Life goes on
année 40 - première saison tempérée

Il est facile de résumer la situation : tu n'as pas eu de bol. La chance peut manquer à tout le monde est cette fois-ci, c'était à ton tour de ne pas être bénie par elle. A cause de ça, c'est tout ton monde qui change. Aujourd'hui tu as appris quelque chose que tu savais déjà mais qui fait mal quand même. Il fallait s'y attendre. C'est la décision la plus logique à prendre et si le choix avait été entre tes mains tu l'aurais prise plus vite encore. Tu n'aurais eu aucun scrupule à prendre cette décision. Sauf que dans un cas où tu avais eu le choix, tu n'aurais pas été au cœur de la décision. Ici c'est toi que ça concerne et tu encaisses un peu plus difficilement le pragmatisme. Assisse derrière la zone de stockage où l'on s'affaire encore malgré l'heure tardive, tu ressasses. Ça ne te ressemble pas beaucoup mais tu supposes que tu en as besoin aujourd'hui. Ou ce dont tu as besoin c'est d'un bon coup de pied aux fesses. A cette allure tu en recevras probablement vite un mais tu penses avoir encore un peu de marge. Tes yeux semblent dans le vague mais en fait ils fixent ton pied. Avec ta bottine, on ne voit pas le bandage que tu portes encore pour le soutien. Quand tu es assisse personne ne sait. Mais quand tu es debout, quand tu marches c'est différent. Tu boites encore. Vu l'accident on peut dire que tu t'es bien remise et après tout tu devrais être contente d'avoir encore ta jambe mais ce foutu boitement te frustre. Tu n'arrives pas à t'y faire et tu enrages quand quelqu'un te dit que tu garderas cette faiblesse pour toujours. Il n'y a qu'une seule personne qui pense qu'un jour elle ne se verra plus car elle croit en toi. Laz est persuadé que tu as suffisamment de caractère pour surmonter tout ça. Tu n'es pas si sûre de ton côté. Parfois tu parviens à y croire mais dans les moments comme celui-ci c'est plus compliqué.

Il y a des bruits de pas derrière toi. Ça pourrait être n'importe qui mais tu te doutes de qui il s'agit. On marche directement vers toi, sans hésitations. Il n'y a pas grand monde qui sait que tu viens traîner ici quand tu as le blues. Quatre personnes en fait. Ce n'est pas Rose, tu en es certaine. Ce n'est pas un pas d'homme donc ça ne peut pas être Laz. Reste donc deux personnes. Tu paries sur Yulia en relevant les yeux et tu as bien raison. C'est logique aussi. « Je suppose que tu es au courant. » Elle était ta partenaire sur le terrain. Elle était là quand c'est arrivé. Il est donc normal qu'on lui annonce à elle aussi la nouvelle vu que ça signifie que vous ne referez plus jamais équipe. Tu hausses les épaules en feignant de ne pas être si touchée que ça. « Fallait s'y attendre, on va pas laisser une éclopée battre la poussière. »

Une convocation au quartier général juste après son retour de patrouille était une source d'inquiétude légitime. Pourtant, elle ne s'était pas réellement fait de mauvais sang quand elle s'était dirigée vers le bureau de la secrétaire. Yulia se doutait que le jour fatidique était finalement venu. Elle avait attendu ce moment avec tristesse depuis quelque temps déjà. Cela avait été logique et prévisible dès le moment où le constat médical était tombé. Quand Marie lui annonça qu'elle serait à partir du lendemain officiellement assistée d'une nouvelle partenaire, elle ne broncha donc pas. Elle accepta comme elle l'avait toujours fait, pas heureuse, mais docile. Elle savait très bien que c'était la meilleure solution et que seul son attachement à Théa rendait la chose compliquée. S'il n'y avait pas eu ça et l'impact que la nouvelle aurait sur l'autre vipère, elle aurait encore moins sourcillé. Seulement, Théa était son amie et elle était à la fois triste et inquiète à son sujet. Oui, elle finirait pas retomber sur ses pattes comme elle le faisait toujours, mais sa vie sait totalement différente désormais. En plus de supporter une blessure qui la marquerait probablement pour le restant de ses jours, il lui faudrait aussi changer son mode de vie. Fini la vie dans les rues de la ville, une autre tâche s'ouvrirait à elle. Une autre vie donc.

Quand elle en eut terminé avec les protocoles, Yulia décida d'aller directement trouver Théa. Si elle avait besoin de quelqu'un c'était bien maintenant. Elle ne la trouva pourtant pas chez elle. Elle aurait bien sûr pu être n'importe où dans les faits, mais la patrouilleuse se doutait de l'endroit où elle pourrait la trouver. Ce n'était pas non plus comme si elle pouvait aller particulièrement loin avec sa blessure. Après un petit détour à la maison pour se changer et attraper quelques affaires, elle partit donc vers la zone de stockage. Là-bas, on s'affairait encore, mais on sentait bien l'effet fin de journée qui ralentissait tout. Yulia se glissa à l'arrière du bâtiment et c'est là qu'elle découvrit finalement Théa. Tranquillement, elle alla se poster à ses côtés en se demandant si sa présence serait tolérée. Bien qu'elle regardait devant elle, elle sentit les yeux de Théa sur elle et ressentit l’amertume dans sa voix.

