Dulce manquait encore à l'appel. J'avais besoin d'elle pour effectuer une course ou deux - après tout, elle était une de mes messagères -, et elle était introuvable ! Impossible de mettre la main sur cette fille... Elle m'exaspérait au plus au point, car lorsque mes incompétentes membres ne faisaient pas bien leur boulot, je devais le faire moi-même. Et je détestais me déplacer pour ce genre d'incidents fâcheux. Elle allait souffrir, ça c'était une chose certaine, à défaut de savoir où elle se trouvait.

- Sonya !

"Oui ?" demanda l'inconsciente après un sursaut à l'écoute de son prénom. Cette façon qu'elle avait de répondre m'exaspérait. Si je l'appelais, elle n'avait pas besoin de se manifester comme ça... Elle écoutait, un point c'est tout. Elle ne devait répondre que lorsque je lui posais une question.

- La dernière fois que tu l'as vue, où était-elle exactement ? lui demandai-je en la fixant implacablement droit dans les yeux. La pauvre fille tremblait, de peur de répondre quelque chose qui ne me plairait pas. Sonya et Dulce formaient une paire, une équipe, et devaient constamment savoir où se trouvait l'autre. Or, il semblait que ce n'était pas le cas. Donc, soit Sonya ignorait où était sa partenaire - auquel cas c'était un crime -, soit elle me mentait - ce qui était bien pire encore.

"Dulce..., commença-t-elle en déglutissant péniblement, Dulce est partie vers l'Est... Il y a environ une heure...

Eh bien ! J'avais enfin réussi à lui tirer les verres du nez ! Je savais à présent exactement où se trouvait cette future ex-messagère, et elle allait le regretter.

- Bien. Retourne dans tes quartiers, je n'ai plus besoin de toi. Tu attendras qu'on vienne te chercher pour en sortir ! En attendant, tu y es assignée jusqu'à nouvel ordre, concluai-je d'un ton froid et sans appel. Elle acquiesça et s'éclipsa de ma vue.

Accompagnée de quatre filles de confiance, je sortis rapidement en laissant les commandes à Julianne. Je devais me rendre chez l'ennemi, alors autant prendre mes précautions. Arrivée à son domaine, je tombai sur un jeune nouveau qui semblait attendre quelque chose ou quelqu'un. Je m'approchai de lui d'un air calme mais le regard menaçant, et je lui ordonnai de me conduire à son chef. Tout tremblant, il s'y résolut sans aucune résistance - il faut dire aussi que les quatre demoiselles qui m'accompagnaient l'avaient cloué à un mur, le poignard sous la gorge. Il me demanda d'attendre quelques instants devant la porte, car il devait avertir l'Aigle que je me trouvais ici. Cependant, après quelques secondes d'attente, je n'en pus plus et je le rejoignis en laissant mes filles derrière moi.

- Depuis quand doit-on attendre pour rencontrer un voleur ? le questionnai-je en passant à côté du nouveau sans plus lui prêter attention. Celui à qui je m'adressais, c'était Kim Dong-Yul, celui que je considérais comme mon pire ennemi. - Où est-elle ? Je n'accepterai pas que l'une de mes membres fricote avec une vermine pareille ! sifflai-je en lui jetant un regard noir.

Il mettait ma patience à rude épreuve, d'autant plus qu'elle avait été sévèrement testée depuis que j'avais vainement fait rechercher Dulce sur notre territoire. Il ne me répondit pas de suite. Il se leva d'abord pour aller attraper le poignet de cette jeune brune écervelée qui ne semblait pas très à l'aise. À vrai dire, je ne l'étais pas totalement non plus. Être en territoire ennemi n'était jamais très sûr, et je m'exposais personnellement à de grands risques chaque seconde que je passais ici. Nous étions tous les deux des tueurs, et ce serait à qui transpercerait le premier. Aussi, je ne montrais rien de mes sentiments, restant implacablement froide. Lorsqu'il prit la parole sur un ton calme, j'eus un sourire en coin. Évidemment, ce n'était pas une Vipère. Il n'y avait qu'à la regarder ! Il la relâcha bien vite après avoir mis en évidence la marque "A" imprimée sur son poignet, et glissa quelques mots à l'oreille de la lavette qui nous avait escortées jusqu'ici. Ce dernier partit sans demander son reste, ce qui était assez satisfaisant : un gêneur en moins, c'était toujours bien. Kim reporta enfin son attention sur moi - même si à vrai dire il ne m'avait pas vraiment quittée du coin de l’œil.

