Yes Sir !

La production la calmait. Répéter des tâches que les cuisiniers lui avaient appris quand elle était gamine. Ils la montait sur un petit tabouret et lui montrait comment couper les pommes de terre, comment ajouter sucre et autres ingrédients. Comment avoir la délicatesse pour bien doser. Ces hommes étaient d'une patience infinie et ne disputait jamais la petite dans les erreurs qu'elle commettait et lui expliquait plutôt pourquoi il ne fallait pas faire ça. Raphaëlle ressemblait tellement à l'ange de douceur qu'avait été sa mère. Et cette femme avait été si bonne pour eux, leur offrant travail et toit... Qu'ils se devaient tous, en mémoire de la défunte Mackenzie, de protéger sa petite dernière qui semblait avoir les mêmes traits de personnalité.

Alors, il n'avait pas refusé quand, un soir elle était entrée dans la cuisine en pleurant. Ils n'avaient pas refusés de lui changer les idées en lui montrant le procédé de fermentation. Et ils avaient été amusé devant son émerveillement. Ce qui les avaient fait le plus rire, c'était surtout sa grimace de dégout quand, à 7 ans elle avait exigée de gouté le produit final. Raph' avait mit longtemps à y gouter de nouveau. Traumatisée par son expérience d'enfant.

Aujourd'hui encore, elle souriait doucement en mélangeant quand elle se rappelait les instructions des trois frères cuisiniers. C'était sans doute les souvenirs les plus heureux qu'elle avait entre Mïkhal qui lui faisait faire un tour sur ses épaules et Dimitri lui lisant une histoire pour s'endormir... Elle se souvenait encore parfois de sa mère. Difficilement. Mais son parfum, lui remontait souvent au nez. Elle adorait l'odeur de lavande et de baie pour cette raison.

Elle avait produit un mois plus tôt et son alcool avait eu le temps de prendre toute l'ampleur de son goût, il fallait le dire, brûlant. Ce soir-là, la brunette c'était donc rendue aux Cartiers des jeux, non pas pour boire ou fêter, mais plutôt pour vendre. Question de se faire quelques provisions de plus au cas où des gosses en aurait besoin, ou des familles dans le besoin. Certes, les provisions étaient distribuer équitablement, mais un enfant malade, ça arrivait toujours. Et puis, elle pourrait prendre quelques commandes de certains habitués qui savait où là trouver. Sac en bandoulière sur l'épaule, la slave c'était donc rendue sur les lieux du crime et pour une fois s'était glissée derrière le bar accueillie par le barman qui la connaissait bien.

-Salut Raph' ! C'est soir de vente ?
- Da ! Et je t'ai apporté un surprise mon beau Ethan.

Elle sortie une bouteille contenant un liquide clair et le lui tendit. Le jeune homme lui offrit un sourire éclatant et l'embrassa sur la joue.

- Tu sais comment me séduire, douce Raphaëlle.

La Jaguar gloussa, amusée avant de prendre quelques commandes devant le nombre assez imposant de personne qui voulait boire. Même Ethan qui avait une expérience considérable en tant que barman ne semblait pas fournir, et la ravitailleuse n'était pas du genre avare de travail. Ça l'épuiserait peut-être assez pour la sauver des cauchemars. Le concerné lui offrit un clin d’œil alors qu'elle s'activait avec bonne humeur. Elle vendit quelques bouteilles déjà réservée et bientôt elle entendit son nom ce qui lui fit tourner la tête.

Une jeune femme à l'allure proche du désespoir venait d'accoster une autre femme en lui demandant à boire. La slave gloussa de nouveau avant de s'approcher de la nouvelle venue et s'appuya sur le comptoir toujours du côté des barmans.

-Non, c'est moi Raphaëlle. Elle c'est Suzy. Clairement pas la même personne. Si tu veux boire, pas de problèmes ma chérie, mais rien n'est gratuit dans ce monde n'est-ce pas ?

