Jour 1 - Après-midi

Un sourire éclaire ton visage. Tu es fatigué par la longueur de la journée et malgré l'horreur des événements la nuit tu ne peux t'empêcher de voir le côté positif de la rébellion. Passer la matinée avec Taiga t'a au moins permis de réfléchir. Cette fille a une capacité quasiment surnaturelle à se concentrer sur le présent et tu trouves sa philosophie de vie plutôt intéressante. Avec elle, tu as eu tout le temps de repenser à ton comportement lorsque tu étais avec Alessandra ce matin et tu sais désormais qu'il te faudra être plus patient. Tu as eu presque dix ans pour penser à elle alors qu'elle n'est consciente de ton existence que depuis quelques heures à peine. Tu dois lui laisser le temps de s'habituer à toi. Ensuite, elle viendra à ta rencontre. Et puis, elle doit comprendre que tu n'es pas juste quelqu'un de passage dans sa vie. Tu y es depuis toujours et tu ne comptes pas partir de si tôt.

Tu portes une main au dessus des yeux pour les cacher du soleil et tu fixes le sommet de la vigie. L'attribution des tâches t'a encore été favorable, c'est à croire que Noâ elle-même souhaite vous accordez du temps. Pas sûre qu'elle ait pris cette décision pour cette raison par contre. Elle ne connaît même pas votre lien de parenté de toute façon. Tu ne discernes pas Alessandra dans la tour de garde mais tu sais qu'elle s'y trouve. Elle y est monté un peu avant toi. Maintenant que la pause est terminée, tu te dois de retourner au travail toi aussi, il te faut donc la rejoindre. Ton sourire s'agrandit alors que tu te hisses le long de l'échelle. En arrivant en haut, tu t'arrêtes alors que tes épaules arrivent à hauteur du plancher.

KAHLAN – Salut.

Tu préfères la prévenir de ton arrivée, il ne manquerait plus qu'elle te repousse et qu'elle te fasse tomber dans le vide. Tu veux bien faire beaucoup de choses pour la satisfaire mais tu trouves le fait de mourir contre-productif. Tu termines de grimper et vous voilà isolés à plusieurs mètres au dessus du sol. Ici elle ne pourra pas fuir. Tu poses ton arme contre l'un des poteaux avant de te laisser tomber à côté.

KAHLAN – On fait équipe pour ce tour de garde au cas où tu ne le saurais pas.

Tu retiens difficilement un petit rictus victorieux qu'elle pourrait mal interpréter. Une part de toi à envie de s'amuser de la situation. L'idée n'est pas si mauvaise au fond. Si tu ne dois pas te montrer trop collant avec elle, être naturel mais pas trop serait quand même l'idéal. Et puis, vous n'allez pas rester silencieux pendant toute l'après-midi à vous regarder dans le blanc des yeux.

KAHLAN – J'espère que tu as des choses à raconter parce qu'on en a pour un moment.

Depuis le sommet de la vigie, le monde semblait un peu plus petit. Il était plus facile à appréhender, plus calme aussi. De là où j'étais perchée, je pouvais apercevoir l'immensité du territoire des Jaguars. Les dégâts étaient moins visibles d'ici. Ils n'étaient que des blessures se formant à la surface qui ne tarderaient pour la plupart pas à disparaitre. Certaines blessures deviendraient des cicatrices, d'autres s'évaporeraient comme si elles n'avaient jamais existé. Il ne faudrait que du temps. Un long soupir quitta mes lèvres. J'avais rapidement fui l'agitation du QG où tout le monde s'était rassemblé pour faire un break alors que le soleil était à son zénith. Je n'étais resté là-bas que durant quelques instants pour prendre connaissances des nouvelles et avaler un morceau avant de rejoindre la tour où j'avais eu la malchance de côtoyer Johanne pendant toute la matinée. Cette fille était profondément insupportable et je gardais d'elle un mal de tête carabiné.

Trop absorbée par la contemplation des ruines, je ne perçu pas immédiatement les bruits provenant de l'échelle. Il fallut que j'entende une voix particulièrement familière pour que je me rende compte que quelqu'un était bel et bien en train de monter. Il s'agissait de Kahlan plus précisément. Un frisson remonta le long de mon échine et je dû me contrôler pour ne pas tourner vivement la tête vers lui. Je ne voulais pas lui donner ce plaisir. Surtout alors que je ne savais pas si c'était la surprise ou un tout autre sentiment particulièrement déroutant qui m'avait poussée à réagir de la sorte.

- Salut.

Ma voix sortit cassante de mes lèvres avant que je ne m'en rende compte. Je n'avais pas eu l'intention de lui répondre et pourtant je l'avais bien fait. Je lui jetais un bref regard alors qu'il s'installait tranquillement sur le plancher de la vigie dont j'avais pris possession. Non, mais qu'est-ce qu'il fichait encore avec moi celui-là ? La réponse m'arriva avant même que je n'ai à poser la question à haute voix. Nous avions été affectés à la même tâche, comme c'était étonnant... J'en aurais bien grincé des dents, mais je ne fus capable que de lui lancer un nouveau regard à la dérobée. Il souriait, visiblement content de cette affectation pourtant assez logique puisque Noâ n'avait toujours pas rendu son jugement.

- Je suis sûre que vous pourrez très bien vous débrouillez toi et ta grande gueule pour faire passer le temps.

Qu'est-ce qu'il croyait ? Ce n'était pas parce que nous étions forcés de monter la garde ensemble que j'allais tout oublier. Et puis, rien ne nous obligeait à taper la causette pendant que nous étions ici. Bien au contraire, une sentinelle qui se ferait distraire par tout et n'importe quoi ne serait pas franchement efficace.

- On est pas ici pour papoter, au cas où.

ALESSANDRA – Salut.

