From the dawn of time to the end of days
PV Violette - Jour 3 (nuit)

La silhouette encapuchonnée avançait lentement au cœur des ruines. La nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà et elle profitait du calme nocturne pour se fondre entre les ombres. Samael avait toujours aimé évolué durant ces nuits clairs qui faisaient naitre les plus sinistres idées dans les esprits trop fertiles. Il appréciait d'autant plus cette sensation aujourd'hui à cause de sa rareté. Il n'avait plus profité de l'air des ruines en solitaire depuis longtemps et il lui aurait été bien difficile de se remémorer sa dernière sortie. Depuis qu'il avait rejoint les Coyotes, il avait enterré son passé sans un regard en arrière, mais un détail de ce passé était venu vicieusement se glisser dans son nouveau monde et il n'avait pas pu supporter de rester simple spectateur face à la déchéance d'une personne qui avait été son élève la plus appliquée. L'homme ne s'en cachait pas, il avait toujours eu un faible pour Violette. Il lui avait appris tout ce qu'il savait et elle avait fait preuve de capacités hautement appréciables. Elle possédait aussi un caractère meurtrier et elle était déterminée ce qui lui avait tout de suite plus. Alors, lorsqu'il avait eu vent de son comportement de ces derniers jours, il avait décidé de prendre les choses en main. L'avantage d'avoir Ashelya a ses côtés était qu'il savait toujours tout ce qu'il se passait à la surface tant la jeune femme avait d'informateurs opérant dans tout Paris. Il ne lui avait donc pas été difficile de dénicher quelqu'un pour la filer jusqu'à ce qu'une fenêtre s'ouvre pour l'ex-Dragon. Cette fenêtre, c'était cette nuit. Elle était sortie du territoire pour il ne savait quelle raison, lui offrant une occasion de la recadrer à sa façon.

Au loin, Mael repéra le corps allongé d'un homme qui s'était adossé à un mur. C'était lui l'informateur. Un Dragon fourbe et aisément manipulable à qui il jeta un sac de rations dès qu'il lui eut donné les informations qu'il attendait. Sans un regard vers lui, il prit la direction opposée à celle qu'il lui indiquait et contourna le pâté de maison. De façon à prendre de vitesse sa cible, il se mit à courir jusqu'à déboucher sur une petite place déserte. Silencieux, il plaqua son dos contre un amoncellement de gravats et attendit. Le bruit léger des pas de la fille se fit entendre quelques instants plus tard. Il résista à l'envie de jeter un regard dans sa direction pour vérifier que c'était bien elle, mais la combattit. C'était un comportement stupide qui le ferait sûrement repéré. Et même si ce n'était pas elle, cela n'avait pas d'importance.

Lorsqu'elle ne fut plus qu'à quelques pas de lui, il prit une grande inspiration et la poussa brutalement dès qu'elle fut à ses côtés. Il l'avait envoyé valsé des deux mains dans la poussière et se tenait désormais au dessus d'elle, son sourire mauvais dévoilé par la chute de son capuchon.

- Où se cache donc cette fille aux yeux secs que j'ai arraché au sol et à sa misérable condition ?

Cette frêle carcasse au sol le dégoûtait. Avec dédain, il cracha sur le sol à côté d'elle et déploya sa lance pour en appliquer la pointe au niveau de sa gorge.

- Je croyais que tu étais une guerrière et qu'entends-je ? Que tu n'es qu'une pleurnicheuse ne se remettant pas de la perte de son cher Chad. C'est à croire que j'ai perdu mon temps avec toi.

Tu es un désastre ambulant. Ces derniers jours c'est la seule chose que tu parviens à penser à propos de toi. La mort de Chad t'a affectée à un point que tu n'aurais jamais pu concevoir. Tu te sens détruite à l'intérieur et il t'est bien difficile de laisser percevoir une image de toi qui ne l'est pas. Tu tentes bien de préserver les apparences mais c'est une tâche difficile que tu ne parviens pas toujours à accomplir correctement. La journée, tu parviens encore à donner le change mais c'est une autre histoire lorsque la nuit tombe ou que tu n'as rien à faire. En temps normal, tu te fiches de ce qu'on pense de toi, là chaque remarque vient profondément te toucher. Tu n'es que l'ombre de toi même. Et tu pleures. Malgré tes efforts tu pleures trop souvent. Jamais en public fort heureusement mais le simple fait de te savoir si faible te dégoûte. Cette nuit, c'est d'ailleurs à peine si tu te sens le droit de rester sur le territoire. Tu as si honte que tu ne veux pas fouler des pieds ton territoire. Alors tu pars. Sans un regard en arrière, avec à peine une lame à la ceinture. Tu reviendras bien sûr mais tu ne sais pas quand. Peut-être dans quelques heures, peut-être demain, peut-être après. C'est une réaction stupide qui peut te coûter cher mais tu t'en fiches. Oui, partir loin des Dragons, c'est tout ce qui compte à tes yeux. Tu ne sais même pas où tu vas aller. Tu déambules simplement dans les ruines sans l'ombre d'une idée. Tu aimerais juste que cette douleur purement psychologique disparaisse. Tu voudrais aussi que Chad arrête de te manquer. En fait, tout ce que tu souhaites c'est redevenir comme avant. Mais tu ne sais pas comment faire. Tu ne sais pas comment faire disparaître les sentiments qui se bousculent en toi. Ton état fait de toi une cible facile dans cet environnement hostile. Sans le savoir, tu as attiré vers toi un danger qui te percute avec autant de violence que de soudaineté. Tu te retrouves au sol sans savoir ce qu'il s'est passé. Tu n'as même pas dégainé ta lame, réflexe pourtant évident habituellement. A la place, tu as roulé sur toi même et tu t'es retrouvé allongée dans les gravillons. Hébétée, tu regardes celui qui se tient au dessus de toi.

