It's a new life for me — PV Noâ
Se réveiller est un processus étrange qui ne plait pas Taiga. Malgré la dangerosité de cette activité, elle aimait se glisser longuement dans les bras de Morphée. Cela ne lui était que trop rarement permis, le moindre bruit suspect suffisant à la sortir du sommeil. L'instinct pouvait parfois être une plaie même s'il l'avait déjà sauvé un nombre incalculable de fois. Cette fois-ci, elle vécu pourtant son réveil avec un étonnant soulagement. Et peut-être un peu de stress aussi. Car aujourd'hui, tout semblait différent autour d'elle. Déjà elle était allongée sur quelque chose de mou. Elle s'était depuis toujours habituée à la dureté du sol et un tel changement était déroutant. Elle ne sentait pas non plus l'odeur de la terre et des feuilles. Il n'y avait qu'une odeur de poussières un peu agressive pour son nez. Elle ne sentait pas non plus la chaleur du soleil sur sa peau. Après une hésitation, elle ouvrit les yeux et constata qu'il y avait des murs autour d'elle. Un plafond occultait aussi le ciel. Elle était enfermée. Cette information s'imprima en lettres rouges dans son esprit et elle se leva précipitamment, s’emmêlant un peu dans la couverture qui la couvrait. Elle jeta des regards paniqués autour d'elle. Tout lui était inconnu ici. Laborieusement, elle fit quelques pas, cherchant une sortie potentielle. Il y avait une porte au bout de la pièce. Elle se précipita vers celle-ci et secoua la poignée de la porte. Ça ne voulait pas s'ouvrir. Pourquoi ça ne voulait pas s'ouvrir ?

— Ouvrir. Que quelqu'un ouvre !

Son stress se faisait de plus en plus ressentir. Elle continua à s'acharner sur la porte. Les larmes avaient commencées à couler sur ses joues sales, mais elle ne s'en rendait même pas compte. Taiga ne savait pas comment elle était arrivée ici. En fait, elle ne voulait pas savoir, elle voulait juste sortir.

La nuit était déjà noire depuis bien longtemps lorsque quelques coups furent prestement toqués à la porte de la chambre de Noâ. Sortant de son demi-sommeil, la jeune femme se redressa mécaniquement pour regarder dans cette direction et dû cligner plusieurs fois des paupières pour assurer sa vision. Que se passait-il encore ? Les Membres de garde savaient très bien qu'ils pouvaient venir la trouver à tout moment en cas de problèmes - même légers -, mais cela n'annonçait souvent rien de bon. Poussant un bref soupir fatigué, elle se força à sortir de son lit pour éviter de se rendormir et attrapa un pull qu'elle enfila rapidement par-dessus son débardeur pour couper le froid tout relatif qui régnait dans la pièce. Elle avait toujours été un peu frileuse au sortir du lit. S'efforçant de ne pas avoir l'air trop renfrognée, elle entrebâilla la porte et jeta un regard prudent au jeune homme qui se tenait devant.

- Harvey ? Que se passe-t-il ?
- C'est la fille. La Libre qui a été ramenée hier. Elle pète littéralement les plombs, personne ne sait comment réagir.

La veille, un Jaguar avait ramassé une jeune fille inconsciente à proximité des frontières. Vu qu'elle ne portait pas de marque, il l'avait ramené au QG et après réflexion la Chef avait décidée de la garder dans une cellule en attendant de savoir précisément ce qu'il en était. Après tout, au vu de son âge supposé, elle aurait pu faire une bonne Soumise, voir une Membre et elle préférait toujours laisser leur chance aux gens. De plus, son histoire personnelle ne lui donnait aucune envie de rejeter cette gamine de l'autre côté de la frontière. Si Virgo ne l'avait pas récupérée chez les Dragons, elle serait morte à l'heure actuelle, alors elle trouvait presque normal de reproduire un tel choix.

- Garrett s'énervait à force de l'entendre crier, mais je lui ai dit d'attendre. Cette fille, elle ne parait pas hostile, elle a juste l'air d'avoir peur.
- Garrett n'est pas vraiment le plus sensible d'entre nous. Tu as bien fait de toute façon.

