L'état d'Eli n'était pas optimal, mais au moins il n'était plus aussi préoccupant. Sur les conseils de mon père, nous avions décidés de rester chez lui jusqu'à ce que les choses se tassent. Nous ne sortions pas, préférant ne pas attirer l'attention sur nous en attendant la guérison de l'Aigle. Je n'étais pas mécontente de passer du temps en sa compagnie, mais il fallait bien avouer que vivre comme une étrangère à mon propre clan était particulièrement déroutant. Roxanne n'avait visiblement rien dit à Noâ à propos de ma présence ici car aucun écho concernant cette sombre affaire ne fut audible. J'avais de toute façon pris la décision d'attendre le départ du blond avant d'aller confronter ma Chef, il était hors de question qu'il soit exposé à de quelconques retombées, il en avait déjà bien assez bavé comme ça.

Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis. Assise sur le matelas, je profitais de la nuit pour observer au dehors. Cela faisait un long moment que j'étais assise devant la fenêtre, les bras entourant mes jambes ramenées contre moi. Il y avait une ambiance étrange sur le territoire. En fait, il faisait presque trop calme. Un peu comme ce silence morbide qui précédait les violents orages à la suite des fortes chaleurs. Curieuse, je finis d'ailleurs pas mettre le nez dans la rue où pas une âme ne semblait errer. Même en portant le regard au loin, je ne détectais pas l'ombre d'une sentinelle en faction. J'allais rentrer lorsqu'une silhouette s'imposa dans mon champ de vision. Avec vivacité, je portais la main à ma ceinture pour récupérer le pistolet de Grey et le pointait vers l'approchant.

Alessandra, c'est moi.

Mais c'était qui moi ? Lorsque l'homme s'offrit à la lumière de la lune, je constatais que je le connaissais bel et bien. Nous avions été amis à une époque, mais il avait cessé de me parler lorsque j'étais devenue Membre.

Don ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?!
J'ai besoin d'aide. C'est mon frère... Il...
Il quoi ? Parle bon sang !
Je sais qu'il a prévu quelque chose de terrible ce soir. Je... J'ai pensé que toi tu pourrais m'aider. S'il te plaît, il faut l'arrêter.

Cette histoire paraissait louche, mais je n'y prêtais aucune attention. Je connaissais bien Jesse, ainsi que ses capacités, je savais donc à quel point il pouvait être dangereux. Si une part de moi accepta d'aider Don à cause de notre amitié passée, une autre songea que si j'arrêtais un projet en marche contre le clan, Noâ accepterait peut-être de me reprendre à ses côtés.

Lorsque le premier coup de feu résonna, j'étais déjà loin, suivant le Soumis qui me conduisait en direction du lac. Super, je ne pouvais pas rêver meilleur endroit...

Cela faisait maintenant plusieurs jours que nous étions « enfermé » chez le dénommé Aaron, le père adoptif d’Alessandra. Je dormais les trois-quarts du temps, d’un sommeil plutôt agité et pas vraiment reposant… Mais je me remettais plus vite que la dernière fois, et cela était plutôt rassurant. Aaron ne m’avait pas posé de questions et j’étais nourrit correctement. Je ne savais pas s’il faisait ça juste pour Al ou si c’était dans son caractère, mais je lui étais reconnaissant de « m’héberger » ainsi quoi qu’il en soit. Quand je ne dormais pas, je restais assis ou allongé, perdu dans mes pensées, m’efforçant de ne pas nourrir la haine qui bouillonnais en moi en présence d’Al. Pour éviter de trop penser à un moment, j’avais aiguisé mon couteau (qu’ils m’avaient heureusement remis a sa place) à tel point que j’aurais presque pu couper son support avec. Mais cela n’avait été qu’un passe temps de courte durée, et je me maudissait d’être ainsi coincé, une fois de plus, à attendre d’aller mieux. Je me maudissais d’autant plus qu’Alessandra était coincée avec moi. Le seul point positif était que nous pouvions passer du temps ensemble, mais ma convalescence ne me rendais pas de très bonne compagnie, même si je faisais des efforts…

Cette nuit là, je somnolais plus que je dormais. Les cauchemars récurent avaient fini par avoir raison de mon sommeil, et un sursaut avait ravivé la douleur dans mon torse. J’ouvris les yeux lorsque Alessandra sortit et me redressais en grimaçant en entendant sa voix et celle d’un homme à l’extérieur. Je me dirigeais d’un pas prudent, boitant toujours un peu, vers la porte que j’entrouvris pour écouter. De l’aide ? Jusqu’à maintenant, personne ne semblait savoir qu’Al était sur le territoire. Il était donc plus que louche que quelqu’un vienne lui demander de l’aide pour une quelconque raison, et encore plus louche qu’il vienne la trouvée là où personne ne savait qu’elle était… normalement. Mais Al ne sembla pas raisonner ainsi, et elle suivis le jeune homme sans poser plus de question. Sentant le coup fourré, je pestais entre mes dents, attrapais d’un geste vifs mon couteau et me précipitais dehors en essayant d’ignorer les lancements protestataires que ma cuisse m’envoyais à chaque pas. Je n’étais pas en état de courir, ni de me battre, mais je ne pouvais pas laisser Al seule alors que cette histoire n’avait rien de net. Je perdis vite les silhouettes de vue, mais je m’efforçais de suivre leur chemin malgré tout. Etre en territoire inconnu ne m’aidait pas…
Quand un coup de feu claqua dans l’air en provenance du QG, j’étais encore suffisamment proche pour l’entendre. Une vague de panique me traversa, mais je la refoulais aussitôt. J’étais désormais presque sûr qu’Alessandra était en danger, il fallait que je la retrouve.

Nous y sommes presque...
Don, tu vas te décidé à me dire ce qu'il se passe réellement ?

Le lac était en vue, sa vaste surface noire brillant sous les rayons de la lune lorsque je décidais de freiner le pas jusqu'à m'arrêter. Je n'étais pas dupe, le comportement de cet ami que je n'avais pas vu depuis longtemps avait de quoi affoler l'instinct de la plus crédule des personnes. L'histoire devait être bien plus compliquée que ne l'avait dit Don et il y était probablement mêlé. Par respect pour notre amitié, je lui offrais la chance de changer son fusil d'épaule, mais s'il continuait sur sa lancée, il aurait lui-même scellé son destin.

Je suis désolé Alessandra. Plus rien n'est pareil depuis que Noâ est devenue Chef, certaines personnes ont donc décidées de reprendre le pouvoir. Et malheureusement, tu es un obstacle pour elles. Mais je suis sûr que si tu rejoignais la rébellion... Tout le monde sait pour ton bannissement et le comportement des autres Membres alors... Rejoins-nous s'il te plait.

Le ton du jeune homme était implorant, au point qu'elle se prit à douter. Don avait été impliqué dans tout ce bordel par son frère, mais il ne faisait visiblement pas ça de bon cœur. Cet élément la poussa à réfléchir à une solution. Il devait bien y avoir un moyen pour les sortir tous les deux de là.

Ne te fatigue pas pour rien, petit frère, cette fille n'est plus du côté des justes depuis longtemps déjà.

