jour 3 – fin de nuit

C'est une journée morose qui poursuit une nuit particulièrement mauvaise précédée par une longue après-midi. Tu as la sensation de ne plus avoir dormi depuis des jours. Ton corps te réclame du repos mais pourtant tu ne peux pas le lui offrir. Et qu'importe les dires des soigneurs. Car oui, ce matin tu es à l'hôpital. Durant ta balade nocturne, tu as rencontré une vieille connaissance qui s'est fait un plaisir de te rappeler la Dragonne que tu étais lorsque vous vous étiez séparés et tu n'es pas sortie indemne de la rouste reçue. Tu t'en veux d'ailleurs d'avoir offert un si pitoyable spectacle mais tu passes un peu de baume sur ton ego en te disant que l'élève ne peut pas toujours dépassé le maître. Surtout lorsque le maître est un combattant particulièrement expérimenté qui sait comment user des faiblesses psychologiques de ses adversaires et n'hésite pas à utiliser des coups vicieux. Cette rencontre, tu ne sais pas si tu dois la placer dans la catégorie des bonnes ou des mauvaises expériences. D'un côté, tu es heureuse d'avoir pu reprendre contact avec lui mais de l'autre tu n'es pas sûre qu'il reviendra à nouveau vers toi après la dérouillée qu'il t'a mise. Pourtant, tu brûles de le revoir et il a fait renaître des cendres du bûcher de Chad ta motivation première. Le chagrin a eu un très mauvais impact sur toi mais c'est fini, tu ne te laisseras plus avoir de la sorte. Au vu de tout ça, tu songes qu'il doit donc s'agir d'une bonne expérience même si tu aurais préféré que les choses se déroulent autrement.

Après avoir terminé la consultation avec le soigneur qui t'a assuré que ton bras se remettrait parfaitement et bien plus rapidement que tu ne le pensais, tu as entrepris de trouver son collègue. Le gars veut que tu gardes le bras en écharpe pour quelques jours et que tu prennes des antidouleurs. Il veut aussi que tu te ménages. Dans les faits, tu ne respecteras que l'une de ses recommandations. Tu comptes garder le bras au repos pour faire le chemin jusqu'au territoire et chez toi mais tu ne vas pas sécher l'entraînement pour autant. Les médicaments t'aideront donc à passer au dessus. De toute façon, ce n'est pas la première blessure que tu récoltes, ni la première douleur que tu endures, et jamais ô grand jamais tu ne louperais un entraînement pour une raison aussi futile. La douleur est faite pour être traversée et non pour être regardée bêtement en attendant que ça passe. Mais tu ne craches pas sur une quelconque aide histoire de pouvoir te donner autant, voir plus que d'habitude durant les exercices. Tu cherches donc un certain Ryan qui pourra te procurer les médocs. En arrivant à l'accueil, tu finis par accoster une femme qui semble travailler ici vu le matériel qu'elle transporte.

VIOLETTE – Ryan, je peux le trouver où ?

Elle te fixe un instant avec incompréhension, puis une lueur s'allume enfin dans son regard. Si elle continue à la boucler comme ça, tu vas la secouer et qu'importe cette histoire de zone de non-droit des clans.

FILLE – Tu prends le couloir à ta gauche, puis la sixième à droite.

Eh ben voilà ce n'est pas si compliqué. Tu tournes donc les talons et tu suis ses indications sans remarquer le petit sourire narquois qu'elle t'adresse. Visiblement cette fille te connaît et pas en bien. En suivant ses directives, tu te retrouves dans un endroit plus isolé que tu ne le pensais. Qu'est-ce que ce Ryan vient fiche ici ? L'endroit a tout l'air d'être désaffecté. Par acquis de conscience, tu avances un peu pour vérifier mais tu ne vois personne dans le coin. Alors tu retournes vers la porte et tu tentes de l'ouvrir. Sans succès. Tu forces encore un peu mais elle refuse de bouger d'un millimètre. Tu es enfermée.

Après dix minutes à vociférer sur la stupidité de cette nana, tu te décides à réagir. Tu n'as pas appelé à l'aide, tu as ta dignité et tu n'es pas sûre que quelqu'un t'entende. Pas trop sûre de toi, tu t'engages dans le long couloir désert et poussiéreux. Tu ne sais pas où tu as atterri mais il doit probablement y avoir une autre sortie dans le coin. Tu l'espères tout du moins. Alors que tu tournes à une intersection, le bruit de la porte résonne et tu te retournes avec des yeux ronds. Miracle ! Tu t'empresses de faire volte-face. Une fille vient d'entrer, l'air aussi paumée que toi. En t'empressant de retourner vers elle, tu cries.