Sa réaction face à ton arrivée est bien moins virulente que tu ne l'as prévue. Déjà, elle t'a parlé ce qui est un progrès en soi même si son ton n'a pas été des plus agréable. Ton sourire s'agrandit légèrement. Tu te sens sous une bonne augure. Une fois que tu es assis, tu la fixes sans te cacher contrairement à elle qui ne te lance que des petits coups d’œil prouvant qu'elle n'est pas insensible à ta présence. Est-elle curieuse ? Tu préfères éviter de faire trop de suppositions pour ne pas être déçu mais elle te semble indéniablement plus ouverte que tout à l'heure. Cela t'encourage un peu pour la suite.

ALESSANDRA – Je suis sûre que vous pourrez très bien vous débrouillez toi et ta grande gueule pour faire passer le temps.
KAHLAN – Rude.

Tu n'en dis pas plus sur le coup. Elle vient clairement de te prouver que tu ne dois pas trop espérer de sa part pour le moment. Tu trouves par contre assez surprenant qu'elle te prenne pour une grande gueule. C'est bien la première fois que quelqu'un te colle cette étiquette sur le front.

ALESSANDRA – On est pas ici pour papoter, au cas où.
KAHLAN – C'est con ça, c'est pourtant l'endroit idéal.

Te montrer railleur est une carapace face à son rejet. Tu as toujours été professionnel durant tes missions de surveillant et tu sais pertinemment que ton rôle de sentinelle est aujourd'hui tout aussi important. Malgré tout, tu ne penses pas que rester constamment sur le qui-vive soit une bonne chose. A force de se concentrer sur l'horizon, on finit par ne plus rien voir d'autre.

KAHLAN – Monter la garde, c'est pas ton truc hein ? On voit bien que tu es une novice.

Ce n'est qu'un constatation. Alessandra ne semble pas vraiment faite pour ce genre de boulot. Elle est trop nerveuse pour le moment. Et ce ne sont pas ses quelques jours de surveillance aux champs qui l'ont rendus réellement performante.

KAHLAN – Relax. Personne n'attaquera et même si ça devait arriver, tu aurais tout le temps de le descendre.

J'avais comme la sensation que ce type se foutait de ma gueule. Histoire de ne pas passer mes nerfs sur lui, je posais les mains sur la rambarde pour la serrer très fort entre mes doigts. Il avait vraiment quelque chose d'énervant et c'était à croire qu'il le faisait exprès. Je ne pu pourtant pas m'empêcher de lui lancer un regard noir. Je ne pouvais pas ignorer sa présence, tout simplement. Cela m'était impossible car il continuait de m'attirer d'une façon des plus agaçantes. Je voulais savoir pourquoi il me poursuivait telle une ombre. Je voulais savoir ce qu'il me voulait vraiment. Il était pourtant hors de question que je lui pose la question, il serait bien trop content de voir que je m'intéressais à lui.

Sans en démordre, il reprit. Il avait vraiment envie de papoter et il paraissait expert lorsqu'il s'agissait de faire la leçon. Même s'il n'avait pas parlé sur un ton particulier, je ne pu m'empêcher de prendre son commentaire pour moi. Comment pouvait-on ne pas être fait pour monter la garde ? C'était la base de la base. La tâche la plus aisée qui nécessitait juste d'avoir une condition physique pas trop mauvaise.

- J'ai pas de leçon à recevoir d'un mec qui était tellement relax qu'il s'est fait assommé sans avoir eu le temps de lever le petit doigt !

C'était bas d'utiliser la rébellion, mais je voulais juste qu'il la ferme. Mais il continua encore, enchaînant sur une espèce de compliment. Je passais outre, bloquant sur un autre détail. D'où tirait-il cette certitude ? Personne n'avait vu venir la rébellion et pourtant, elle était venue. Alors qui disait qu'une nouvelle attaque n'aurait pas lieu ? Je n'étais pas parano, mais la possibilité était à envisager. Nos frontières étaient faibles pour le moment, et nos rangs pas au meilleur de leur forme, alors il aurait été facile pour un autre clan de lancer une offensive.

- Comment tu fais pour être aussi calme ? Tu es là, assis, à parler tranquillement comme si rien ne s'était passé. Comme si un ennemi ne pouvait pas arriver à tout moment pour nous détruire.

La question était sincère, je ne comprenais pas cette nonchalance. Malgré moi, je m'étais tournée et je lui faisais désormais face, le regard plongé dans le sien.

Dans ces quelques mètres perdus dans le ciel l'énervement est palpable. Ton sourire reste pourtant présent. Tu vois dans sa tension un point positif. Tu ne la laisses pas indifférente, la certitude est de plus en plus nette. Pourquoi serait-elle aussi énervée si tu ne valais pas quelque chose à ses yeux ? Pour le moment, tu te contenteras même d'une place minime.

ALESSANDRA – J'ai pas de leçon à recevoir d'un mec qui était tellement relax qu'il s'est fait assommé sans avoir eu le temps de lever le petit doigt !

Touché. Si là tu l'as pas vexée, tu ne sais vraiment pas pourquoi elle réagit de la sorte. Sur le coup, elle frappe une nouvelle fois d'une façon extrêmement vicieuse. Elle n'a pas tort dans les faits mais elle n'était pas là. Elle ne peut pas savoir à quelle vitesse les événements se sont produits.

KAHLAN – Tu ne pourrais pas arrêter d'être une garce deux minutes ?

Ton sourire s'est évaporé. Elle aussi a touché un point sensible. Tu te sens con d'avoir été si inutile durant la rébellion. Tu aurais préféré te faire saigner au combat plutôt que de rester dans cet état comateux d'un bout à l'autre de l'attaque.

KAHLAN – Tu crois que je n'ai pas honte ? Que je n'aurais pas voulu me rendre plus utile ? Si je l'avais pu, je me serais battu jusqu'à la mort pour démolir ces rebelles !