Il ne manquait plus que lui. Serrant les poids, je me tournais vers l'endroit d'où provenait la voix et scrutais la silhouette qui se détachait de l'ombre. Jesse n'avait pas changé, il arborait toujours cette face rusé de renard en quête de mauvais coups à faire.

Qu'est-ce que tu mijotes ?
Quelque chose de bien trop grand pour toi...
On est pas là pour papoter !

Avant même que je ne comprenne ce qu'il se passait, quelque chose me frappa à la tête et je chutais, un peu sonnée. Je fis pourtant l'effort de concentrer mon attention sur la nouvelle venue dont il me semblait avoir reconnu la voix. Bailee, pas de doute. Sa présence ici n'avait rien de rassurant au vu de la façon dont elle me considérait. Croissant son sourire, j'esquissais un sourire narquois et lui adressais un salut.

Le mouton suit le troupeau ?
Ta gueule !

Elle m'envoya un coup de pied dans la mâchoire qui faillit me faire regretter mes paroles, mais cela provoqua l'effet inverse. Ok, je ne l'avais pas volé celui-là, mais puisqu'elle avait déclenché les hostilités, je n'allais pas me laisser faire. Essuyant le sang qui coulait de ma lèvre, je me redressais et empoignais ma lame. Cette fille ne méritait même pas une balle...

J’étais complètement perdu. Il faisait nuit noire, je ne connaissais absolument pas les lieux, et l’allure que je m’imposais malgré tout m’épuisais beaucoup trop vite. Pourtant, je fus suffisamment alerte pour entendre des voix peu discrètes en cette partie semblant déserte du territoire. Je me précipitais pour me dissimuler derrière un pan de mur et tendis l’oreille. Deux garçons marchaient d’un pas rapide en riant sans retenue, se croyant seuls. Lorsqu’ils passèrent à ma hauteur, l’un d’eux repris son sérieux un instant.

– N’empêche, j’aurai quand même bien voulus participer à l’attaque du QG aussi. Même si ça promet d’être drôle, elle ressemblait vachement à une loque la dernière fois, ça risque d’aller vite…

« Justement, plus ça va vite, plus vite on pourra rejoindre les autres. »

– T’as raison, allons l’achevée vite fais !

Nouveaux rires. Ils s’éloignaient. Me retenant de ne pas les achever sur place en profitant de l’effet de surprise – mon seul allié vu mon état – je les suivis discrètement, sachant pertinemment à qui ils allaient me mener. J’essayais de contenir ma rage et de raisonner intelligemment. Ils seraient au moins trois, je ne pouvais rien faire si je les affrontais de face. Il fallait ruser, mais j’avais du mal à raisonner dans ce sens… Suivant les deux mecs, je me dis qu’il valait mieux aviser sur place, et surtout, surtout les prendre par surprise… mais serait-ce seulement possible ?

Lorsque l’espace se dégagea en arrivant au lac, je m’arrêtais à distance, laissant avancer les deux inconnus. Si je les suivais, je serais repéré. Merde, je ne pouvais pas rester là à attendre non plus. Mais avec uniquement mon couteau, je n’étais bon que pour du corps à corps, hors je serais vite mis au tapis, c’était certain… et le reconnaitre me faisait aussi mal que les coups de douleurs qui battaient à mes tempes. Je remarquais que je tremblais et je serais les poings pour essayer de me contrôler. Al s’était bien remise, elle, mais elle ne ferait surement pas le poids face à plusieurs personnes en même temps… pas encore du moins… Peut-être que faire diversion l’aiderait. Ils ne s’attendaient surement pas à avoir été suivis, cela les déstabiliseraient peut-être assez longtemps pour lui laisser le temps d’agir. Enfin dans tous les cas, je ne pouvais rester ici à rien faire, j’optais donc pour cette idée. Je m’élançais à découvert et suivis la route des deux autres. Lorsque j’aperçus un attroupement, j’attrapais ma lame et pris le temps de viser tant que je n’étais pas encore repéré. Al était au milieu du groupe. Je repérais un des garçons que j’avais suivis, ajustait mon tir en visant la tête, et lançais. Le couteau atterris dans son dos, mon coup avait été plus faible que prévus. Me campant sur mes deux pieds, je fixais le groupe d’un regard neutre, attendant la suite. Au moins avais-je pu reprendre mon masque d’indifférence…

Depuis que j'avais pris ma place de Seconde, j'avais essuyé bien des déconvenues auprès des Membres et j'avais pris l'habitude de nier superbement les provocations. J'avançais toujours la tête haute, affichant une moue arrogante qui ne me ressemblait pas vraiment, mais c'était mon seul moyen de défense face aux comportements des autres. Bien entendu, j'aurais aussi pu faire usage de la violence, mais cela n'aurait créer que plus de problèmes. Seulement, l'heure du silence et des regards glacés étaient désormais passé, il était temps de rendre les coups. Avant que je n'ai le temps de passer à l'attaque, une intervention providentielle m'offrit de belles ouvertures.

L'un des hommes qui s'était joint au groupe s'écroula soudainement sous la frappe d'un couteau qui s'était planté dans son dos. Des yeux, je suivis la trajectoire supposée de l'arme et tombais sur Eli. S'il n'affichait pas sa faiblesse, je me doutais qu'il tenait difficilement debout et je regrettais soudainement de ne pas l'avoir assommer avant de partir. Il n'était vraiment pas en état pour tout ça. Profitant de la panique provoquée dans les rangs des plus jeunes, je balançais un coup de lame dans le cou d'un type et fonçais récupérer l'arme d'Eli. Hors de question de leur laisser un instrument pour nous démolir. Avec adresse, je le lançais en direction du blond pour qu'il ait de quoi se défendre, puis je me mis en garde.

Tu t'en sortiras pas comme ça !
Que de la gueule.

Elle cracha ses paroles avec dédain avant de foncer en direction de Jesse qui avait récupéré une dague à sa ceinture. Elle avait beau fanfaronner, le combat au corps à corps n'était pas sa spécialité et elle craignait de se faire avoir d'autant plus vite. Qu'est-ce qu'elle n'aurait pas donner pour récupérer son arc...

Al réagis aussitôt, comme je l’avais espéré. Elle trancha la gorge d’un deuxième gars alors que le premier s’écroulait sous l’impact de ma lame. D’un bond, elle récupéra mon couteau et me lança d’un geste habille. Je le récupérais sans problème et me mis en position de défense. Mais les coups ne vinrent pas d’en face. Un bruit attira mon attention et je me retournais juste à temps pour voir arriver un pied en direction de ma tête. Je le parais tant bien que mal et essayais de riposter avec ma lame, mais mon adversaire s’était reculé et me toisais avec haine. Une fille apparue à son tour, juste derrière lui, un sale sourire aux lèvres. J’étais déjà mal à du un contre un, mais à deux contre un… je n’avais aucune chance.