VIOLETTE – Attention la...

Mais la porte se referme dans un bruit sourd derrière elle. Cette vision te fait exploser et tu te mets à faire les cent pas en râlant sans même adresser un regard à la fille.

VIOLETTE – Bravo, on est enfermé à deux maintenant ! Bon dieu mais qui m'a envoyé une idiote pareille ! Je vais la tuer et utiliser son sang pour écrire un message sur les vitres pour signaler ma présence.

L'idée te paraît bonne et efficace en plus. Vous êtes au rez-de-chaussée donc si quelqu'un voit des lettres rouges sur les carreaux, il réagira. Encore qu'il faut qu'il y ait des vitres visibles et accessibles. Bah au pire tu feras couler son sang sous la porte, ça marchera aussi.

Yulia errait sans but réel dans l'hôpital. Quelques heures plus tôt, elle avait été contactée par son cousin qui s'était fait le messager d'une sinistre nouvelle. Si son frère était bel et bien vivant et en bonne santé, toute la famille n'avait pas survécu. Zoé, la petite dernière de la fratrie de sa tante avait été gravement blessée par l'explosion d'une grenade durant la nuit de la rébellion. Elle était finalement morte de ses blessures quelques jours plus tard. Yulia accusait le coup avec beaucoup de difficultés. Elle n'avait que très peu connu la petite fille, mais elle restait une victime innocente d'un conflit qui ne la concernait en rien. A la faveur de la nuit, la jeune fille avait été lui rendre un dernier hommage avant que son corps ne soit rapatrié sur son territoire. Depuis, elle déambulait dans les couloirs sans se rendre compte du temps qui passait.

Sans trop savoir pourquoi, Yulia emprunta une porte. C'était une porte comme toutes les autres, elle se trouvait juste dans une zone plus calme du centre hospitalier. Elle l'avait poussé et s'était engouffré dans le couloir, pensive. C'était à ce moment là que la voix d'une fille s'était fait entendre. Elle venait de lui crier une mise en garde qui pourtant n'avait pas de sens. A quoi devait-elle faire attention d'abord. Elle releva la tête pour faire face à une brune qui n'avait vraiment pas l'air de bonne humeur. Sans trop comprendre dans un premier temps, Yulia la regarda manifester sa rage. Elle reprit pourtant un peu de couleur lorsqu'elle entendit clairement des menaces et insultes proférées à son encontre.

— L'idiote t'emmerde. J'ai déjà passé une assez mauvaise nuit, j'ai pas besoin de me faire insulter de la sorte en plus.

Par réflexe, Yulia dégaina son poignard et se mit en garde. Si cette fille avait tout l'air d'être folle, elle n'en restait pas moins dangereuse. Elle le sentait. A la vue de son bras en écharpe, elle eut un petit sourire satisfait. Au besoin, elle pourrait se servir de cette faiblesse pour l'éliminer.

— C'est quoi cette histoire d'enfermement ? Il suffit d'ouvrir la porte pour sortir.

Les yeux toujours fixés sur la brune, Yulia recula légèrement et tâtonna dans son dos de façon à actionner la poignée. Sans succès. Ce constat fit blanchir un peu sa peau et elle resserra sa prise sur son arme. Voilà qui allait compliquer la donne.

— Si on doit en venir au sang, je préférerais écrire un message avec le tien.

Tu commences à songer que tu es tombée sur une demeurée tellement cette fille est peu réactive. Elle ne dit rien et reste immobile devant cette maudite porte ce qui t'agace plus encore. Tu vas vraiment mettre ton plan à exécution si ça continue.

YULIA – L'idiote t'emmerde. J'ai déjà passé une assez mauvaise nuit, j'ai pas besoin de me faire insulter de la sorte en plus.

Miracle, elle parle. Lorsque tu l'entends tu songes que tu la préférais silencieuse mais il ne faut pas que tu fasses trop la difficile. Ce n'est qu'une fille idiote qui s'est retrouvé coincée dans une impasse. Comme toi. Tu siffles entre tes dents en la voyant sortir un poignard. Vu l'arme qu'elle transporte, elle doit être Membre. De quel clan, ça c'est une autre histoire. Pas perturbée pour un sou par la vue du couteau, tu la fixes. Si elle croit vraiment te faire peur avec son cure-dent, elle se fourre le doigt dans l’œil. Tu es tentée de dégainer ta dague mais ce serait donner trop d'importance à la menace d'un moucheron. Encore que tu as bien envie de lui faire ravaler son sourire.

