J'avais découvert cet endroit par hasard, comme toujours. Durant ce moment de doute et d’angoisse pour lesquels un homme pourrait tout renier en voyant la lumière, plonger ses deux mains dans la merde pour en sortir sa clé personnelle vers les champs élyséens. Bon, qu'on soit d'accord j'avais pris deux trois trucs pas très net et ce que j'ai trouvé ici n'avait rien du grand salut divin mais il aurait fallut être le dernier des cons pour ne pas essayer d'en faire quelque chose. Je connais bien la route, c'est mon truc ça, retenir des chemins et pister la gnôle. Quelques heures de marches suffisent pour retrouver la liberté mortelle et ennuyeuse qui sabbat hors du territoire des Dragons. Enkidu redressa son sac pour en sortir un objet terne métallique, un ancien morceau de wagon naturellement affûté par la découpe du temps. Comme il aimait le dire, s'il ratait la carotide, sa cible finirait par mourir du tétanos. Le soleil était bas et couvert par les nuages mais il continuait d'évoluer à l'ombre, sans indications sur les passages de libres dans le secteur il ne pouvait pas se permettre le moindre faux pas. Encore quelques mètres et se présentait déjà ce trou béant dans le sol, le béton éventré sur plusieurs mètres s'enfonçait dans un entremêlement de vieux tuyaux et de gaines dénudés. Le soumis sélectionna un conduit précis et s'y agrippa, grognant de douleur lorsqu'il glissa et chuta maladroitement contre le sol humide et obscur. Il avança à tâtons dans les ténèbres pendant quelques minutes, jusqu'à arriver devant une porte entrouverte derrière laquelle on pouvait facilement entendre une voix rauque mais féminine réciter quelques mots d'un temps révolu. Il ouvrit la porte d'un grand coup d'épaule, se couvrant des miettes de peinture et de rouille qui chutèrent dans sa tignasse brune.
« Merde, combien de fois je t'ai dit de ne pas laisser cette putain de porte ouverte, on t'entends jusqu'au centre de Paris. »« Ça pue ! »« C'est toi qui schlingue, j’espère que tu t'es pas encore amusée à bouffer les saloperies qui passent par les tuyaux. »
« Non pas les saloperies, non. »
Il venait de pénétrer une pièce rectangulaire et allongée parsemée de canalisations et d'étagères métalliques, le faible éclairage permettait d'apercevoir une vieille femme édentée au sourire béa, cachant un livre centenaire sous un tas de tissus imbibés d'urine. Enkidu continua sans la regarder davantage. Il souleva une des étagère grâce à son « arme » métallique et en sortit une large clé blanche.
« Bordel ! »En reposant l'étagère au sol, il fit tomber les restes d'un jeune homme qui semblait visiblement avoir été dévoré, digéré puis recraché. Derrière lui la femme poussa un petit gloussement de satisfaction.
« Fouineur. »
« Maman. Je ne me prive pas pour que tu arrondisse tes fins de soirées avec des clodos du coin. »Inutile de chercher un signe d'appartenance à quelque clan sur un tel tas de viande. Enkidu se contenta de le porter sur son épaule et d'ouvrir la porte suivante grâce à la clé. Une autre pièce rectangulaire, mais bien plus imposante, les étagères formaient ici de grand rayons d'acier gris remplis de boites de cartons et de malles scellées. Enkidu continua au pas de course et lâcha le cadavre dans une ouverture au sol descendant vers l'inconnu. Pas de bruit de choc, tant pis.
« T'as foutu mon fouineur à la benne ? »Le soumis sursauta, sa mère se tenait juste derrière-lui, armée d'un long fusil.
« Où t'as trouvé ça ? »La vieille femme observa machinalement un point précis de la pièce et recula de quelques pas. Pas assez de pas. Enkidu lui attrapa les cheveux, fit basculer sa tête en arrière et frappa en rythme avec chaque syllabe qu'il cracha ensuite.
