▶ Flashback, Année 40 (18 ans)

J'avais toujours détesté les journées ensoleillées. L'intense luminosité, cette sensation d'être éblouie, la chaleur de ma peau qui montait de quelques degrés alors qu'un fin voile de transpiration suintait de chaque pore,... A chaque fois, j'avais la sensation de me revoir bien des saisons plus tôt. L'astre me la rappelait désespérément et lorsque je plissais les yeux pour échapper à ses rayons, je cherchais malgré moi la beauté de son sourire. Le soleil était comme Ezea. Hypnotisant, puissant, mais destructeur. Il vous mordait sans scrupule si vous le regardiez trop longtemps et l'approcher de près ne pouvait que vous apportez la mort. Le vent aride soufflant sur Paris ce matin là avait été l'indicateur vicieux dont j'avais besoin pour comprendre que le moment était venu. Non, c'était un vaste mensonge. En réalité, mon cœur le savait déjà depuis longtemps. C'était à chaque fois pareil. Il y avait cet étau qui venait emprisonner ma poitrine et pendant des jours, j'avais la sensation de vivre comme en apnée. Ni morte, ni vivante, à regarder le temps filer comme on observe un sablier. Dans ces moments là, la présence de quiconque m'insupportait. Trop faible pour maintenir une défense convenable car trop occupée à occulter mes propres sentiments, je devenais la cible des émotions amplifiées des autres. Même Jayden prenait l'apparence d'un hostile alors qu'au fond je ne désirais que me réfugier contre son torse solide pour fuir la douleur. Il était mon roc, ma lumière, mais dans ces instants, je redevenais l'ombre solitaire.

Le lever du soleil m'avait poussée à sortir de ma tanière. Mon adorable bourreau avait pour habitude de venir me réveiller tous les matins pour l'entraînement collectif, mais j'aurais été bien incapable de croiser son regard. J'avais donc taillé la route dès les premières lueurs, cherchant désespérément un endroit où déposer ma fatigue et ma peine en attendant la chute du jour. Pourquoi les champs ? Je n'en avais aucune idée. Peut-être avais-je songé que me cacher entre les hautes plantes cultivées m'offriraient un court répit ? Dans tous les cas, je m'étais allongée sur cette terre épuisée et j'avais attendu en posant un regard vide sur le ciel aux couleurs pâles. Il était trop tôt pour les travailleurs et trop tard pour ceux qui traînaient en espérant dérober de quoi manger à la faveur de la nuit. Seules quelques sentinelles erraient au loin comme des cow-boys solitaires. Lasse, je poussais un soupir et laissais mon avant-bras occulter mes yeux en espérant attirer ainsi le sommeil. Geste inutile, le grand manitou des rêves n'avait rien de commode avec moi ces derniers temps et je ne comptais plus le nombre de songes désagréables qui m'avaient plongés au cœur d'un passé qui me dévorait. Il fallait que ça s'arrête...

▶ Flashback, Année 40 (17 ans)

L'heure était grave. Ces derniers jours, l'humeur de Noâ n'était pas au beau fixe et si habituellement cela ne me tracassait pas plus que ça, le fait d'en être en partie responsable m'empêchait d'attendre que l'orage passe. Mon comportement lui déplaisait et elle ne se privait pas de m'envoyer quelques remarques cinglantes à la figure tout en me faisant exécuter les tâches ingrates. Malgré mon statut de Seconde et les avantages qu'il comportait, je me retrouvais désormais assignée à la surveillance des champs durant les nuits torrides précédant la saison Aride. Si cela aurait du me déplaire, j'y voyais pour le moment une bonne raison de rester en dehors du QG où l'ambiance était électrique. Certes, mon ego vivait assez mal le fait d'être considérée comme une bleue, mais on ne pouvait pas tout avoir. De plus, j'appréciais le calme nocturne qui me permettait de réfléchir un peu à la situation.

Depuis cette drôle de nuit qui avait suivit mes erreurs auprès de mon clan, je n'étais plus vraiment moi-même et je doutais que ce soit réellement une conséquence de l'acte en lui-même. Oui, c'était la première fois que je couchais avec un homme, mais inutile d'en faire tout un plat. Ou du moins, c'était ce que je tachais de faire. Le problème n'était pas ce qu'il s'était passé, mais bien celui avec lequel cela c'était passé. Le visage d'Eli ne cessait de me revenir en tête, me laissant toujours un étrange sourire sur les lèvres. Le simple fait de songer à lui effaçait tout ce qui m'entourait sans que je ne puisse me l'expliquer. En temps normal, j'aurais aimé pouvoir me tourner vers ma Chef, bien plus aguerrie que moi à ce niveau là, mais si je venais à lui parler de la chose, aucun doute qu'elle voudrait savoir qui était l'homme en question et cette information devait bien entendu restée secrète.