YULIA – C'est quoi cette histoire d'enfermement ? Il suffit d'ouvrir la porte pour sortir.

Tu hausses un sourcil courroucé. Elle te prends vraiment pour une conne là. En plus elle s'enfonce en tentant d'ouvrir cette putain de porte, sans succès bien sûr. Ce n'est pas faute de ne pas l'avoir prévenue pourtant. Maintenant qu'elle se sait réellement coincée, elle paraît moins sûre d'elle. Tu te permet un sourire narquois à son adresse. Elle doit se sentir moins en sécurité coincée ici avec son petit couteau en ta compagnie.

YULIA – Si on doit en venir au sang, je préférerais écrire un message avec le tien.
VIOLETTE – Mais c'est qu'elle a le sens de l'humour la pimbêche. Essaye un peu pour voir.

Tu n'as pas peur de la menacer, elle peut bien venir, tu la recevras avec bonheur d'un coup de lame.

Yulia n'aimait pas l'admettre, mais cette fille la mettait mal à l'aise. Peut-être la vexait-elle même aussi un peu. Malgré le couteau qu'elle pointait vers elle, la brune ne faisait que la fixer comme si elle n'était absolument pas une menace. Elle aurait été bien plus compétente avec son arc ou son arbalète, mais la vipère n'en restait pas moins une bonne combattante. L'autre aussi si elle se fiait à ce que son instinct lui disait. Elle était grande, mais pas très épaisse pourtant il irradiait d'elle une véritable aura de dangerosité. L'habit ne faisait pas le moine disait-on. Le sourire narquois qu'elle arborait rassura légèrement Yulia. Elle préférait de loin la voir moqueuse et désagréable que courroucée même si sa suffisance l'agaçait un peu. Dans d'autres conditions, la vipère aurait sûrement répondu à sa menace en lui prouvant qu'elle n'avait pas peur d'elle et qu'elle avait foi en ses capacités, mais elles étaient dans une impasse et elle ne tenait pas à récolter des blessures inutiles en ces temps de trouble. Elle comprit qu'il était important qu'elle calme le jeu avant le dérapage fatal. Elle resta donc stoïque face à la provocation bien qu'elle ne baissa pas son arme.

Une chose était sûre, si Yulia était la glace, cette fille était le feu. Elle lui donnait l'impression d'être en permanence sous la tension de l'énervement alors qu'elle-même conservait son calme naturel. Un calme un peu piquant tout de même.

— Je crois qu'on a mal commencé. La pimbêche s'appelle Yulia et bien qu'elle aime l'idée de te saigner, elle ne le fera pas car elle ne tient pas à rester ici jusqu'à la prochaine saison aride.

En signe de bonne foi, Yulia rengaina son poignard.

— Et la psychopathe sanguinaire, elle a un nom ?

Devoir coopérer avec une fille dans son genre ne plaisait pas beaucoup à la vipère, pourtant elle le faisait. L'efficacité avant tout.

Cette fille n'a rien dans le ventre. Tes menaces semblent la laisser de glace. Tu la fixes avec dédain, un peu déçue qu'elle ne se montre pas plus combattive. Tu as nourris inutilement l'espoir futile d'avoir une bonne raison de l'éventrer. D'habitude, tu n'as pas besoin de raison pour laisser parler tes instincts les plus vicieux mais aujourd'hui c'est différent. Avec elle aussi c'est différent. Tu n'as pas envie de l'écraser comme un insecte d'un simple coup de talon. Au fond de toi, tu sais qu'elle mérite bien mieux que ça et cette pensée t'aurait troublée si vous n'étiez pas coincées ici et qu'elle avait agis de façon moins mesurée. Si elle n'attaque pas, c'est qu'elle te craint. Cette idée suffit à t'apaiser un peu, ton orgueil rassuré.

YULIA – Je crois qu'on a mal commencé. La pimbêche s'appelle Yulia et bien qu'elle aime l'idée de te saigner, elle ne le fera pas car elle ne tient pas à rester ici jusqu'à la prochaine saison aride.

Sa répartie t'arrache un sourire. Elle ne manque pas de caractère contrairement à ce que tu as cru. A sa façon, elle est forte et se permet un trait d'humour provocant qui ne te laisse pas de marbre. En plus, elle admet qu'elle a en quelque sorte besoin de toi pour sortir d'ici. Elle est maligne, c'est indéniable.

YULIA – Et la psychopathe sanguinaire, elle a un nom ?