Tu baisses les yeux pour fixer le bout de tes chaussures. Tu n'aimes pas cette position de Membre inutile dans laquelle l'événement t'a placé. Rester inactif dans l'adversité, ce n'est vraiment pas dans ton caractère.

ALESSANDRA – Comment tu fais pour être aussi calme ? Tu es là, assis, à parler tranquillement comme si rien ne s'était passé. Comme si un ennemi ne pouvait pas arriver à tout moment pour nous détruire.

Sa question te surprend. Tu relèves les yeux vers elle et vos regards se croisent. Pour une fois, elle ne se détourne pas. Elle est sérieuse mais pas énervée. Elle te parle enfin normalement.

KAHLAN – Je ne suis pas calme. Je bouillonne, Alessandra. Si je le pouvais, je ferais un massacre. Mais ça ne changerait rien. Ça ne ferait pas revenir les gens que nous avons perdus. Ça ne reconstruirait pas le clan. Ça ne nous protégerait même pas. En l'état actuel des choses, je ne peux rien faire. Et ce n'est pas le fait de me ronger les sangs qui va changer quoi que ce soit. Alors j'essaye d'éviter de rajouter une couche au stress ambiant. Mais non, je ne suis vraiment pas calme.

Tu te redresses et tu combles la distance qui vous sépare pour aller t'appuyer à la rambarde à ses côtés. Silencieux, tu fixes l'horizon durant un moment avant de reprendre.

KAHLAN – Si un ennemi doit arriver, on le gérera. On l'éliminera mais il ne s'approchera pas des Jaguars.

C'est une promesse que tu lui fais. Tu te l'as fait à toi aussi. Aujourd'hui plus personne ne passera, tu ne failliras pas à ton devoir.

KAHLAN – Tu ne dois pas voir le fait de monter la garde comme une corvée durant laquelle tu te transformes en piquet. Tu dois être mobile et ne pas te fixer sur une seule chose. Réfléchis, lorsque tu es sur le terrain avec ton arc, est-ce que tu ne penses qu'à une cible ? Non tu englobes tout le paysage, chaque détail a son importance, et c'est ça qui te rend aussi efficace.

La réplique de Kahlan me paralysa durant une trentaine de secondes. Peut-être avais-je été trop loin... Il était un peu étrange, c'est vrai, mais il n'avait rien fait qui méritait que je m'acharne sur lui alors qu'il tentait juste de devenir mon ami. Si c'était bien ce qu'il voulait, après tout il ne l'avait pas clairement formulé, l'information venait d'une autre personne qui le connaissait visiblement bien. Il continua et je me décomposais à vue d’œil. J'avais été une garce, il avait totalement raison. Le pire, c'est qu'il avait l'air d'être un vrai Jaguar contrairement à certaines autres personnes que je ne supportais pas. Il s'en voulait de ne pas avoir pu soutenir son clan comme je m'en voulais d'avoir faillis en tant que Seconde. Cette pensée fugace créa en moi une sorte d'empathie pour lui et je baissais les yeux vers le sol, honteuse.

Ce sentiment disparu pourtant rapidement. Je n'étais vraiment pas douée pour me mettre à la place des autres et je devais avouer que c'était parfaitement inconfortable. Je fis donc en sorte de changer de sujet et pris sur moi pour le regarder en face pour une fois. Affronter ses yeux verts n'était pas facile, mais je pu comprendre plus aisément ce qu'il exprimait. Tout prenait sens grâce à cette flamme qui s'agitait furieusement dans ses prunelles. Je lâchais un silencieux soupir. Même si ce n'était pas rassurant d'avoir une espèce de bombe à retardement à côté de soi, il prenait enfin un visage plus humain.

Lorsqu'il se mit debout et s'approcha, je ne cherchais plus à fuir. J'acceptais simplement sa présence à mes côtés en tâchant de m'y habituer. Nous allions devoir passer toute l'après-midi dans ce petit espace, c'était dans l'intérêt de la mission de toute façon. Sa confiance face à la mise en défaut d'une possible attaque m'arracha un léger sourire. Il n'avait pas tort. Même au pistolet, je pourrais éliminer quelqu'un d'ici et lui... Quelle était sa spécialité d'ailleurs ? Je n'eus même pas le temps de lui poser la question avant qu'il n'entreprenne de me donner un cours sur la surveillance. Plutôt que de me braquer d'office, je l'écoutais jusqu'au bout cette fois. Il prit un exemple que je pouvais aisément comprendre. Il n'avait pas tort en plus. Lorsque je tirais à l'arc, me concentrer trop sur la cible était la pire des choses à faire. C'était même la meilleure chose à faire si je voulais échouer et me faire descendre. J'avais dû apprendre à tirer par réflexe, sans y réfléchir. A force d'heures et d'heures d'entraînements, c'était devenu une chose tellement naturelle que je pouvais aisément visualiser plusieurs coups d'avance en intégrant toutes les nouvelles menaces.

- Je crois comprendre.

Je me retournais simplement et m'adossais à la rambarde pour regarder dans la même direction que lui. Il y avait quelque chose dans l'atmosphère qui avait légèrement changée. Comme si je pouvais me détendre un peu plus à ses côtés. Pour ne pas tout gâcher avec un silence qui aurait pu être dérangeant, je décidais de poser la question qui m'avait traversée la tête tout à l'heure.

- C'est quoi ta technique de combat préférée ?

La sincérité dont tu as fait preuve paye. Alessandra se détends sensiblement malgré ta présence. Elle se prête même au jeu en écoutant tes conseils. Tu as la sensation de faire un pas en avant. Le fait qu'elle accepte que tu puisses avoir un avis et qu'elle y donne du sens est une sacrée victoire. Tu esquisses un bref sourire.