Poussant un profond soupir, je tapais un peu du pied sur le sol pour faire déguerpir les fourmis qui grimpaient dans ma jambe et portais mon regard sur l'horizon. Si ce fut au départ un geste parfaitement anodin, je saisis néanmoins vite un détail fort intéressant. Encochant une flèche avec vivacité, je me mis à courir, prête à tirer à tout instant. Quelqu'un s'était frayé un chemin dans les champs et il était bien trop tôt pour qu'il s'agisse d'un Soumis venant travailler. Il ne restait donc qu'une seule possibilité : un voleur. Plissant les yeux, je m'engageais à la suite de l'intrus le plus silencieusement possible et scrutais la pénombre à sa recherche. Une chose était sûre : il n'était pas très discret. La trace de sa venue était bien nette dans les cultures et je le suivis sans mal grâce aux pousses qui s'étaient cassées sur son passage. Trop concentrée sur ce potentiel ennemi, je ne remarquais pas la masse allongée sur le sol et butais contre sa jambe, basculant ainsi comme une débutante. Fort heureusement, j'avais pour moi des réflexes bien aiguisés et plutôt que de m'étaler, j'effectuais une roulade et me positionnais de façon à avoir un genou au sol, prête à bondir. La pointe de ma flèche retrouva vite sa cible et, les dents serrées, je lui demandais des comptes.

Ton nom ? Qu'est-ce que tu fous ici, c'est une zone protégée ?!

Le jour naissant m'aidant, je l'identifiais comme étant une femme. Jeune, peut-être un ou deux ans de plus que moi, bien nourrie et vêtue correctement. Sûrement pas une Libre. Peut-être une Soumise. Voir une Membre. Dans tous les cas, je comptais bien obtenir des réponses.

D'une certaine façon, ma prière fut entendue. Enfin, je ne pensais pas non plus que mon sauveur prendrait cette apparence par contre. J'étais allongée dans les champs, sans emmerder personne, lorsque des bruits avaient attirés mon attention. Quelqu'un s'approchait. J'aurais probablement du me relever pour l'accueillir d'une façon plus efficace, mais j'eu à peine le courage de diriger mon regard vers l'endroit où les tiges bougeaient, annonçant l'arrivée imminente de mon compagnon nocturne. J'espérais vraiment qu'il ne remarquerait pas ma présence et qu'il disparaîtrait aussi j'avais pris soin d'être discrète - pas facile lorsque l'on était moi -. Comme prévu la personne en question ne me remarqua pas... Jusqu'à ce que l'incident se produise. Je sentis le coup de pied avant même de comprendre ce qu'il arrivait et je vis un corps tomber vers moi, puis de se déporter pour rouler. Tiens, la chose était entraînée. Et possédait un arc. Je le compris en voyant la flèche prête à se diriger vers moi. Prudemment, je me redressais un peu, restant en appui sur les coudes, et observais l'inconnue. Merde, j'étais bien tombée. Vu l'arme, c'était probablement une Membre de garde pour la nuit. Je n'avais pas vraiment le courage de justifier ma présence, ou plutôt je n'en avais pas l'envie. Je pris donc le parti d'être moi-même. C'est à dire une indécrottable chieuse pas décidée à faciliter le travail des autres. Elle voulait mon nom ? Eh bien qu'elle aille se faire voir.

« Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Je suis là, c'est tout. »

Il n'y avait aucune hostilité dans ma voix, juste une profonde lassitude. Aujourd'hui, je n'étais pas vraiment en forme alors je mettais bien moins d'énergie dans mon art. En plus, c'était une vile femelle qui se dressait face à moi et cela ne faisait que me rappeler qu'il y a des mois déjà, Ezea avait préférée aller voir ailleurs.

« Casses-toi, j'ai pas envie de t'en mettre une... »

Cette réplique n'était peut-être pas des plus judicieuses, mais qu'importe.