La fille sortit un instrument étrange de sa ceinture. Il s’agissait de deux barres de fer reliées entre elles avec une chaine. Elle joua avec en réalisant quelques mouvements et en me tournant autour tel un vautour, puis s’immobilisa derrière moi. J’avais donc le mec avec une lame devant moi, et la fille aux barres de fer derrière. Prenant une grande inspiration, j’évitais le premier coup venant du mec, mais me pris un coup de barre dans les côtes, ce qui me fis plier en grimaçant. Ils espaçaient leurs coups, se positionnement de façon à ce que je ne puisse éviter qu’un des deux adversaires. En temps normale, j’aurais pu m’en sortir, mais là, je me retrouvais bien vite un genou à terre, exténué, le corps douloureux et tremblant, et ne sachant pas comment Al s’en sortait de son côté. Elle avait au moins deux adversaires en moins à se soucier… pour le moment.

– On l’achève devant elle ? Histoire de voir la tête qu’elle va tirer.

C’était la fille qui venait de parler. Son ton me fit froid dans le dos. Relevant les yeux vers eux, qui me faisaient maintenant face tous les deux, je serais la lame que je n’avais toujours pas lâchée et bondis sur mes jambes. Ils ne s’y attendaient pas. D’un geste vif, je réussi à toucher le torse du garçon, lui ouvrant de gauche à droite une blessure assez profonde. La fille réagis aussitôt et me balança un coup dans les jambes de façon à me mettre à nouveau à genoux. Le mec s’était reculé, mais la fille ne se souciait pas de lui pour le moment. Elle me donna un coup de façon à mettre totalement à terre et m’écrasa le poignet de façon à me faire lâcher prise sur mon couteau. Je l’entendis interpeller quelqu’un, puis sentis qu’elle m’arrachait la lame d’un balayage du pied. Je voulus me redresser, mais elle m’immobilisa en posant son pied au niveau de mon cou.

– Pas bouger mon mignon. Ton tour va arriver. Mais on va faire ça de façon à s’amuser un peu hein, on est là pour ça après tout.

Elle est à moi !

Jesse n'avait même pas eu le temps de porter un seul coup de lame dans ma direction que déjà Bailee s'interposait. Comme la bonne idiote qu'elle était, elle me tournait le dos si bien que je n'eu pas grand à faire pour la blesser. J'ouvris une longue entaille entre ses omoplates ce qui la fit crier de douleur et s’affaisser vers l'avant. Le jeune homme contre qui elle s'était élevée ne perdit pas le nord et il se décala vivement, la laissant tomber, pour me porter un coup. Le corps de la rousse ayant fait barrage, je ne vis rien arriver et je compris que j'avais été blessée que lorsqu'une douleur émana de mon flanc. Crachant un juron étouffé par mes dents serrés, je portais la main à la plaie et la pressais pour stopper l'écoulement du sang. Du bout des doigts, je tâchais d'évaluer les dégâts et supposais que cela n'était pas très grave. Dans tous les cas, je ne pouvais pas me permettre d'arrêter le combat.

Garce !

Bailee était furieuse et alors qu'elle se redressait, je compris qu'elle allait me faire payer cette frappe. Je lui envoyais donc rapidement un coup de pied avant qu'elle n'ait l'occasion de se remettre debout et balançais mon bras vers Jesse qui esquiva avec facilité. Je reculais prudemment, jetant un coup d’œil à Eli qui était en très mauvaise posture. Mon sang ne fit qu'un tour et je dégainais mon pistolet, tirant une balle vers la tête de la nana qui faisait pression sur lui. Mon adversaire profita de ce moment de battement pour se jeter sur moi, m'emportant à terre en me rouant de coups.

Alors que la fille faisait pression sur mon cou, me coupant la respiration, un coup de feu retentit et son corps s’effondra à moitié sur moi. Reprenant mon souffle, je la poussais rapidement malgré ma vue brouillée et me redressais. Le mec blessé était encore à l’écart, sous le choc autant de la plaie sanglante qui le lançait que la perte soudaine de sa co-équipière. J’en profitais pour me trainer jusqu’à mon couteau et essayer de me relever. Mon adversaire sembla alors revenir à la réalité, et il se précipita sur moi. D’un mouvement habille, je lui fis un croche patte et le mis à terre à son tour. Il tomba suffisamment mal pour crier de douleur, et j’eu donc le temps de l’achever d’un coup rapide au cœur. Je laissais ma lame enfoncée dans sa chair le temps de reprendre mon souffle, mais voyant que Al était en difficulté, je fini par arracher mon arme du corps et me relevais en titubant. Prenant encore quelques secondes pour retrouver l’équilibre et essayer d’y voir un peu plus claire, je me dirigeais en boitant vers le trio. J’arrivais juste à temps pour détourner la fille qui s’était relevée et s’apprêtait à prendre part au combat au sol, lui balançant un coup de poing en pleine figure. Ne tenant pas suffisamment sur mes jambes, j’évitais les coups de pieds pour le moment… Ayant attiré l’attention de la fille, je me préparais à éviter à nouveau les coups, ou du moins à essayer, la fixant d’un regard glacial mais avec un visage toujours aussi neutre qu’à mon arrivée. Comme quoi les vieilles habitudes son tenaces…

« Ne la touche pas ! »

Jesse s'était brusquement jeté sur moi. Trop surprise, j'avais lâché mon pistolet, ne gardant le poing serré que sur ma lame. Il n'était pas question que cette dernière m'échappe, j'en avais trop besoin dans ses luttes imposées par l'homme. Lui-même n'était pas armé, il se contentait de me ruer de coups. J'encaissais sans broncher un crochet du droit qui me sonna un peu et blessa ma lèvre. Le goût ferreux du sang s'insinua dans ma bouche alors qu'il me frappait dans le ventre. Ce coup me poussa à me courber vers l'avant et je cherchais à protéger mon abdomen. Il en profita pour m'asséner un uppercut qui envoya ma tête valser vers le sol. Elle heurta une pierre et je vis des étoiles. Le visage de Jesse penché au dessus de moi se fit moins clair, j'étais entrain de glisser dans une inconscience bien mal venue. Et puis, la voix d'Eli se fit entendre. Le blond s'était rapproché et il assurait visiblement mes arrières. Eli. Je ne pouvais pas le laisser seul face à ces enfoirés. Rassemblant mes dernières volontés, je mordis ma lèvre blessée pour me réveiller.

C'est pas un connard comme toi qui m'aura...

Ma voix me parut faible, mais au moins j'avais pu cracher ma bile. Maladroitement, je le griffais de la pointe de mon couteau et repliais mon genou vers moi pour le repousser d'une impulsion du pied. J'en profitais alors pour me dégager et me remis debout. Mais c'était sans compter la ténacité de mon adversaire qui m'attrapa le pied et chercha à me faire tomber. Je réussis à rester à la verticale dans un premier temps, mais le second assaut m'emporta à nouveau au sol. Pas décidée à lui redonner l'avantage, je l'entraînais dans un roulis-boulis douloureux qui nous conduit jusqu'à la berge. Saisissant l'occasion, il me poussa dans l'eau pour un combat aquatique qui me fit hoqueter de peur. Je n'eu même pas le temps d'inspirer un peu d'air qu'il m'enfonçait déjà la tête dans l'eau pour essayer de me noyer. C'était un cauchemar !