ALESSANDRA – Je crois comprendre.

Elle fait un effort et tu l'en remercies silencieusement. Comme pour continuer cette approche douce, elle se place dans la même position que toi. Tu trouves étrange de la voir regarder dans la même direction que toi. Pour la première fois depuis très longtemps, vous êtes côte à côte et vous regardez le même avenir. En apparence, tout ça ne doit avoir aucun sens pour les autres ou même pour elle mais ce simple fait te rend heureux.

ALESSANDRA – C'est quoi ta technique de combat préférée ?

Et en plus elle s'intéresse à toi ? Tu ne peux t'empêcher de lui retourner un regard étonné. Ce jour est à marquer d'une pierre blanche. Pour ne pas briser ce soudain intérêt, tu t'empresses de lui répondre.

KAHLAN – Le combat au corps à corps type boxe et quelques dérivés pour le côté polyvalent. Mais c'est avec mes poings que je suis le plus à l'aise. J'ai appris à me battre dans le quartier des jeux, on ne fait pas meilleur formateur.

A force de prendre des coups, tu as fini par assimiler toutes les attaques portées contre toi comme une éponge. Tu as appris de tes échecs et surtout de tes blessures.

KAHLAN – Mais il faut avoir plusieurs atouts dans sa manche.

Pour le prouver, tu fais jaillir ton poinçon dont tu te saisis et tu le lances vers le pilonne qui fait le coin avec force et précision. Il s'est planté dans le bois et tu peux contempler ton tir avec satisfaction.

KAHLAN – Mon père m'a appris à lancer et j'ai continué à développer cette faculté seul. Je ne lui arrive pas à la cheville pourtant. Il était capable de toucher quelqu'un en pleine course avec une précision folle. Même si l'ennemi était désorganisé, il faisait toujours mouche. C'était un grand Membre.

Tu en parles avec fierté. Lorsque votre père est parti Alessandra était toute petite. Même sans son amnésie, tu sais bien qu'elle ne pourra jamais se souvenir de lui. Tu te permets plus de liberté en parlant de lui. Cet homme, tu le respectes plus que quiconque. C'est bien le seul de tes parents qui te manque. S'il avait été là, ta vie aurait été radicalement différente. Lui aurait su prendre soin de vous. Il vous aurait guidé. Mais Joshua a tout gâché et tu es bien content de savoir que c'est Noâ qui s'est chargée de son cas. En parlant de ça, il te semble que tu as une nouvelle à lui annoncer.

KAHLAN – Tu connais Ezekiel, le premier Second de Noâ ?

Tu supposes que oui mais sait-on jamais.

KAHLAN – Il a été arrêté parce qu'il a voulu s'interposer dans la punition d'Abel. Tu ne sais pas non plus pour Abel en fait... Est-ce que tu es seulement venue manger ?

Avec tout ça, tu ne sais pas exactement ce qu'elle sait. Tu délaisses un peu les informations pour l'interroger du regard. Avec la journée que vous passez, il ne manquerait plus qu'elle tombe à cause du manque d'énergie.

Jamais je n'avais été aussi détendue durant une garde. Je fixais simplement l'horizon comme j'aurais pu le faire lorsque je passais du temps dans l'ancienne vigie à profiter de la hauteur et des grands espaces. J'avais toujours aimé l'altitude. La ville était malheureusement très plate à l'exception des tas de gravats, mais j'avais entendu parler d'endroits où l'on pouvait trouver des collines et des montagnes. Les Libres en parlaient parfois. J'espèrais un jour que je pourrais me rendre là-bas. L'idée simple de quitter les ruines était aussi attirante qu'effrayante, mais elle me tentait quand même. J'espérais ainsi qu'un jour une mission me conduirait loin de cet endroit que je connaissais presque par cœur. Ce ne serait que partir pour mieux revenir néanmoins, j'aimais cette ville et je ne pouvais pas envisager de vivre définitivement ailleurs. Trop absorbée par mes pensées, je ne faisais donc qu'écouter Kahlan sans le regarder.

Je ne fus pas vraiment étonnée d'apprendre qu'il s'était spécialisé dans le corps à corps. Son physique l'indiquait assez bien. C'était un grand gars costaud qui ne devait pas avoir de mal à mettre son adversaire au tapis d'un bon coup de poing. Il confirma d'ailleurs mon impression avant de parler du quartier des jeux. Je ne connaissais pas beaucoup cet endroit. Bien sûr, j'y avais déjà mis les pieds, mais c'était juste pour jeter un œil. Je n'y avais pas vraiment trouvé d'intérêt car je n'avais personne avec qui y aller ou à retrouver. Lui devait par contre être un habitué. D'ailleurs, il me semblait que Noâ avait dit quelque chose à ce propos plus tôt dans la journée.

- Tu n'as pas eu de Mentor ou de Formateur ?

Je trouvais assez étonnant qu'il ait dû se former tout seul alors que les Jaguars confiaient automatiquement les nouvelles recrues à quelqu'un de plus âgé. Et s'il était encore en service, il ne pouvait pas être devenu Membre sous Joshua qui avait un peu oublié cette pratique avec le temps. Ma curiosité me paraissait donc légitime et je me demandais d'autant plus pourquoi il avait dû se débrouiller seul.

Son lancer me surprit un peu. Je ne m'étais pas attendue à ça, je sursautais donc légèrement tout en fixant l'arme plantée plus loin. Ce n'était même pas un couteau juste une sorte de pointe pourvue d'un manche. Après la surprise vint la curiosité. L'équilibre de l'outil devait être particulier pourtant il l'avait lancé avec une grande précision. Il m'expliqua avec une certaine fierté dans la voix que c'était son père qui lui avait appris comment lancer. Le sujet était sensible et je me rembrunis légèrement. Seulement plutôt que de tout gâcher en faisant la tête, je me détachais de la rambarde et m'avançais vers le pilonne dans lequel était fiché l'arme. Je l'en détachais après avoir fait un peu jouer la pointe - c'était qu'il l'avait enfoncé profondément en plus - et l'observais durant un instant sous tous ses angles. Un détail dans son récit me poussa pourtant à lui retourner un regard rapide.