SAMAEL – Où se cache donc cette fille aux yeux secs que j'ai arraché au sol et à sa misérable condition ?

Samael. Ce n'est pas à son visage se dessinant dans l'obscurité que tu l'as reconnu mais bien à sa voix aussi claquante qu'un fouet. Tu ne sais pas quoi lui répondre. Tu n'y penses même pas à vrai dire. Tu es tellement surprise de le voir ici que tu restes muette. Le crachat qui atterrit non loin de toi te surprends. Jamais il ne s'est montré aussi dédaigneux avec toi. Ce geste ravive un peu la braise dans ton regard mais ne suffit pas à te faire réagir. Lui est fidèle à lui-même. Sa lance jaillit et tu sens la pointe venir te piquer la gorge.

SAMAEL – Je croyais que tu étais une guerrière et qu'entends-je ? Que tu n'es qu'une pleurnicheuse ne se remettant pas de la perte de son cher Chad. C'est à croire que j'ai perdu mon temps avec toi.

Il y a tellement de questions que tu aimerais lui poser, tellement de réponses que tu attends mais il n'est pas là pour ça. Samael n'a de toute façon jamais été très bavard et tu doutes qu'il prendra la peine de t'expliquer la raison de sa disparition. L'information s'imprime soudainement dans ton esprit. C'est un fugitif. Il a été ton mentor le plus appliqué mais il n'en reste pas moins un traître aux yeux des Dragons. D'un mouvement leste, tu empoignes sa lance des deux mains et tu la repousses de façon à ce qu'elle ne soit plus appliquée sur ta peau.

VIOLETTE – Ne parle pas de lui.

Ta voix manque de force mais tu t'appliques à la raffermir.

VIOLETTE – Je n'ai pas de leçon à recevoir d'un mec qui a trahi les siens !

Samael est encore vivant car il a trahi alors que Chad est mort parce qu'il a été trop fidèle. Tout ça te reste un peu trop en travers de la gorge pour que tu puisses accueillir Mael avec le sourire.

Contempler la fragilité de Violette était pour Samael particulièrement désagréable. Il avait toujours cru en l'entraînant qu'elle ne serait pas comme les autres. Il avait repéré chez elle une étincelle de passion qui lui avait donné envie de lui apprendre tout ce qu'il savait. Cette maîtrise de la lance qu'il détenait de son père, il lui avait transmise sans l'ombre d'une hésitation car il la croyait digne. Il pensait qu'elle continuerait à grandir et qu'elle deviendrait une vraie Dragonne. Mais celle qui se tenait à ses pieds n'était qu'une misérable lézarde tout comme tous les autres jeunes de sa génération. Elle le fixait avec un air bête sans vraiment réagir à sa présence. C'était à croire qu'elle avait oublié sa dangerosité. Pour lui rappeler qui il était, il sortit sa lance et la menaça clairement en espérant revoir au moins durant un instant l'ombre de cette élève qu'il avait si soigneusement formée.

Le silence de Violette lui sembla révélateur, mais il y eut soudain un infime changement chez elle qui le poussa à se montrer plus méfiant. Quelques instants plus tard, elle s'était saisie du manche de la lance qu'elle repoussa pour la maintenir éloigné de sa gorge. Mael ne força pas beaucoup pour l'en empêcher, mais il affermit sa poigne pour être sûr qu'elle ne puisse pas le désarmer. Il savait que Violette pouvait être capable de beaucoup de choses même s'il la trouvait toujours un peu faible. Elle prit enfin la parole et il fut surpris de découvrir que sa voix avait un peu gagnée en maturité. Samael marqua néanmoins son mécontentement d'une moue lorsqu'il se rendit compte que ce n'était pas pour elle qu'elle se défendait, mais bien pour Chad. Ce n'était définitivement pas ce qu'il attendait. La suite fit disparaître toute chaleur de ses traits et il s'exprima d'une voix sifflante.

- Je n'ai pas trahi les Dragons, ce sont eux qui l'ont fait.

Certes, il avait quitté les Dragons, mais il l'avait fait uniquement car il ne reconnaissait plus ce clan qui avait été le sien. Il ne le respectait plus et il n'avait pas voulu rester là-bas car il ne s'y sentait pas à sa place. Alors, il avait été se chercher une place autre part. Ainsi, il ne se considérait pas comme un traitre.

- Et tu as toujours une leçon à recevoir. C'est ce que tu es, Violette. Tu ne refuses jamais une leçon et ce qu'importe le prix que cela doit te coûter.

Avec rudesse, Samael récupéra sa lance et recula de quelques pas.

- Maintenant, relève-toi. Debout !

SAMAEL – Je n'ai pas trahi les Dragons, ce sont eux qui l'ont fait.

Samael repousse la faute sur les Dragons d'un argument sifflant mais sans le moindre sens. C'est beaucoup trop facile. Tu trouves ce comportement lâche. En plus d'avoir abandonné son territoire, il n'avoue même pas sa culpabilité.Tu es très déçue qu'un homme que tu as tant respecté retourne ainsi sa veste sans une once de dignité. Son comportement te déroute un peu aussi. Tu ne comprends pas comment il a pu agir de la sorte. Cette question, tu te la poses depuis des années déjà mais elle te revient en plein visage au pire moment. Pourquoi est-il vraiment parti ? Qu'est-ce qui se cache derrière cette décision ? Malgré la déception et la colère, le questionnement reste bien présent et trop fort pour que tu l'ignores. Tu veux savoir.

SAMAEL – Et tu as toujours une leçon à recevoir. C'est ce que tu es, Violette. Tu ne refuses jamais une leçon et ce qu'importe le prix que cela doit te coûter.

