There's nothing wrong with talking to yourself
PV Yulia - Jour 6

Si elle voulait la guerre, Reed allait l'avoir. Ces derniers jours, ma mère de substituions n'avait pas brillé par sa présence lorsqu'il s'agissait de m'entraîner. Elle avait mieux à faire paraissait-il avec la reconstruction du clan. Comme tous les autres Soumis, je m'étais attelé aux rénovations, mais au bout de six jours de dur labeur, mon humeur était massacrante et j'avais désespérément besoin de reprendre mon apprentissage. Lorsque j'avais été voir l'Ancienne pour qu'elle me donne quelques exercices à faire, elle s'était contentée de me dire d'aller me balader en ville. C'était son nouveau truc. Va faire un tour, Johanne. Tu ne connais pas assez les ruines, Johanne. Mais Johanne, elle s'en foutait de ces foutues ruines et depuis sa dernière excursion, elle n'avait aucune envie de recommencer ce petit jeu. Je m'étais perdue assez bêtement et j'avais dû demander de l'aide à un homme qui s'était avéré être un rustre désagréable. Alors les promenades en dehors du territoire, non merci, ce n'était vraiment pas pour moi. Sauf que Reed savait encore se faire obéir de temps en temps et que la menace du "Si tu n'obéis pas, je te confisque ton arc" était diablement efficace.

Voilà comment je m'étais retrouvée au milieu de nulle part, plus perdue que jamais. Plusieurs heures avaient dû passées et le soleil avait désormais atteint son zénith. J'avais chaud et particulièrement soif. Et, bien sûr, je n'avais pas pris la peine de prendre une gourde. En matière de survie, j'avais encore de très gros progrès à faire, je devais bien l'avouer. En orientation aussi. Non, mais à quoi je pensais moi ?! De rage, j'attrapais mon arc, encochais une flèche, et tirais sur une vieille planche suspendue qui avait dû être une enseigne à une époque lointaine. Le coup porta ses fruits et je me sentis légèrement plus calme. Mais cela ne résolvait pas mon principal soucis. J'étais toujours perdue et assoiffée. Et, cette fois, il n'y avait pas âme qui vive aux alentours.

- Comme si tu comptais demander ton chemin de toute façon... Pauvre andouille !

Je fis quelques pas dans un sens avant revenir en arrière et de refaire la même chose dans la direction opposée. Mais au final, je ne bougeais pas de l'endroit où je me trouvais, fixant la flèche toujours fichée dans l'enseigne.

- Reed va me le payer. Ma vengeance sera terrible ! Quoi qu'elle fait peur quand même parfois. Et puis, elle risque de se mettre en colère et me confisquer mon arc.

Perdue pour perdue, je décidais de tourner en rond. Même si j'étais fatiguée, l'activité était salvatrice et me permettais de vomir ce flot d'énervement qui rugissait en moi. Sans m'en rendre compte, j'avais commencé à faire les cents pas tout en continuant à parler à haute et intelligible voix. C'était l'avantage de la solitude.

- Donc il faut que je trouve une solution pour qu'elle ne sache pas que ça vient de moi. Mais elle saura d'office que ça vient de moi vu que tout le monde l'aime.

Sauf que je n'étais pas exactement seule.

Rien n'aurait su venir ternir la bonne humeur de Yulia. Ces derniers jours chaotiques avaient finalement accueillis un événement qu'elle trouvait infiniment positif. Malgré de mauvais départs, Yulia avait trouvée Violette. Depuis, elle vivait comme dans un rêve. Elle flottait sur un petit nuage de bonheur et affichait un sourire particulièrement idiot. Après la nuit passée avec elle, ainsi qu'une matinée bonus, Yulia avait raccompagné la dragonne à ses frontières pour qu'elle puisse assister à son entraînement de l'après-midi. Elle l'aurait bien gardé encore un peu avec elle, mais elles ne pouvaient pas faire semblant qu'aucun monde n'existait en dehors du lit de la vipère de façon définitive. Une matinée, c'était déjà beaucoup. La vipère avait donc profité des derniers instants en sa compagnie et n'avait lâché sa main qu'au tout dernier moment. Elle avait aussi fixé les frontières des dragons jusqu'à ce que la brune ait disparue avant de tourner les talons pour rentrer chez elle. Aujourd'hui, Yulia n'était pas en service et elle comptait bien profiter de cette occasion pour passer un peu de temps sur le territoire. Sûrement irait-elle traîner un peu avec Leonor. Ou elle passerait chez Dalia. Dans tous les cas, elle profiterait de cette belle journée pour rester dehors avec l'une ou l'autre personne.

