Le signal résonna et pétrifia tout le camp. Je ne mis pas longtemps à déchiffrer l'avertissement : il y avait un Aigle plutôt louche aux frontières. Levant les yeux de mon ouvrage, je tournais les yeux vers Noâ. Elle semblait somnoler sur une sorte de chaise longue. Au vu de la chaleur qui grimpait, nous n'utilisions que très peu le QG qui était une vraie fournaise, privilégiant l'ombre des bâtiments. Sans se départir de sa nonchalance, elle m'ordonna d'aller voir de quoi il s'agissait. Bien sûr, c'était pour ma pomme. Comme si un simple Membre n'aurait pas pu s'en charger. Obéissant, je me levais et abandonnais sur le sol ma lame que j'étais entrain d'entretenir. A la place, j'accrochais mon arc et mon carquois dans mon dos et enfilais mes bottines en prenant le temps de les lasser pour éviter les gamelles. Je partis ensuite en trottinant, ne souhaitant pas rester inutilement sous le soleil. Je cherchais bien sûr la fraîcheur de l'ombre, mais ce n'était pas toujours possible. Aussi j'arrivais au poste de garde passablement en sueur malgré que je ne portais qu'un débardeur ample et un short. Je me figeais en constatant qu'il s'agissait d'Eli. Qu'est-ce que cet idiot faisait là ? Si c'était officiel, il aurait certainement demander à voir Noâ, je pouvais donc en conclure qu'il venait pour une affaire plus personnelle. En gros, ça sentait les embrouilles. Inconsciemment, j'essuyais l'humidité qui me collait au visage et frottais mes mains sur mon short. Lorsque je m'en rendis compte, je m'arrêtais net pour lancer un regard assassin à la sentinelle qui me fixait de façon narquoise. Il s'agissait de Mac, il n'y avait d'un côté rien d'étonnant à ça. Soufflant un grand coup, je rejoins calmement le blond, m'arrêtant à un bon mètre de lui.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Son regard sur le poste de garde m'intrigua et je me tournais légèrement pour voir ce qui l'intéressait là-bas. Mac était confortablement appuyé contre la barrière et nous observait sans une once de discrétion. Il avait l'air plutôt satisfait d'avoir autre chose à regarder que des ruines et comptait visiblement en profiter. Le petit crétin, s'il n'en avait tenu qu'à moi, j'aurais amoché son joli minois à coup de poing. Le fusillant du regard, je ne m'intéressais à Eli que lorsqu'il reprit la parole. Il ne m'avait toujours pas dit ce qu'il foutait ici et si je voulais savoir, j'allais devoir m'éloigner en sa compagnie. Je n'aimais pas trop ça, mais il y avait dans sa voix une gravité que je ne pouvais ignorer. Poussant un soupir, je lui indiquais de me suivre du menton et fis volte-face. A quelques mètres de là, il y avait un bâtiment à moitié en ruine qui nous apporterait un peu d'intimité. Ce n'était pas vraiment ce que nous recherchions, mais ce serait mieux que rien. En plus, nous serions à l'ombre. Une fois au frais, je déposais mon arc et mon carquois sur une pierre, et m'adossais au mur.

Maintenant que l'indiscret ne peut plus nous voir, tu pourrais peut-être me donner la raison de ta présence ici.

Et j'espérais qu'il en avait une bonne. Dès mon retour, Noâ me demanderait des explications et je ne tenais pas trop à lui dire que je traînais encore avec Eli.

Les vêtements, bien sûr. A vrai dire, je ne pensais plus du tout au fait qu'il devait encore nous les rendre. Je doutais même du fait que Noâ s'en souvienne. Néanmoins, c'était tout à son honneur de nous les rapporter. Je ne pu m'empêcher de penser que ce geste étrange cachait quelque chose. Il n'aurait quand même pas fait tout ce chemin par cette chaleur juste pour ça. Pensive, j'attrapais les vêtements et les calais sous mon bras. Je hochais ensuite mollement la tête lorsqu'il termina de parler. Tiens, il était étrangement bavard aujourd'hui. Je l'aurais plus imaginer me tendre simplement les habits avant de disparaître.