- Ton père est mort ?

Question délicatesse, on repasserait. Je retournais à l'étude de l'arme que j'avais entre les mains et la soupesait pour chercher son centre de gravité. Je n'avais pas vu la façon dont il l'avait lancé et cela me frustrait un peu de ne pas savoir directement comme la rendre aussi précise. Dans un autre lieu, j'aurais simplement fait des essais jusqu'à trouver, mais ici il n'y a pas vraiment de deuxième chance à moins de descendre de la vigie pour aller ramasser le projectile.

Le sujet de la discussion changea radicalement. Je ne comprenais pas le sens de sa question dont la réponse était pourtant évidente. Bien sûr que je connaissais Zeke. Je ne pris donc pas la peine de lui répondre et me contentais de m'appuyer à la poutre qui faisait le coin tout en le fixant. Je l'écoutais en faisant sauter légèrement le poinçon dans ma main, toujours aussi curieuse à son sujet, mais pas vraiment désireuse d'avouer que je ne savais foutrement pas comment me servir de ce truc correctement. Lorsqu'il continua à parler de l'Ancien, je manquais par contre de le laisser tomber au sol, mais je rattrapais la pointe de justesse entre deux doigts. Quelle punition ? Et puis, ce n'était pas vraiment dans le genre de Zeke de s'élever contre Noâ de la sorte. Il avait dû en plus aller particulièrement loin pour être arrêté. J'espérais que Kahlan m'en dirait plus, mais il s'intéressa soudain à ma santé. Ce mec était décidément incompréhensible !

- Ouais, je suis passé chercher un truc à manger. Mais bref, c'est quoi cette histoire avec Abel ? Et pourquoi est-ce que Zeke s'est interposé pour aider cette pourriture ?

Pourquoi fallait-il toujours que je loupe les évènements les plus importants ? Après ma garde aux frontières, je n'avais pas eu le courage de me mélanger aux autres, j'avais donc emporter mon repas que j'avais mangé ici. Et, manque de bol, j'avais visiblement rater l'animation de la journée.

Alessandra t'écoute. Pour la première fois depuis le début de la journée, elle se contente de te laisser parler. La communication est plus facile depuis qu'elle n’interprète plus chacune de tes paroles de façon négative. C'est étrange comme les choses changent vite. Comme elle s'adapte à toi. Ta sœur n'est pas constante. Elle évolue sans cesse, va de gauche à droite et te déroute mais tu la préfères comme ça que creuse. Durant la saison Aride, elle n'a été que l'ombre d'elle-même. Tu ne veux plus jamais la revoir dans cet état. La vraie Al est sincère et plus explosive qu'il n'y paraît. Elle est curieuse et maladroite aussi. En un sens, elle te rappelle un peu votre père même si ce dernier avait pour lui une confiance en lui qui semblait lui permettre d'affronter toutes les épreuves. Alessandra ne l'a pas encore mais tu es persuadé qu'elle lui ressemblera plus que toi un jour. Elle est forte mais elle ne le sait pas encore. Tu penses qu'elle a besoin de quelqu'un pour la guider et tu te plais à te dire que tu es la personne idéale pour se faire. Tu la connais. Tu sais comment elle fonctionne. Depuis que tu l'observes, tu as découvert un nombre incalculable de petits détails à son sujet que n'importe qui trouverait inutiles mais qui sont pour toi capitaux.

ALESSANDRA – Tu n'as pas eu de Mentor ou de Formateur ?
KAHLAN – Si. Une lavette qui se saoulait la gueule à longueur de temps. Être bourré, c'était son état naturel alors personne ne remarquait rien. Il est mort quelques semaines après mon admission.

Comment s'appelait-il déjà ? Ah oui, Rick. C'était un surveillant tout comme toi. Étonnement, il faisait bien son boulot mais pour former il ne valait pas un clou. Sa mort ne t'avait pas vraiment marquée. Un jour il était là et le lendemain il était mort. Fin de l'histoire. Tu n'es pas le genre de type qui regarde en arrière. Alessandra a toujours fait partie de ton présent et de ton futur contrairement à ce que l'on pourrait penser. Avant la mort de votre mère, vous n'aviez rien en commun. C'était dans le présent que tu avais commencé à nourrir le début d'un amour fraternel qui allait te dévorer par la suite. Parler du passé n'est donc pas dans tes habitudes. En fait, tu n'aimes généralement pas ça. Avec Al, c'est différent car tu es sa mémoire. Lui parler de tout ce dont elle ne se souvient pas et de ta vie en générale fait partie du processus pour la ramener vers toi.

Toujours appuyé à la rambarde, tu croises les bras sur ton torse. Tu regardes ta sœur qui se déplace dans la vigie pour aller s'emparer de l'arme que tu viens de lancer. Elle paraît curieuse. A ses sourcils froncés, tu devines les questions qui se bousculent dans son esprit mais qu'elle ne pose pas sûrement par fierté. Tu l'observes avec un petit sourire amusé. Tu la trouves mignonne tout d'un coup. Elle a un air de petite fille butée qui veut absolument trouver la bonne réponse par elle-même.

ALESSANDRA – Ton père est mort ?

La question te surprends. C'est la première fois qu'elle aborde vraiment le sujet de vos parents. Tu trouves un peu désagréable qu'elle ne considère pas votre père comme le sien mais tu ne peux pas lui en vouloir. Elle ne sait pas. Pour elle, son père est Aaron. Cet Aaron qui t'a privé d'elle durant tant d'années. Ta mâchoire se contracte un peu et tu remarques que tes poings sont serrés. Tu te forces à expirer calmement avant de répondre d'une voix que tu espères posée.