La réponse de mon interlocutrice me laissa pantoise. Je suis là et c'est tout ? Elle se foutait de ma gueule ou quoi ? Sa nonchalance fut ce qui m'agaça le plus. Alors que je la menaçais d'une arme qui aurait pu la tuer, elle ne paraissait pas plus inquiète que ça. Elle restait allongée, tranquillement, et se donnait des grands airs de je-m'en-foutiste. J'avais toujours eu horreur de ce genre de personnes, mais depuis l'affaire Asha, elles m'étaient de plus en plus insupportables. C'était vraiment pas de pot d'être tombée sur la nana type qui allait me faire sortir de mes gonds. Pourtant, il ne fallait pas que je m'emporte. Même si je le voulais - et ce n'était pas vraiment encore le cas -, je ne pouvais pas la tuer comme ça, sous le coup d'une impulsion. Déjà, ce n'était pas mon genre et, en plus, cela aurait pu causer des problèmes à mon clan. Il suffisait qu'elle soit Membre pour que cela fasse toute une histoire.

Prenant une grande inspiration pour conserver le peu de calme qui me glissait déjà entre les doigts, je réitérais mes demandes en espérant qu'elle serait raisonnable cette fois.

Qui es-tu ? Je marquais une brève pause en sentant ma voix déraper à cause de la tension que je contenais difficilement. De quel clan viens-tu ? Que fais-tu ici ?

Même si je n'avais pas réagis au tac-o-tac à sa dernière provocation, je ne pu m'empêcher de glisser un mot à ce sujet. Si elle croyait me faire peur avec sa menace à deux balles, elle se fourrait le doigt dans l’œil. Aucune chance qu'elle m'en foute une comme elle le disait si bien, je l'aurais abattue avant même qu'elle n'ait bougé un orteil. Une telle pensée était un peu naïve - et désespérément trop orgueilleuse -, mais j'étais bien trop sur les nerfs pour jouer les filles raisonnables.

Ouais, c'est ça... J'suis sûre que t'es trop feignasse pour ça.

Il fallait bien avouer qu'elle ne débordait pas de vitalité...

Mademoiselle ne courait pas encore, mais au moins elle marchait. Sa nervosité m'avait envahie comme une vague et je me pris à sourire en comprenant qu'elle contenait difficilement les mauvais sentiments qui grandissaient au fond d'elle. Malgré une certaine maîtrise, elle était trop jeune pour se contrôler réellement et il lui aurait au moins fallut dix années de plus pour espérer me cacher ne fusse qu'un cinquantième des émotions qui bouillonnaient dans son ventre. Je pouvais presque sentir la brûlure de la colère qui circulait dans ses veines en cet instant. Elle se contrôlait à peine et je ne comptais pas lui faciliter la tâche, bien au contraire.

« Aaaah cet interrogatoire brutal au petit matin manque de charme. On ne t'a jamais appris qu'il fallait décliner son identité avant d'attendre un retour de la part des autres ? Pourquoi je te parlerais alors que tu m'agresses ? »

En réalité, je me fichais bien de ce détail, mais j'étais presque certaine que la brune tomberait dans le panneau. Elle respirait la droiture et l'honneur, aucun doute qu'elle se plierait à ma contrainte. Surtout si cela lui permettait d'obtenir les informations qu'elle désirait tant.

La suite me troubla néanmoins un petit peu. Surprise par sa répartie, je penchais légèrement la tête sur le côté en scrutant ses yeux verts à la recherche d'une information que j'avais manquée. Elle m'avait percée à jour en une poignée de secondes : il était vrai que j'avais bien trop la flemme de lui en coller une. Ce détail alluma une flamme d'intérêt dans mon regard et je fis l'effort de m'asseoir correctement, jouant d'une main avec un brin d'herbe tout sec.

« C'est pas faux. Aussi si tu pouvais éviter de me forcer à gaspiller de l'énergie pour rien, ça m'arrangerait. »

Car bien sûr je ne me serais pas laisser tabasser sans rien faire. Si cela avait été vraiment nécessaire, j'aurais rendu les coups. Je me fichais bien de la douleur que m'aurait laissé un passage à tabac, mais Jayden n'aurait sûrement pas apprécié que je revienne amochée et je l'aurais eu sur le dos pendant des jours.

« Tu veux pas baisser ton jouet, tu vas finir par te faire mal. »

Une petite dernière pour la route ?

Décidément, cette fille était particulièrement douée pour désarçonner son vis à vis. Pour la deuxième fois en quelques instants, je me trouvais perturbée par ses paroles et mon cerveau se mit à turbiner comme un malade pour trouver la bonne réplique pour casser ses arguments. Pendant ce temps, je baissais sensiblement ma garde sans m'en rendre compte, mais la brune n'avait pas l'air d'humeur à attaquer. Sûrement trop flemmarde comme je l'avais déjà supposé plus tôt. Après un bref blanc, je finis par m'exprimer d'une façon peu sûre.