Avant que tu ne puisses réagir, il arrache sa lance à ta poigne. Plutôt que de serrer les mains comme tes réflexes te le dictent, tu les écartes ce qui sauve tes paumes de coupures qui auraient pu être graves. Mael vient de reculer et quelque chose te dit que ce n'est pas pour partir.

SAMAEL – Maintenant, relève-toi. Debout !

Tu ne te fais prier. Ce n'est pas son ordre qui te pousse à rouler sur toi-même pour te remettre debout mais bien l'envie de te trouver dans une position plus digne. Bien campée sur tes jambes, tu le fixes d'un regard dur. Les questions se bousculent dans ta tête et tu aimerais lui les cracher au visage mais il ne répondra pas si facilement. Si tu veux savoir il va falloir lui arracher les informations. Et tu ne connais qu'une seule façon de le faire. Tu dégaines ta dague avec la force de l'habitude et tu l'as fait passer de ta main gauche à ta main droite. Tu es concentrée sur la lance de Samael. Il a un avantage certain avec cette arme, il a plus d'expérience et c'est lui qui t'a tout appris, tu pars de loin mais tu penses avoir tes chances en combat singulier. Ne pas l'envisager serait trahir ta conception du monde.

VIOLETTE – Tu veux me donner une leçon ? Très bien. Mais si c'est moi qui t'en donne une, alors tu me diras tout. Tu répondras à chacune de mes questions sans omettre un seul détail.

Ce que tu fais est risqué. Pour avoir été aussi impudente tu pourrais te retrouver empalée sur sa lance mais tu t'en fiches. Tu as besoin de savoir pourquoi il est parti, pourquoi il est là et ce qu'il te veut vraiment.

La réaction de la jeune Dragonne fut rapide. Si le malheur dans lequel elle était resté prostrée l'avait paralysée au départ, elle semblait désormais plus vive, plus réactive. Après une roulade, elle fut debout, l'air solide, à le fixer. Son regard était dur, mais il n'eut aucun effet sur Samael. Il en avait vu d'autres et ce n'était pas l’œillade noire de cette gamine qui allait le perturber. Même l'idée du combat qui s'annonçait ne suffisait pas à le faire trembler. Cela ne lui arrachait pas une seule réaction. Il savait que son élève était douée à son départ et se doutait qu'elle avait dû encore s'améliorer, mais elle n'était aujourd'hui pas dans son état normal. Si elle restait dangereuse pour certains autres, elle ne le serait pas pour lui, il en avait la certitude. Il ne cilla donc pas en la voyant dégainer sa dague. L'arme était mortelle et elle savait parfaitement sans servir, mais ce n'était ni une lance, ni un sabre, ses outils de prédilection lorsqu'il s'agissait de mettre quelqu'un à terre. Elle était clairement désavantagée. Cet état de fait n'empêchait pas Violette de le provoquer en duel. Le Coyote haussa un sourcil sous le surprise. Même dans sa chute, elle parvenait à le surprendre. Un sourire un peu narquois lui monta sur les lèvres alors qu'il considérait sa proposition. Un combat contre des réponses. Ou plutôt une victoire contre des réponses. Ce n'était pas un mauvais deal. Lui-même n'avait rien à y gagner, mais si cette petite leçon permettait à la Dragonne de se remettre, il voulait bien se prêter au jeu. Mael ne croyait sincèrement pas à la défaite. Il pouvait l'admettre dans certains cas, mais il était aujourd'hui certain de l'emporter. Violette ne pouvait pas le battre. Elle n'avait ni la forme, ni l'arme, et encore moins la raison nécessaires pour y parvenir.

- C'est d'accord. Je doute que tu ais quoi que ce soit à m'apprendre, mais tu peux toujours essayer.

Dans la tête du Coyote, la voix d'Ashelya lui rappela qu'il était important de garder le secret de sa survie dans les ruines. Il chassa cette pensée loin dans son esprit en se promettant qu'il n'aurait rien à dire à la brune. Il savait parfaitement ce qu'il faisait. Il savait aussi que l'existence des souterrains ne devait pas être révélée. Elle le serait un jour, mais ce temps là n'était pas encore venu.

- Je te laisse la main. Il te faudra bien ça...

La provoquer faisait partie du jeu. Chassant sa cape d'un geste sec, il fit tourner sa lance entre ses mains et se mit en garde. L'avantage de cette arme était qu'elle pouvait couvrir une large zone et être aussi efficace en attaque qu'en défense, mais en contre-partie il perdait un peu en rapidité. Il avait développé une technique qui lui permettait d'y pallier, mais, avec sa dague et la vélocité qu'elle gagnait en l'utilisant, Violette pouvait lui faire des dégâts. Surtout si elle utilisait pour cela la connaissance de ses propres faiblesses quand elle combattait avec une arme d'hast.

Samael te sous-estime, tu le sens. Dans ses mimiques, il n'y a rien de positif. Il ne te considère pas comme une réelle menace et ça te frustre. Le problème c'est que tu ne peux pas exactement lui donner tort. Il est fort et il t'a tout appris. En plus, tu t'es laissée aller ces derniers jours. Malgré tes activités, tu es un peu rouillée car tu n'as pas suivi ton régime d'entraînement habituel.

SAMAEL - C'est d'accord. Je doute que tu ais quoi que ce soit à m'apprendre, mais tu peux toujours essayer.

Tu ne te souviens pas qu'il soit un habitué de ce genre de paris. Il doit vraiment se sentir victorieux d'avance pour accepter aussi facilement. Le fait qu'il te laisse le bénéfice du doute est appréciable par contre. Au moins n'a-t-il pas perdu complètement confiance en tes capacités.

SAMAEL - Je te laisse la main. Il te faudra bien ça...