Yulia marchait rapidement sur le chemin du retour lorsqu'elle entendit un tac caractéristique. Elle aurait reconnu ce bruit parmi des milliers d'autres. Une flèche se fichant dans le bois. Par réflexe, elle s'arrêta et scruta les alentours, une main resserrée autour de la poignée de la dague accrochée à sa cuisse. Une voix légère lui parvenait. Yulia fronça légèrement les sourcils et décida d'aller voir de quoi il s'agissait. L'instinct professionnel la poussait à jeter un œil pour être sûre que tout allait bien. La voix semblait énervée et elle n'avait pas besoin de comprendre ce qu'elle disait pour savoir qu'il se passait quelque chose. Après avoir déambulé quelques instants dans les rues, elle tomba sur un spectacle atypique. Une blonde était en train de faire les cent pas en râlant au milieu de nulle part. Yulia resta à bonne distance et la regarda faire, légèrement amusée. Elle connaissait cette fille. C'était une jaguar qu'elle avait déjà croisée une ou deux fois et dont son frère lui avait beaucoup parlé. Souvent par le biais d'allégories plus ou moins flatteuses.

Yulia se fit discrète un long moment. Elle était resté avec les bras croisés sur sa poitrine en attendant que l'autre fille la remarque, mais elle ne le fit pas. Elle continuait de parler seule. Visiblement, elle fomentait une vengeance. Sa méthode de réflexion était discutable. Il était étrange de parler de ce qu'elle comptait faire tout haut, les chances de se faire attraper ne seraient que plus grandes. Elle semblait néanmoins savoir que ses chances de réussite étaient maigres. Après un moment, Yulia se racla finalement la gorge. Même Johanne ne méritait pas d'être ridicule aussi longtemps.

— La vengeance est un art princesse et visiblement tu n'es pas une artiste. dit-elle moqueuse.

La vipère s'avança ensuite tranquillement pour venir se poster devant la blonde.

— Tu es bien loin de ton territoire. Tu t'es perdue ?

Depuis combien de temps étais-je en train d'arpenter cette rue en râlant à voix haute ? Difficile à dire. Je compris néanmoins que cela faisait beaucoup trop longtemps quand quelqu'un signala sa présence d'un raclement de gorge. Complètement prise par surprise, je sursautais et cherchais du regard la personne qui venait de s'exprimer. Je repérais rapidement une fille non loin. Mince ! Je venais de me ridiculiser. Impossible de savoir en plus tout ce que l'inconnue avait entendu ce qui me gênait au plus haut point. Et si elle allait rapporter ? Non, les chances étaient maigres. De toute façon, ce n'était pas exactement comme si je comptais réellement monter un plan contre Reed. La fille me poussa dans cette voie avec une répartie qui me laissa avec la bouche légèrement ouverte. Pourquoi est-ce qu'elle se foutait ouvertement de ma gueule comme ça ? Incapable de sortir une phrase convenable, je me contentais de la regarder s'approcher. Je me méfiais d'elle naturellement, mais pas assez pour encocher une flèche. Elle n'avait qu'une dague accrochée à la cuisse et même si elle était nettement plus grande je n'avais pas peur d'elle. La suite me fit froncer clairement les sourcils car si moi je ne la connaissais pas, l'autre semblait par contre savoir qui j'étais. Ou du moins elle savait que j'étais une Jaguar.

- T'es qui et comment tu sais que je suis loin de chez moi ?

Si ce n'était que du bluff, je venais de lui donner une confirmation, mais soit. Pour le moment, je voulais surtout savoir qui était cette nana qui s'était permise d'arrêter mes pensées et qui n'hésitait pas à se montrer ironique. En plus, elle avait raison. J'étais perdue et ça me faisait royalement chier qu'elle s'en soit rendue compte.

C'était de mieux en mieux. Cette fille n'avait vraiment aucune conscience de son environnement. En la voyant sursauter, Yulia se tendit légèrement et fut soulagée de ne pas la voir dégainer son arme. Johanne ne semblait pas dangereuse comme ça, mais elle ne devait pas posséder un arc pour rien. Seulement savoir tirer et se défendre, et agir correctement en cas de danger étaient deux choses bien différentes. Yulia ne s'était pas présentée comme un danger. Sa dague était restée dans son étui et elle n'était pas en position de combat. Elle ne s'attendait pas à ce que Johanne la prenne pour une ennemie. Elle se serait quand même attendue à ce qu'elle soit un peu plus réactive. Quelques mots, une répartie pas trop mauvaise, et Johanne se taisait, imitant assez bien un poisson arraché à l'eau. Et plus cette conversation (ou plutôt ce monologue) avançait, plus elle s'enfonçait dans cette attitude. Yulia se demanda une seconde si c'était bien la fille qu'elle pensait. Peut-être qu'elle s'était juste trompée.

Enfin, la fille qui devait être Johanne s'exprima avec un peu de venin dans la voix. Yulia sourit légèrement, toujours pas départie de sa bonne humeur du jour. Plutôt que de rester immobile, elle tourna lentement autour de la blonde en l'observant. Elle se savait peu douée au corps à corps et se tenait prête à arrêter tout début de combat.