Sûre de moi ? Silencieuse, je baissais les yeux sur mon arc. Qu'il n'aille pas croire que je l'avais retiré parce que je me sentais en confiance avec lui ou une autre connerie du genre. Il faisait chaud et les sangles me blessaient la peau lorsque je ne portais pas un vêtement assez épais. En plus, je n'aurais pas pu souffler contre le mur si je l'avais dans le dos. Rah, mais pourquoi je me justifiais moi. Même si c'était dans ma tête, ce n'était vraiment pas sérieux !

- Euh ouais un peu...

J'avais répondu sans réfléchir. Ce n'était sûrement pas une bonne idée, mais après tout je n'avais rien de mieux à faire pour le moment. Et puis, je n'étais vraiment pas contre le fait de discuter avec lui pour remettre un peu d'ordre dans mes idées.

- Tu veux qu'on aille ailleurs ou ici ça va?

Puisque l'endroit lui convenait, je pouvais me permettre de m’asseoir. A moins qu'il ne trouve que cela soit encore une marque de confiance ? C'était mauvais signe, ce type était littéralement rentré dans ma tête et je ne pouvais m'empêcher de cogiter pour rien à cause de lui. Finalement, par pur esprit de contradiction, je décidais de me poser un muret en ruine, calant mes coudes sur mes genoux pour y appuyer mon menton. De toute façon, mon arme était à proximité et je n'aurais qu'à récupérer une flèche pour lui crever un œil s'il voulait jouer au cowboy.

- Oh je vois que votre Espion est toujours aussi efficace.

S'il savait tout ça, c'est que nous avions été surveillé de façon active. Surtout que tout était vrai. Ces derniers temps, Noâ n'était vraiment pas tendre et je me coltinais toutes les corvées possibles et imaginables. La pire étant bien sûr cette petite garce d'Asha qu'il me fallait éduquer. Autant dire une tâche impossible.

- Disons que depuis quelques temps, j'ai tendance à faire certaines erreurs qui déplaisent fortement à Noâ. Du coup, elle m'a collé un crampon. Je dois gérer une petite nouvelle particulièrement remuante qui me déteste et à qui je le rends bien.

Et voilà que je recommençais à m'étendre. Il était vraiment temps que ce type sorte de ma vie. Mais est-ce que je le désirais vraiment au fond?

Eli paraissait plutôt relax. Il s'était relâché contre le mur et avait même les mains dans les poches. Tout comme moi, il ne lui aurait sûrement pas fallut longtemps pour attaquer ou contrer une attaque. L'avantage lorsque l'on était face à un possible adversaire qui avait approximativement le même niveau, c'était qu'être sur ses gardes ne servaient pas à grand chose. Nous pouvions donc discuter tranquillement, tout en gardant un niveau de vigilance assez bas. Du moins dans notre propre échelle de valeur.

- Je le comprends d'un côté. Il doit y avoir plus de spectacle chez nous que chez les Vipères. Une question d'attitude, je suppose.

Dans les faits, j'aurais pu m'adapter à la vie chez les Vipères, mais leur Chef m’insupportai vraiment beaucoup trop. Surtout qu'elle était connue pour les punitions qu'elle infligeait et je n'appréciais pas les effusions de sang inutiles. Bien que Noâ puisse se montrer cruelle elle aussi. Il suffisait de voir ce qu'elle avait fait à la pauvre fille qui avait eu le malheur de se trouver sur sa route. D'après ce que j'avais compris, elle n'avait même pas eu le temps d'être une menace.

Ma situation avec Asha sembla l'amuser ce que je n'appréciais que très peu. On voyait bien que ce n'était pas lui qui devait se la coltiner. Et puis, il me lança ce regard qui avait le don de me mettre mal à l'aise. Ce n'était pas l'un de ses abrutis qui regardait les filles comme un morceau de viande. Il me scrutait avec attention, cherchant certainement toutes les failles, toutes les informations cachées, comme il le faisait toujours. Cette attitude était véritablement inscrite dans chaque parcelle de son corps, j'en étais persuadée.