Tu grinces des dents. Tu as beau savoir que ce n'est que de la provocation pour te faire sortir de tes gonds, tu cours droit dedans. Samael se met à l'aise en se débarrassant de sa cape et le voilà en garde. Il a fait tourné sa lance en fendant l'air et à le voir jouer avec tu regrettes de ne pas être en possession de la tienne. Le combat serait bien plus équitable même si tu n'as pas l'audace de croire qu'à armes égales tu serais déjà apte à le battre. Il a plus d'expérience que toi et s'entraîne comme un artiste depuis son enfance. Malgré tout ce que tu aurais envie de lui dire à propos de ce handicap, tu ne craches pas sur le premier coup. Affermissant ton maintient sur ta dague, tu fonces. Tu lui assènes un coup vertical sans y mettre beaucoup de force car tu sais qu'il sera paré, puis tu enchaînes avec quelques frappes d'estoc. Tu espères qu'à cette distance ils seront plus difficiles à parer avec une lance.

Elle bouillonnait, la Violette. Samael aurait préféré la voir plus calme, plus mesurée. Attaquer sous le coup de la colère était rarement favorable et, même s'il devait bien avouer que celle de la belle faisait souvent des ravages, elle ne l'aiderait en rien ici. Pas contre lui qui ne plaçait aucun sentiment dans ce combat frapperait de façon chirurgicale pour tenter de réparer cette élève en déclin. Il ne pouvait décidément pas perdre.

Le combat commença d'un simple coup de lame ascendant. Dans un soupir, il para en ne tenant son arme que d'une main. C'était mou et uniquement destiné à débuter les hostilités. Immédiatement, elle se lança dans une série d'estocs qui arrachèrent un rire à l'ex-Dragon. C'était une blague ? Dans un premier temps, il se contenta d'esquiver, puis en voyant la fin de l'enchaînement arriver, il empoigna fermement sa lance et chassa d'un geste puissant la lame qui le menaçait, envoyant valser sur le côté le bras qui la tenait.

- Tu te moques de moi ?!

Une pointe d'énervement serra ses mâchoires alors qu'il sifflait. Il ne s'était pas attendu à beaucoup, mais sûrement pas à cette piètre performance. En donnant de l'élan à son geste, il abattit un coup sur le côté droit de la Dragonne. Il avait bien pris garde à ne pas la toucher avec le tranchant pour éviter les blessures ouvertes, mais cette frappe ne serait pas sans dégâts. Il profita de l'ouverture pour lui asséner ensuite un coup de pied dans le ventre pour la mettre au sol. S'il fallait lui faire mordre la poussière pour qu'elle se rende compte qu'elle était sur une mauvaise pente, il allait se faire un plaisir de le faire. Oh la voir dans cet état ne lui plaisait naturellement pas, par contre. Il détestait même l'idée qu'elle ait pu se laisser aller de la sorte et il ne pouvait s'empêcher de se demander à quel moment exactement tout avait dérapé. Il avait peine à croire que la seule mort de Chad la mettait dans cet état. De la pointe de sa botte, il chassa la dague qu'elle avait à la main et s'accroupit à côté d'elle. Sa colère s'était évaporée et le sentiment qui le dominait était cette fois la curiosité. Sans réelle délicatesse, il lui attrapa la tête pour voir ses yeux.

- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Je peux comprendre que Michael soit un sauvage et qu'il n'ait rien d'un bon pédagogue, mais je te pensais capable de te débrouiller sans moi.

Sa voix se fit un instant moqueuse avant qu'il ne reprenne plus sérieusement la parole.

- J'ai gagné la première manche, tu me dois une réponse.

Samael se moque ouvertement de toi. Bien sûr il s'est débarrassé de ta première attaque comme on chasse une mouche et il ne semble pas mis plus en difficultés par la suite. Il esquive en riant, faisant flamber ta colère qui te pousse à mettre plus de hargne dans tes attaques. Tu déverses ta force sans réelle précision et la tâche de ton adversaire n'en est que plus facile. Il n'a qu'un balayage large à faire de sa lance pour écarter la menace. Sous sa puissance, ton bras est chassé et une pression dans l'articulation de ton épaule t'arrache un grognement. Tu as été à deux doigts de lâcher ta dague sous l'impact mais tu en serres le manche au point de te faire blanchir les phalanges.

SAMAEL - Tu te moques de moi ?!

Non. Et c'est bien ça le problème. Tu n'as rien le temps de faire. Samael profite de l'ouverture gigantesque que tu lui laisses et il te fauche le flanc d'un coup de lance qui aurait fait très mal s'il avait utilisé la pointe de son arme. Il ne frappe qu'avec la hampe et même si ce geste prouve qu'il te ménage tu lui en es reconnaissante. Tu n'es pas idiote s'il ne l'avait pas fait tu aurais fini au sol à moitié éventrée. Le coup reçut est néanmoins percutant. Une décharge de douleur te remonte tout le long du corps. Il t'a dégommée comme une balle de baseball et c'est loin d'être agréable. Sans te laisser le temps de respirer, il t'envoie une nouvelle fois valser par terre d'un coup de pied qui te coupe le souffle. Même si tu as réussi à placer ton bras en barrage pour minimiser l'impact, tu as l'impression qu'un poids-lourd encombre tes poumons. Allongée sur le côté, le corps meurtri, tu happes l'oxygène avec avidité. Tu t'es déjà trouvée dans une telle situation mais ça fait longtemps que tu n'as plus goûté au goût amer de la défaite. Peut-être trop longtemps d'où cette déculottée royale. D'un coup de pied, Samael te prive de ta seule arme et s'accroupit près de toi. Tu n'oses même pas le regarder en face à cause de la honte cuisante que tu ressens. Tu n'es pas digne de tout ce qu'il t'a appris. Tu n'es pas digne d'être une Dragonne. La seule chose que tu mériterais ce serait qu'il t'achève ici et maintenant pour lui avoir fait perdre son temps.La main brutale de ton mentor t'agrippe la tête et te force à confronter son regard. Il ne semble pas en colère.