La fille se frottait la mâchoire en rageant et me fixant d’un regard assassin. Elle remarqua vite mon piteux état : de bleus déjà visibles sur mes bras nus, du sang au niveau des tempes et des lèvres, et des tâches ensanglantées sur ma cuisse et mon t-shirt, provenant de mes blessures précédentes qui n’avaient pas eu le temps de cicatriser correctement et c’étaient rouvertes à certains endroits. Mais la douleur était soigneusement dissimulée, et même si je doutais du spectacle que je donnais, j’espérais avoir l’air assuré. Les bruits de lutte qui me provenaient étaient loin de me rassurer, mais je ne pouvais pas détourner les yeux maintenant. La fille m’asséna un coup de pied latéral que j’amortis du bras, et je pus remarquer qu’Al était à moitié désarmée en apercevant le pistolet au sol. Au deuxième coup de pied, j’attrapais la jambe de mon adversaire et essayais de la déséquilibrée, mais en vint. Elle retira brusquement sa jambe et c’est moi qui du coup perdis l’équilibre. Elle en profita pour m’asséner un coup de coude dans le nez qui me fis monter les larmes aux yeux. Déstabilisé, j’attendis le coup suivant lorsque un bruit d’éclaboussures nous parvint et nous firent tourner les yeux à tous les deux. Al et son adversaire étaient tombés à l’eau. La panique me submergea, et je voulus me précipiter dans l’eau mais la fille me repoussa violement avec un sale sourire. Elle allait sortir un sarcasme, mais deux bras l’encerclèrent avec force et l’immobilisèrent avec force. Je ne pris pas le temps de savoir qui s’était, ni pourquoi il faisait ça, je contournais le duo et plongeais dans les eaux sombres. Le froid glacé m’envahit, mais je devais rester concentré. Il n’était difficile de repéré les deux combattants, et je nageais avec la force du désespoir vers eux. En attrapant un par les cheveux, je pu constater qu’il ne s’agissait pas d’Alessandra. Je tentais donc de le tirer vers la surface, mais n’y arrivant pas, je lui plantais mon couteau à l’arrière de l’épaule afin de lui faire lâcher prise. Je remontais ensuite prendre de l’air en me forçant à ne pas crier de douleur, et alors que j’allais replonger, une nouvelles silhouette apparue  dans mon champ de vision. Je pressentit que ce n’était pas un allié pour nous, et voyant qu’il se dirigeait rapidement vers le mec et la fille qui se débattaient l’un avec l’autre, je me précipitais vers la berge que j’escaladait avec une rapidité que je pensais perdue. Je me trainais vers l’arme à feu abandonnée au sol et tirais au moment où le nouvel arrivant attrapais le mec par le colle pour tirer en arrière. Il s’effondra aussitôt sous l’impacte, et le mec repartit à l’assaut de la fille sans attendre. Pour ma part, sans prendre le temps de respirer, je retournais au bord de l’eau et scrutais la surface en espérant voir Al remonter. Elle devais remonter…

La peur m'avait prise à la gorge si tôt que l'eau glacé du lac mouilla mon dos. La situation ne pouvait pas être plus dramatique. Terrorisée, je tentais de me débattre, mais j'avais l'impression de ne plus avoir de force. Jesse eut donc tout le loisir de m'enfoncer la tête sous la surface, ses mains puissantes poussant mes épaules. J'étais incapable de raisonner logiquement et plutôt que d'économiser le peu d'air que j'avais dans les poumons, je happais de l'eau. Je n'espérais même plus m'en sortir, au fond de moi, une petite voix demandait à ce que tout ça s'arrête, même si c'était définitif. Et puis, l'homme se mit à s'agiter. Ses doigts me serrèrent plus forts, puis ils se relâchèrent alors que le blond s'écartait, laissant une traînée rougeâtre derrière lui. Du sang ?

Voyant ce retournement de situation comme un geste de la Providence, je fis un effort pour me débattre et remonter à la surface. Je nageais maladroitement, mais au moins je réussis à sortir la tête hors de l'eau pour cracher celle que j'avais avalé avant de respirer de l'air en hoquetant. J'étais sauvé. Du moins en théorie car je ne savais pas encore comment j'allais rejoindre la berge sans me noyer. Et puis, Jesse était toujours une menace malgré sa blessure. Il avait été touché à l'épaule et se hissais difficilement sur la terre ferme en jurant.

Al fini par apparaitre, mais elle semblait toujours en difficulté. Je criais après elle, hésitant à sauter à nouveau dans l’eau de peur de ne plus pouvoir en sortir. Les deux anciens alliés se battaient toujours avec acharnement, et le troisième adversaire sortait lentement de l’eau en pestant. Tenant toujours l’arme à feu mais ne sachant pas si elle avait encore des balles ou non, je décidais de tenter le tout pour le tout et de viser le blessé avant qu’il ne se reprenne. Me positionnant à genoux, je tins l’arme à deux main afin de limiter les tremblements et pris le temps de viser. Mais alors que j’allais tirer, un violent coup de pied envoya valser le pistolet dans l’eau. J’étais tellement concentré sur mon tir que je n’avais rien vu venir. Un coup à l’arrière du crâne me fis basculer et ma vue s’assombrit alors que je me retrouvais face contre terre. Je ne savais pas qui était mon agresseur cette fois. J’eu le temps de me tourner sur le dos, mais je ne voyais que des formes floues et sans couleurs précises. J’étais complètement sonné… Je reçus un coup de pied dans les côtes qui me fit grogner de douleur, puis je me sentis pousser vers le lac où je basculais en roulant. L’eau glacée m’ensevelit de nouveau, mais cette fois je ne me débâtis pas pour remonter. Mon corps ne m’obéissait plus, et de toute façon, aucune information cohérente n’atteignait mon cerveau.

Comme j’étais au bord du lac, il ne me fallut pas longtemps pour toucher le fond. Ce simple choc suffit à m’éclaircir l’esprit, et je me rendis enfin compte que j’étais en train de me noyer. Mon corps se mit en mouvement dans un sursaut, et la panique me fit inspirer de l’eau, ce qui était une très mauvaise idée. Me débâtant afin de trouver un appui, je sentis enfin la terre verticale sous mes doigts et la gadoue du fond du lac sous mes pieds. Les poumons en feux, je donnais une grande impulsion vers le haut et allais m’agripper de toutes mes forces à la berge une fois à la surface où je toussais en crachant de l’eau et en essayant de respirer de l’air frais. Que c’était-il passé ? N’ayant plus la force de me sortir de l’eau, je restais accrocher à la berge, grelotant, et cherchant un signe de vie des yeux, mais je devais me rendre à l’évidence, je ne distinguais plus rien…