Quelque chose lui disait que cette fille n'allait pas être facile à gérer. Comme la majeure partie des jeunes qu'elle avait dans ses rangs, cela ne la changeait pas vraiment dans les faits. A croire qu'elle attirait les phénomènes. Étouffant un bâillement, elle suivit Harvey jusqu'au sous-sol. Si elle n'avait rien entendu dans un premier temps, en ouvrant la trappe menant aux caves, elle perçut nettement les cris de l'inconnue. Et le Membre avait raison, ce n'était pas de la colère qu'il y avait dans sa voix, mais bien de la panique. D'une certaine façon, il y avait de quoi vu qu'elle s'était réveillée dans un lieu inconnu, mais quand même c'était une sacrée crise. Un peu inquiète, elle pressa le pas et chassa d'un geste de la main Garrett qui grommelait à proximité de la cellule.

- Pas d'armes. Si jamais elle tente de s'échapper, on l'immobilise, mais il est hors de question de la blesser.

Si Harvey réagit directement en se débarrassant de son pistolet, Garrett se montra plus hésitant. D'un regard noir, Noâ le remit en place avant de déverrouiller la porte. Tout en entrant prudemment, elle gardait les main tendues devant elle en signe de paix pour éviter que la Libre ne se fasse de fausses idées. Elle commençait à avoir de l'expérience en la matière et elle espérait bien que cela éviterait à cette ado paniquée de se faire plaquer au sol inutilement.

- Tout doux. Regarde la porte est ouverte maintenant et je ne te veux aucun mal.

La porte ne s'ouvrait pas. Malgré ses efforts, elle ne bougeait pas d'un millimètre. Elle avait beau secouer cette maudite poignée, frapper le bois de ses poings jusqu'à les meurtrir, personne ne lui venait en aide. La peur était vite devenue panique et elle hurlait désormais pour qu'on la libère. Les larmes coulaient à n'en plus finir sur ses joues, mouillant son col, et lui faisant brûler les yeux. Tout autour d'elle lui semblait hostile. Bien plus hostile que la nature sauvage dans laquelle elle avait évolué toute sa vie. Entre ses cris, elle pouvait entendre des voix. Il y avait bien des gens ici mais ils restaient insensibles. L'un d'eux lui disait même parfois de se taire et paraissait agacé. Elle ne comprenait pas. Y avait-il seulement quelque chose à comprendre ? Ici, elle était en enfer. Son enfer personnel.

Et puis, un miracle se produisit. La porte fit des bruits bizarres qui la poussèrent à se reculer pour rejoindre le fond de la cellule. Si on l'attaquait, au moins elle aurait le temps de réagir si elle prenait de la distance. Elle n'était pourtant pas vraiment en état de répliquer. Elle avait faim, soif et se sentait faible, un trio mortel lorsqu'il s'agissait de survivre.

Une femme entra finalement. Elle avait de longs cheveux blonds et l'air fatigué. Alors qu'elle avançait, elle maintenait ses mains devant elle, bien en vue comme on l'aurait fait avec un animal apeuré. Taiga ne s'était pas attendue à ça. En entendant les bruits de la porte et en la voyant s'ouvrir, elle avait directement pensé que c'était l'homme à la voix rêche qui venait pour lui faire du mal. La femme, elle, était différente. Elle avait une douceur particulière dans le regard et elle semblait réellement se soucier d'elle. Même sa voix était comme un fruit sucré. Toujours méfiante, Taiga la fixa sans comprendre. Les larmes roulaient toujours sur ses joues, mais elle se taisait désormais. Elle savait que les fruits sucrés pouvaient eux aussi cacher des dangers alors elle préférait être prudente.

— Faut pas fermer.

Le fait de voir qu'elle avait la possibilité de sortir l'aidait un petit peu même si elle était encore coincée entre quatre murs. Cette ouverture était une sorte de compromis qu'elle parvenait plus ou moins à comprendre.

