien ne m’étouffait pas. Je m’amusais d’un rien et tout me faisait rire, comme il en est toujours le cas aujourd’hui. C’est tout naturellement que je me suis rapprochée d’Azel, un gamin de deux ans mon aîné. Il était souriant, trop pour les Dragons. Il était gentil et attentionné, même avec les enfants des soumis, et je le soupçonnais même d’apprécier la compagnie des moutons, mais je ne l’avais jamais vu réellement en câliner un. Bref, hormis ce point hypothétique, Azel était un garçon doux, du tempérament jusqu’aux traits, et je me doutais bien qu’il vivait mal parmi les nôtres. La bonté et la gentillesse étaient une marginalité, dans le territoire du Nord.

De simples connaissances nous sommes devenus amis, puis meilleurs amis. Nous avions passé toute la saison polaire à s’inventer des jeux et des mondes, bien au chaud chez Tatie Lucie, sans que je sente arriver le séisme qui allait assiéger mon coeur d’enfant. Je vivais notre relation amicale plutôt que de la réfléchir. Je ne pensais pas au lendemain. Il n’y avait que la journée même, le présent, qui me semblait pertinent. J’étais futée, mais pas assez. J’aurais dû me douter que, comme quelques uns, Azel allait préférer partir sans demander son reste, fuir vers l’Est ou l’Ouest afin d’avoir un semblant de vie.

Devant mon air ahuri, maman m’a expliquée qu’il n’avait plus de famille depuis quelques années. J’ignorais à quel point ce qu’il pouvait vivre était difficile, beaucoup trop occupée à me laisser charmer par sa simplicité et ses sourires. J'étais trop concentrée sur mon petit bonheur.

Je n’ai jamais su où il était allé, précisément. Malgré mes nombreuses escapades chez les Jaguars, je ne l’ai jamais croisé. Saurais-je seulement le reconnaître, après autant d’années? Peu importe où la vie l'a entraîné, je lui souhaite d’avoir enfin sa propre famille.