SAMAEL - Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Je peux comprendre que Michael soit un sauvage et qu'il n'ait rien d'un bon pédagogue, mais je te pensais capable de te débrouiller sans moi.

Sa question te perturbe. Pourquoi s'intéresse-t-il à toi de la sorte ? Tu ne peux pas lui donner tort à propos de Michael, il n'a pas grand chose pour lui en tant que Lieutenant. La voix moqueuse de Samael devrait te donner envie de te rebeller mais tu n'en as pas la force. Pourtant tu t'es parfaitement débrouillée sans lui. Suite à sa disparition tu t'es entraîné plus que jamais pour atteindre la place de numéro un.

SAMAEL - J'ai gagné la première manche, tu me dois une réponse.

Parce qu'il envisage qu'il y aura d'autres manches ? Tu n'arrives même pas à statuer sur les dégâts qu'il t'a fait et tu te sens vidée de toute énergie. Pour un combat il repassera. Tu voudrais lui répondre. Avoir quelque chose à lui dire pour redorer ton blason mais ta tête est vide d'arguments. Tu ne sais même pas exactement de quoi il parle. Peut-être de la mort de Chad. Elle t'a anéantie et tu peines à reprendre le dessus depuis. Tu oscilles entre ton état normal et le désastre ambulant. A la façon dont il parle tu penses néanmoins qu'il y a autre chose. Il a l'air de penser qu'un autre élément t'a perturbé et qu'il est antérieur au décès de ton ami. Lasse tu secoues la tête.

VIOLETTE – Je ne sais pas. Je ne vois même pas de quoi tu parles. Pourquoi est-ce qu'il me serait arrivé quelque chose ?

Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, Samael la sentit découragée. Violette n'avait vraiment pas l'air dans son assiette et toute sa hargne semblait désormais disparue. Ce spectacle l'affecta plus qu'il ne l'aurait voulu. Poussant un bref et silencieux soupir, il s'assit sur ses talons et relâcha sa prise sur la tête de son élève. Au passage, il chassa quelques mèches qui lui tombaient devant le visage avant de venir caler sa main sous son menton, son coude étant lui-même appuyée sur sa jambe fléchie. Il se mettait clairement en position de hors-combat, preuve qu'il en avait pour le moment fini avec tout ça.

- Parce que tu n'es que l'ombre de toi-même. Avant, tu étais pleine d'ambition, énergique, volontaire, belliqueuse, tu ne reculais devant aucun sacrifice pour atteindre ton but. Et là... Là, tu me parais juste éteinte. Digne d'une bougie dont on a soufflé la flamme.

Il marqua un silence et leva les yeux vers le ciel pour observer la nuit étoilée. Il réfléchissait, tentant d'analyser tout ce qu'il savait sur son élève et sur son évolution. Il n'avait pu grappiller que quelques informations, mais c'était bien suffisant pour faire un constat.

- J'ai entendu dire que tu avais obtenu la première place et que tu étais en bonne voie pour prendre la succession de Michael. Depuis que je t'entraîne, tu me rabâches les oreilles avec cette ambition. Devenir Lieutenant des Fines Lames. Es-tu satisfaite de ta presque réussite ?

Lentement, Samael en venait au fait.

- Ce que je crois, c'est que maintenant que tu approches de la ligne d'arrivée, tu es forcée de voir la vérité. Autour de toi, il n'y a personne. Il n'y a personne parce que tu les as tous écartés car tu pensais qu'ils seraient des poids sur le chemin de ton ambition. Arriver à ses fins est bien fade lorsqu'il n'y a rien derrière ou personne autour pour célébrer cette victoire.

S'il pouvait en parler aussi librement, c'était parce qu'il avait vécu cette situation. Un jour, il avait été un peu comme elle et il s'est fracassé contre un mur. C'était ce choc qui lui avait fait comprendre que les Dragons ne lui apporteraient rien et qu'il devait prendre sa vie en main. Contrairement à lui, Violette avait un véritable attachement à son clan et il ne chercherait jamais à la débauchée, mais il voulait l'aider à faire face. Tout en se redressant, Mael lui adressa un bref sourire.

- Je me trompe ?

Samael se relâche plus encore. Comme si ta propre faiblesse ne te saute pas déjà assez aux yeux. Vu sa position il serait facile de le renverser mais tu ne fais qu'y penser. C'est un réflexe acquis après des années à chercher la faille chez les autres. Tu n'as ni la force, ni la motivation pour te lancer dans une telle entreprise. En cet instant tu regrettes presque ta sortie. Tu voudrais juste te trouver au fond de ton lit. A la place tu es allongée dans la poussière, blessée et bêtement exposée. Une véritable loque humaine qui serait sûrement une cible de choix pour les Libres si l'homme n'était pas là. Contre toute attente, Mael reste avec toi. Il doit avoir pitié. C'est la seule chose qui peut expliquer le geste étrangement tendre qu'il a esquissé et l'intérêt qu'il te porte.

SAMAEL - Parce que tu n'es que l'ombre de toi-même. Avant, tu étais pleine d'ambition, énergique, volontaire, belliqueuse, tu ne reculais devant aucun sacrifice pour atteindre ton but. Et là... Là, tu me parais juste éteinte. Digne d'une bougie dont on a soufflé la flamme.