Ton sourire s'ourle d'amusement. C'est donc comme ça qu'elle te voit ? Le portrait n'est pas très flatteur. Tu n'as rien d'une psychopathe, tu es juste une prédatrice pour le gibier trop faible qui pullule dans les ruines de cette ville. Tu ne la reprends néanmoins pas, c'est inutile. Elle est libre de penser ce qu'elle veut de toute façon.

VIOLETTE – Je ne vois pas trop à quoi ça va te servir mais bon. Je m'appelle Violette. Je suis Membre des Dragons du Nord.

Lui donner ton clan n'est pas plus utile mais tu veux qu'elle sache qu'elle n'a pas à faire à n'importe qui. Tu veux aussi voir comment elle s'adaptera face à cette information. Peut-être courbera-t-elle l'échine face à la suprématie du Nord ? Tu espères que ce ne sera pas le cas, elle deviendrait alors complètement inintéressante à fréquenter. Et puisque tu es bien forcée de rester avec, autant qu'elle ne soit pas d'un ennui mortel.

Yulia avait l'impression de se trouver face à un fauve à visage humain. Elle sentait bien que la brune était susceptible de lui sauter à la gorge au moindre mot de travers. Pourtant, elle n'avait pas peur. Elle avait rarement peur, c'était une émotion inutile qui ne faisait que paralyser durant les moments de crise. Lorsque l'inconnue sourit, la vipère ne pu s'empêcher de lui trouver un air de chat amusé par la proie qu'il venait de trouver. C'était à la fois perturbant et vexant. Et cela ne faisait que renforcer son impression d'être devant une bête plus dangereuse que le laissait croire son corps et son joli minois. Car bien sûr, elle se payait le luxe de ne pas être moche ce qui la rendait plus dangereuse encore.

Quand elle lui révéla son nom, Yulia marqua un léger temps d'étonnement. Elle n'avait pas une tête à s'appeler Violette. Ce nom évoquait bien trop de douceur. Par contre, elle ne s'étonna absolument pas en apprenant qu'elle était des dragons. Elle savait que les femmes de ce clan étaient soit terribles, soit complètement molles et son interlocutrice faisait sans conteste partie de la première catégorie.

— Vipères de l'ouest. souffla-t-elle simplement.

Que Violette fasse partie des dragons ne changeait rien à la vie de Yulia et elle avait décliné son clan juste pour le principe.

Maintenant que les présentations étaient faites et les tensions apaisées, il était peut-être temps de s'activer. Aux dernières nouvelles, elles étaient toujours coincées.

— A part repeindre les lieux avec mon sang, tu as une autre idée constructive pour sortir ?

Son ton était légèrement narquois, mais la question était valable. Yulia n'avait pas encore d'idées précises. Violette étant ici depuis plus longtemps, elle aurait peut-être des éléments nouveaux à apporter en plus.

La fille n'a aucune réaction lorsque tu lui révèles ton clan. Soit elle s'en fiche, soit elle a un sang-froid à toute épreuve et elle cache très bien ses sentiments. Tu penches plutôt vers la première possibilité même si tu envisages le fait qu'elle ait belle et bien un sang-froid à toute épreuve. Cette Yulia est décidément bien plus complexe que tu ne l'imaginais.

YULIA – Vipères de l'ouest.

La façon dont elle parle appuie plus encore ton point de vue. Elle s'en fiche, c'est bien ça. Elle doit faire partie de ces gens qui n'ont aucun avis sur les appartenances, ni de fierté particulière à propos de leur clan. Le fait de savoir qu'elle est une Vipère ne t'intéresse pas plus que ça. Sur le podium, les Vipères sont les premières selon ton point de vue. Après il y a les Aigles, puis les Jaguars. Les Dragons ne font pas parties de ce podium, ils dominent purement et simplement le classement. Ils sont très loin aux dessus des trois autres.

YULIA – A part repeindre les lieux avec mon sang, tu as une autre idée constructive pour sortir ?

Sa répartie narquoise t'arrache à tes pensées. Comment as-tu pu penser qu'elle n'avait pas de caractère ? Tu souris une nouvelle fois. En fait, cette fille t'amuse. C'est étrange mais l'envie de lui parler est plus forte que celle de la mettre en pièces. C'est assez inédit pour toi, surtout avec une étrangère.

VIOLETTE – Pas vraiment. Avant que tu ne laisses stupidement cette porte se refermer, j'étais en train de faire le tour en espérant trouver une autre sortie.