Sauvée... Ce mot résonnait en moi, créant des milliers d'échos qui firent pulser plus fort encore mon cœur. Je peinais à respirer, l'eau s'infiltrant encore parfois dans ma bouche au fil des remous que faisaient naître les mouvements saccadés de mes bras. Le sang battait mes tempes avec violence, me donnant la profonde envie d'encadrer ma tête pour affronter les salves de douleur, mais je savais qu'il était vital que je continue à bouger. Si je restais prostrée, les flots me happeraient à tout jamais et il n'y aurait personne pour venir me sauver cette fois-ci. Alors, je fermais les yeux, les paupières fermement serrées, et je tentais de nager comme Noâ me l'avait appris. Je grimaçais, résistant péniblement contre l'eau glacé, mais je ne cessais d'avancer vers la berge. Dans ma tête, la panique tentait à chaque mouvement de m'ensevelir, mais l'image d'Eli me permettait de garder le contrôle. Je ne pouvais pas l'abandonner. Avant de me laisser aller à cette terreur qui grondait au fond de moi, il fallait que je l'aide. C'est donc raccrochée à cette idée que je rencontrais le bord, m'y accrochant désespérément. Au loin, je persévérais vaguement la lutte de deux silhouettes que la lune éclairait mal. L'une d'elle grogna avant de s'affaler sur le sol alors que l'autre laissait échapper un rire amusé. J'aurais reconnu ce rire entre milles. Bailee. Rassemblant mes forces, je me tirais hors de l'eau, progressant quelques instants sur les genoux avant de réussir à me mettre debout, les premiers pas se faisant titubants. Un éclat à proximité attira mon œil, ma lame reflétait la clarté de l'astre. Je la ramassais en effectuant le moins de mouvements possibles pour conserver mon équilibre encore précaire. Si je me sentais faible, c'était surtout un phénomène psychologique. Mes blessures n'étaient pas bien graves, ou du moins je n'en avais même pas conscience, mais j'avais du mal à me dépêtrer de cet étrange sentiment. Et puis, il y avait mes vêtements mouillés qui rendaient chacun de mes gestes plus lourds. Je n'hésitais d'ailleurs pas un instant à déchirer mon t-shirt après avoir commencer le travail de la pointe de mon couteau, le vêtement tombant lourdement par terre. Le débardeur sombre que je portais en dessous était un peu ample normalement, mais il me collait aujourd'hui complètement à la peau. Je savais qu'il était stupide de ne pas profiter de l'effet de surprise en prenant mon temps, mais j'aurais été bien incapable d'exécuter une attaque éclair. Bailee me repéra donc rapidement, son regard se faisant furieux. Si je n'étais déjà pas très appréciée au sein des Membres, la jeune femme, elle, me haïssait purement et simplement. D'une certaine façon, on pouvait dire que je le lui rendais bien, son comportement et ses remarques ayant eu vite faits de mettre à mal ma patience. Depuis que j'avais été nommée Seconde, elle avait toujours refusé de se plier à mon autorité et avait clairement critiqué le choix de Noâ, je n'étais donc même pas étonnée de la voir ici.

Putain, mais tu peux pas simplement crever ! Personne veut de toi ici, tu comprends pas ça ?!
J'm'en fous. J'ai autant le droit que toi d'être ici, je suis une Jaguar que tu le veuilles ou non.

Oui, même si j'avais été destituée puis bannie, je ne cesserais jamais d'être une Jaguar. C'était bien plus qu'une filiation par le sang, c'était un dévouement, un amour profond. Et qu'importe que nombreuses soient les personnes qui ne voulaient pas de moi dans ce clan, j'étais née sur le territoire et la seule chose qui m'empêcherait d'y mourir était un combat à l'extérieur qui servirait ses intérêts. Prête à me battre, j'armais ma lame, les doigts fermement serrés autour du manche en corde.

Qu'est-ce que tu crois ? Même si tu survis ici, tu n'iras pas bien loin. Noâ est sûrement morte à l'heure actuelle et avec elle, c'est toutes tes chances de refaire partie du clan qui volent en éclat.
Parce que tu crois que Noâ va se laisser avoir aussi facilement ? Vous n'avez pas l'ombre d'une chance !
Tu ne la défendrais pas si tu savais ce qu'elle a fait !

Un instant, je fus tentée de lui demander la suite de l'histoire, mais si ma Chef cachait vraiment quelque chose, je préférais l'apprendre de sa bouche. Je n'eus pas plus le temps d'y penser, Bailee ne semblait plus d'humeur à papoter et venait de passer à l'attaque. Ce petit répit n'avait pas été une mauvaise chose, parler avec elle avait au moins eu le don d'enfouir bien loin le mal être qui m'avait envahi et j'étais tout à ce combat. Même Eli était passé en seconde position. Si je combattais ici ce n'était ni pour lui, ni pour le clan, mais bien parce que j'avais profondément envie de faire couler le sang de cette pétasse. Et autant dire que ce sentiment était particulièrement jouissif et répandait dans mes veines une adrénaline bienvenue.

Si le combat au corps à corps n'était pas forcément mon style favoris, je pouvais m'y épanouir contrairement à Roxanne pour qui il était nécessaire de rester toujours à distance. Peut-être était-ce pour ça qu'elle avait toujours été une meilleure archère que moi au final. Bailee fut rapidement sur moi et balança son bras pour me poignarder. Esquivant de justesse, la lame raflant quand même légèrement mon bras, j'enchaînais en frappant latéralement. Mon couteau rencontra sa chair et la déchira jusqu'à ressortir, le sang se mettant à couler entre mes doigts. Je fus frappée par la facilité avec laquelle j'avais percé sa garde, mais je compris vite que cela n'avait rien d'étonnant. La rousse ne se protégeait pas, elle se contentait d'attaquer comme une sauvage, trop sûre de sa victoire pour faire attention. Quelle idiote ! Plutôt que de foncer droit dans cette faiblesse, je la laissais mener la danse, évitant toujours que son arme ne pénètre trop profondément ma peau, en attendant qu'elle dévoile totalement son jeu. Alors qu'elle se jetait littéralement en avant, je l’accueillis d'un coup de lame précis dans la poitrine. Mon poignard enfoncé jusqu'au manche, j'esquissais un mouvement du poignet vers la gauche pour faire remonter la lame vers son cœur. En sentant le poids de la jeune femme qui s'appuyait sur moi, je fis un pas en arrière pour la supporter ce qui l'affala plus encore. Elle se retrouva avec la tête sur mon épaule, sa voix mourante cherchant à transmettre un dernier message.

Je le savais...Noâ...t'as rien à lui envier...garce...

Sa réplique me parut épidermique et je la repoussais brutalement, le couteau toujours fiché dans sa poitrine alors qu'elle tombait au sol. Et dire que j'avais presque eu pitié d'elle. Le regard qui se posa sur elle fut cette fois plus dédaigneux et j'allais récupérer mon arme, l'arrachant avec brutalité. Qu'importe qu'elle soit morte ou vivante, ce n'était plus qu'une question de temps. Temps que je n'avais plus à lui consacrer, j'avais vu du mouvement un peu plus loin et quelque chose me disait qu'il s'agissait de Jesse. En le rejoignant, mon pied shoota dans quelque chose que j'identifiais comme étant le pistolet donné par Grey il y a quelques jours de cela. Calant la lame à ma ceinture, je le ramassais et éjectais le chargeur tout en continuant à marcher. Il restait une balle, c'était parfait.  D'un geste sec, je le ré-emboîtais et tirais la culasse pour faire monter le projectile dans la chambre.

Bailee..?