Tu ne le savais pas si poétique. Ton souffle t'échappe avec lassitude et tu sens un tiraillement dans ton côté. Tu ne cherches même pas à retenir une grimace sous le pincement mais il ne remarque rien car il ne te regarde pas. Samael regarde les étoiles et toi tu le regardes lui alors qu'il réfléchit. C'est sûrement la nuit la plus étrange que vous avez partagé. Ton esprit revient malgré toi sur ses paroles et tu ne peux pas lui donner tort. Tu ne ressens plus les choses de la même façon depuis que tu as perdu Chad. On t'a enlevé la seule personne avec qui tu pouvais réellement être toi-même. Dans le fond, il est peut-être parti avec une partie de toi, celle qu'il était le seul à voir et c'est ce déséquilibre qui te met dans cet état. Tu n'en sais trop rien. Tu n'aimes pas penser à tout ça en fait.

SAMAEL - J'ai entendu dire que tu avais obtenu la première place et que tu étais en bonne voie pour prendre la succession de Michael. Depuis que je t'entraîne, tu me rabâches les oreilles avec cette ambition. Devenir Lieutenant des Fines Lames. Es-tu satisfaite de ta presque réussite ?

Pourquoi parle-t-il soudain de tes ambitions ? Tu ne sais pas trop comment le considérer et tu ne vois pas du tout où il veut en venir. Malgré toi, tu t'intéresses à ce qu'il raconte. Tu te redresses sur un coude, manquant toujours d'énergie mais tu n'es plus vautrée dans la crasse des chemins. Tes sourcils sont légèrement froncés quand tu hoches finalement la tête. Le geste n'est pas très prononcé mais il est assurément positif. Bien sûr que tu es satisfaite de ta réussite.

SAMAEL - Ce que je crois, c'est que maintenant que tu approches de la ligne d'arrivée, tu es forcée de voir la vérité. Autour de toi, il n'y a personne. Il n'y a personne parce que tu les as tous écartés car tu pensais qu'ils seraient des poids sur le chemin de ton ambition. Arriver à ses fins est bien fade lorsqu'il n'y a rien derrière ou personne autour pour célébrer cette victoire.

Son constat jette un froid en toi. Il semble tellement sûr de lui. Mais sérieusement Violette, peux-tu lui donner tort ? C'est vrai, il n'y a personne autour de toi. Il y a bien des gens mais personne qui te retient vraiment. Personne vers qui tu ne peux t'empêcher de retourner. Personne devant qui tu peux te permettre d'être totalement exposée. Tu n'as jamais pensé que tu avais besoin de ce genre de personne. Pour toi, c'était une faiblesse et tu ne voulais pas avoir de faiblesse. Et pourtant tu en avais une. Tu commences seulement à le comprendre. Il y avait quelqu'un vers qui tu retournais. Chad. Le perdre a provoqué ta destruction. Tu es dévastée. Donc Samael a en quelque sorte tort. Tu n'as plus personne mais il y a eu quelqu'un. Et il t'a prouvé que ton point de vue n'était pas mauvais. Pour preuve il suffit de regarder dans quel état tu te trouves maintenant qu'il n'est plus là.

SAMAEL - Je me trompe ?

Il y a quelque chose dans le sourire de Mael qui vient te piquer. Son assurance aussi. Il se trompe mais il a raison à la fois. Ton esprit est confus et tu lui en veux soudain d'avoir mis encore plus de désordre dans tes pensées déjà trop troublées. Le problème c'est qu'il ne peut pas avoir totalement raison. Si c'est le cas qu'est-ce que ça fait de toi ? Quel avenir ça te laisse ? Si tu suis sa logique il faudrait que tu t'attaches à nouveau pour redevenir celle que tu étais avant la mort de Chad. Tu ne veux plus ressentir cette douleur. Ton cœur saigne encore et tu as l'impression qu'il faudrait le cautériser pour arrêter l'écoulement. Comment envisager alors de voir quelqu'un d'autre y laisser sa trace pour prendre le risque de saigner à nouveau ? C'est ridicule. Pendant que ton esprit se perd et que ton cœur souffre, tes tripes semblent soudainement prendre les commandes. Ton corps entier semble rugir lorsque tu balayes les jambes de Samael d'un coup de pied puissant pour le mettre à terre. Toute cette énergie qui t'a quittée plus tôt est de retour et elle se concentre dans des gestes habituels mais risqués. Tu t'es jetée sur l'ex-Dragon et tu tiens désormais sur lui, une main serrée autour de sa gorge. Tes doigts pressent trop fort sa jugulaire où tu sens pulser son sang. Si tu avais eu ta lame sûrement serait-elle collée à sa peau en cet instant. Tu ne veux pas le tuer pourtant. Au fond de toi tu le sais. Samael est une de ces personnes importantes à tes yeux malgré sa trahison. Et tu sais aussi que tu n'as aucune chance de le tuer dans ton état. Si tu es encore entière c'est parce qu'il l'a voulu. Ce n'est rien d'autre qu'un combat factice. Et même alors que ta colère gronde et essaye de te convaincre de tout ce que tu pourrais faire, ton instinct reste fiable et te garde des suppositions trop faciles de l'arrogance.

VIOLETTE – J'ai pas eu le choix. C'était eux ou moi. Si je ne partais pas avant qu'ils le fassent j'allais encore souffrir. Je peux plus Mael. Je peux plus.

Ton discours est incohérent. En fait tu n'es plus qu'une incohérence. Les échos de ta tête, de ton cœur et de ton ventre se mélangent. Tu es en colère mais tu ne sais pas contre qui. Tu souffres mais tu ne sais pas ce qui fait le plus mal.

VIOLETTE – J'ai fait confiance à Chad. Vraiment. Mais il est parti aussi. Et tout ça c'est de ma faute. Si je ne l'avais pas perdu en route j'aurais pu le couvrir. Je ne veux plus ressentir ça. Quand je l'ai vu j'ai cru que j'étais en train de mourir. J'avais jamais eu si mal. Je n'ai jamais eu si mal. Et je déteste être comme ça. C'est pas moi.