D'ailleurs, il est grand temps que tu t'y remettes. Sans un mot de plus, tu pivotes sur tes talons et tu te diriges vers le couloir que tu empruntais juste avant son arrivée. Tu te fiches bien de savoir si elle va te suivre et le fait de lui exposer ton dos ne te gêne pas plus que ça. Elle n'est pas une menace. Elle ne l'a jamais été.

Malgré toutes les bonnes résolutions prisent pas Yulia, l'amusement qui émanait de Violette lui donnait vraiment envie de ne pas les tenir. Violette était peut-être dangereuse et forte, mais elle faisait une grossière erreur si elle pensait que la vipère n'était qu'un agneau sans défense. Elle ne l'avait jamais exprimé, pourtant Yulia ne pouvait s'empêcher de décoder comme ça son comportement et le dédain dans ses paroles. Une nouvelle pique vient s'ajouter à la liste et la vipère retient difficilement un sifflement courroucé. Elle ne pouvait pas savoir que cette porte avait un problème et jusqu'à preuve du contraire, la dragonne l'avait aussi laissé se refermer. Elles pouvaient donc passer à autre chose car elles étaient pour l'heure à égalité.

Visiblement peu encline à travailler en équipe, Violette fit demi-tour et partit dans la direction opposée à la porte. Le tout en se comportant comme si Yulia n'était pas une membre formée au combat et parfaitement capable de lui infliger des dégâts. C'était à croire qu'elle la provoquait en lui tournant le dos en prenant si peu de précautions. Ce geste mit fin à la patience de la vipère qui dégaina son couteau et le lança vers la brune. La lame la frôla néanmoins à peine et se planta dans le bois tendre d'une poutre juste devant Violette. Satisfaite, Yulia se redressa et cala une main sur sa hanche en adressant à la dragonne un sourire glacé.

— La prochaine fois que tu feras l'erreur de me sous-estimer, ce sera toi ma cible.

S'il y avait bien une chose qui pouvait faire perdre son calme à Yulia, c'était qu'on la considère comme plus faible qu'elle ne l'était. Elle venait peut-être de débuter un combat, mais elle ne regretterait aucunement son geste. Violette l'avait cherchée et maintenant elle l'avait trouvée.

A force de sous-estimer ton adversaire, tu finis pas t'attirer des problèmes. A moins que ce ne soit sa stupidité que tu sous-estimes. Au vu de la situation, il te semble clair que combattre n'est pas dans l'intérêt de la fille mais elle ne paraît pas de cet avis. Tu as à peine fait deux mètres lorsqu'un sifflement résonne à tes oreilles. Avant que tu ne comprennes la situation, tu vois la lame que la vipère avait pointé sur toi plus tôt encastrée dans une poutre. L'arme t'a à peine effleurée, preuve que Yulia dispose d'une grande précision. Tu marques un temps d'arrêt en fixant le poignard. Tu as encore du mal à croire qu'elle ait osée te menacer. Le regard brûlant, tu te tournes pour lui faire face. La main sur la hanche dans une pose de petite fille fière de son coup, elle t'adresse l'ombre d'un sourire dénué de chaleur.

YULIA – La prochaine fois que tu feras l'erreur de me sous-estimer, ce sera toi ma cible.
VIOLETTE – Tu ne tiens vraiment pas à la vie...

Ta voix est froide contrairement à tes yeux qui flamboient encore. Si tu ne te trompes pas, elle est désormais désarmée et absolument pas en mesure de reprendre son couteau. Tu souris, narquoise, en dégainant ta dague. Ton bras toujours en écharpe, tu l'as fait tourbillonner entre les doigts de ton autre main avec une dextérité experte. Tu veux lui montrer que tu as désormais un avantage certain sur elle. C'était déjà le cas avant mais elle vient de s'enfoncer plus encore.

VIOLETTE – Je crois que c'est plutôt toi qui me sous-estime. C'est toujours le soucis avec les vers de terre : ils ne savent pas rester à leur place.

Tu t'approches lentement, à pas de loup. Tu savoures l'impression de puissance que tu ressens. Et si tu lui faisais mal ? Juste un tout petit peu pour marquer le coup ? Soudain, tu fais preuve d'une plus grande vivacité pour t'approcher d'elle et tu lui colles ta lame sous la gorge.

VIOLETTE – Tu m'as menacée deux fois mais sache qu'il n'y aura pas de troisième fois.

Tu presses un peu le tranchant contre sa peau, juste de quoi laisser une fine coupure qui laisse échapper une goutte de sang. Tu ne sais pas pourquoi tu te limites à ça alors que tu pourrais simplement t'en débarrasser après t'en être servie comme mannequin d'entraînement à la torture. Le truc, c'est que tu ne veux pas la tuer. Étrangement, l'idée te dérange.

