Apparemment, mes agissements ne gênaient pas le moins du monde mes coéquipiers du moment. Lucas n'eut pas le temps, ou l'envie, de me rattraper avant que je ne touche ce Libre de ma dague au niveau de l'épaule. En fait, je n'étais pas de ceux qui tuent par plaisir ou tout simplement de ceux qui peuvent accepter d'avoir une mort sur la conscience. Je préférais de loin effrayer mon adversaire pour qu'il s'en aille pour de bon. Etait-ce un problème ? Je m'en moquais bien, surtout pour le moment. C'est alors que Lucas, mon cher et tendre « protecteur » me demanda de récupérer le pistolet qui jonchait le sol. Ce serait en effet plus prudent, histoire de leur voler leurs armes pour qu'elles ne se retournent pas contre nous, une nouvelle fois. De ce fait, je me pressai, donnant un coup de pied dans l'autre épaule de mon ennemi pour récupérer avant lui son arme à feu. Après quoi, je me retirai un peu, me rapprochant de mon allié. Que faire d'autre ? Il était à terre, notre assaillant, et il valait mieux regarder autour de nous.

« Alors ? On fait quoi, maintenant ? J'ai son flingue et ma dague, je suis prête à en amocher un autre pour qu'on soit à nouveau libres. »

Un bon jeu de mots mais pas franchement fait exprès de ma part. Haussant les épaules, je ne voulais pas traîner et attendre, quitte à me retrouver plongée dans le sol à force de n'être qu'une spectatrice. Je n'étais pas juste une Soumise à défendre. J'étais bien plus. Alors, mon cher mentor avait intérêt à me donner une tâche !

J'attendais toujours patiemment, ou presque, le flingue d'un de leurs ennemis en main près de Lucas. Si c'était ce dernier qui maintenait la cible, c'était moi qui avais pris la peine de l'attaquer une première fois et de récupérer son arme dans un deuxième temps. Alors, je ne me sentais pas vraiment nulle ou en retrait. Je refusais même de me sentir nulle et en retrait. Alors, même si Oli était du genre à prendre les directives, je savais que j'avais bien fait et de mon propre chef, ou presque. Alors, c'était vexant de l'entendre dire que je n'avais qu'à s'occuper de maintenir un des prisonniers et de suivre tout simplement Tom, le gardien. Je le regardai, soupirant et haussant les épaules avant de faire avancer le prisonnier qui m'était assigné, sans un mot. Je n'avais pas non plus pris la peine de répondre au « chef » pour le coup, après tout, je n'avais pas d'autre option que celle de lui obéir.

Nous étions donc cinq à se diriger vers le territoire des Aigles pour y amener les prisonniers à interroger. Soit, j'avançai donc en silence, histoire de ne pas me créer davantage d'ennuis ou tout simplement pour me fondre dans la masse, qu'il n'y avait pas, je sais. Tout ça pour dire que je préférais éviter de me faire remarquer une nouvelle fois. Ils m'avaient suffisamment entendue pour le coup. Par contre, Tom, lui, semblait un peu plus bavard, à moins que ce ne soit pour étouffer ce silence qui prenait de plus en plus de place et qui rendait l'atmosphère plutôt pesante, au-delà des prisonniers.

« Swann. Et si tu pouvais éviter ce genre de surnoms... Surtout devant des abrutis dans leur genre. J'ai beau n'être qu'une soumise, j'aimerais éviter de me faire appeler de la sorte. Et si Kim veut me punir, il a qu'à mieux surveiller ses Soumis. »

Prenant une pause, la jeune femme haussa les épaules.

« Et j'aurais pu vous laisser en plan ou ne pas vous aider sous prétexte de la peur, mais que je sache, je vous ai quand même bien aidés. A moins que ce ne soit mauvais pour votre fierté de mâles que d'être aidés par une fille ? »

Oui, je risquais encore plus de représailles mais tant pis.

Décidément, l'atmosphère qui régnait tout le long du trajet qu'avait à parcourir Tom et moi ne semblait pas au beaux fixe. Forcément, je me mettais déjà sur mes gardes rien qu'à cause du stupide surnom dont il m'avait affublée donc autant dire que j'avais déjà sorti mes griffes. Lui, un peu comme Jéremy, semblait réagir au quart de tour à cause de ma « menace ». Si je préférai ne pas tenir son regard pour ne pas envenimer les choses, je haussai tout de même les épaules. Il me fallait rester zen pour ne pas surenchérir.

« Si tu pouvais au moins m'appeler par mon prénom, puisqu'on ne se connaît même pas, je ferai, moi aussi, un effort. J'ai tendance à sortir les griffes quand on me traite comme une fille facile, une fille faible, une fille commune. »

J'inspirai un bon coup pour expirer doucement mais longtemps. Heureusement qu'il m'arrivait d'utiliser ma respiration pour me calmer et ne pas lui sauter dessus. En plus, notre dispute, face à ces prisonniers n'allait pas arranger les choses. Même si j'étais têtue, je le savais. Accélérant alors le pas, j'évitai de regarder une nouvelle fois Tom pour ne pas risquer un nouveau sermon plein de venin de sa part. Au final, je regrettais d'être sortie du territoire et j'espérais une seule chose : aller me coucher. Après tout, j'avais toujours l'habitude qu'on me parle de la sorte, alors j'avais une chose, c'est qu'il ne faut pas répondre face à un Membre quel qu'il soit, surtout au sein de notre camp.