Tu t'emballes. Ton cœur bat trop vite et ta respiration est saccadée. Pourtant l'air ne semble plus arriver à tes poumons. Tu as déjà ressenti ça. Juste avant le bûcher quand tu étais encore persuadée que tu allais revoir Chad. Quand tu pouvais encore te persuader qu'il n'était pas vraiment mort. Inconsciemment tu t’appuies à Samael et tu plonges tes yeux dans les siens en espérant trouver suffisamment de courage pour surmonter cette crise qui essaye de te submerger. Tu sais que c'est la première étape si tu veux reprendre le contrôle. Tu tentes de respirer plus doucement en suivant le sang qui pulse toujours avec régularité sous tes doigts pourtant moins serrés. Tu te concentres sur ton mentor. Tu te rappelles vos souvenirs communs. Les longues heures qu'il a passé à t'entraîner, à t'enseigner son art qui est désormais devenu le tien. Tes doigts se décalent et effleurent sa lance. Le contact froid du métal t'aide aussi un peu. Il rend tout plus réel. L'instant semble durer des heures mais il n'y a que quelques minutes qui se sont égrainées. Au dessus de Mael, tu clignes rapidement des yeux pour chasser les larmes qui ont embuées ton regard sans couler. En prenant conscience de tout ça, tu recules brusquement. Tu trébuches en te relevant mais tu réussis à rester sur tes pieds. Tu es debout, c'est tout ce qui compte.

Les changements étaient infimes, mais Samael avait la sensation que son élève reprenait un petit peu de poil de la bête. Elle paraissait encore clairement abattue, mais elle se faisait plus réactive. Au moins n'avait-elle plus l'air d'un cadavre abandonné sur le sol. Il l'observait du coin de l’œil, notant ses mouvements. Puisque Violette ne semblait pas d'humeur à s'exprimer, il ne fallait pas qu'il loupe les réponses qu'elle lui fournissait en signant de la tête. Malgré son geste, l'homme ne fut guère convaincu. Vu la façon dont elle lui parlait du fait de devenir Lieutenant par le passé, ce maigre hochement du menton n'était rien. Cela ne faisait que renforcer son impression et il n'hésita plus à lui donner son point de vue. Point de vue qui laissa longtemps la brune silencieuse. Désormais debout, il l'observait avec une pointe d'inquiétude dans les yeux. Il n'aimait vraiment pas cette Violette. Elle était trop peu réactive et il ressentait le besoin - aussi étrange que cela puisse paraître - de savoir ce qu'il se passait dans sa tête en ce moment.

Même si Samael n'avait pas baissé complètement sa garde, il fut surpris lorsque la Dragonne lui balaya les jambes. Un instant, il la regardait perdue dans une confusion qu'il avait distillé et l'autre, il chutait dangereusement au sol après avoir été frappé avec une force qu'il ne pensait plus qu'elle possédait. Violette n'avait rien manifesté avant d'agir et lorsqu'elle le surplomba, il la contempla avec surprise. Il n'y avait aucune cohérence entre l'air qu'elle affichait et la façon dont elle lui tenait la gorge. Malgré la position, Mael ne se sentit pas mis en danger. Il y avait quelque chose chez la jeunette qui le persuadait qu'elle ne ferait rien de stupide. Certes, le mettre à terre n'était pas particulièrement intelligent, mais il n'était pas certain qu'elle soit en cet instant capable de réfléchir à ce détail. En sentant les doigts de la fille serrer sa gorge, il retient un mouvement pour chasser sa main et s'appliqua à respirer calmement malgré la pression. Il n'avait pas peur d'elle et il ne lui faudrait que quelques instants pour reprendre le contrôle, mais il n'empêchait que cette position n'était pas très confortable. Malgré tout, il ne bougea pas. Samael sentait bien que quelque chose était en train de se passer à l'intérieur du corps de Violette et il ne voulait pas troubler cette progression. Il attendait donc qu'elle lui livre enfin le fond de sa pensée. Et elle ne tarda pas à satisfaire sa curiosité en déversant littéralement le flot de ses pensées. Elles sortaient brut, mais Mael ne chercha pas à la calmer. Il comprenait ce qu'elle voulait dire. Et même s'il ne pouvait pas ressentir cette douleur dont elle parlait, il pouvait l'imaginer. La respiration de Violette sembla soudainement s'emballer et il la sentit au bord de la rupture. Il ne comprenait pas exactement ce qu'il se passait, mais il avait bien compris qu'il valait mieux qu'il se fasse discret. C'était une histoire entre elle et elle dans laquelle il ne pouvait être qu'un soutien silencieux sur lequel il la laissa s'appuyer le temps qu'elle se reprenne. Il la scruta longuement, comptant presque les secondes, en attendant qu'elle recouvre son calme. Elle n'était pas vraiment avec lui, Mael pu même déterminer exactement le moment où l'esprit de la Dragonne se recentra sur lui. Il feignit alors de ne pas voir ses yeux mouillés et ne se déplaça que lorsqu'elle fut debout. Lentement, il se redressa et s'éleva en prenant appuie sur sa lance. Le moment était étrangement gênant aussi garda-t-il durant un moment le silence. Lorsque sa voix brisa finalement le calme nocturne, Samael souriait doucement, presque tendrement.

- Je crois que je n'ai plus rien à t'apprendre.

A ce niveau en tout cas. Il haussa les épaules avant de continuer, gardant sa pensée pour lui. Pour le moment, il ne voulait pas lui dire qu'il brûlait de croiser réellement le fer avec elle pour pouvoir jauger son niveau. Ils auraient tout le temps de le faire plus tard et il pourrait alors déterminer si quelques leçons supplémentaires n'étaient pas nécessaires.