- Je sais reconnaître les marques, et celle qu'elle porte au poignet ne peut pas être la nôtre ! Cette putain avachie dans ton canapé ne saurait être une Vipère ! On voit tout de suite la luxure des Aigles lorsqu'on la regarde...

Je ne relevai pas sa dernière pique. Je savais pertinemment surveiller mes membres. D'ailleurs, à quoi me servait d'avoir instauré les paires ? Principalement à avoir toujours des informations... De plus, j'avais des doutes sur Dulce, et j'étais certaine qu'elle arriverait ici d'un moment à l'autre. Elle avait été prévenue une fois, ce que je considérais déjà comme une grande chance pour elle ! Elle n'aurait pas de seconde chance... Elle était encore là parce qu'elle était une de mes meilleures messagères, mais après cette disparition ce ne serait plus longtemps le cas. Il n'était pas conseillé de jouer avec une Vipère si on ne désirait pas qu'elle plante ses crocs empoisonnés dans la chaire...

- Que crois-tu que je fais ici ? Tu penses peut-être que je suis venue pour le plaisir de te voir te taper une salope dans son genre ? Il faut bien qu'elle soit de ton clan pour se permettre ce genre de choses...

Je ne considérais déjà plus Dulce comme l'une des miennes, sinon je ne me serais pas permis ce genre de phrases. Je continuais de le fixer droit dans les yeux lorsque je repris :

- Dulce n'est pas là, mais j'attendrai ! Elle va arriver, je suis certaine qu'elle est venue te rejoindre. Mais ce sera la dernière que tu pervertiras, tu as ma parole !

L'attente n'avait jamais été mon fort, mais peu importait. Je devais attendre pour les prendre en flagrant délit ! Je ferais le tour de son territoire en tuant tous ceux qui se mettraient en travers de mon chemin pour retrouver sa trace. Elle n'échapperait pas à une punition exemplaire qui retirerait à toutes l'envie même d'approcher pour autre chose qu'un duel un membre d'un autre clan !

Il m'autorisa à rester tant que je ne gênais pas ses affaires. J'acquiesçai. Du bruit et des éclats de voix retentirent alors dans le couloir, et je me tournai de sorte que je pouvais toujours le surveiller en même temps que je fixais la porte. Celle-ci ne tarda pas à s'ouvrir et à se refermer sur un membre gradé du clan des Aigles. Je l'avais déjà croisé, mais j'étais incapable de me rappeler de son prénom, si je l'avais un jour su. Kim se tourna vers moi après un soupir las, et je répondis à ses accusations :

- Elles n'étaient pas loin, et elles sont quatre. Chacune d'entre elle vaut dix de tes hommes. Je ne me fais donc aucun soucis pour elles... lui répliquai-je, confiante.

Il ordonna à Eli de faire entrer tout ce beau monde. Les quatre filles qui m'accompagnaient vinrent se placer près de moi, vis à vis des Aigles. Deux d'entre elles tenaient fermement Dulce, qui avait une mine déconfite. Elle ne s'attendait en effet pas à nous retrouver ici... Ysaline, notre fine lame, me demanda la parole d'un regard. Je l'autorisai à parler.

"Nous étions sorties pour inspecter les environs, et Dulce est arrivée. Elle a tenté de fuir, mais nous l'avons attrapée avant qu'elle n'en ait eu l'occasion."

Son rapport terminé, elle attendit que je dise quelque chose. Je ne jetai pas un regard à la traitresse, fixant à nouveau Kim dans les yeux.

- Tu vas encore oser me dire qu'il n'y a, mis à part moi, aucune Vipère ici ? Et tu vas sans doute essayer de me faire croire que tu ne connais pas Dulce, et que tu n'avais pas rendez-vous avec elle... dis-je d'un air assez satisfait de les avoir pris la main dans le sac.