Yulia était rarement hautaine. Elle connaissait ses capacités et cherchait toujours à les repousser. Elle ne cherchait donc pas à les mettre en avant de la sorte en temps normal sauf quand on en doutait trop ouvertement. C'était ce que cette Violette avait fait. Elle avait pressé l'un des seuls points sensibles de sa carapace de glace et en subissait les conséquences. Lorsque la dragonne se retourna, Yulia pensa durant une seconde que ce serait peut-être elle qui subirait les conséquences, mais elle se reprit avant de flancher devant Violette. Elle était tout à fait capable de la gérer. Elle essayait de s'en convaincre du moins. Si elle n'avait pas été aussi maîtresse d'elle-même, elle n'aurait sûrement pas pu retenir le frémissement qui tenta de passer le long de sa colonne vertébrale. La voix de Violette contrastait beaucoup trop avec ce qu'elle pouvait lire dans son regard. Elle aurait pu avoir peur, mais ce ne fut pas vraiment le cas. Violette se jouait encore d'elle. Elle faisait aussi preuve d'une grande dextérité avec sa dague. En voyant l'arme, la vipère pensa à son couteau planté dans la poutre. Il était bien trop loin pour qu'elle la récupère avant d'avoir subit des dégâts. Elle était désarmée. Cette information lui arracha un sifflement courroucé. Elle s'en voulait. Faire ce genre d'erreurs n'était pas dans ses habitudes.

Lorsque Violette s'exprima encore, Yulia ne put pas vraiment lui donner tort. A cause de quelques secondes de colère, elle avait sous-estimé son adversaire qui profitait ouvertement désormais de sa position de force. A la recherche d'une stratégie, la vipère ne bougea pas d'un pouce et laissa l'autre fille s'approcher. Bien sûr, la provocation de Violette avait bien faillit faire mouche, mais elle n'était pas vraiment en bonne passe pour relever une insulte à l'égard de son clan.

Soudain, Violette fut sur elle. Elle était bien plus leste que Yulia l'avait cru et elle s'était imposée d'une façon très dérangeante dans son espace vital. La vipère était acculée contre la porte et bloquée par la lame qu'elle sentait sous sa gorge. Face à l'avertissement franc de Violette, Yulia resta silencieuse. Déjà deux fois ? Alors qu'elle se repassait la scène dans sa tête, la vipère se rendit compte que depuis le début, elle avait été celle qui avait instigué cette montée de violence. Violette avait été virulente, mais uniquement en paroles. Yulia n'eut pas le temps d'aller plus loin dans sa réflexion, le couteau lui arrachant une légère grimace en traçant une marque dans sa peau.

— Je suis désolée, ok ?

La vipère ne savait pas exactement pourquoi elle s'excusait. Ce n'était pas par peur. Malgré l'arme, elle ne comptait pas se laisser démonter par les menaces de la brune. Elle était plus ou moins consciente qu'elle avait été trop loin dans une situation qui nécessitait de s'entraider. Elle ne savait pas vraiment si elle avait tort ou raison, dans le doute elle préférait donc faire le premier pas vers une possible réconciliation.

— Mais tu n'es pas vraiment un modèle de sympathie non plus. Si tu étais moins... Comment dire... Agressive ? Grande gueule ? Narcissique ? Je ne sais pas comment te définir. Elle marqua une pause, en pleine réflexion avant de reprendre après un haussement des yeux vers le ciel. Disons, si tu étais moins toi. Notre situation n'est pas très confortable et je doute que passer du temps en ma compagnie t'intéresse réellement, alors on pourrait peut-être arrêter de se prendre la tête pour un rien ? Sortir d'ici c'est quand même le plus important. On pourra toujours s’entre-tuer après si tu veux.

Le couteau toujours sous la gorge, Yulia esquissa un petit sourire. Il n'y avait pas de provocation cette fois. Elle avait juste été sincère et sa dernière proposition était plutôt amusée.

Yulia, tu ne la dépasses pas de beaucoup mais ça te suffit. Elle s'est pressée toute seule contre la porte, tu n'as même pas besoin de la pousser. La seule pression vient de ta lame sur sa gorge. Le reste de ton corps ne fait que l'effleurer au fil de vos gestes respectifs. Les siens sont assez limités. Si elle bouge trop, elle risque d'aggraver sa blessure. Elle peut même se trancher la gorge toute seule si elle se démène vraiment trop. Une mort aussi stupide te déplairait fortement. Tu ne la lui souhaites vraiment pas, tu espères donc qu'elle évitera de faire quelque chose d'idiot. Et elle ne te déçoit pas. Elle fait même preuve de beaucoup d'intelligence tout d'un coup.

