Swann, fuyant l'attaque, l'avait rejoint derrière les buissons qui entouraient la clairière. Elan constata avec soulagement qu'elle était armée. Elle disposait d'une dague, comme lui. Il espérait juste que ce n'était pas sa seule arme, auquel cas elle pourrait difficilement s'en servir. Il attendit une réponse des agresseurs à sa menace. Elle ne vint pas. Avaient-ils abandonné l'attaque? S'étaient-ils ravisés après avoir compris qu'ils s'attaquaient aux clans et à la Troupe? Elan envisagea une attaque de Dragons ou de Vipères, mais ça ne tenait pas debout. Non, leurs agresseurs étaient certainement des Libres en quête de nourriture et d'armes, mais combien étaient-ils?

Alors que l'adolescent s'interrogeait et réfléchissait à toute vitesse à ce qu'il y avait lieu de faire, Swann lui tendit un bout de tissu pour éponger sa blessure. L'adolescent considéra le jeans, à la fois surpris et gêné. Il s'en saisit et détourna le regard sans la remercier. Il plaqua le tissu sur sa joue pour absorber le sang. La blessure n'était pas très profonde, mais il devrait la soigner au plus vite pour éviter les infections.

Swann proposa une stratégie. Enfin, "stratégie" était un grand mot. Sa solution était totalement irraisonnée. Avant qu'elle ne prenne les devants, Elan tenta de lui faire entendre raison :

- Ne sois pas stupide, murmura-t-il, on ne sait même pas combien ils sont! Tu vas te faire tuer!

Il était sincère. Non pas qu'il s'inquiétait pour elle, mais avec une Aigle morte sur le dos, difficile de prouver son innocence aux clans... Non il fallait trouver une autre solution, et vite.

- Donnez-vous vos armes, vos provisions, et nous vous laisserons.

C'était une femme, et peut-être l'archer qui lui avait tiré dessus. Il n'y avait que les Libres pour demander des provisions. Cela confirma qu'ils n'étaient pas attaqués par les clans.

Elan analysa la situation. La clairière était de forme ovale. Si leurs ennemis attaquaient, ils feraient forcément le tour pour les prendre par surprise. "Si j'étais à leur place,pensa-t-il, je demanderais à mon coéquipier de négocier pendant que je ferais le tour..." Il allait mettre en garde Swann, lorsqu'une branche craqua non loin d'eux. On les prenait à revers!  

Complètement irrationnelle, c'était le mot qu'il cherchait. A chaque fois qu'Elan tentait de la raisonner, elle se rebiffait et campait sur ses positions, sans même admettre qu'il avait raison. Swann lui répondit très sèchement que sa mort n'aurait aucune importance pour lui, et que tout ce qu'il craignait, c'était des représailles de la part des Aigles. Ce n'était pas faux, mais si elle tenait à sa vie, elle devait bien admettre qu'il était plus sage de réfléchir plutôt que de foncer tête baissée. Donc, il ne répondit pas, mais prit bien soin de lever les yeux au ciel, irrité.

De toute façon, Swann n'eut pas le temps de prendre une quelconque décision. Ils étaient attaqués et venaient de se faire contourner par leur ennemi. Il dut bien admettre sur ce coup-là que Swann avait eu plus de réflexe que lui. Alors que, surpris, il était seulement en train de relever sa dague en vue de se défendre, la jeune Soumise avait enfoncé son arme dans les côtes de leur assaillant, sans même ciller.

Pour une simple Soumise, ses aptitudes au combat étaient impressionnantes. Elle devait avoir suivi un entraînement drastique pour avoir de tels réflexes, et pour manier aussi bien son arme. Le Libre, lui, poussa un hurlement et se figea, de peur que la lame ne pénètre davantage dans sa poitrine. Il était très jeune, et visiblement inexpérimenté. Elan se dit qu'il avait été trop confiant pour les attaquer alors qu'ils étaient à deux.

Le Libre, sans vraiment écouter ce que Swann racontait, gémit et cria, à l'adresse de sa partenaire, Ils m'ont eu, vas-t-en. Sans s'attarder davantage, la Libre déguerpit dans le sens opposé. Ensuite, il se tourna vers l'Aigle et se désarma. Ne me tuez pas, je vous en prie. On ne voulait pas vous blesser.

Ah non? réagit Elan, Ta copine m'a presque arraché le visage! Qu'est-ce qui vous a pris de nous attaquer?