La voix de Jesse était d'une faiblesse pitoyable.

Pas de bol, c'est moi.

Il tenta de se relever, mais Eli n'avait pas amélioré son état après notre premier affrontement. Calmement, je pointais sur lui la gueule noire du canon et déportais mon doigt vers la gâchette, la pressant avant même qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit. La balle alla se loger dans son crâne, laissant un trou rougeâtre sur son front, l'arrière de sa tête devant être bien moins ragoutante. L'arme rejoint le sol presque en même temps que lui, tout ça, c'était fini. Blasée, je regardais ma main rougie par le sang, puis les coupures sur mes bras et j'empoignais mon débardeur poisseux. Fini. Mais était-ce vraiment le cas en réalité ? Cela n'arrangerait pas ma situation au sein du clan et ma relation avec Eli était toujours aussi incertaine. Eli ! Paniquée, je balayais les alentours du regard sans le trouver. Où était-il ? Mes jambes se mirent à courir avant même que je ne m'en rende compte et je commençais à arpenter la berge à sa recherche avant de faire demi-tour, dépassant de pas grand chose le corps de Jesse. Lorsque enfin, je repérais sa tignasse blonde émergeant de l'eau, je fus envahie par un profond sentiment de soulagement. Il n'était pas si loin en réalité, je n'avais juste pas regardé au bon endroit. M'agenouillant rapidement au bord, j'attrapais son bras et le tirais de toutes mes forces pour le sortir de là. Il dut faire une partie du travail, mais au moins il était désormais hors de cette eau glacée. Passant mes bras autour de son torse, je l'enlaçais fort et allais enfouir ma tête dans son cou. Je respirais son odeur, embrassant par moment sa peau froide. Mes actes ne me faisaient ni chaud, ni froid. Oui, j'avais tué deux personnes de sang-froid, mais je l'avais fait pour me protéger, pour le protéger lui aussi. Du moins, je m'en étais convaincue. C'était un pieu mensonge, si j'avais enfoncé la lame, si j'avais appuyé sur la gâchette, c'était uniquement par envie. Je voulais les voir morts et je m'étais offert ce plaisir, fin de l'histoire.

Le froid commençait à m’engourdir. Le seul point positif était que du coup je ne sentais presque plus rien. Le plus gros problème était par contre que je me sentais peu à peu sombrer. Mes oreilles burdonnaient, ma vue était plus que troublée et la tête me tournait. J’était tenté de me laisser aller vers l’inconscience, mais le peu de mouvements que je percevais m’en dissuadait. Je n’étais pas tout seul ici, Alessandra aussi, et c’était pour elle que j’étais là. Toujours fermement agrippé, je posais ma tête contre la terre fraîche et essayais de respirer profondement malgré les tremblements qui me secouaient le corps. Il fallait que je calme mes sens, et surtout que je sorte de cet eau glacée avant de mourir ou de froid, ou de noyade…

Alors que mon cœur sembait toujours battre à mes tempes, des bruits de luttes me parvinrent. Je relevais la tête et clignais plusieur fois des yeux en essayant d’y voir plus claire. Mais je ne distinguais que des ombres, et leur mouvement me fatiguais. Pourtant je me forçais à garder les yeux ouvert et à suivre leur progression. J’avais perdu toute notion du temps, qui semblait tantot ralentir et tantot s’accélérer, aussi je ne pu dire combien de temps le combat dura, mais il sembla prendre fin avec une dernière détonation qui claqua dans l’air et résonna en éco dans ma tête. Une silouhette s’agita alors, partant en courant puis revenant sur ses pas. Alessandra ? Je sentis qu’on m’agrippais le bras et me tirais hors de l’eau, et mon corps sembla reprendre vie pour sortir complètement de l’étau glacé. Je réussi même à tenir debout… Je me sentis enlacé, mais il me fallut un moment pour réussir à enfin identifier ce qu’il se passait. C’était bien Al qui me serrait contre elle me transmettait sa chaleur. Nous étions vivant tout les deux, ce qui était surement un miracle. J’enroulais alors mes bras jusque là balant autour de la Jaguar et lui rendis son étrinte brièvement avant de lui faire relever la tête vers moi. Ses traits étaient flou, mais qu’importe, je l’embrassais avant de la serré de nouveau, ne voulant plus la lacher.

« Ne me refais… jamais… une peur pareille… »

C’était à peine un murmure audible, le visage enfuit dans sa chevelure humide. Je respirais de façon saccadée et tremblais de tous mes membres, je n’entendais ni ne voyais toujours rien, mais le simple contacte de la jeune femme me suffisais à rester conscient pour le moment. Conscient, mais pas sur pieds… Je sentis soudain mes forces me lacher et mes jambes se dérobées. Je me retrouvais à genoux, une main s’étant accrochée au bras d’Alessandra et l’autre étant portée à ma tête qui me semblait sur le point d’explosée. Une quinte de toux me fit recracher un mélange de sang, d’eau et de terre, me laissant un sale goût en bouche et m’affirmant que j’étais bien en vie de part la douleur qui s’était réveillée et me lançait de partout. Heureusement, la toux se calma rapidement, et je pu essayer de reprendre un semblant de respiration.

« On se sent vivre, hein ? »

Futile façon d’essayer de rassurer la Jaguar sur mon état en faisant de l’humour. Moi, faire de l’humour… c’était déjà un signe plus qu’inquiètant… Aussi enchainais-je rapidement.

« On fait quoi… maintenant ? »

Il était froid, beaucoup trop froid. Malgré la proximité de la saison Aride, les nuits étaient fraîches et il n'était pas bon de baigner dans l'eau du lac trop longtemps par de telles températures. J'avais beau sentir son cœur battre dans sa poitrine, la peur s'insinua vite en moi. Lorsqu'il m'étreignit un peu, je soupirais de soulagement et le serrais plus fort encore. Et puis, sa main me força à relever la tête et je contemplais pour la première fois son visage. Cette occasion de me faire une idée de son état ne fut que de courte durée, un baiser coupa mes réflexions et ce qui le ponctua me poussa à m'offusquer.

Tu m'as foutu la trouille aussi, abruti !

Ma voix avait déraillée sur la fin, perdant pas mal de son impact. De toute façon, je ne lui en voulais pas vraiment de m'avoir fait peur de cette façon, il l'avait après tout fait pour me sauver. Sans comprendre pourquoi, j'eu l'impression de descendre d'un étage, mais m'efforçais de rester sur pied en sentant la poigne du blond sur mon bras. Inquiète, je m'agenouillais près de lui alors qu'une quinte de toux le saisissait. La couleur de sa salive n'avait rien de rassurant, en plus d'avoir avalé des saloperies dans le lac, il crachait du sang. Son trait d'humour ne l'était pas plus et j'ignorais vite sa question, glissant une main sur la joue avant de poser mon front contre le sien. Je ne savais pas si c'était parce que j'avais froid, mais je trouvais sa peau brûlante.

On bouge.

J'étais de plus en plus inquiète quand à son état. Me relevant, je l'attirais avec moi et posais son bras sur mes épaules en le maintenant, le mien s'ancrant autour de sa taille pour le tenir.