YULIA – Je suis désolée, ok ?

Elle n'avait pas l'air désolé du tout quand elle a lancé sa lame. C'est à croire qu'elle vient de se remettre en question, une chose que tu as bien du mal à faire. Tu sais pas quoi lui répondre alors tu restes silencieuse en attendant la suite.

YULIA – Mais tu n'es pas vraiment un modèle de sympathie non plus. Si tu étais moins... Comment dire... Agressive ? Grande gueule ? Narcissique ? Je ne sais pas comment te définir.

Pas vraiment vexée, tu cherches toi aussi un terme pour te définir sans réel succès. Tu abandonnes aussi vite qu'elle. En fait, elle t'intrigue de plus en plus.

YULIA – Disons, si tu étais moins toi. Notre situation n'est pas très confortable et je doute que passer du temps en ma compagnie t'intéresse réellement, alors on pourrait peut-être arrêter de se prendre la tête pour un rien ? Sortir d'ici c'est quand même le plus important. On pourra toujours s’entre-tuer après si tu veux.

Elle n'a pas tort. En plus, tu aimes son trait d'humour final qui t'arrache un sourire amusé. Contrairement à ce qu'elle dit, tu es bien plus intéressée par sa compagnie que tu veux bien l'avouer. Tu as soudain l'impression que cette hostilité entre vous n'est qu'une sorte de jeu. La preuve la plus évidente est qu'elle est encore en vie alors que tu aurais en temps normal éliminé toute personne s'adressant à toi de la sorte. Malgré les provocations de Yulia, tu n'as pas envie de lui faire du mal. Et tu ne peux t'empêcher de lui donner raison pour certains points. Mais quand même la lâcher aussi facilement te ferait mal. A la place, tu l'observes en laissant planer le silence. D'abord son visage, puis la ligne de son cou durement barrée par ta dague. Un peu au dessus de son col, tu remarques l'ombre d'un collier. Curieuse, tu éloignes ton arme et tu glisses ton doigt sous le lien pour le soulever et ainsi voir le pendentif. Toute trace de sympathie quitte alors tes traits et tu tires durement pour lui arracher le bijou. Aussitôt, tu recules et tu le laisses pendre à la lumière.

VIOLETTE – Pourquoi est-ce qu'une Vipère porterait une trace d'appartenance aux Jaguars ? Te fout pas de ma gueule, qui es-tu vraiment ?!

Depuis la mort de Chad, tu détestes ces maudits Jaguars. Tu ne supportes donc pas l'idée qu'elle ait pu te mentir en prétendant être une Vipère alors qu'elle a une tête de félin autour du cou.

Violette ne réagissait pas beaucoup. Face aux excuses de Yulia, elle n'avait rien dit et s'était contentée de la regarder. Mais elle semblait plus calme. Plus réceptive aussi. La vipère s'étonna de la voir sourire aussi facilement. Elle avait presque du mal à croire que tout ceci était bien réel. Devant son silence, Yulia préféra pourtant ne pas tirer de conclusions hâtives. La lame était toujours sous sa gorge et tant que cela ne changerait pas, la menace serait encore bien trop présente pour qu'elle baisse un peu son niveau de vigilance. Comme si elle lisait dans ses pensées, la dragonne éloigna son arme et la laissa un peu respirer. Pourtant, Yulia n'avait pas la sensation d'avoir retrouvé son souffle. Quelque chose lui obstruait encore la gorge alors qu'elle peinait à ignorer le regard appuyé de Violette. Ce regard bien plus troublant qu'il n'aurait dut l'être. En sentant le contact de ses doigts à la base de son cou, elle frémit avant de se tendre en comprenant que la brune venait de se saisir de son collier. Elle ne le cachait pas, mais cela ne signifiait pas qu'elle appréciait qu'on y touche.

Il y eut un changement frappant chez Violette qui lui arracha son pendentif pour reculer en l'emportant avec elle. Yulia ne s'intéressa même pas à la façon dont elle lui avait cisaillée la nuque avec le lien. Tout ce qui comptait pour elle était de récupérer son bien. Elle s'élança à sa suite pour tenter de l'attraper. La fureur de Violette l'arrêta pourtant avant qu'elle ne termine son geste. Un peu perturbée par cette agression, Yulia marqua un temps d'arrêt.

— T'as vraiment un problème. Je suis une vipère, point !