Je suis Alessandra, Seconde des Jaguars du Sud.

J'avais beau l'observer, sa tête ne me revenait vraiment pas. Elle ne pouvait donc pas être plus gradée que moi. C'était une bonne chose car même si elle venait d'un clan voisin, le respect de la hiérarchie avait son importance. Ainsi, même un Membre étranger se montrait généralement plus respectueux envers les gradés. Surtout lorsqu'il s'agissait du Chef ou du Second.

Par la suite, elle fit au moins l'effort d'avoir l'air plus attentive à ma présence. A croire que j'avais dit quelque chose qui avait eu un impact sur elle. Mais quoi ? Je doutais sérieusement que ma présentation avait eu un tel effet, cela devait donc venir d'une parole antérieure. Je soutins sans mal son regard, sans chercher à la défier, mais simplement pour lui montrer que je ne céderais pas. Ce qu'elle dit ensuite eu le don de me faire repartir dans les tours, mais j'évitais de trop m'énerver. C'était après tout ce qu'elle voulait et je ne comptais pas lui donner ce plaisir. Pourtant, malgré moi, je devais bien admettre qu'elle avait raison sur certaines choses. Nous n'avions aucune raison de nous battre pour le moment, inutile alors de rester autant sur la défensive. Je fis donc une concession en replaçant ma flèche dans son carquois et déposais mon arc sur le sol avant de m'y asseoir. Autant parler en étant à la même hauteur au point où on en était. De plus, personne ne pouvait plus nous détecter lorsque nous étions dans cette position, j'étais donc bien plus à l'aise.

Sérieusement, c'est quoi ton nom ?

Tiens donc, une Jaguar... Esquissant un petit sourire, je l'observais avec un peu plus d'attention. C'est vrai que les meilleurs archers venaient de ce clan. Chez les Dragons, nous n'aimions en général aucun des autres groupes gouvernant Paris, mais il y avait toujours eu une haine particulière avec le Sud. Et cela n'avait pas été en s'améliorant lorsque Samuel avait pris les rennes. Je m'étonnais d'ailleurs qu'il n'ait pas encore attaqué vu la façon dont il parlait de Noâ. Dans tous les cas, je me retrouvais en compagnie du gratin des félins. Si je lui avais ramené la plus fidèle Membre de Noâ, mon Chef m'aurait sûrement récompensé en m'offrant des heures de sieste, mais, manque de bol, j'avais trop la flemme pour tenter quoi que ce soit. Par contre, il y avait un truc qui clochait dans cette histoire. Qu'est-ce qu'une Seconde faisait aux champs ? C'était une tâche ingrate qu'on confiait généralement aux inutiles. J'aurais pu poser la question, mais je bâillais avec application, me recouchant en calant mes deux mains derrière ma tête.

« Loukas. »

Bah ça ne me coûtait pas grand chose de lui répondre. Et puis, maintenant qu'elle était assise, elle me foutrait peut-être la paix. Seulement, cette histoire de grade ne collant pas avec sa fonction actuelle continuait de me turlupiner. Je tournais légèrement la tête vers elle et lâchais finalement ma bombe.

« T'es pas un peu mytho sur les bords ? Qu'est-ce qu'une Seconde fout ici ? »

Quoi que, on parlait des poubelles, tout était possible...

La fille se détendit encore un peu plus - si c'était réellement possible - dès lors que je me fus assise. Elle était désormais confortablement couchée, ne me considérant absolument pas comme une menace. Ça avait un petit côté vexant, mais si cela nous permettait de ne pas nous battre, je n'allais pas m'en plaindre. En plus, elle se décida enfin à se présenter. Elle ne me livra que son prénom par contre et puisqu'il ne me disait rien, je ne pu même pas déduire de quel clan elle venait. Dommage, ma curiosité n'était que très peu satisfaite sur le coup. Il n'empêchait que je fus surprise par le nom qu'elle donna : Loukas. J'avais connu un garçon qui se prénommait comme ça, mais c'était la première fois que je rencontrais une fille arborant un tel prénom.

Par la suite, un silence pas vraiment gênant s'installa jusqu'à ce qu'elle décide de poser une question assez désagréable. Mytho ? Je ne compris au début pas où elle voulait en venir, mais la suite me fit percuter et je me renfrognais. Super, j'avais réussi à ne plus penser aux erreurs qui avaient poussées Noâ à m'en faire baver un peu et voilà que cette fille me les renvoyait à la figure. Poussant un soupir, je choisis contre toute attente la carte de la sincérité. Après tout, c'était une inconnue que je ne reverrais probablement jamais.