— Où ?

Taiga avait appris à parler, mais elle n'avait pas pratiqué avec d'autres êtres humains depuis si longtemps qu'il allait lui falloir du temps pour se réhabituer à former des phrases plus complètes. Pour le moment, elle n'en voyait pas l'intérêt et elle était bien trop stressée pour réellement réfléchir à ce genre de détails alors qu'un seul mot ou une phrase simple suffisait à se faire comprendre.

L'inconnue était dans un bien piètre état. Elle était sale, avait les cheveux hirsutes et semblait avoir cruellement manqué de nourriture ces derniers temps. En plus, sa crise de panique et ses larmes n'avaient pas améliorés les choses. Noâ sentit son cœur se serrer en la voyant aussi désemparée. D'une façon ou d'une autre, elle comptait bien l'aider. Toujours particulièrement attentive à la porte, la brune lui demanda de ne pas la fermer. C'était une chose que la blonde pouvait parfaitement comprendre, elle s'écarta d'ailleurs un peu de son champ de vision pour lui permettre de voir clairement l'ouverture et lui laisser l'impression qu'elle pourrait sortir si elle le souhaitait.

- D'accord, je ne la fermerais pas. Mais en échange, je compte sur toi pour ne pas la passer ou les hommes qui sont dehors devront te bloquer le passage.

Elle paraissait plus calme maintenant que cette histoire de porte était réglée. Noâ en profita pour s'approcher encore un peu, puis elle s'arrêta. Ses mains retombèrent le long de son corps et elle prit une posture volontairement décontractée pour lui faire comprendre qu'il n'y avait pas de problème.

- Dans le QG des Jaguars du Sud.

Bien qu'elle n'était pas sûre que cela l'avancerait beaucoup. Au vu de son état et de la façon dont elle s'exprimait, la Chef commençait à se demander si elle ne débarquait pas d'un endroit lointain. Le fait qu'elle sache parler indiquait au moins qu'elle avait déjà croisé d'autres êtres humains, mais c'était une information bien maigre.

- Je m'appelle Noâ. Et toi, tu as un nom ?

Autant commencer par le commencement.

Il était étrange pour Taiga de voir quelqu'un s'adapter à elle de la sorte. Il suffisait qu'elle manifeste quelque chose par le biais de mots et la femme réagissait de façon à la mettre à l'aise. Comme un rapace aux aguets, elle observait chacun de ses mouvements, mais restait parfaitement immobile. La blonde s'arrêta au bout d'un moment, lui laissant un espace vital plutôt conséquent au vu de la taille de la pièce. Taiga n'avait pas réagis par rapport à cette possible sortie, elle ne voulait pas se lancer comme ça dans l'inconnu et ne bougerait donc pas. Pour le moment, il fallait qu'elle en apprenne plus sur cette étrange captivité pour pouvoir réagir de la meilleure façon qui soit.

La femme lui répondit, mais elle ne comprit pas un traître mot de ce qu'elle disait. C'était quoi un QG ? Et un jaguar ? En réalité, il n'y avait que le mot sud qui faisait partie de son vocabulaire. Dans tous les cas, cela ne l'avançait absolument pas et sa mine devient soucieuse.

— C'est quoi QG jaguars du sud ?

Sa question était légitime et elle espérait pouvoir obtenir une explication plus compréhensible. La femme ne bougeait toujours pas, mais elle continuait à parler. Entendre quelqu'un lui parler de la sorte plaisait à Taiga, c'était agréable d'entendre une voix si gentille. La blonde dit qu'elle s’appelait Noâ ce qu'elle trouva joli. Elle lui demanda ensuite son nom. Un nom ? Ah oui, elle se souvenait de ce détail important. On lui avait dit un jour qu'il ne fallait surtout pas oublier son nom car cela nous définissait en tant qu'humain.

— Tai...Taiga.

Taiga n'avait plus prononcé son prénom depuis si longtemps qu'elle avait eu du mal à l'articuler correctement malgré sa simplicité.