Personne ne sait que nous sommes ici et tu as vraiment besoin de soin. Le QG n'est pas si loin, en marchant doucement et en faisant des pauses, on y arrivera. Appuies-toi le plus possible à moi, je te soutiens !

Je savais pertinemment qu'il prendrait sur lui pour m'éviter trop d'efforts, mais j'espérais quand même bêtement qu'il mettrait sa fierté de côté pour me laisser faire. Ainsi commença notre longue marche. Je m'en voulais de lui faire endurer ça, j'avais moi même déjà du mal alors je n'osais imaginer sa difficulté. Et pourtant, nous n'avions d'autres choix que de continuer à avancer.

Au bout d'un moment qui me sembla bien trop long, la marche se faisant de plus en plus difficile, un bruit de moteur fut perceptible et les phares d'une voiture balayèrent l'obscurité. Je m'arrêtais et lâchais le bras d'Eli pour me saisir de ma lame, mais je fus vite obligé de placer une main en barrage pour contrer la trop forte luminosité. De toute façon, nous n'avions nulle part où nous cacher et aucune chance de fuir, le mieux était encore de rester là. Lorsque la voiture s'arrêta, j'étais complètement aveuglée et donc incapable de discerner quoi que ce soit. La portière s'ouvrit et j'entendis des pas dans la caillasse. Un son étonnamment doux à mes oreilles me poussa à sourire : on avait encoché une flèche et bandé la corde d'un arc. Je me repris pourtant vite, l'arme pouvait très bien être entre les mains d'un ennemi même j'avais du mal à le croire.

Alessandra ??
Roxanne !

Jamais je n'aurais cru qu'entendre sa voix pourrait me soulager à ce point.

Mais qu'est-ce que tu fiches là ?
Jesse, Bailee et d'autres gens m'ont tendus un piège. Je suis vraiment heureuse de te voir, j'ai cru qu'on arriverait jamais en un seul morceau au QG !

La flèche retrouva sa place dans le carquois et elle s'approcha rapidement de nous, venant prendre le deuxième bras d'Eli pour le soutenir. Il fut ainsi bien plus facile de rejoindre la voiture même s'il nous restait encore du chemin.

Heureusement que nous vous avons trouvés avant, la situation au QG est encore incertaine même si je doute que notre Chef ait échoué dans sa mission.
Tu doutes ? Pourquoi n'es-tu pas près d'elle ?!
On s'est séparées pour être plus efficaces. Une fois que j'ai eu fini ma part, j'ai emmenés les blessés graves, on est en route vers l'hôpital là.

J'aurais voulu en savoir plus, tellement plus ! Et j'aurais aussi voulu qu'elle soit auprès de Noâ. Elle était sa Seconde, c'était son rôle même si la blonde savait très bien se débrouiller seule. Pourtant, j'aurais été plus rassurée qu'elle ne lutte pas seule. Enfin elle ne devait pas exactement être seule, mais bon.

Elle va bien. Enfin, je crois. La dernière fois que je l'ai vue, elle était légèrement blessée et prête à démolir tout obstacle se dressant sur son passage.

J'appréciais ses efforts pour me rassurer, j'étais même assez soulagée de voir qu'elle semblait m'avoir pardonné pour la dernière fois. Enfin, peut-être. La situation était telle qu'il valait mieux ne pas se déchirer entre alliés, mais une fois revenue à la normale, les choses seraient possiblement différentes.

Ton Aigle est dans un sale état, les autres ont presque l'air en forme à côté.

Maintenant que j'y pensais, elle n'avait posé aucune question à propos de la présence d'Eli et n'avait visiblement même pas pensé à l'idée de ne pas l'emmener. C'était la Roxanne que j'avais toujours connue. Efficace, sérieuse, mais profondément humaine. Le plus doucement possible, elle m'aida à l'installer sur le siège passager et dit aux autres de se pousser. Je devais me rendre à l'évidence, il n'y avait pas assez de place à l'arrière pour deux personnes. Un doute m'assaillit alors. Elle allait y retourner. Serrant le poing, je levais les yeux vers elle, déterminée à obtenir ce que je voulais. Je n'eu même pas le temps de dire un mot, sa réponse claquant dans l'air.  

Non !
Je veux y aller. J'ai besoin de voir tout ça de mes propres yeux. S'il te plait.
C'est hors de question ! Tu es blessée, tu as besoin de soin, donc tu montes dans cette voiture.
Non.

Lui tournant le dos, j'allais prendre la main d'Eli et me penchais pour l'embrasser doucement.

Je suis désolée, mais il faut que j'y aille...

Bouger. On bougeais déjà, non ? Ou plutôt non, le monde bougeais, mais pas nous. Lorsqu’Al nous releva tout les deux en me soutenant, je fût pris d’une nausée en plus de la toux. Pourtant, je réussi à m’accrocher à elle et à tenir sur mes jambes, ou plutôt sur ma jambe valide. J’entendis à nouveau la voix de la Jaguar, mais elle me parvenait étouffée, et je ne réussi pas à saisir tout ce qu’elle me disait. Mais je compris qu’elle voulait que je m’appuie. Même si je faisait au mieux pour me maintenir seul, je n’avais de toute façon pas le choix si nous voulions avancer…

Nous nous mîmes en marche d’un pas lent, Al me soutenant et moi essayant de maintenir ma tête en place. Je gardais les yeux baisser, presque fermé, le flou n’aidant pas à calmer mon estomac. Le trajet me paraissait interminable, et nous deviont nous arrêter régulièrement alors que je trébuchais ou étais prit de nouvelles quintes de toux. Alors que nous nous arrêtions une nouvelle fois, une vive lumière nous aveugla. Je fermais les yeux en détournant légèrement la tête et placais ma main libre devant afin de faire de l’ombre. Après quelques secondes d’immobilité, Alessandra lança une exlamation de surprise. Roxanne… Roxanne ?!

« Pas elle… »

J’avais soufflé ces mots entre mes dents, et lorsque je sentis qu’on m’attrapais l’autre bras pour mieux me soutenir, je regrettais de ne pas être en meilleur état pour lui faire payer le coup de la dernière fois. Mais si je ne pouvais pas agir, je pouvais toujours lui faire comprendre que ce n’était pas ça qui allait changer quoi que ce soit. Mais pas devant Al… Et puis elles semblaient en grande discution de toute façon. Je fûs intaller dans la voiture, et si le fait d’être assis et stable me soulagea, cela ne calma toujours pas ma tête et mes nausées. Je fermais de nouveau les yeux, mais les rouvrit aussitôt en sentant une main prendre la mienne. Al m’embrassa avant de s’excuser. Je n’avais pas suivis toute leur conversation, mais je sentais que quelque chose n’allait pas. Resserrant ma prise sur sa main pour la retenir, je posais un regard que j’espérais dure sur elle.

« N’y pense même pas ! »

La main d'Eli se resserra autour de la mienne et je compris qu'il ne lâcherait pas l'affaire aussi facilement. Même dans son état, il semblait ressentir ce besoin dérangeant de me protéger. Peu patiente, je détachais ses doigts un à un et récupérais ma main.