J'ai fais quelques gaffes alors ma Chef me resserre la vis pour éviter que cela se reproduise.

J'avais visiblement touché un point sensible. La demoiselle se renfrogna et je cru bien qu'elle n'ouvrirait plus jamais la bouche, mais elle se lança finalement dans une explication après avoir soupiré. Quelques gaffes ? Voilà qui n'était pas précis. Enfin, si elle avait conservé sa place de Seconde, c'était qu'elle n'avait pas dû faire grand chose. Il n'empêchait qu'elle avait réussi à titiller ma curiosité et que j'aurais voulu en savoir plus. Est-ce qu'elle lâcherait le morceau si j'insistais un peu ? Non, au vu de sa tête, elle se fermerait comme une huître et je n'en tirerais plus rien. C'était ça le problème avec les gonzesses, soit elles parlaient trop, soit elles fermaient pas assez leur gueule, y avait pas de juste milieu.

« Pas commode ta Chef. Elle te fout la honte en guise de punition, c'est pas un peu mauvais pour ton autorité ? M'enfin, c'est pas chez nous que ça arriverait un truc du genre. Si tu fais une gaffe, tu sautes, y a pas d'étape intermédiaire. »

Encore que je n'avais jamais trop souffert de la politique des Dragons. Avant, j'étais du genre irréprochable et maintenant... Bah ! Grâce à Jay, j'avais quelques atouts dans ma manche qui me protégeaient des ennuis.

Sur le coup, Loukas n'avait pas tort. Je n'avais jamais compris pourquoi Noâ avait opté pour ce genre de punitions alors qu'il lui aurait été plus facile de frapper un grand coup. Cela ne devait même pas être bon pour elle puisqu'en exposant sa Seconde de la sorte, c'était principalement sur son dos que ça allait jaser. Dans tous les cas, elle devait avoir ses raisons, je devais sûrement être trop idiote pour les comprendre. La suite du discours de la fille me laissa perplexe. Je ne savais toujours rien d'elle, mais ses paroles avaient eu le don de me mettre la puce à l'oreille. En y réfléchissant bien, il n'y avait pas trente-six solutions. Même si les Libres se montraient très provocants ces derniers temps, elle n'avait absolument pas l'allure d'une vagabonde. De plus, elle avait l'air d'en savoir long sur les clans. Elle n'avait pas non la répartie d'une Soumise, les Aigles étaient donc à éliminer. Il nous restait les Dragons et les Vipères, les Jaguars étant bien sûr éliminés d'office vu qu'elle ne me connaissait pas. Ces deux là étaient connus pour être plus rudes avec leurs Membres, mais les Vipères étaient quand même plus mesurées que les Dragons. Ainsi, elle devait être une lézarde. Ben ça alors, si on m'avait dit qu'un jour que je discuterais aussi tranquillement avec l'un d'entre eux, je ne l'aurais pas cru.

C'est si dur que ça chez les Dragons ?

Au moins, cette question me permettrait de vérifier ma théorie. Encore fallait-il que j'arrive à sonder sa réaction, mais c'était une autre histoire. Avec un peu de chance, elle se contenterait d'affirmer bêtement son appartenance aux verts, même si j'en doutais un peu. Elle était nonchalante, mais sûrement pas lente d'esprit. C'était d'ailleurs ça qui la rendait aussi intéressante à côtoyer. Et aussi dérangeante en un sens...

En entendant la réponse de la fille, je pouffais littéralement de rire. Cette idiote pensait vraiment qu'elle pourrait me faire cracher des informations de cette façon ? C'était gros comme une maison et si elle croyait m'avoir en jouant les ingénues, elle se fourrait le doigt dans l’œil. Complètement écroulée, je rigolais comme une stupide petite dinde en frappant le sol de mes mains. Avec tout ça, je me roulais à moitié par terre, il y avait quand même plus glamour. Il me fallut quelques instants pour me reprendre et je me relevais finalement, le souffle court et des larmes pleins les yeux.

« T'es une marrante toi ! »

Du poing, je chassais les perles de rire qui stagnaient au bord de mes paupières et soufflais un grand coup pour reprendre une respiration plus calme.