-- Elle a du potentiel, c'est vrai, mais son attitude laisse vraiment à désirer. Elle me fait une mauvaise impression. Je doute sincèrement sa loyauté envers Noâ, elle cherche juste à grimper les échelons. Je marquais une pause, relevant les yeux vers Eli pour l'observer, avant de continuer. Sincèrement, j'avais hésité à dire ce que j'allais sortir, mais je m'étais dit que cela me permettrait peut-être d'exorciser tout ça. C'était la première fois que Noâ me punissait réellement. Avant même si je faisais des choses qui auraient été punissables pour n'importe qui d'autre, je m'en sortais avec un regard noir et une incitation à faire plus d'effort, mais là... Je l'ai profondément déçue et ça me bouffe. Je me relevais d'un bond et fit quelques pas avant de revenir à ma position initiale. Je ne sais pas qu'elle est ta relation avec ton Chef alors je ne sais pas si tu comprends ce que ça fait, mais je perds pied. Plus je fais d'efforts et plus je répète mes erreurs. A cause d'une vanité passagère et ma peur de l'eau, j'ai laisser une Soumise me m'acculer !

L'attitude d'Eli changea soudainement et il se laissa glisser le long du mur. Je décidais de me mettre à sa hauteur en m'installant à la même place que tout à l'heure et poussais à mon tour un soupir. Ensuite, il parla d'un sujet que j'aurais préféré éviter pour la simple et bonne raison que je ne savais pas quoi en dire. Après avoir longuement garder le silence, je me décidais à commencer.

-- Disons que c'était un coup de folie... Je me tus, ne sachant pas si je devais continuer, mais d'un autre côté, je ne voulais pas qu'il se méprenne. Pourtant, je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'est pas sans fondement.

Cette question me surprit et eut le don de me mettre sur la défensive. Comment il pouvait me la poser alors que lui n'avait même pas pris la peine de se mouiller jusqu'ici ? D'accord, c'était moi qui était aller le chercher alors que j'étais bourrée, mais il ne s'était pas franchement débattu non plus. Sérieusement, je n'avais pas l'impression de l'avoir violer sous l'emprise de l'alcool. Même si techniquement, il manquait des morceaux à cette étrange nuit. Et puis si ça avait été le cas, je doute qu'il revienne à la charge de cette façon. Même chose si je n'avais été qu'une fille parmi tant d'autres. Pas que j'ai l'orgueil de penser que je comptais vraiment pour lui. C'était vraiment trop compliquer pour que j'y comprenne quoi que ce soit. J'allais le fusiller du regard pour avoir foutu le bordel dans ma tête lorsqu'il reprit la parole. Visiblement, il était dans le même état d'esprit que moi. C'était rassurant au moins, je n'étais pas toute seule dans cette galère.

- Pour une raison qui m'échappe complètement, tu...m'attires. Il y a un truc de spécial chez toi. Du moins, qui est spécial pour moi.

Malgré mes réflexions, je n'en étais arriver qu'à ce stade. Une chose était sûre, l'avoir près de moi me rendait différente. Quiconque me connaissant, même un tout petit peu, aurait constaté que j'étais plus ouverte. Seulement, il n'y avait pas que ça. Sa présence me m'était dans l'embarras car j'avais terriblement envie d'être plus proche de lui. Le toucher, l'embrasser, voir peut-être même si je laissais libre cours à l'un de ses désirs.

- Tout ce que je sais, c'est que même si c'est complètement fou et que quelqu'un de mon clan pourrait nous surprendre...

Je me stoppais net. Est-ce que j'allais vraiment dire ce que je venais de penser à voix haute?!