Ses membres vinrent l'entourer, à l'instar des miennes. Lorsqu'il lâcha sa vanne pourrie, je répondis d'une manière indifférente. Si seulement les Vipères pouvaient réellement envahir le territoire de l'Est... Ils rigolaient, mais rirait bien qui rirait le dernier !

- Prends ça comme tu veux, ça ne me fait ni chaud ni froid.

Il me demanda alors des preuves de ce que j'avançais. Je n'allais pas entrer dans son petit jeu et réellement croire qu'il ne savait rien de ma messagère. Je remarquai à peine le départ de la brune du divan, qui devait sans doute bien m'en vouloir après ce que j'avais dit sur son dos. Était-ce seulement faux ? Kim nous congédia alors sans m'avoir laissé le temps de répliquer. Comme si cette affaire n'était pas la leur ! Elle le serait tant que je le dirais ! Et pour l'instant, je n'étais pas prête à lâcher cette histoire.

- Tu es impliqué, Dulce est impliquée. Cela restera donc notre problème à tous les deux tant que je n'aurai pas élucidé cette affaire.

Je me tournai vers la jeune fille à peine plus jeune que moi. Elle n'osait pas me regarder dans les yeux : c'était déjà une preuve de sa culpabilité. Bien qu'exposer un tel spectacle à l'ennemi ne me réjouissait guère, je me devais de clore cette affaire avant de partir.

- Bien, Dulce, n'as-tu rien à me dire ? l'interrogeai-je aussitôt. Je n'étais pas ici pour plaisanter ou pour m'amuser - chose que je ne faisais en réalité jamais.

Elle ne répondit pas, restant la tête baissée.

- Je t'ai posé une question ! Réponds !

D'un geste imperceptible, j'ordonnai à Ysaline de lui relever la tête, ce qu'elle fit non sans violence. Elle fut bien obligée de me regarder. Elle hésita, les yeux fuyant. Elle espérait trouver un appui auprès du chef des Aigles, mais celui-ci ne l'aiderait pas le moins du monde, elle l'avait compris.

"Je venais espionner les Aigles. Je me suis rapprochée de lui dans le seul but d'obtenir plus d'informations ! Tu dois me croire, Annabella ! Je te le jure !

- Comment pourrais-je croire à tes mensonges ? Maintenant, je vais te le redemander une dernière fois, dis-je en me rapprochant d'elle sans pour autant la toucher, n'as-tu rien à me dire ? continuai-je en articulant bien de manière menaçante et très froide.

Elle se mit à trembler bien plus encore. Les deux filles qui la tenaient fermement réprimèrent un frisson au son de ma voix. Dulce avait du mal à garder l'équilibre. Elle finit par craquer : elle fondit en larmes et perdit tout le sang froid qui lui restait - de Vipère, elle passait à humaine, moins que rien.

"Je suis désolée... Je venais pour le voir... Il m'a demandé de venir ! C'est de sa faute ! Je lui plaisais, et il me plaisait aussi ! Comme j'étais ta messagère assignée à l'Est... on s'est rapprochés ! Je te jure que je m'en veux d'avoir cédé ! Je suis désolée !!"

Les deux Vipères la lâchèrent et elle tomba par terre, me suppliant et s'excusant plus encore.

"Je t'en supplie, pardonne-moi ! Je te promets que ça ne se reproduira plus ! Tout est de sa faute à lui..." cria-t-elle ensuite en le désignant d'un regard acerbe. "C'est de sa faute !"

Je ne supportais pas sa répartie pitoyable et sans aucune dignité ! M'adressant aux quatre filles autour de nous, je continuai :

- Relevez-la. Maintenant ! ordonnai-je, dégoûtée de sa réaction.

Elles s'exécutèrent sous les cris de la traitresse. Elles la firent bientôt taire en la bayonant, sachant que je ne supportais pas d'entendre ces cris que je provoquais pourtant.