- Mais je vais te donner un dernier conseil : tu auras besoin de quelqu'un. Même si ça te fout la trouille et que tu te refuses à l'accepter pour l'heure, un jour, il faudra que tu laisses une personne se tenir vraiment à tes côtés. Et peut-être que ça fera mal, peut-être même que tu auras la peur au ventre à l'idée de la perdre, mais tu ne te sentiras jamais aussi vivante. Si tu ne le fais pas...

Samael marqua un silence pensif de quelques secondes.

- Eh bien je crois que tu ne deviendras rien de plus qu'un monstre à abattre. Alors ne fait pas l'erreur d'écouter ta peur. Quand tu auras trouvé cette personne - ou qu'elle t'aura trouvée -, laisses la entrer et chéris la.

Avec empressement, l'homme ramassa sa cape et la drapa autour de ses épaules. Avant de remonter le capuchon, il adressa un bref signe de tête à Violette et fit volte-face. Il savait qu'elle pourrait faire le reste du chemin toute seule. Même si au départ il n'était pas venu vers elle pour avoir ce genre de conversation, il n'était pas mécontent d'avoir pu lui parler. Ses paroles avaient été entendues, il le savait. Ce n'était plus qu'une question de temps pour qu'elle les comprenne réellement et qu'elle les accepte. Alors, elle ne pourrait en ressortir que plus forte.

Même s'il était certain qu'elle ne le suivrait pas, Mael fit un très long détour et zigzagua dans les rues avant de rejoindre l'entrée par laquelle il était sorti. Désormais, il était temps pour lui de retourner sous terre.

Tu t'attends au pire quand Samael commence à se mettre debout. Tu as dépassé les bornes. Tu as eu le comportement d'une personne tout sauf sensée. Sur le bord de la brèche. Tu connais l'aversion de l'homme pour ce type de personnalité et un instant tu sens un pincement dans ton ventre à cause de l'appréhension. Le silence qui règne entre vous ne t'aide pas. Tu fixes ton mentor mais ce ne sont pas ses yeux que tu regardes. Tu es rivé sur le pont de son nez, appliquant une technique il y a longtemps apprise pour fuir le regard de quelqu'un sans que ce ne soit flagrant.

SAMAEL - Je crois que je n'ai plus rien à t'apprendre.

Le son de sa voix te surprends et la trace du sourire affiché plus encore. Il est presque effrayant de voir Mael avec des expressions aussi tendres. Tu penses que tu ne pourras jamais t'habituer à cette douceur qui perce parfois derrière la carapace de froideur de l'ex-Dragon. Quand tu étais plus jeune il s'agissait toujours pour toi d'un piège quand il se montrait doux. Peut-être ne l'as-tu jamais vraiment compris au fond. Tu veux répliquer face à sa déclaration car tu doutes qu'il t'ait transmis tout son savoir mais il te coupe avant même que tes lèvres ne se séparent.

SAMAEL - Mais je vais te donner un dernier conseil : tu auras besoin de quelqu'un. Même si ça te fout la trouille et que tu te refuses à l'accepter pour l'heure, un jour, il faudra que tu laisses une personne se tenir vraiment à tes côtés. Et peut-être que ça fera mal, peut-être même que tu auras la peur au ventre à l'idée de la perdre, mais tu ne te sentiras jamais aussi vivante. Si tu ne le fais pas...

Tout ça est irréel. Si c'est ça son dernier conseil tu crois que tu aurais préféré ne pas l'entendre. La douleur dans ta poitrine est encore trop forte pour que tu l'acceptes. Tu ne peux pas te permettre de laisser quelqu'un d'autre se glisser dans ton cœur. Sûrement pas consciemment. Tes yeux s'arrondissent un peu sous un choc grandissant parce que c'est toujours Mael qui te fait face même si son discours te semble appartenir à quelqu'un d'autre. Sa pause prends fin alors qu'il semble avoir trouvé la meilleure façon d'exprimer ce qu'il arrivera si tu ne te décides à suivre son - étrange - conseil.

SAMAEL - Eh bien je crois que tu ne deviendras rien de plus qu'un monstre à abattre. Alors ne fait pas l'erreur d'écouter ta peur. Quand tu auras trouvé cette personne - ou qu'elle t'aura trouvée -, laisses la entrer et chéris la.

Un monstre à abattre ? Ton coeur loupe un battement et l'anarchie reprends. Tu n'as jamais été un enfant de coeur et tu ne le seras jamais. Quelque part tu prends un certain plaisir à faire souffrir les autres. C'est quelque chose que tu as développé en grandissant, ce plaisir malsain n'était pas là au départ mais tu ne t'es jamais considérée comme un monstre. Une Dragonne cruelle, une Fine Lame, un bourreau ? Oui. Mais pas un monstre. Tu ne l'es pas encore d'après Mael mais il n'écarte pas la possibilité que tu puisses le devenir et tu sais ce que cela signifie. Il voit en toi la graine de ces Dragons sur lesquels il a toujours abattu ses foudres. Et ça te fait un choc parce que tu n'as rien vu venir. Le claquement de sa cape te ramène à la réalité et tu le découvres à nouveau vêtu et sur le départ. Il te donne un signe de tête avant de rabattre son capuchon et de t'abandonner ici seule au milieu des remous qu'il a créé. En son absence la douleur refait surface. Elle vient par vagues lancinantes depuis ton côté et ton bras gauche. Tu as mal, tu es perdue et soudainement tu as envie de vomir. La bile acide remonte le long de ta gorge mais tu la ravales comme tu as trop souvent ravalé tes larmes. Tu n'es pas encore prête à laisser sortir ta tristesse et ton amertume à l'air libre d'une quelconque façon que ce soit.