— C'est une bonne et une mauvaise question. Je pourrais juste te dire que c'est une théorie foireuse parce qu'on est toujours loin de chez soi ici. Mais je ne vais pas être vicieuse, tu as l'air déjà assez paumé comme ça.

Insister sur le fait qu'elle était perdue était comme instinctif. Yulia ne savait pas exactement pourquoi elle cherchait à pousser l'autre fille, mais elle le faisait, ça, c'était sûr. Elle s'arrêta quand elle eut terminé son tour, se plaçant devant Johanne.

— J'ai beaucoup d'amis chez les jaguars et, va savoir pourquoi, on m'a parlé de toi et je t'ai déjà aperçue sur le territoire.

Yulia posa juste une main légère sur l'épaule de Johanne avant d'ajouter.

— Mais met ton ego au repos, c'était pas en bien.

Je n'aimais pas cette vie. Vraiment, vraiment pas. Tendue et exsudant la mauvaise humeur, je l'observais me tourner autour comme une espèce de version pourrie de rapace. Pourtant, cette fille ne devait pas être une Aigle. Elle n'avait pas la dégaine d'une Soumise et elle possédait des armes qui n'auraient pas dû être en sa position si elle n'avait pas au moins le rang de Membre. J'étais mal placée pour dire ça avec l'arc de Reed dans le dos, mais je doutais vraiment qu'on perde des ressources et du temps à filer des armes aux filles inutiles de l'Est et à les entraîner. Le monologue de l'inconnue eut le don de piquer un peu plus ma mauvaise humeur. Mais qu'est-ce qu'elle me rabâchait là ? Comme elle le sous-entendait, j'étais perdue, mais pas que géographiquement et ce simple détail m'arracha un grognement. Elle ne pouvait pas juste parler simplement, aller droit au but ? J'avais l'impression de suivre l'un des stupides cours de Reed. Quand elle fut enfin devant moi, je retiens une envie de lui envoyer un coup de poing. Seulement, je n'avais toujours pas obtenu de réponse et elle pouvait m'être utile si je voulais retrouver le chemin du territoire un jour. D'ailleurs, mon regard s'éclaira un peu à sa mention des Jaguars. Si elle avait des amis là-bas, elle devait d'office savoir comment on rentrait à la maison. Seulement, la suite me fit revenir à mon point de départ : l'énervement. Je chassais sa main d'un coup vigoureux et reculais d'un pas, l’œil meurtrier.

- Te moque pas de moi, sale garce ! Ils rigoleront tous moins quand je serais au top de la chaîne alimentaire.

Bien sûr que je savais qu'on ne disait pas du bien de moi chez les Jaguars. Les gens ne m'appréciaient pas parce que j'étais soi-disant trop bruyante, trop prétentieuse, trop détachée, trop chiante, trop beaucoup de choses en somme. Ce serait mentir que de dire que ces commentaires ne me dérangeaient, mais j'essayais au moins de ne pas trop le montrer. Pourtant, chacun était comme un coup sur mon ego. Et un jour, ils payeraient tous ça parce que plutôt que de le réduire, ça ne faisait que le faire enfler comme une bosse qui grossissait.

Cette fille était un livre ouvert. Yulia ne savait pas exactement si c'était dû à sa jeunesse ou simplement à son tempérament. A la mention des jaguars, elle s'illumina avant de redevenir la garce aigrie qui semblait être son persona le plus courant. La voir autant sur la défensive, prête à griffer comme un chaton, était amusant pour Yulia qui alla fourrer la main chassée dans la poche de son pantalon. Son autre main restait préventivement à proximité de sa dague pour éviter les mauvais coups. Elle était jeune et arrogante, un combo qui pouvait s'avérer autant dangereux pour elle que pour la blonde elle-même.

Quand Johanne clama qu'elle serait un jour au top de la chaîne alimentaire, Yulia ne pu s'empêcher de rire. Malgré une détermination qui pouvait être belle à voir, son attitude puérile gâchait tout. Comment aurait-elle pu la voir au top alors qu'elle tapait du pied et faisait des caprices comme une gamine ?

— Faudrait d'abord grandir pour ça. rigola-t-elle. C'est dommage de foutre en l'air tant de motivation. Et tout ça pour quoi ? Prouver que tu vaux un truc ?

Elle piqua du doigt la poitrine de Johanne, au niveau du cœur, l'air plus sérieux avant de reprendre.

— Tu dois être la première à croire en toi. C'est dans ce sens là que ça marche. D'abord, tu as pleinement confiance en qui tu es et en tes capacités et après tu peux t'attendre à ce que les autres le croient. Sinon, c'est que de la gueule. Et je te parle pas d'écouter ton ego. L'étape numéro un pour grimper, c'est de savoir à quel échelon tu te trouves exactement.