- Dulce, Dulce, Dulce... Tu me déçois, vraiment. J'aurais préféré faire ça au QG et faire de toi un exemple. Soit, Sonya me servira pour ça ! Je ne peux pas te laisser continuer à nous déshonorer de la sorte devant nos ennemis ! Tu nous trahis, tu fricotes avec les Aigles au lieu de faire ton boulot, tu me défies, tu me mens, et, pire que tout, tu te rends d'autant plus indigne d'une Vipère devant eux en affichant un caractère enfantin et puéril, et en n'hésitant pas à balancer ! Je ne tolèrerai pas cela plus longtemps.

Elle tentait en vain de se défaire de ses ex-compagnes qui la tenaient bien trop fermement. Nous savions toutes ce qui allait se passer. La tension était bien présente, mais cette fois-ci elle était à part égale dirigée contre les jeunes hommes présent et contre Dulce.

- Ysaline.

Elle sortit son couteau tandis que les autres présentaient le bras marqué de Dulce. Celle-ci se débattit d'autant plus en poussant des couinements infâmes. Je la regardai dans les yeux tout en hochant la tête. En moins de deux, sa main fut coupée, et Briony la récupéra pour la montrer aux autres. Au bord de l'évanouissement, Dulce respirait difficilement. C'était mon tour... Même si elle ne le méritait pas, même si je répugnais intérieurement à le faire, c'était à moi de mettre fin aux jours de celle qui avait été l'une de nos membres. Je m'approchai d'elle et attrapai fermement son visage d'une main. Les larmes maculaient ses joues, et la douleur se lisait dans chacun de ses traits. Après un instant à admirer ce sentiment presque... envoutant... dans ses yeux, j'arrachai le tissu qui l'empêchait de parler. Elle ne disait plus rien, jusqu'à ce dernier "pitié" qui sortit désespérément de sa bouche. Je frôlai alors ses lèvres des miennes dans un unique et dernier baiser. Aujourd'hui, le poison était mortel. Heureusement pour elle, il agissait vite. Elle n'aurait plus à souffrir longtemps. Je la lâchai à peine un instant plus tard et m'éloignai. Elle se convulsa en silence, ses pupilles se dilatant et ses traits s'étirant. Puis, elle poussa son dernier souffle et mourut. Je me détournai d'elle pour fixer à nouveau mon attention sur les Aigles. J'espérais que cela leur servirait de leçon.

- À présent, nous pouvons nous retirer. Ne t'avises plus de t'approcher d'une Vipère, où tu subiras le même sort qu'elle... sifflai-je à l'intention de Kim, le regardant droit dans les yeux. Je ne rigolais pas, et il le savait.

Le silence retentit après l’exécution. Personne ne disait plus rien. Jusqu’à ce que Kim prenne enfin la parole. Il ne répliqua pas à ma menace, me sommant juste de « ne pas oublier mes déchets en partant ». J’eus un sourire entendu, même si au fond de moi j’étais plutôt frustrée de montrer, malgré tout ce que je pouvais en dire, profil bas devant les Aigles. Dulce nous avait toutes déshonorées, et ses derniers instants allaient nous coller à la peau durant des mois, si pas des années ! Je détestais cela. Mais c’était trop tard pour revenir en arrière.

- Cela ne me serait jamais venu à l’idée, rétorquai-je en indiquant d’un regard aux filles de s’emparer du corps de leur ancienne compagne. Elles s’exécutèrent en tâchant de cacher leur dégoût.

- Tout ce que je souhaite à présent, c’est que nous n’ayons plus à nous recroiser de si tôt.

Nous passâmes à côté des Aigles sans les frôler ne serait-ce qu’un peu. Déclencher une bagarre après les évènements qui venaient de se produire n’était pas une bonne idée. Même si je ne le montrais pas, comme toujours, la mort de Dulce m’avait affectée. Je détestais cette partie si… « humaine » de moi ! Partie que personne ne devait jamais découvrir, d’ailleurs.

Nous quittâmes le territoire des Aigles non sans être escortés jusqu’à sa limite. Nous gardions la tête haute et restions attentives à la moindre attaque surprise de leur part. Ce ne fut heureusement pas le cas, et nous atteignîmes enfin notre territoire. L’accueil fut silencieux, à la vue du corps sans vie de la messagère…