Il venait de dire quoi là ? Je n'avais pas rêvé, il avait bien dis 'les ennuis que cela pourraient te causer' ? C'était un peu trop hallucinant pour que mon cerveau arrive à imprimer l'information. Il ne s'inquiétait pas pour lui, mais pour moi. En langage clair, ça voulait dire qu'il tenait à moi non ? D'accord, c'était lui qui avait insisté pour qu'on en parle, mais je n'avais pas penser qu'il irait jusque là. Et moi qui avait l'impression de m'être confier. A côté de ça, ce qu'il venait de lâcher avait l'allure d'une bombe. Et cette révélation l'avait visiblement mis dans tous ses états. Il se mit à faire les cents pas avant de se stopper brusquement pour reprendre position contre le mur, les bras croisés sur son torse. A vrai dire s'il ne m'avait pas pris de cours, j'aurais moi aussi arpenter pour essayer de remettre un peu d'ordre dans mon esprit.

M'ébouriffant furieusement la tête, je soupirais pour chasser ma frustration et me relevais. Pourquoi est-ce qu'on était obliger de se prendre la tête comme ça. J'étais la Seconde de Noâ et lui le confident de Kim, mais nous ne mettions absolument pas en danger nos clan en étant ensemble. Surtout que rien ne disait que nous ferions prendre. Après tout grâce aux postes que nous occupions, une certaine liberté de mouvements nous était accordée. Mettant de côtés toutes les pensées qui filaient une toile incompréhensible dans ma tête, je m'approchais de lui et crochetais sa nuque.

-- On aura qu'à gérer un problème à la fois. Là, j'ai furieusement envie de t'embrasser et au diable le reste.

Encore un coup de folie que lui seul pouvait provoquer. Même si je croyais vraiment à mes paroles, elle ne vaudrait peut-être que pour un temps. Si Noâ réclamait ma présence, j’accourrais et le laisserais en arrière sans la moindre hésitation. Et j'espérais qu'il en était de même pour lui. Pour éviter une nouvelle hésitation, je l'embrassais enfin, envoyant valser le trop plein de pensées qui m'étouffait.

Ce baiser fut bien trop court à mon goût. J'avais besoin de beaucoup plus pour mettre mes doutes en sourdine. Ma peur aussi peut-être d'une certaine façon. Le simple fait d'être avec Eli bouleversait mon monde et le moindre pas de côté pourrait me faire perdre tout ce qui comptait pour moi. Valait-il vraiment un tel sacrifice ? Le choix était compliqué. Sans les Jaguars, je ne serais pas ce que j'étais aujourd'hui, mais sans Eli je perdais une chance d'évoluer de façon propre. Pour la première fois de ma vie, je vivais pour moi et non dans l'intérêt du clan. Cela ne voulait pas dire pour autant qu'offrir ma vie à Noâ était pour moi une erreur. Je ne pouvais pas non plus remettre toute mon existence en question pour les beaux yeux du bras-droit de Kim.

Le contact du pouce d'Eli sur ma joue me fit remonter à la surface. Je m'étais complètement laisser engloutir par ce conflit intérieur. Voir ce jeune homme que j'avais toujours connu froid comme la glace aussi tendre avec un petit quelque chose de perturbant, mais c'était agréable. J'aimais l'idée qu'il ne soit comme ça qu'avec moi.

- Si monsieur m'avait prévenu de sa visite, j'aurais pu me faire belle.

J'éclatais ensuite de rire. Comme si c'était mon genre de me pomponner. Il n'y avait que ce tordu d'Anton pour faire ce genre de chose dans le contexte où nous vivions. Reprenant mon sérieux, je lui expliquais la raison de mon état.

- J'ai hérité de l'entretien des armes pendant une semaine. Noâ a décrété que Peacemaker avait trop de boulot ces derniers temps.

- Il y a quelque chose que tu dois voir. Et cela ne va pas te plaire.