Une enfant sauvage... En voyant ses mimiques, la façon dont elle se plaçait, et ses lacunes, Noâ avait eu la certitude qu'elle faisait face à l'un de ses gosses qui avaient miraculeusement survécu sur le continent et évoluaient on ne savait comment en ayant des contacts assez restreints avec d'autres humains. Lorsqu'elle voyageait au côté de la Troupe, elle en avait souvent vu et certains jeunes vivants avec Virgo avaient commencés leur vie de cette façon. Un léger sourire étira ses lèvres lorsqu'elle se rendit compte qu'elle copiait un peu la façon d'agir de l'homme dans un cas pareil et qu'elle avait la fâcheuse tendance comme lui de ramasser tous les chatons perdus qu'elle trouvait sur sa route. Ils avaient beau ne pas avoir la moindre goutte de sang en commun, il était bien son père, cela ne faisait aucun doute.

La question posée par la fille ne l'avait donc aucunement surprise et son sourire s'emplit de plus de douceur encore alors qu'elle fléchissait les jambes de façon à s'accroupir.

- C'est le bâtiment dans lequel tu te trouves. Le QG est la maison de pleins de gens, mais ne t'inquiète pas, ils seront gentils avec toi. Certains sont un peu grognons comme l'homme que tu vois derrière moi, mais ce n'est pas un mauvais bougre.

Noâ fit une courte pause le temps de laisser à l'inconnue le temps d'appréhender ce qu'elle venait de lui dire et surtout de faire correctement les présentations.

- Taiga ? C'est un très joli nom que tu as là. Eh bien, vois-tu, un jaguar c'est un très gros chat, même si nous n'en avons jamais vu dans les environs. Mais puisqu'on respecte cet animal, quelqu'un a décidé que nous serions tous des Jaguars d'une certaine façon. Jaguar, c'est un peu le nom de tous les gens qui habitent cet endroit et s'entraident. Un peu comme une meute de loups ou une famille d'ours. Est-ce que tu comprends ?

En fait, il était drôlement difficile d'expliquer une notion qui était simple et naturelle pour soi-même. Malgré des années à voyager, Noâ était née à Paris et y avait vécu pendant neuf ans, elle avait donc eu toutes les cartes en mains lorsqu'elle était revenue ici.

Tout en restant tapie, elle tourna rapidement la tête vers les hommes qui attendaient toujours dehors pour leur donner ses ordres.

- Garrett, va chercher Charly. Quand à toi, Harvey récupère de la nourriture en cuisine. Un bocal de fruits et de l'eau, rien de préparé pour le moment.

Elle préférait éviter de la confronter à trop de nouveautés en un coup tant qu'elle le pouvait. L'arrivée de Charly risquait déjà de provoquer une éventuelle nouvelle crise de panique alors il était inutile de la perturber en plus avec des aliments aux allures étranges. Depuis le temps qu'elle dormait, elle devait sûrement avoir faim. Qu'elle se remplisse l'estomac et qu'elle s'hydrate était donc le plus important. Consciente que cela durerait un petit moment, la blonde se laissa aller en arrière de façon à s'asseoir et croisa les jambes en tailleur, en attente d'une réaction.

L'attitude de cette Noâ rendait Taiga de plus en plus perplexe. Elle avait déjà croisé des humains lors de sa courte vie, mais jusqu'ici, il n'y en avait eu qu'un seul qui s'était réellement intéressé à elle. Les autres, elle les avait fuit le plus rapidement possible car son instinct lui disait qu'ils étaient dangereux. Le peu de choses qu'elle savait, c'était de ses courtes rencontres avec cet animal dangereux qu'était l'homme qu'elle les avait apprise en plus de quelques malheureux souvenirs qu'elle avait avec sa mère. Au vu de sa vie, ses connaissances étaient encore respectables et pour cause Taiga avait toujours eu cette soif d'apprendre et son esprit s'avérait extrêmement aiguisé lorsqu'il s'agissait de se prêter à ce genre d’exercice.

