[Jour 3]

Je fus réveillée, une énième fois, par un représentant de la gente masculine de mon clan. Il disait avoir compris un certain message, message que je n’avais jamais perçu moi-même. C’était un Membre, non pas gradé, mais un Membre Basique. Le fait qu’il soit Membre, au masculin, faisait de lui mon « supérieur » malgré notre aspiration commune en tant que Basiques. Une règle un peu stupide de mon clan mais j’avais appris à m’y accommoder. L’unique souci qui résidait chez moi, parait-il, c’était ma fâcheuse tendance à m’exhiber face aux mauvaises personnes. Et tout le monde sait, chez les Dragons, que les mauvaises personnes sont légion. Tout le monde sait aussi que je ne contrôle pas cette mauvaise habitude ; c’est une très mauvaise manie. Fille, garçon, qu’importe, ils m’avaient déjà tous croisée en sous-vêtements au moins une fois, sauf peut-être les petits nouveaux. Du coup, des matinées comme celle-là, j’en avais déjà connu plus d’une centaine. C’était monnaie courante. Tous croyaient pouvoir avoir une chance avec moi. Et comme toujours, je tombais des nues. Peut-être était-ce ce que me reprochaient à coup sûr mes « victimes », parce qu’ils se considéraient comme tel. C’est tellement facile. Ils interprétaient cette réaction comme de l’arrogance alors que, sincèrement, je n’avais jamais voulu envoyer le moindre signal. Je ne suis pas de celles qui écartent les cuisses si rapidement. J’ai ma dignité. Je ne connais pas encore le grand amour non plus, donc forcément.

« Pardon ? Je t’assure que ce n’était pas ça ! », j’avais bien du mal à désamorcer la bombe qui me faisait face. S’il n’était pas content de la réponse, la solution la moins sympathique était la dernière à écarter. Il n’y aurait rien de surprenant à ce qu’il me saute dessus tel un animal en rut. Ils n’en avaient, généralement, rien à faire du refus de celle qu’ils espéraient se faire, oui, se faire, sur le moment-même. Au fond, nous ne sommes que des femelles, comme certains aiment le dire. J’aurais encore préféré la violence, j’aurais préféré qu’il tente de me ruer de coups, histoire de pouvoir lui répondre assez facilement. Comme première réaction, je soupirai. Un soupire d’agacement parce que je connaissais la suite bien trop par cœur. C’était bien ça, le souci. S’ils ne se ressemblaient pas tous, aussi, ce serait peut-être un poil moins ennuyant, moins prévisible. « Calme-toi ! », j’étais trop gentille, là. S’il n’y avait pas un électrochoc suffisant, ou du moins un répondant, il ne comprendrait sans doute jamais. « Si tu as besoin de t’occuper, vas te trouver une Soumise ! Il y en a des centaines prêtes à t’accueillir pour ne pas subir ta colère ! », d’une certaine manière, je me détestais à dire ça, mais c’était la seule solution envisageable pour lui répondre à son niveau aussi bas soit-il. « Eh merde, dégage ! », je venais tout juste de lui mordre le poignet après avoir prononcé ces mots. Il entra dans une colère noire qui l’invitait encore plus à se ruer sur moi et mon lit, si possible, évidemment. « Ta gueule ! C’est de ta faute, je te signale ! Alors, ferme-la et assume ! », assumer quoi, au juste ? Je n’y comprenais vraiment rien. Se croient-ils forcément le centre du monde, ces « mâles » ?

La journée commençait vraiment mal. Alors même que ce n’était encore que l’aurore, tout semblait s’enchaîner en si peu de temps. Ce n’était pas bon signe. Si j’avais pu l’éviter, je crois bien que j’aurais évité, plus tard, de rejoindre le grand entraînement prévu pour ne pas risquer je ne sais quel accident. Néanmoins, je n’avais pas le choix, ce n’était pas une suggestion, c’était une obligation, voilà tout ! Alors, je prierais simplement que rien ne m’arrive, qu’il n’y ait pas un autre homme lourd pour me rentrer dedans ou un Ancien pour tuer un Membre parmi tant d’autres. C’est certain, les Membres sont une bande de chaire à pâté mais de là à être tué par un membre du même clan, qu’il soit Ancien ou Gradé, ou tout autre, c’en était incroyable. Il y avait beau avoir une différence de considération entre les différents grades au sein du clan, on ne tuait pas aussi rapidement, à moins d’avoir une dent contre ledit Membre ou parce qu’il manquait de respect à un Gradé. Par conséquent, j’étais un peu surprise mais surtout complètement à côté de la plaque. Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit le corps, ensanglanté, d’un homme allongé sur lui à cause d’un tir qu’on entend à peine. Peut-être aurais-je mieux fait de prendre l’exemple de Loukas, ce jour-là. Peut-être aurais-je mieux fait de laisser sa porte fermée, de ne pas ouvrir à ce Membre en rut. Bien qu’il se serait sans doute glissé sans hésiter… J’aurais mieux fait de ne pas être ce que je suis, dans ce cas. C’était mon attitude, semble-t-il, qui perturbait tous ces mâles.