Allons bon que se passait-il encore ?! Ouvrant un œil, je plaçais ma main en visière et dévisageais la personne qui se tenait dos au soleil. Je savais pertinemment de qui il s'agissait, mais j'avais besoin de voir les traits de son visage pour comprendre la gravité de la situation. N'arrivant pas à déchiffrer son expression, je me levais pour faire face à l'adolescente. Il s'agissait de Johanne, l'une de mes pupilles favorites à l'avenir aussi brillant que l'astre qui jetait ses rayons sur les ruines de Paris. Si elle prétendait être choquée, une lueur malicieuse brillait au fond de son regard. Visiblement, elle avait trouvé quelqu'un à qui jouer un vilain tour. Cette gamine avait quelque chose de vicieux et voir les autres dans des situations compromettantes lui plaisait profondément.

- De quoi s'agit-il ?
- Tu ne me croiras pas sans assister à la scène.

C'était mauvais signe. Prise d'une certaine inquiétude, j'ordonnais à la blonde de me conduire jusqu'à ce fameux spectacle. Elle rejeta sa longue chevelure en arrière et ouvrit la marche d'un pas vif. Elle sautillait presque. Mais qu'est-ce que cette gosse avait fumé pour être dans cet état ? Elle me conduisit jusqu'à la frontière où Mac montait la garde. Ma présence le surprit, mais il m'adressa un petit sourire que je ne lui rendis pas. Je n'étais pas d'humeur à faire joujou avec lui. Notre route nous mena plus loin encore vers une zone où des pans de murs formaient une sorte de petit labyrinthe.

- Mais tu es très belle, même toute couverte d’huile.

Je connaissais cette voix, mais l'émotion qu'elle contenait avait quelque chose de dérangeant. Un peu plus loin, je me retrouvais en effet face à une scène des plus étranges. Était-ce vraiment Alessandra qui embrassait Eli avec une certaine passion ?

Les informations peinaient à atteindre mon cerveau. Il y avait comme une surcharge sur le réseau à cause de leur arrivée massive et totalement soudaine. C'était une chose rare, j'avais toujours été très vive d'esprit et il en fallait beaucoup pour réellement me choquer. Eli remarqua notre présence en premier. Son visage se décomposa et pour la première fois, je vis le jeune homme exprimer une quelconque émotion. Si sa compagne s'interrogea sur son soudain comportement, elle ne pensa pas forcément à se retourner. Il fallut qu'il lui adresse un petit signe du menton pour qu'elle comprenne que le trouble de l'Aigle provenait d'un élément extérieur. Sentant un sentiment étrange poindre en moi, je cessais de respirer lorsqu'elle se retourna enfin. Maintenant que j'apercevais son visage, il n'y avait plus de retour en arrière possible. Johanne avait raison, je ne l'aurais pas cru sans le voir.

- Noâ... Je...

Cela ne m'aidait pas vraiment à comprendre ce qu'il se passait ici. Enfin si, je le savais pertinemment, mais je ne voulais pas le savoir. Bon dieu, mais pourquoi cette situation était aussi compliquée ! Voir ma Seconde avec un homme était déjà inédit en soit. Je n'avais jamais entendu de rumeur lui prêtant une relation avec l'un ou l'autre individu de sexe masculin ce qui m'avait toujours étonner. Elle avait un sale caractère, mais quand même, elle était plutôt mignonne. Enfin là, elle avait plus l'air traumatisée qu'autre chose.

- Bon ben on va aller voir papa.

Johanne se mit à glousser à l'entente de cette remarque, mais elle se calma bien vite en m'adressant un regard intrigué. Visiblement, elle n'avait pas compris la feinte. Alessandra non plus d'ailleurs.

Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Maintenant que la dernière carte se trouvait au creux de ma main, chaque élément prenait sa place, me dévoilant un jeu qui me paraissait inconnu. Pourtant, j'avais vu la partie se jouer sous mes yeux, mais trop obnubilée par par Alessandra, j'avais eu la stupidité de ne pas prendre assez de distance. Et maintenant je me retrouvais au centre d'un vaste panier de crabe aux allures de bombe. Ma Seconde avec l'homme de confiance Kim, cela aurait un délicieux goût de complot pour les autres clans. Je ne pouvais même pas écarter l'idée d'une trahison à l'encontre des Jaguars car cette fille qui se tenait devant moi n'avait rien à voir avec celle que j'avais connue et choisie pour me seconder. Surtout que cette fois, il me serait impossible de la couvrir. Ce n'était pas tellement que je ne le pourrais pas, mais que je ne le voulais pas. Alessandra avait fait un pas de trop et elle devrait le payer d'une façon ou d'une autre.