Lorsque la femme blonde s'accroupit de façon à être à sa hauteur, Taiga manifesta sa surprise d'un regard plein d'étonnement. Elle ne savait pas comment prendre cette action. D'un côté, elle avait déjà vu des animaux signifiés leur soumission en se plaçant à un niveau moins élevé que leur chef, mais c'était parfois aussi une façon de dire qu'ils n'avaient pas peur. Une sorte de preuve de quiétude face à un danger qui pouvait pourtant surgir de nulle part. Elle penchait plus vers la seconde solution, la blonde dégageait une certaine confiance en elle.

Quand Noâ se mit à parler, Taiga jeta un regard derrière elle de façon à apercevoir l'homme en question. Elle avait déjà compris qu'il fallait se méfier de lui. Et elle saisissait plus ou moins ce que la blonde tentait de lui faire passer comme informations. La suite s'avéra d'ailleurs un peu plus simple. Taiga comprenait la notion d'appartenance et l'exemple des loups confirma ses suppositions. Elle n'aimait pas beaucoup les loups, mais elle savait comment ils fonctionnaient. Elle hocha donc rapidement la tête de façon à signifier qu'elle avait compris où son interlocutrice voulait en venir.

La suite s'avéra être encore une fois plutôt déconcertante. Comme Taiga l'avait supposé, la blonde était la chef de ces gens. C'était elle la dominante, d'où son attitude ici et avec les hommes qui s'éclipsèrent sans un mot. Elle était même une dominante plutôt efficace au vu de l'attitude des hommes, cela devait lui venir d'une grande force autant physique que de caractère. Taiga pu ainsi mettre une raison sur la vigilance dont elle faisait encore preuve. La personne qui se trouvait devant elle était dangereuse. Heureusement, elle ne lui voulait pas de mal pour le moment.

La blonde changea encore de position et se retrouva rapidement assise sur le sol. Décidément, elle bougeait beaucoup. Intriguée, Taiga quitta le mur qui assurait ses arrières et s'avança tout doucement. Lorsqu'elle fut suffisamment proche, elle tendit la main et toucha sa joue. Le contact ne dura qu'une fraction de secondes, elle recula très vite la main ensuite. Elle n'avait plus touché un humain depuis longtemps et sa curiosité l'avait emportée. Ils dégageaient toujours autant de chaleur. Elle fit quelques pas en arrière et se tapit de la même façon que la femme un peu plus tôt, la scrutant du regard.

— Ici tout sec. Pourquoi ?

Taiga se souvenait de son arrivée dans les ruines et de sa surprise. Même avant, elle n'avait croisé ni bois, ni rivière et le temps paraissait différent. L'air lui-même semblait plus difficilement respirable.

Noâ peinait à rester en place, mais une fois assise, elle fit un effort pour ne plus bouger. Il fallait qu'elle laisse le temps à la fille d'apprivoiser son environnement et de l'apprivoiser elle aussi. Ensuite, elle pourrait réellement envisagé d'en faire de même. Taiga ne paraissait pas bête et elle comprenait rapidement. Si son vocabulaire était lacunaire, elle avait néanmoins de l'esprit et sa capacité de réflexion lui paraissait plus qu'évoluée. Cela faciliterait la suite ce qui la poussa à sourire un peu plus, les lèvres closes pour éviter de dévoiler ses canines fraîchement limées. Elle ne savait pas trop ce qu'il pouvait se passer dans l'esprit de la brunette alors afficher des dents un peu trop pointues ne lui semblaient pas être un bon plan.

Lorsque la sauvageonne s'approcha, la Chef la laissa faire à son aise. Elle ne s'attendait à aucun geste de violence, même si Taiga avait d'une certaine façon l'impulsivité dans le sang, elle ne dégageait pas d'hostilité. Et puis, elle voyait assez mal ce qu'elle aurait pu lui faire vu son état et son absence d'arme. Durant un instant, les doigts de la brune touchèrent sa peau avant que cette dernière ne file à nouveau. C'était étrange comme premier contact, mais elle ne manifesta pas son étonnement et garda ses questions pour elle. Ce n'était pas à elle de questionner aujourd'hui. Lorsqu'elle eut repris sa place initiale, la Libre reprit d'ailleurs la parole.