Nous cherchions des armes... expliqua le Libre, de plus en plus faible.

Elan se dit qu'il était mal en point. Swann avait malgré tout enfoncé sa dague profondément et même s'ils décidaient de le soigner, il risquait d'y rester. Elan était plutôt d'avis à s'en débarrasser afin d'éviter les ennuis.

Alors l'adolescent reprit sa dague et l'approcha du cou de sa victime en vue de l'exécuter. Le Libre, comprenant son intention, gémit davantage et laissa perler quelques larmes, espérant bénéficier de leur pitié.

L'adolescent s'immobilisa lorsqu'il comprit que Swann souhaitait épargner le Libre. Il l'aurait bien achevé d'un coup de dague. Une seule seconde lui aurait suffit. Mais il ne voulait pas se mettre l'Aigle à dos. S'il avait achevé son ennemi, aucun doute : la jeune femme lui aurait rabâché ses torts et se serait davantage montrée agressive envers lui. Il ne voulait plus s'attarder et n'avait qu'une seule envie désormais : partir. Cette rencontre avait trop duré, et les choses avaient failli mal tourner.

Sans relever l'attaque de la Soumise, l'adolescent se redressa, prêt à partir. Mais il fut surpris lorsqu'elle s'approcha de lui pour le soigner à nouveau. Oui le sang coulait, c'était d'ailleurs assez gênant. Mais la blessure était très superficielle et il s'étonnait du soin qu'elle mettait à le guérir. Il resta immobile alors qu'elle changeait son bandage, légèrement gêné par la situation et la proximité de l'Aigle. Lorsqu'elle eut fini, il esquissa un léger signe de tête en guise de merci. Ce mot avait du mal à passer la frontière de ses lèvres, mais il était tout de même reconnaissant envers la jeune femme pour son attention, même s'il n'osait l'admettre.

Enfin, Swann proposa, de façon toujours aussi vive et indélicate, d'aller voir un vrai médecin. Elan ne cacha pas sa surprise.

Un médecin? Je vais très bien... Il y a une soigneuse au campement. Tu n'as plus de souci à te faire pour moi.

Il avait énoncé cette phrase sans méchanceté, mais sans réelle sympathie non plus. Le climat s'était légèrement refroidi depuis l'irruption des deux Libres et tout cela commençait à le mettre mal à l'aise.

Et je n'irai pas embêter Virgo pour si peu. Il a d'autres soucis. Enfin... Il resta songeur un instant, pensant aux troubles auxquels sont chef devait faire face en ce moment. Je suppose qu'il est temps qu'on se sépare.

Il regrettait que la rencontre se soit mal passée. Quelque chose lui disait que Swann devait être quelqu'un de bien, et que toute cette agressivité cachait sans doute une personne fragile. Mais il n'avait ni le temps ni l'envie de creuser, et le jeune homme chassa son regret comme la peste.

Elan resta immobile, surpris par les propos de l'Aigle. Elle s'était visiblement vexée suite à ce qu'il lui avait dit. Ses paroles n'avaient pourtant rien de heurtant. Il lui avait juste suggéré de se séparer, à présent. Il avait également voulu dire que, l'attaque n'ayant généré aucune victime, il serait inutile d'aller en parler à son chef. Bref elle prenait la mouche pour rien. L'adolescent se contenta de hausser les épaules. Elle était déjà en train de partir. Il allait la laisser filer, mais pas avant d'avoir mis les choses au clair.

T'es vraiment incompréhensible... Tu me soignes et puis tu me hurles dessus. Je pense que t'es un poil trop susceptible comme fille. Mes paroles n'étaient pas blessantes.

Il était agacé. Il tentait d'adoucir son attitude et son comportement, mais se heurtait toujours à l'agressivité de la jeune femme. C'était râlant. D'autant qu'il n'avait pas l'habitude de mordre sur sa chique, loin de là. Et puisque ses efforts n'avaient pas payé, eh bien tant pis. Il n'avait rien à attendre de cette fille de toute façon. Visiblement, elle était instable et ne pourrait que s'attirer des ennuis avec un comportement pareil.

Le "pour si peu" ne te visait pas. Je parlais des conséquences de l'attaque, pas de toi. Juste pour que tu le saches...

Ce détail étant réglé, il tourna les talons, impatient de regagner le campement qu'il avait quitté depuis trop longtemps et toujours déconcerté par cette étrange rencontre.