— Ouais, on vient de me l'apprendre.

Autant aller droit au but. Théa n'était de toute façon pas le genre de personne qu'on pouvait prendre en pitié ou avec qui il était utile de tenter de tergiverser. La vérité froide et l'honnêteté, c'était tout ce qu'elle demandait et, ça tombait bien, c'était avec ça que Yulia était la plus à l'aise aussi. Elle fut donc plutôt surprise quand elle entendit la suite. Sans hésiter, elle poussa rudement l'épaule de Théa du pied.

— Fais pas ta victime. grommela-t-elle. Tu n'es pas juste une éclopée, tu vaux mieux que ça. Tu as survécu et tu tiens debout, si ça c'est pas un signe.

Et pourtant ça n'avait pas été gagné d'avance. Mais Théa l'avait fait avec la force de sa volonté. Elle avait ça pour elle et c'était aussi une des raisons pour lesquelles Yulia la respectait. Elle s'assit finalement à ses côtés et sortit de son sac ce pourquoi elle était rentrée. Une bouteille d'alcool qu'elle tendit à Théa sans autre forme de cérémonie.

— Je me suis dit qu'un petit remontant ne nous ferait pas de mal. C'est notre dernière journée en tant que partenaire après tout. Du coup, c'est du spécial. De la vodka, je crois. C'est une jaguar qui fabrique ça.

Life goes on
Année 40 - saison tempérée 1

« Ouais, on vient de me l'apprendre. » Ça n'a pas traîné. L'efficacité Vipère dans toute sa splendeur. Tu te demandes un peu ce qu'on lui a dit. Et puis aussi qui sera cette fille qui va te remplacer. A l'idée, tu ressens un petit pincement de jalousie. Pas pour ce duo qui se créé mais à l'égard de cette nana qui va faire ce que tu aimais tant et qui t'est désormais interdit. Tout ça te replonge un peu dans tes pensées amères. Ça te pousse à dire des conneries. Légitimes vu la situation mais des conneries quand même. La réaction de Yulia ne se fait pas attendre. Elle te bourre du pied et toi tu t'écroules presque sur le côté sous la poussée. Un grognement t'échappe. Pourtant, tu ne devrais pas être étonnée. Yulia n'est pas une personne facile. Elle est gentille, responsable, prête à se décarcasser pour les autres mais elle n'est pas de celles qui tolèrent l’apitoiement. Pas le tien en tout cas. Tu sais bien qu'elle ne te laissera pas abandonner sous prétexte de cette blessure. C'est quelque chose que tu aimes chez elle. Avec ou sans ton pied amoché, elle te traitera toujours de la même façon. « Fais pas ta victime. Tu n'es pas juste une éclopée, tu vaux mieux que ça. Tu as survécu et tu tiens debout, si ça c'est pas un signe. » La confiance qui irradie de ses paroles te réchauffe un peu. C'est différent quand ça vient d'elle. Elle ne te dit pas ça pour éviter que tu lâches prise ou comme un mensonge qui doit agir comme un baume sur ta peur de ne plus rien être. Elle le dit parce qu'elle le pense. Parce qu'elle sait mieux que les autres. Parce qu'elle était là avant, pendant et après. Tu ne dis rien, pas trop versée dans le sentimentalisme. Tu la laisses juste s'asseoir pendant que tu fais mine de te gratter la joue, juste une occasion pour essuyer cette larme qui est tombée. Quand tu l'entends qui farfouille dans son sac, tu te tournes et tu tombes nez à nez avec une bouteille. De l'alcool ? Elle veut vraiment que tu te bourres la gueule ? « Je me suis dit qu'un petit remontant ne nous ferait pas de mal. C'est notre dernière journée en tant que partenaire après tout. Du coup, c'est du spécial. De la vodka, je crois. C'est une jaguar qui fabrique ça. » Dernière journée. « Merde, tu fais chier avec ta séquence émotion. » Tu attrapes la bouteille sans dire un mot de plus, tu dévisses vite fait le goulot avant de prendre une longue goulée. Que tu recraches directement sur tes cuisses. Un feu liquide vient littéralement de prendre possession de ta bouche et de ta gorge. « La vache ! C'est quoi c'truc ?! T'es sûre que tu t'es pas faite pigeonner ? » Tu lui rend la bouteille avec un air passablement dégoûté pour qu'elle goûte par elle-même. Tu ne vas pas souffrir d'une brûlure interne en solitaire par cette fin de soirée. Pendant ce temps, tu balayes distraitement ton pantalon mais l'alcool s'est déjà infiltré dans le tissu. Pas que ce détail soit vraiment important. C'est juste une façon de te préparer à poser la question qui te brûle les lèvres. « Ce sera qui ? »