- C'est un drôle d'endroit. La première fois que je suis partie, j'ai aussi été surprise de constater des lieux où le temps étaient moins hostile. Je ne saurais pas vraiment te donner d'explications, c'est juste comme ça. Il fait sec depuis des générations dans les ruines.

Son interrogation apprenait au moins à Noâ qu'elle venait de très loin. Il fallait faire une sacrée route pour quitter totalement la zone d'influence de ce climat étrange et complètement illogique. Généralement, ces endroits étaient les plus dangereux et le fait que Taiga ait pu survivre augurait un certain potentiel. Elle fut coupée dans ses réflexions par le retour d'Harvey qui vient poser à côté d'elle les produits demandés. Récupérant la gourde, elle se pencha pour la poser ouverte à proximité de la brune et entreprit de dévisser le bocal de pommes avant d'en faire de même qu'avec l'eau, prélevant juste un fruit au passage. Elle espérait qu'en mangeant, elle pousserait l'inconnue à en faire de même.

La réponse de la dominante ne fut pas plaisante à entendre pour Taiga. Sans le vouloir, elle était tombée dans un endroit encore plus hostile que celui qu'elle avait quitté. Elle se sentait bien dans la forêt, elle y avait ses marques, mais elle avait ressenti le besoin de découvrir le monde. Elle voulait apprendre de nouvelles choses, rencontrer des gens, et peut-être retrouver le jeune humain dont elle avait la connaissance il y a très longtemps. Seulement, elle n'était pas sûre que toutes ces choses valaient la peine de vivre dans cet espèce d'enfer où il faisait chaud et sec.

L'un des gardes revient et il déposa des choses au côté de la blonde. Taiga n'avait jamais vu ce genre d'objets et elle observa avec curiosité le petite manège de la femme. Pour elle, tout ça était aisé et normal, mais Taiga était encore perdue et découvrait tout avec un regard innocent. L'une des choses contenait un aliment, l'autre elle ne savait pas trop. Prudemment, elle attrapa l'objet en métal et le porta à hauteur de ses yeux pour le scruter. Elle renifla ensuite le bord, mais ne sentit qu'une odeur étrange. En jetant un coup d'oeil à l'intérieur, elle fut pourtant surprise de découvrir de l'eau. Sans réfléchir plus, elle s'empressa de boire de grandes gorgées, renversant une partie dans son cou. C'était froid et ça faisait du bien. En plus, elle mourrait de soif. L'eau avait un goût légèrement différent de celle dont elle avait l'habitude, mais elle ne comprit pas pourquoi. Elle ne chercha pas plus loin, trop occupée à observer ce que la blonde mangeait. Son estomac s'était mis à gargouiller et elle avait très envie de prendre ce qui s'apparentait à un morceau de fruit. Finalement, elle craqua et plongea la main dans le pot pour en extraire un bout qu'elle mangea sans délicatesse. C'était bien un fruit doux et sucré qu'elle apprécia beaucoup. Elle s'empara directement d'un autre morceau, bien décidée à satisfaire son ventre.

— Boooon !

En réalité, Taiga était bien moins farouche qu'elle ne l'avait imaginé. Si son réveil ici l'avait mis dans un drôle d'état, elle paraissait gérer la nouveauté avec bien plus de facilités. Cela prouvait une bonne capacité d'adaptation, il n'y avait aucun doute. Tout sourire, Noâ la regarda boire, puis manger avec appétit. Au moins, elle ne se laisserait pas mourir. Alors qu'elle mangeait, Charly fit son apparition. Il avait visiblement été mis au courant de la situation car il s'arrêta à l'entrée de la cellule et se racla la gorge pour se faire remarquer plutôt que de débouler à l'intérieur. La blonde se tourna vers lui et, d'un signe du menton, lui dit d'approcher.