KAHLAN – Il a été banni par Joshua. Je ne sais pas s'il est mort ou vivant. Peut-être qu'il est quelque part dans la ville mais j'en doute. Il serait revenu nous voir si c'était vraiment le cas. J'en suis sûr.

Votre père est un homme bien. Il n'a rien à voir avec ceux qui abandonnent leur famille, tu peux donc te permettre un tel discours. Tu n'as jamais douté de lui. Tu le devrais peut-être. Au fond, c'est le gosse qui a perdu son père qui parle lorsque tu penses à lui. Peut-être qu'il est simplement parti et qu'il vous a oublié. Tu changes le sujet de la conversation car le souvenir de cet homme que tu appelais papa te secoue un peu. Tu ne pensais pourtant pas que engager la conversation sur Ezekiel jetterait un tel froid. Alors qu'elle jouait avec ton poinçon Al a presque failli le faire tomber. Cette histoire a plus d'impact que tu ne le pensais sur elle.

ALESSANDRA – Ouais, je suis passé chercher un truc à manger. Mais bref, c'est quoi cette histoire avec Abel ? Et pourquoi est-ce que Zeke s'est interposé pour aider cette pourriture ?

Elle n'est vraiment au courant de rien. Un peu mal à l'aise, tu glisses la main dans tes cheveux et tu vas la caler derrière ta nuque.

KAHLAN – J'en sais trop rien, j'ai pas tout suivi.

Tu es un peu frileux à l'idée de parler de tout ça. En plus, tu ne sais même pas par quel bout commencer.

Face à la réponse de Kahlan, j'ouvris la bouche pour parler, mais je me rendis compte que je ne savais absolument pas quoi dire. J'avais toujours cru que les Mentors et les Formateurs étaient soigneusement choisis pour chaque nouvelle recrue, mais je devais visiblement me tromper. Ma vision de la réalité était aussi un peu tronquée. Je n'avais jamais eu à me soucier des qualités de mon Formateur, j'avais eu Reed, la meilleure des meilleures. Alors qu'est-ce que j'aurais bien pu dire au brun qui n'avait eu droit qu'à un mec ivre à perpétuité qui était mort avant de l'avoir réellement formé ? Rien. Le silence était sûrement la meilleure des réponses. Je hochais néanmoins légèrement la tête pour lui signifier que je l'avais bien écouté.

La question était sortie, impossible de revenir en arrière donc, mais je m'en voulu un peu d'avoir été si directe en constatant sa réaction. Les signes étaient subtils, mais lorsque je jetais un œil sur Kahlan, je remarquais la tension dans son corps. Ses mâchoires et ses poings semblaient être les points culminants d'une contraction qui était née suite à ma curiosité. Un peu gênée, je détournais les yeux et retournais à l'observation de l'arme. Je voulais lui laisser un peu d'espace pour qu'il puisse évacuer l'émotion. Et même s'il n'avait pas répondu, je ne m'en serais pas offusquée. Je n'aimais pas parler de moi alors je n'allais sûrement pas emmerder les autres pour qu'ils le fassent s'ils ne le voulaient pas ou que le sujet était trop sensible. La voix du brun me surprit donc presque quand il se lança. Et je compris d'autant mieux le pourquoi de sa réaction. Encore une malheureuse victime de ce tyran de Joshua. Complètement mal à l'aise cette fois, je serrais les doigts autour du poinçon. Je ne voulais pas le prendre en pitié, mais je ne pouvais m'empêcher de reconsidérer mon comportement de ce matin. J'avais vraiment été une garce. Kahlan semblait être le genre de garçon pour qui la famille comptait. Il n'était donc pas étonnant qu'il ait attaché autant d'importance au fait que je ressemblais à sa sœur. Je cherchais quelques choses à dire, glissant une main dans ma nuque pendant que l'autre faisait tourner l'arme, mais les mots n'avaient jamais été mon fort. Lui glissant un regard, je lui adressais un sourire confus. J'avais décidément beaucoup de progrès à faire en matière de relations humaines.

Le sujet Ezekiel était décidément trop chaud. Noâ n'était pas du genre à distribuer les punitions à la pelle et, même si je pouvais admettre que la rébellion l'ait bouleversée, je n'y comprenais plus rien. Et puis, on parlait de Zeke. Zeke, son premier Second et sûrement l'homme le plus mature que je connaissais dans ce clan. Zeke qui s'était visiblement placé du côté d'Abel. C'était le monde à l'envers. Il avait pris un mauvais coup sur la tête ou quoi ? Kahlan se montra soudainement moins bavard et je ne cachais pas mon agacement. S'il n'y avait pas eu ça, j'aurais sûrement constaté le geste qu'il avait esquissé sous le coup de la gêne, réplique parfaite du mien quelques instants plus tôt, mais j'avais l'esprit bien trop ailleurs pour constater cette étrange similitude. Esquissant un pas vers lui, je me rapprochais et lui tapotais le torse à l'aide du manche de son arme.

- Prends une grande inspiration et crache le morceau. Commence par le début à savoir cette histoire de punition. Et puis tu déroules le fil. Si tu voulais pas en parler, il fallait pas l'ouvrir.

Je voulais vraiment savoir. J'en avais assez de cette impression de vivre en dehors du clan parce que j'avais été bannie durant deux semaines. Il fallait que je me remette à jours et cela commençait maintenant avec cet évènement d'une importance visiblement capitale et qui aurait sûrement des conséquences sur la suite. Je lui fourrais finalement le poinçon dans les mains et reculais pour aller m'adosser à la poutre en face de lui, les bras fermement croisés sur ma poitrine.