J'y vais, c'est tout.

Lorsque je me redressais, je fis face à la brune dont le regard me fusillait littéralement. Même si j'avais un jour occupé la même place qu'elle, Roxanne était désormais plus haut gradé que moi, et elle aurait pu simplement utiliser son pouvoir pour m'ordonner de ne pas y aller. Pourtant, je n'avais pas la sensation de parler à la Seconde en cet instant. C'était la Jaguar qui s'adressait à moi et elle doutait visiblement. Elle était la plus à même de comprendre ce que je ressentais et c'était sûrement pour ça qu'elle ne se montrait pas plus autoritaire. Finalement, je la vu soupirer et ses lèvres esquissèrent une ébauche de sourire.

Très bien. Tu fais une grossière erreur, mais c'est ta vie que tu mets en danger et je n'ai pas le droit de t'en empêcher.

Mes yeux s'écarquillèrent sous la surprise lorsqu'elle détacha son carquois et me le tendis, l'arc suivant le même mouvement. Éberluée, je cherchais à parler, mais rien ne me vient. Je n'en revenais pas qu'elle puisse songer à me donner son arc de cette façon. C'était une arme qui lui était très précieuse, sûrement la meilleure que possédait à ce jour le clan. Cet arc était celui que Reed utilisait du temps où elle était Chef et elle avait expressément demander à ce qu'il soit remis à la brune lorsque cette dernière était devenue Membre.

Je ne peux décemment pas te laisser partir avec un couteau pour seule arme. Mais tu as intérêt à me le rendre intact où je risque bien de t'utiliser pour cible une fois que tout ce bordel sera réglé.
Compris.

La remerciant dans un murmure, je passais le carquois en bandoulière et attrapais l'arc, appréciant son poids. Même si je n'avais pas encore eu l'occasion de tirer avec, j'avais la sensation d'avoir une arme parfaite entre les mains.

Va directement au QG, le quartier des Soumis et les frontières semblent encore brûlantes, mais tu n'es pas en état de te lancer là-dedans. Contente toi de retrouver Noâ, dans un premier temps, elle aura sûrement besoin de temps pour nettoyer le QG et ses abords des éventuels rebelles restants.

Je hochais la tête en guise de réponse, puis elle se décala enfin pour me laisser passer. Prenant une grande inspiration, je me dépêchais de me mettre en route, avançant rapidement sans courir pour autant. Certes, je n'étais pas en pleine forme et ma douleur au côté commençait à se faire ressentir, mais je ne pouvais pas m'empêcher de succomber à l'irrésistible appel semblant émaner du QG.

Après mon départ, Roxanne prit place à l'arrière de la voiture et indiqua au conducteur de foncer. Dans un soupir blasé, elle se redressa vers l'Aigle et lui souffla quelque chose qu'il fut le seul à pouvoir entendre.

Ta nana est une épuisante idiote...

Alessandra retira sa main de mon emprise, décidée à y aller malgré tout. Serrant les dents en crachant un « fait chier » ragueur, je voulus sortir de la voiture mais je me sentis maintenu en place avec force par je ne sais qui. Le conducteur surement… Finalement, Roxanne monta en voiture et le conducteur démarra. Le mouvement de la voiture était à la fois berçant et dérangeant. Si j’étais tenté de me laisser aller à la fatigue qui m’envahissait soudainement, je m’éforcais de rester éveiller malger tout. J’étais dans une voiture pleine de Jaguars, soit pas spécialement en sécurité…

Une voix murmurée près de mon oreille me fis tourner légèrement la tête. C’était Roxanne qui venait de parler, et je répondit malgré moi dans un sourpir.

« A qui le dis-tu… »

Je me rappelais alors mon intention de mettre les choses aux claires avec elle. Profitant de la proximité de la Jaguar et de l’absence d’Alessandra, je continuais sur ma lancée. Et parlé me permettais de garder les pieds sur terre aussi…

« Et toi, tu joues à quoi… exactement ? Tu contribues à me mettre hors jeu… puis tu m’aide à revenir en piste… Al est peut-être idiote,… mais toi tu n’es pas… logique. »

Roxanne ne sembla même pas étonnée lorsque les questions fusèrent. Elle avait bien senti une certaine animosité de la part de l'Aigle, mais elle avait préféré faire semblant de rien en la présence d'Alessandra. Maintenant qu'elle avait pu la voir à l'oeuvre, elle avait bien compris que son histoire d'amour avec le jeune homme n'avait rien de temporaire et qu'il faudrait faire avec. Enfin, dans les faits, tout ça ne la dérangeait pas personnellement, elle espérait juste que la brune réfléchirait un peu plus à l'avenir. Mener de front une relation de couple épanouie et une vie de Membre n'avait déjà rien de simple, mais cela le serait d'autant plus avec un Membre d'un clan voisin. Si le Sud et l'Est étaient en bons termes, l'histoire avait prouvé qu'il suffisait d'une étincelle pour que tout s'embrase. Et si par malheur cela se produisait, il ne serait pas question de choix, ce serait les Jaguars ou la mort. Encore qu'une part d'elle était persuadée qu'elle trouverait toujours une combine pour rester auprès du clan tout en ne mettant pas en jeu la vie du blond. Avec l'aide de Noâ bien entendu. Malgré les années, Roxanne n'avait jamais compris les raisons et la relation qui unissaient ces deux là et elle commençait à trouver tout ça des plus dérangeants. Elle se rendit soudainement compte qu'elle avait laissé un long silence planer et entreprit de répondre à Eli.

A rien. Ce jour-là, j'ai obéis à ma Chef, point. Bon d'accord, je me suis un chouïa énervée à un moment, mais cela ne signifie pas que j'éprouve une quelconque haine pour toi. Certes, tu es un Aigle, mais tu es avant tout un être humain et tu as besoin de soin, donc je t'emmène à l'hôpital.

Le silence plana un moment avant que la fille ne me réponde, disant que ce jour-là elle n’avait fait qu’obéir à sa chef. Elle ajouta qu’elle ne ressentait pas de haine spécifique envers moi, et qu’aujourd’hui j’étais avant tout un être humain ayant besoin de soins. Cette tirade m’arracha un petit sourire que je dissimulais en tournant la tête vers la vitre où défilait l’obscurité. Bien sûr qu’elle ne faisait qu’obéir, comme tout le monde. Toussant de nouveau, je laissais ma tête aller contre l’appuie-tête en soupirant une fois la quinte passée. Assurant au mieux ma voix, je repris sur un ton un peu sarcastique, mais avec une pointe de reconnaissance.

« C’est trop aimable… »

Le bilan ne serait surement pas joli à l’hôpital, mais je ne voulais plus sombrer de plus en plus bas sans avoir le temps de récupérer. J’allais devoir forcer la reprise en main d’une façon ou d’une autre, surtout si je voulais récupérer ma place. J’en avais marre de me montrer faible, marre de souffrir au moindre mouvement, marre de ne servir à rien. Je ne sais pas ce qu’ils allaient m’annoncer une fois sur place par rapport à mon état, mais une chose était sûr, cette fois s’en était fini de me faire avoir et de me laisser faire.