- Taiga, je te présente Charly. C'est un ami. Il veut juste s'assurer que tu vas bien.

L'Infirmier progressait prudemment. Après avoir marché à petits pas, il vient s'asseoir au côté de Noâ et esquissa un sourire à l'attention de l'inconnue. De sa voix douce et calme, il commença à parler tout en veillant à ne pas avoir l'air menaçant.

- Est-ce que tu es blessée quelque part ? Enfin, est-ce que tu as mal ?

Il ne lui semblait pas voir de sang ou de bleus, mais la couche de saletés était tellement épaisse sur sa peau qu'il ne pouvait être sûr de rien.

- Cela te dérange si je m'approche un peu ?

C'était la première fois que Taiga expérimentait le fait d'obtenir de la nourriture aussi facilement. Elle n'avait rien eu à faire, on lui avait tout donner. Si elle appréciait, elle trouvait aussi cette nouveauté un peu étrange. Elle n'y pensa néanmoins pas longtemps. Elle n'aimait pas réfléchir pour rien et de toute façon, un nouveau venu apparu et la poussa à lever la tête pour le fixer. C'était un homme, mais il émanait de lui une aura rassurante. La dominante fit rapidement les présentations. L'homme s'appelait Charly et il semblait proche d'elle. Il vient s'asseoir à ses côtés et sourit. En le voyant, Taiga pensa directement qu'elle l'aimait bien. Il avait l'air d'être gentil et il la traitait avec beaucoup d'attention. Elle allait prendre goût à ce genre de comportement vis à vis d'elle à ce rythme.

— Blessée? dit-elle sans comprendre jusqu'à ce qu'il change de formulation. Taiga pas mal.

Charly lui fit une demande qu'elle considéra un instant avant de hocher la tête. Les gens aimaient bien être proches les un des autres ici. Cela ne la dérangeait pas de s'adapter, elle trouvait même cette proximité agréable. Considérant qu'elle en avait fait assez, elle reprit par contre un fruit et continua à manger sans trop se soucier des deux jaguars devant elle.

Charly semblait un peu perplexe face à cette adolescente qu'il aurait plus facilement associée à une enfant. Il était vrai que sa façon de parler avait tendance à dérouter et que s'adresser à elle se révélait ne pas toujours être aisé, Noâ avait eu l'occasion de le comprendre. Il se débrouillait néanmoins plutôt bien, rectifiant de lui-même ses paroles pour les simplifier ou les imager. Taiga lui répondit qu'elle ne souffrait pas ce qui lui permit de commencer son diagnostic. Elle accepta aussi qu'il vienne à ses côtés. Doucement, l'Infirmier alla s'accroupir devant elle et l'observa de plus près. Il n'avait pas vraiment besoin de l'ausculter pour se faire sa petite idée. Son corps offrait déjà beaucoup de réponses. Elle montrait tous les signes de la dénutrition et de la déshydratation. La voir manger aussi facilement était donc positif. L'eau et le sucre contenus dans les fruits lui permettraient de reprendre un peu de force et avec une bonne alimentation, elle serait rapidement en forme. Ne souhaitant pas la déranger plus longtemps, il se releva et retourna au côté de Noâ.

- Pour l'heure, je pense que je n'ai rien à faire. Il faut qu'elle récupère. Du repos, beaucoup d'eau et suffisamment de nourriture suffiront pour arrêter la fonte des muscles. Et puis, progressivement, de l’exercice. Elle semble solide, je ne crois pas qu'elle rencontrera de problèmes. Bon, il faudra qu'elle se lave aussi.
- Merci Charly. Je lui ferais apporter ce qu'il faut. Tu pourras repasser la voir demain ? Plus pour l'habituer à la présence des autres qu'autre chose.
- Pas de problème. De toute façon, je préfère la garder à l’œil.

Ce petit aparté finit, Charly se leva et se tourna vers la jeune fille.

- Merci de m'avoir accepté. A la prochaine, Taiga.