Même si Yulia n'avait rien contre son ancien clan, elle était fière de sa nouvelle appartenance. Elle n'aimait pas beaucoup d'être ainsi considérée comme une menteuse. Qu'aurait-elle eu à gagner en racontant n'importe quoi à cette fille qu'elle ne reverrait sûrement jamais ? Oubliant les allégations de la brune, elle tendit vivement la main pour se saisir du collier.

— Rend moi ça !

Peut-être réagis-tu trop brutalement. Ton comportement avec Yulia n'a rien de normal. Tu exploses pour un rien, tu doutes. Le problème n'est pourtant pas cette fille, ni la situation mais bien la période que tu traverses. Le deuil ne se fait pas en un claquement de doigts et ce n'est pas parce que tu as décidé dans la nuit de te reprendre que tout a changé au petit matin. Avancer nécessitera du temps et un travail sur toi-même. Yulia n'est en somme qu'un dérivateur pour cet espèce de mélange de colère et de tristesse qui ne demande qu'à sortir. Cette dernière ne semble pas comprendre ce qui te prends et c'est bien normal. Même toi tu perds le fil de tes émotions qui jaillissent sous tes élans de mauvaise humeur.

YULIA – T'as vraiment un problème. Je suis une vipère, point !

Tout ce qu'elle peut dire n'a aucune importance. Tu t'es convaincue qu'elle était une Jaguar et ça te suffit à la voir comme une ennemie dangereuse et envoûtante que tu ne peux te résoudre à démolir. Lorsqu'elle essaye de t'approcher, tu recules prestement et tu fends l'air de ta lame sans pour autant la toucher.

YULIA – Rend moi ça !
VIOLETTE – Vas-y crache le morceau. Pourquoi tu portes un putain de pendentif en forme de jaguar si tu es une Vipère ?!

Tu n'en démords pas. Il ne te viendrait pas à l'idée d'arborer une serpent si tu étais une Aigle. Il y a des mélanges qui te semblent impossibles. C'est le cas des Jaguars et des Dragons qui doivent à tes yeux conserver leur distance. Surtout depuis la rébellion et ce qu'ils ont fait à Chad.

La porte s'ouvre tout d'un coup et t'arrache à tes pensées. Sortir, tu n'y pensais plus et voilà que comme par magie quelqu'un vient vous délivrer. Un homme vous fixe avec surprise, visiblement étonné de trouver des gens ici. C'est sûrement vos éclats de voix qui l'ont attiré. Sans y réfléchir, tu bouscules Yulia et tu pars. Au fond, tu te fiches de savoir la vérité, tu veux juste ne plus côtoyer cette fieffée féline. Tu fuis en quelque sorte, c'est plus facile que d'imaginer qu'il puisse y avoir une seule once de vérité dans les émotions positives qui t'ont traversées depuis que tu as croisé son regard.

Violette avait un sérieux problème aux yeux de Yulia. Si elle avait eu du respect pour elle à cause de cette aura de dangerosité qu'elle dégageait et de sa force, elle ne savait plus trop quoi penser désormais. Yulia avait toujours eu du mal avec les personnalités trop coléreuses. Elle avait pour habitude de garder le contrôle d'elle-même et avait la fâcheuse manie d'attendre le même effort de la part des autres. Elle vit donc Violette d'un œil nouveau ce qui rendit la dragonne soudainement beaucoup moins intéressante. En cet instant, la seule chose qui avait de l'intérêt pour elle était de récupérer son collier. Elle fit une tentative, mais Violette recula rapidement et lui intima de reculer d'un coup de lame. Même si l'arme était passée loin d'elle, Yulia avait fait un bond en arrière pour l'éviter. L'hostilité de Violette était palpable et elle regrettait de ne pas avoir son couteau qu'elle voyait briller sous un rayon de soleil au fond du couloir.

— C'est pas tes oignons. Je peux encore faire ce que je veux !

Cette histoire commençait sérieusement à taper sur le système de Yulia. Elle envisageait de plus en plus sérieusement de la planter là pour aller reprendre son couteau. De toute façon, ce n'était pas comme si Violette pouvait s'échapper. Au moment même où elle eut cette pensée, la porte derrière elle s'ouvrit. Par réflexe, la vipère pivota pour regarder qui venait d'arriver et tomba nez à nez avec un homme. Cette infime instant de déconcentration suffit à Violette pour déguerpir. Elle la bouscula même au passage. Après une réflexion d'une seconde, Yulia alla rapidement chercher son arme puis se lança à la poursuite de la dragonne.

En arrivant dehors, la vipère ne la trouva néanmoins nulle part. La dragonne s'était comme volatilisée.