Cet homme, qui venait tout juste de tuer ce garçon, rentrait, à son tour, sans hésiter. Décidément, personne, ce matin-là, ne connaissait le principe d’un logement personnel. Se croyaient-ils dans une salle commune ? Je ne m’imaginais pas rentrer chez un autre Membre Basique sans la moindre invitation à le faire. Soupirant, haussant les épaules par la même occasion, je laissai faire sans m’énerver. Je savais que cela ne servirait à rien, au pire, ça me fatiguerait et ce n’est pas la solution, pas de grand matin. Je ne suis pas impulsive de nature. Je suis plutôt posée. « Euh… oui, bonjour. », même dans la façon de parler, je n’utilisais pas toutes ses manières. Cet homme semblait, à sa tenue et sa façon de s’exprimer, venir d’un autre monde. « Je pensais que l’inconnu qui pénètre chez moi se présenterait le premier. À défaut d’attendre de connaître la situation pour tirer, tuer quelqu’un, et de demander ma permission pour rentrer, je croyais que tu serais poli. », je pris une pause, le temps de reprendre mon souffle, qui s’était arrêté tant que j’avais ce corps dégoûtant sur moi, dans mon propre lit. « Moi, c’est Eden, Membre Basique. Et toi, donc ? », oui, j’attendais quand même qu’il se présente. J’attendais peut-être vainement, mais j’attendais tout de même. « Et si ça t’intéresse, ce Membre voulait se défouler, pour tout dire. Encore un garçon crédule qui disait que je le cherchais constamment et que je n’attendais que ça. », je ne voyais pas trop comment le dire autrement. C’était plat, mais je n’étais pas du genre à mâcher mes mots ou à calculer quoi que ce soit. Je suis naturelle, parfois trop.

Tuer est monnaie courante chez moi ? Il était sérieux, celui-là ? Je ne sus quoi en penser, pour le coup. J’étais, somme toute, tiraillée entre la déstabilisation, l’étonnement et le fait de ne pouvoir énormément bouger sa cage thoracique. Ce qui expliquait mon regard complètement ébahi et la grimace qui se devinait par la même occasion. Je n’avais pas affaire à un Dragon légèrement dérangé, non, j’avais droit à un Dragon à la gâchette facile. Même si les Membres étaient des chaires à pâtée reconnues, on ne les tuait pas comme ça, dans un geste on ne peut normal, comme dans une prolongation de son corps, comme s’il prenait de sa ration pour déjeuner. Même parmi les Dragons, c’était étrange, exagéré tout du moins. D’habitude, les hommes ne s’arrêtaient pas face à un habitat de fortune, habitat d’une inconnue et tuait au moindre signe, surtout pas à cause d’un cri d’une demoiselle. Je ne savais décidément pas où me mettre ni comment tourner cette situation pour la voir sous le même angle que cet homme qui venait d’abattre mon bourreau. Tout au plus, cela laissait supposer qu’il ne me croyait pas suffisamment forte pour me défendre seule. Ce n’était qu’un Membre, après tout, qui était au-dessus. Un Membre qui a une musculature dans la moyenne, mais un Membre assez en rut pour ne pas réaliser à temps ce qui lui arrivait. En gros, j’aurais pu me défendre, sans aucun doute. J’étais rusée, moi. « Tu as donc supposé que je ne pouvais pas reprendre la situation en main ou tu n’as même pas cherché à analyser ce qu’il se passait ? », répondis-je à chaud. Moi aussi, j’avais mon caractère et j’étais particulière.

Il se présenta enfin. Zack ? Ancien Tireur d’Élite ? Je connaissais ce prénom. Je l’avais déjà entendu. J’avais entendu certaines choses concernant l’Ancien Tireur d’Élite. Je mettais toutes les pièces du puzzle ensemble et je comprenais l’énergumène que j’avais face à moi. Ce n’était pas un mauvais bougre, parait-il. Je n’avais donc pas trop à douter de lui. Bonne nouvelle. Je savais aussi, à travers ces rumeurs, qu’il était comme ça de nature. Au moins, je n’étais plus dans le flou le plus total. Il avait servi avec ce grade encore quatre années complètes une fois que j’avais rejoint les Dragons, une fois que j’avais été raflée. « Zack, donc. Je te connais. Je te voyais de loin, plus jeune et j’ai déjà entendu beaucoup de choses à ton sujet. Tu es un grand Dragon. », dis-je simplement et honnêtement. Je n’étais pas une calculatrice. Je disais quasi spontanément ce que je pensais, en mesurant, malgré tout, mes paroles face aux supérieurs. Quand il dégagea enfin le jeune homme mort de mon corps, je pris une bonne grosse bouffée d’air pour reprendre un peu plus mes esprits encore. Il semblait intrigué. Pas prêt à me lâcher, en tout cas. « Pourquoi ? Il parait que je les tente. Ils suivent leurs pulsions primaires à cause de mes tenues, de mon attitude et de mon aisance en toute circonstance et peu importe ceux qui m’entourent. », je soupirai. « Je ne comprends décidément pas ce qu’ils veulent dire par là. Je me déshabille, où est le mal ? », je semblais naïve, pour le coup. Insouciante… peut-être. Au choix. J’étais drôle, selon certains. « Tu y comprends quelque chose, toi ? T'es un homme, après tout. Tu pourras peut-être m'éclairer. » Bref, je ne réalisais pas où était ma faute. Allait-il me comprendre, lui ?