- Je comprends mieux ton... Je crachais la suite de façon dégoûtée. comportement de ces derniers jours.

Le premier à réagir face à ma décision fut l'Aigle. Il quitta son appui et se plaça devant ma Seconde qui affichait toujours le même mélange d'émotion : honte, peur et incompréhension. Si elle avait perdu de sa superbe depuis quelques temps, elle n'était ici plus que l'ombre d'elle-même. Un fardeaux dont il me faudrait bien faire quelque chose. Après un instant d'une visible réflexion, Eli laissa tomber dans l'air une supplique étrange. Lui aussi me paraissait étranger. A croire qu'ils avaient pris un coup sur la tête.

- Vous ne me laissez pas le choix. Si votre rencontre au lac ne valait rien, nous sommes dans un cas de figure bien différente. Croyez-vous vraiment que les Dragons et les Vipères n'en profiteront pas s'ils venaient à apprendre votre relation ? Pire si quelqu'un découvrait vos rencontres, car je doute que vous ne vous soyez pas revu avant aujourd'hui. N'oubliez pas qui vous êtes. Surtout que vu le tempérament que vous affichez, on pensera plus vite à une alliance qu'à une vague histoire de cul ! J'expirais bruyamment pour faire retomber mon énervement avant de continuer. Kim doit savoir sur quel merdier il est assis.

Ce n'était pas de gaieté de cœur que j'allais le voir, mettre en lumière le comportement ma Seconde me déplaisait fortement.

La sentence de Noâ était terrible. Certes, elle ne fermait aucune porte, mais les conséquences seraient graves. La punition que je recevrais par la suite ne serait rien comparer à ce qu'elle attendrait de moi. Dans ses yeux, je lisais sans peine l'unique solution qu'elle m'offrait. Soit je me décidais à reprendre le rôle qui avait toujours été le mien et je faisais disparaitre de ma vie les éléments qui perturbaient mon chemin, soit je me débarrassais des responsabilités qui m'empêchaient d'être simplement moi-même. En clair, c'était la confiance des Jaguars, mon poste de Seconde, ou l'amour que je portais à Eli. C'était un choix qu'il m'était impossible de faire. Les sentiments que j'éprouvais pour l'Aigle étaient étranges et j’apprenais à peine à les vivre, mais je ne voyais pas les renier. Tout comme je ne m'imaginais pas mon existence sans mon clan et la relation que j'avais eu la chance de pouvoir créer avec sa Chef. Bien sûr, il existait des solutions temporaires. Après tout, l'activité au sein d'un clan était courte et l'idylle avec Eli pourrait très bien être vécue plus tard. En espérant que cette amour perdure, qu'il accepte cette situation et que vivre de cette façon soit possible bien entendu. C'était bien trop d'inconnues pour des années de patience.

Et pendant que j'étais encore empêtrée dans ce flot de pensées négatives et d'espoirs déchus, Eli avait retrouvé le réconfort de son masque. Il était moins opaque que celui qu'on lui voyait habituellement, mais il suffirait certainement à berner la majorité des personnes que nous pourrions croiser en route. Voilà donc comment cela allait se finir. L'un comme l'autre, nous n'étions pas capable de devenir nous même, cette relation était vouée à l'échec. Du moins, c'est ce que je m'efforçais de penser. En vérité, je voulais croire que nous aurions une chance, d'une façon ou d'une autre.

Le visage fermé, j'allais ramasser mon arc et mon carquois que j'accrochais autour de mon buste. Sentir le métal brûlant au creux de mon dos me rassurait. Je pris une grande inspiration et soufflais tout l'air présent dans mes poumons. J'étais prête.