« Je t'ai déjà dit cent fois de ne pas venir foutre ta merde par ici ! J'ai été un bon fils avec toi en t’empêchant de crever dehors, n'abuse pas de ma gentillesse. »Il relâcha la pauvre bête qui alla immédiatement se recroqueviller dans un coin avec son fusil. Enkidu avait plusieurs fois songé à la ramener sur le territoire des jaguars du sud en espérant toucher une quelconque récompense, mais à chaque fois il se trouvait une excuse. Sa mère était trop vieille et les jaguars trop jeunes pour garder leurs vieilles rancunes, retraverser les territoires avec elle serait trop dangereux, il le ferait mais plus tard.
« Allez, au boulot. »Il s'empara de l'une des malles et s’efforça dans faire sauter le cadenas tant bien que mal, espérant comme toujours tomber sur le saint Graal. Il gardait cette cache secrète pour le moment tout en sachant que cela ne durerait pas éternellement, surtout après avoir insisté sur son existence auprès d'Hedwige. Une caisse, puis deux, puis trois mais rien de réellement transcendant jusqu'à ce que le seigneur ne décide de le récompenser de son labeur. La quatrième malle, comme la toute première qu'il avait découverte contenait une douzaine de bouteilles d'alcool. Le soumis repris son souffle et se mit à réfléchir en scrutant les étagères. Il devait forcément y avoir une façon d'identifier les malles. Chacune comportait un code chiffré, avec deux malles d'alcool il parviendrait sûrement à établir les similitudes dont il avait besoin.
Après avoir enfoui deux bouteilles dans son sac, il revint dans la première pièce pour comparer les références, sa mère avait repris sa place et lisait maintenant son livre à voix haute.
« Roland comme chaque enfant ayant grandit dans les tentation et la cruauté des terres irradiées post-apocalyptique, avait lentement dévié de la voie pure et bienfaisante qui faisait de lui un homme pour sombrer dans le désespoir panique et psychotique le plus sombre.
L'animal qui en est né, comme d'un cri de souffrance et de haine à l'encontre de toute chose avait tué, violé, participer aux immondices les plus innommables. Mais pourtant, pourtant la part d'humanité en lui avait survécu et ce n'est que lorsqu'il put enfin librement exprimer sa douleur que celle-ci si s'imposa de nouveau. Car jamais la haine ne se meurt, il en est de même pour la bonté humaine ... »
Enkidu ricana.
« J'en ai entendu des conneries mais là c'est le summum, surtout venant de ta bouche... »Il fut interrompu par le vacarme d'objet métalliques s’entrechoquant. Il abandonna sa caisse et s'avança de quelques pas vers le bruit assourdissant. Il n'avait jamais remarqué ce câble parodiant une sorte de guirlande de noël et s'enfonçant dans le plafond.
« FOUINEUR ! »La vieille femme s'élança comme une furie et quitta la pièce vers l’extérieur.
« Alors c'est comme ça que tu les choppe vieille cinglée. »Enkidu se lança à sa poursuite, se fiant aux cris déments de sa génitrice pour finalement la rattraper et la plaquer au sol. A bout de souffle et endolori, il trouva tout de même la force de frapper son crane contre le sol et de lui faire perdre conscience.
« On a pas idée d'être une emmerdeuse pareille. »Il resta un moment contre elle, songeant l'espace de quelques secondes à ce que serait sa vie s'il l'avait continuée ainsi. Finalement, il se releva doucement, saisit le fusil et commença son ascension vers la surface. Prudent et discret à souhait, il posa l'arme au sol et avança de quelques mètres pour trouver une couverture lui permettant d'observer les alentours. Il y avait là effectivement un homme, pas de la bande de Virgo. Enkidu ne portait que peu d'attention à la masse informe et élitiste des dragons du nord, mais à force de vivre parmi eux depuis si longtemps, il ne pouvait que reconnaître l'allure fringante, le costume et la mallette de l’intrus. Le fusil était toujours contre le rebord, il ne pouvait l'atteindre sans être repéré, il n'avait pas non plus la moindre envie d'avoir à l'utiliser.
« Qu'est-ce qu'il vient foutre ici celui-là. »Avec un peu de chance, il traquait un libre ou un soumis dans le coin et n'allait pas s'attarder. Endiku préféra jouer la prudence quand à son rang dit « inférieur » et sorti de sa couverture en faisant comme si le col était soudainement devenu la chose la plus intéressante du monde.