Il lui lança un gentil sourire, puis pivota sur ses talons et se dirigea vers la sortie. Le départ de de l'homme poussa Noâ à envisager de mettre les voiles elle aussi. Il était tard, les premiers pas avaient été faits avec la jeune fille, et elle avait désormais tout ce qu'il lui fallait. Calmement, elle se releva à son tour.

- Je vais te laisser te reposer. N'hésite pas à terminer les fruits et l'eau, tout est pour toi. La porte restera ouverte, mais je veux que tu me promettes de ne pas sortir sans autorisation pour le moment. Dehors, c'est dangereux. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose parce que tout t'est inconnu. Si tu as besoin de quelque chose, demande à l'homme qui est dehors. Il me transmettra toutes tes demandes.

L'homme bougeait doucement. A sa façon, il était encore plus délicat que la dominante. Taiga le laissa faire à sa guise en piochant des fruits à une allure presque régulière. C'était bon et elle mourrait de faim. Elle ne se privait pas de manger tant qu'elle en avait la possibilité. La notion de nourriture gratuite s'installait progressivement dans son esprit, mais elle n'oubliait pas que les choses pouvaient vite changer.

Charly ne la toucha même pas. Elle lui lançait de temps en temps quelques regards, mais elle n'était pas effrayée. Juste curieuse. Taiga se demandait un peu pourquoi il la regardait de la sorte et ce qu'il pouvait bien voir. Il faudrait qu'elle lui demande. Pas maintenant néanmoins, elle voulait garder la bouche pleine.

Bien vite, Charly s'écarta et retourna auprès de Noâ. Il lui parla et Taiga écouta à peine ce qui se disait. Les mots s'enchaînaient trop rapidement pour qu'elle saisisse tout, elle avait donc fini par abandonner. Lorsque l'homme se remit debout, elle ne pu s'empêcher de le suivre du regard et constata son sourire. Il était vraiment gentil avec elle. Ne sachant pas trop quoi dire, Taiga se contenta de lui sourire. Elle n'y connaissait rien en matière de formules de politesse. Suite au départ de Charly, Noâ se leva à son tour et annonça qu'elle allait la laisser se reposer. Taiga ne se sentait pas particulièrement fatiguée, mais elle le serait sûrement une fois qu'elle aurait le ventre plein. Elle faisait toujours une sieste lorsqu'elle avait fini de manger. Et vu que toute la nourriture était pour elle, Taiga allait pouvoir s'en donner à coeur joie.

— Taiga pas sortir. Compris.

L'idée de rester enfermé lui était encore difficile à accepter, mais avec la porte ouverte elle se sentait mieux. Et puis comme l'avait dit Noâ, il y avait des dangers à l'extérieur. Il fallait qu'elle voit cet endroit comme le trou dans l'arbre qui lui servait d'abri dans la forêt.

— Tu vas revenir ? dit-elle d'une petite voix.

La dominante était gentille et elle répondait à ses questions. Elle l'appréciait. Taiga espérait donc la revoir rapidement.

La Libre était étrange, mais au moins elle comprenait la majeure partie des choses qu'on lui disait et elle se montrait docile. Noâ ne se voilait pas la face, cela ne durerait peut-être pas toujours, mais pour le moment ce comportement l'arrangeait. Elle l'encouragea donc d'un sourire confiant.

- Je reviendrais, c'est promis. Si jamais tu as besoin de moi, tu peux demander à l'homme dehors, n'oublie pas.

La Chef voulait avoir l'air accessible pour Taiga. Elle ferait donc au mieux pour répondre à ses demandes et lui permettre de s'attacher à elle. Peut-être était-ce fourbe, mais Noâ ne pouvait pas s'empêcher de penser que la sauvageonne serait plus en sécurité dans le clan. Elle ne voulait pas la relâcher dans une ville dont elle ne connaissait rien et où elle avait finalement atterrit par hasard.

- Au revoir, Taiga.

Après un dernier signe de la main, elle quitta la cellule et donna rapidement ses ordres au Jaguar en faction. Désormais, il était temps de retourner au lit pour terminer cette nuit qui avait été écourtée.