« Vaudrait mieux que tu évites ce genre de plan à l'avenir, ça te réussit vraiment pas. »

Mon but n'était pas de la vexer, mais si elle le prenait comme ça, tant pis pour elle.

« Mais ouais, j'suis bien des Dragons. Ça te pose un soucis peut-être ? »

La réaction de Loukas s'avéra être bien loin de ce que j'avais espéré. Elle fut aussi des plus surprenante, son rire étant bien la dernière chose que je m'étais attendue à entendre. Interloquée, je la regardais se bidonner sur le sol sans comprendre ce qu'il y avait de si drôle. J'aurais pu me vexer ou mal le prendre en général, mais le choc était bien trop important pour que mes pensées parviennent à s'orienter dans ce sens. Cette fille était un véritable phénomène ! Son affirmation ne m'aida pas vraiment à y voir clair, il n'y avait rien de marrant dans cette histoire. Durant une seconde, j'envisageais qu'elle soit défoncée, ceci expliquant aussi sa nonchalance, mais elle avait l'air d'être plutôt au clair pour une nana à côté de ses pompes. Et puis, je penchais de toute façon plus vers le fait qu'il s'agissait en réalité de son état naturel. Alors, avec une patience teintée d'incompréhension, j'attendis qu'elle se décide à me fournir une explication. Ce qu'elle fit enfin, d'une certaine façon.

Ce genre de plan ?

Est-ce qu'elle insinuait que j'étais une piètre manipulatrice ? Il est vrai que ce n'était pas vraiment mon genre d'user de ce type de méthode, mais je ne pensais être aussi peu douée. Fronçant les sourcils, je la fixais durant quelques instants, cherchant à comprendre exactement où elle voulait en venir, mais j'abandonnais vite. Si cette mise en garde avait un sens, je ne le comprenais pas vraiment bien.

Aucun.

Les Dragons étaient le cadet de mes soucis. J'avais bien croisé quelques Membres ou Soumis, mais aucun ne m'avait particulièrement marqué. Et je ne croyais pas vraiment en cette haine entre le Sud et le Nord malgré les antécédents.

Bon, faudrait peut-être que j'y retourne moi...

Après tout, je n'étais pas ici pour buller contrairement à elle.

Tu ne devrais pas trop traîner ici, les surveillants ont parfois la gâchette sensible.

Elle faisait ce qu'elle voulait dans les faits, mais se prendre une balle pour une histoire de sieste, c'était quand même assez stupide. Mal à l'aise, je lui adressais un petit sourire et fis volte-face pour m'enfoncer dans les hautes pousses, prenant soin de suivre le chemin qu'elle avait déjà tracée pour éviter de faire plus de dégâts. Quelle drôle de rencontre...

Si la demoiselle ne sembla pas comprendre où je voulais en venir, je me gardais bien de lui fournir une autre réponse. Il lui suffisait de réfléchir un peu, au pire cela lui ferait peut-être même développer un peu de jugeote. Je fus un peu plus surprise en constatant sa neutralité vis à vis des Dragons. Une Jaguar qui se fichait de nous comme d'une guigne, c'était une première pour moi. Enfin, il fallait dire que généralement j'avais la fâcheuse tendance d'énerver les félines ce qui finissait toujours par provoquer un a-priori vis à vis du Nord. Une bonne chose puisqu'il était important que l'on parle de notre clan que ce soit en bien ou en mal. Nous étions les rois et un monarque se devait de savoir recevoir la critique de ses ennemis, il ne s'agissait après tout que de jalousie mal placée. Le fait qu'Alessandra soit aussi désintéressée ne me dérangea pourtant pas. Je me contentais de hausser les épaules et lâchais une ébauche de sourire. Elle était bizarre, mais pas si désagréable que ça à côtoyer. Peut-être un peu trop droite, mais c'était aussi un détail qui faisait son charme. Il n'y avait rien de mieux que de dévoyer ce genre de nanas.

« Je suis invisible, t'inquiètes pas pour ça. »

Bon théoriquement ce n'était pas tout à fait vrai puisqu'elle m'avait trouvée et que Commander disait toujours que j'étais aussi discrète qu'un phacochère. C'était un compliment venant d'elle, j'en étais certaine.

« A plus, mon chou. »

Je lui adressais même un petit signe de la main avant de me rallonger, les bras croisés derrière ma tête. Maintenant qu'elle était partie, j'allais peut-être pouvoir reprendre ma sieste. En fixant le ciel, je me fis la réflexion que sa présence avait au moins eu le don de me changer les idées. Comme quoi, même les Jaguars avaient leur utilité.