Pour l'avoir longtemps observé, tu sais que la capacité d'Alessandra à s'intéresser aux gens n'est pas excellente. Ici elle est subtilement attentive et tu en tires un soulagement teinté de fierté. Qu'elle s'intéresse à toi est miraculeux après vos premières interactions. Pour autant tu ne t'attendais pas à la découvrir nerveuse face à ton malaise. Même si tu n'aimes pas la voir ainsi ce n'est pas désagréable de la voir aussi soucieuse de tes réactions. Tu apprécies néanmoins qu'elle ne se lance pas dans des excuses ou toute autre réaction stupide que les gens ont généralement lorsqu'il prenne en pitié leur interlocuteur. Elle n'est peut-être pas délicate mais au moins elle est sincère et c'est peut-être un trait de caractère familial maintenant que tu y songes. Son sourire t'en tire un léger et maintenant que tu la côtoies pour de vrai tu te rends compte que vous avez plus en commun que tu ne le pensais. C'est peut-être pour ça que le courant passe malgré tout. Tu rigoles presque face à son agacement soudain. Un certain manque de patience peut aussi être placé sur la liste. Ton rire meurt pourtant avant d'avoir exister face à l'avancée qu'elle a faite dans ton espace. Elle semble beaucoup plus sérieuse maintenant et elle a une façon étrange de prendre le contrôle qui tu le supposes est un reste de son ancien grade. Tu souris encore légèrement alors qu'elle te martèle doucement le torse avec ta propre arme. Tu supposes que ce geste est censé te recentrer sur elle.

ALESSANDRA – Prends une grande inspiration et crache le morceau. Commence par le début à savoir cette histoire de punition. Et puis tu déroules le fil. Si tu voulais pas en parler, il fallait pas l'ouvrir.

Ce n'est pas qu'un reste d'autorité à ce point là. Tu juges qu'il vaut mieux cesser de sourire vu son ton mais tu n'en deviens pas grave pour autant. Juste plus neutre. Il y a une nécessité derrière son comportement et tu comprends que maintenant tu dois faire ce qu'elle te demande comme elle te demande si tu veux garder votre discussion sur la bonne route. Tu récupères de justesse le poinçon qu'elle te fourre entre les mains et tu commences à le faire tourner entre tes doigts avec la force de l'habitude alors qu'elle recule. Elle est l'image même de la détermination devant toi. Donc tu te lances en tâchant de restituer au mieux les événements.

KAHLAN – Abel a été sorti de sa cellule pendant la pause. Il est attaché devant le QG et nous avons le droit de lui faire ce que l'on veut tant qu'il ne meurt pas. C'est sa punition pour ce qu'il a fait. Après il sera mis à mort mais en attendant on nous le laisse.

Tu marques un silence pour lui laisser le temps d'intégrer les informations. Ça te permet aussi de mettre un peu d'ordre dans tes pensées pour lui expliquer correctement la suite.

KAHLAN – Certains n'ont pas trouvés que cette punition était une bonne chose. Noâ était en train de parler avec Jude et Dryss, je suppose qu'ils n'étaient pas d'accord mais ils ont du lui dire discrètement. Ce n'est pas le cas de Zeke qui a déboulé comme une furie pour engueuler Johanne et dire que tout ça devait cesser. Il était contre cette violence gratuite et a remis en cause la décision de Noâ avec verve. Donc elle l'a fait arrêter. Le geste était symbolique parce qu'il doit déjà être libéré maintenant mais cette histoire a fait pas mal de boucan.

Tu n'en reviens toujours pas que Ezekiel ait agis de cette façon mais tout le monde a des limites et l'Ancien avait atteint les siennes en public. Tu adresses un regard à Alessandra pour lui faire comprendre que l'histoire est finie et tu attends. Sûrement aura-t-elle besoin de réagir même si tu ne sais pas exactement comment elle le fera.

Il lui aura fallu un moment pour cracher le morceau, mais quand Kahlan s'y mit enfin il le fit correctement. Je l'écoutais avec attention, découvrant enfin cette fameuse punition. Noâ avait en effet pris une décision assez inhabituelle pour elle, mais qui n'était pas illogique. Et pas si étonnante que ça non plus. Elle avait toujours été particulièrement juste et elle punissait rarement, mais quand cela arrivait elle savait comment marquer les esprits. On parlait en plus d'Abel. Ce type ne valait plus rien, il n'était plus humain après ce qu'il avait fait, et il méritait donc les pires outrages. A mon sens du moins. Juste lui donner la mort aurait été bien trop doux et il fallait prouver à tout ceux qui aurait l'idée de faire comme lui en s'attaquant au clan que c'était une très, très, mauvaise idée qu'ils payeraient cher. L'attitude de Ezekiel était par contre beaucoup moins logique. Oui, Zeke était un brave gars - d'après ce que je savais de lui -, mais je ne l'avais pas pensé aussi axé sur le bien-être d'un homme qui avait trahi et détruit une partie de son clan. C'était à n'y rien comprendre. Devant une telle attitude, Noâ avait vraiment bien fait de le mettre en cellule même si sa situation n'était que temporaire. Peut-être aurait-il même mérité d'y rester plus longtemps. Égoïstement, je trouvais que sa punition était un peu légère en comparaison de tout ce que j'avais dû subir ces derniers mois. Mais nos fautes n'avaient rien de comparables après tout

- Ce type est idiot. Il est l'ami de Noâ, il aurait dû d'autant plus comprendre l'importance de la soutenir dans un moment pareil. Ce n'est pas parce qu'elle ne montrera rien que la rébellion n'aura pas un impact sur elle. Elle est aussi humaine que nous tous et peut-être que toute cette histoire la touche plus encore que les autres Jaguars. C'est son clan, sa responsabilité.