« Eh bien, vous avez pu réalisé que je ne suis pas si nulle, non. Si je suis si insolente, autant se taire et se dépêcher d'arriver au clan, non ? J'aimerais sincèrement éviter d’aggraver mon cas et vu comme c'est parti, le silence est la meilleure solution, j'imagine. »

C'était tout. Au moins, je ne l'avais plus cherché. Il valait mieux maintenant que j'avance sans un mot pour ne pas lui donner de raison de me balancer que mon comportement est déplacé.

Trop de bruit quand on n'y est pas invité, hein ? Tom avait une drôle de vision de la chose : certes, j'étais sortie du territoire du clan sans permission, mais je les avais tout de même aidés. Enfin bon... J'avais bien compris que m'énerver pour avoir raison sur ce point ou n'importe quel autre ne servirait à rien face à ce Membre encore plus entêté que moi, apparemment. Je haussai donc des épaules, soupirant par la même occasion, déjà contente de comprendre qu'il allait arrêter avec ces sobriquets plus que douteux. Au moins, je n'aurai pas à lui en foutre une et risquer encore plus de problème, peut-être même la torture... On ne sait jamais de quoi est capable notre chef.

« Je vous remercie pour cette compréhension. »

J'avais bien évidemment insisté sur le vouvoiement pour accentuer la différence entre le jeune homme et moi. Peut-être allait-il, de ce faite façon, réaliser que je mettais de mon propre chef une distance pour qu'il m'évite encore plus. Et puis, je ferai peut-être d'une pierre deux coups puisque de cette façon, Kim n'aurait pas à rajouter l'impolitesse sur mon tableau de fautes. Enfin bon...

Si j'avais aussi espéré qu'il me lâche, comme je l'avais demandé un peu avant, il n'en fit rien. Il voulait parler et détestait le faire seul. Il était encore plus agaçant que je ne l'avais imaginé, finalement. Autant dire que je n'étais toujours pas décidée à lui parler plus que ça et encore moins de moi. Alors, plutôt que de le lui faire comprendre directement, j'allais le faire avec un peu plus de ruse.

« Je suis née sur le territoire des Aigles. »

Peut-être que cette réponse sèche et directe lui suffirait pour comprendre que je ne voulais pas discuter avec lui.

J'en oubliais presque que cette marque de politesse n'était plus utilisée couramment. Comment l'avais-je appris encore ? Un ancien qui s'y intéressait encore vaguement. Non pas tellement pour l'utiliser tous les jours mais un peu comme on apprend l'Histoire, le passé. Tout ça pour dire que mon coup avait à la fois marché et complètement foiré. C'était bien dommage, moi qui avais espéré lui faire comprendre que je voulais mettre de la distance entre nous deux. Voilà qu'au contraire, il insistait pour savoir ce qui m'arrivait de parler de la sorte. Je soupirai, regardant tout ailleurs, dans le vide. Devais-je vraiment prendre la peine de lui répondre ? Si c'était pour me montrer sincère, c'était peine perdue. Par contre, je pourrais tenter un nouveau coup. Allait-il enfin comprendre que je n'avais plus du tout l'envie de lui parler. Qui sait... Il parait que les hommes sont plus lents que la gente féminine.

« Tu ne pourrais pas comprendre. »

J'étais directe, sèche et on ne peut plus froide. Ce n'était pas dans ma nature mais une habitude protectrice que j'avais attrapée à force de traîner avec ces mâles. Ce n'était pas un comportement qui plaisait mais c'était justement le but. Au moins, comme ça, personne n'osait s'approcher de moi et me parler. Ingénieux, n'est-ce pas ? J'ai une cervelle, rien d'étonnant, donc ! D'ailleurs, en ce moment, je faisais bien plus attention aux prisonniers, histoire qu'ils ne s'échappent, qu'à mon « coéquipier ». Peut-être que ça l'agacerait enfin. Je l'espérais sincèrement.

Je pus souffler, enfin, quand Tom se décida à rester muet. Je pouvais profiter du calme juste avant la tempête, bien évidemment. Je m'y attendais, après tout. Je ne voulais pas risquer ma peau en ajoutant des mots qui dépasseraient l'acceptable. J'étais rarement sage et docile avec les Membres de mon clan mais pour le coup, je voulais éviter de mourir décapitée ou je ne sais comment, selon les idées de Kim. Une fois que nous fûmes arrivés à bon port, Tom s'en alla rapidement avec les prisonniers que nous avions faits un peu avant, dans l'agitation, alors qu'Oli se rapprochait de moi, pour me faire comprendre ce qui m'attendait. Comme si je ne m'y attendais pas... Je savais que je risquais beaucoup. C'était comme ça. Je ne pouvais de toute manière plus rien y changer, si ce n'est peut-être en restant silencieuse pour ne pas en rajouter.

« Bien. » dis-je tout simplement avant de tendre mes armes au jeune homme. Après quoi, je me montrai toujours de marbre, pas un sourire sur mon visage et pas un mot de plus. Je savais qu'il n'y était pour rien, que ce n'était pas personnel, mais je n'avais pas la moindre envie de sourire, ni même la force, d'ailleurs.

Je restai alors plantée sur place, m'asseyant pour fixer le ciel. Je préférais rester isolée un moment, pour l'instant. Quelques minutes après, je me dirigeai vers mon abri de fortune, sans un mot toujours, histoire de m'isoler davantage. Je crois que j'étais prête à rester enfermée pour plusieurs jours. Je ne sortais que pour ma tâche et repartais tout aussi vite jusque chez moi. Durant les journées qui suivirent, pas un mot ne sortit de ma bouche. Je restais muette, ne faisant que mon travail et dormir. Je maigrissais à vue d’œil, du coup.