Je connaissais Noâ depuis suffisamment longtemps pour avoir compris certaines choses. Peut-être avais-je tort, après tout nous avions perdus une partie de notre proximité depuis que j'étais devenue Membre, mais je pouvais presque certifier être dans le vrai pour ça au moins. Les Jaguars étaient bien trop importants à ses yeux pour qu'elle ne se sente pas coupable d'avoir laissé la rébellion se dérouler. Je me laissais glisser le long de la poutre pour rejoindre le plancher et je me mis à jouer distraitement avec le bout de ma tresse avant de reprendre la parole.

- Et toi ? Tu as participé ?

Je parlais naturellement de la punition d'Abel. Je me demandais s'il était du genre à regarder ou s'il pourrait attaquer un homme attaché. J'espérais aussi en savoir plus sur son point de vue sur la situation. Il me semblait important de savoir s'il était pour ou contre ce qu'on avait fait au traître.

Alessandra garde un silence pensif durant quelques instants. Tu l'observes sans rien dire non plus, en attente de ses pensées qu'elle ne te livrera pourtant peut-être pas. Tu espères qu'elle le fera mais tu sais parfaitement que si elle ne le fait pas il sera inutile de pousser plus loin sur ce sujet. Ne pas la braquer, c'est désormais ton objectif principal.

ALESSANDRA – Ce type est idiot. Il est l'ami de Noâ, il aurait dû d'autant plus comprendre l'importance de la soutenir dans un moment pareil. Ce n'est pas parce qu'elle ne montrera rien que la rébellion n'aura pas un impact sur elle. Elle est aussi humaine que nous tous et peut-être que toute cette histoire la touche plus encore que les autres Jaguars. C'est son clan, sa responsabilité.

Quelque chose t'avait échappé et tu le comprends maintenant. Le sujet des punitions est sensible pour Alessandra et la maigreur de celle qu'a reçue Ezekiel doit la rendre amère car elle a souffert très récemment d'une punition. Elle en souffre même encore puisqu'elle doit supporter la présence d'un garde en attendant que Noâ rende son jugement. A savoir toi. Son attachement à la Chef ressort aussi très fort dans ses paroles et tu te dis que si elle avait été là, Alessandra aurait défendu bec et ongles Noâ. Elle l'avait toujours fait et il te semblait qu'elle le ferait toujours. Contrairement à toi Noâ avait pu être là et elle était l'un des piliers de la vie de ta sœur. Tu la respectais d'autant plus à cause de ça.

KAHLAN – Parfois on est idiot avec les gens qu'on aime pourtant ça ne signifie pas qu'on les aime moins. Zeke a fait une erreur c'est sûr mais il se rattrapera sûrement plus tard quand il aura compris l'impact qu'à eu son geste. La rébellion nous a tous atteint, pas étonnant que certains craquent un peu.

Tu ne veux pas vraiment défendre l'Ancien tu n'as rien à gagner à le faire mais tu veux par contre faire comprendre à Alessandra que tout n'est pas toujours si simple et que personne n'a jamais toutes les cartes en main. En quelque sorte que les choses sont grises et pas juste noires ou blanches comme elle semble parfois le penser. Tu la regardes qui se laisse aller sur le plancher et un petit sourire orne tes lèvres. Elle s'est considérablement détendue en ta présence et elle semble même avoir intégrée ta remarque à propos de la surveillance.

ALESSANDRA – Et toi ? Tu as participé ?

La question te surprend. Tu ne t'attendais pas vraiment à ce qu'elle revienne sur le sujet. Tu lui jettes un coup d’œil avant de lui tourner le dos pour t'accouder à la rambarde et regarder l'horizon.

KAHLAN – Non. Il y avait déjà suffisamment de gens sur lui qui avaient vraiment besoin de relâcher la pression. J'aurais pas été contre de lui coller mon poing dans la figure mais ça aurait pas changé grand chose. En plus j'avais pas trop la tête à cogner un type attaché même s'il le méritait.

Tu lui as dit la vérité. Ce que tu n'as pas dit par contre c'est que tu n'avais pas la tête à le frapper parce que tu t'inquiétais pour elle après vos altercations de ce matin.

Le sage Kahlan. Quand il s'y mit, je ne pu m'empêcher de rouler un peu des yeux. Décidément, ce gars ne ressemblait en rien à l'idée que je m'en étais fait si jamais il commençait avec sa psychologie à deux balles. Il n'avait pas tort dans les faits, mais nous étions en temps de crise alors nos actes avaient d'autant plus d'importances. Je l'avais compris maintenant et c'était aussi pour cette raison que j'avais décidé d'arrêter de faire la gueule à propos de ma situation. Enfin en présence de gens qui comptaient. Lui ne comptait pas, donc, je pouvais bien râler tant que je le voulais. Pour autant, j'en avais fini avec les commentaires sur l'attitude de l'autre idiot. Juste un hochement d'épaules, c'était ce que je lui donnais comme réponse après son discours. Le sujet glissait maintenant vers Abel, la pourriture que j'aurais volontiers amoché moi aussi. La réaction de Kahlan me fit d'abord penser qu'il avait honte, il s'était tourné et regardait maintenant au loin, mais comme souvent quand je tentais d'analyser les autres, je me trompais. Depuis ma position sur le sol, j'observais son dos. Ouais, vu comme ça, il n'avait vraiment pas l'air d'un gars qui n'aurait pas assumé ses actes. Enfin, le plus important dans tout ça était qu'Abel avait eu sa dose de coups.

- Ouais, t'as raison. La rébellion, ça met la tête à l'envers.

J'aurais pu pousser pour en savoir plus, mais ça ne me semblait pas utile. S'il avait quelque chose à dire, il le dirait. Sinon, c'était que ce n'était pas mes affaires. Je contemplais donc plutôt le bout de ciel bleu visible entre les panneaux et le toit. Ce n'était pas si mal de monter la garde finalement.