Son sourire était invitant et le jeune femme semblait prête à aider, connaissant le besoin de boire pour oublier.

S'il y avait bien quelque chose que Raphaëlle comprenait, c'était le besoin de boire pour oublier. Un vilain trait de personnalité qu'elle avait du prendre de son père... Mais à bien y repenser... Elle avait évoluée dans un monde où le froid était maître. La vodka était la seule chose assez forte et brûlante pour réchauffer les corps et les cœurs devant leur Hiver éternel. C'était donc peu dire quand la slave affirmait être dépaysée, la chaleur, le manque d'eau, la culture.

Mais elle comprenait. Parce que le besoin d'oublier un monde dévasté où une histoire qui à mal tournée... Ça c'était universel. La brunette regarda la nouvelle venue, l'air pensif et une moue légère de compassion déforma ses lèvres. La Jaguar prit le sac qu'on lui tendait et le mit dans le sien plus grand qui ne quittait pas son épaule.

- Ce sera amplement suffisant, tu viens d'aider une famille qui en à besoin, félicitations. Viens. Passes derrière le comptoir. On va discuter. Mais tu dois savoir que ce n'est pas l'alcool que tu as l'habitude de boire et ça peut-être rude pour les non initiés.

Ça c'était vrai. Et puis Raph' savait que ce n'était pas de boire que la rouquine avait le plus besoin, non c'était de parler. Et il fallait avouer que la plus vieille était incapable de laisser quelqu'un dans un tel état de confusion à la limite du désespoir. Ses yeux saphirs sourirent autant que ses lèvres quand elle lui indiqua par où passer. Elle lança un signe de la main à Ethan qui lui rendit son sourire. Il devrait se passer de l'aide de la jeune femme. Une fois que la nouvelle se soit retrouvée de l'autre côté du comptoir, la ravitailleuse lui indiqua un coin légèrement en retrait où se trouvait deux tabourets et une table minuscule. C'était le coin réservé au barman. Mais la slave avait, depuis un moment, fais un marché avec ceux qui travaillait au service, pour avoir sa place parmi eux quand elle avait besoin de vendre. Elle indiqua le siège devant elle et prit place à son tour. La question sur le goût ayant été laissé en suspend, la jeune femme décida d'y répondre maintenant qu'elles étaient mieux placé pour discuter.

- D'abord toi dire ton nom. Être plus pratique quand je sais à qui je parle. Ensuite tu avoir entendue parler de moi par qui ?

Ses mains se faufilèrent dans son sac pendant qu'elle parlait et un tintement de verre se fit entendre avant qu'une bouteille n'apparaisse. Raphaëlle la posa entre elles et prit deux verre sur la tablette à côté d'elle. Le liquide transparent coula silencieusement dans les verres et la Jaguar en poussa un verre sa compagne.

- Le goût est différent d'une production à l'autre, mais pas trop. C'est sucré, mais brûlant. Tu vas probablement vouloir recracher la première gorgée. Ne le fais pas. La vodka est reconnu pour brûler la gorge et le ventre avant de partir à la course dans tes veines. Si tu ne bois pas souvent, trois verres suffiront. Tu prends un verre d'eau et une aspirine en te couchant. Sinon tu vas être malade. Bois cul sec. Et surtout, racontes moi ce qui te perturbe. Oublier dans l'alcool, c'est pas toujours pratique, mais parler est toujorus plus efficace que le silence. On ne se connaît pas. Donc je ne te jugerais pas et en plus c'est fort possible qu'on ne se revoit jamais. Je ne raconterais jamais rien, promis. Je connais particulièrement bien la souffrance alors t'es avec la bonne personne.

La plus jeune prit son verre et le cala, d'un trait avant de prendre une profonde inspiration pour savourer le goût amer et à la fois sucré sur sa langue. Il ne manquait plus que la rouquine.

La compréhension était sans doute l'une des qualités qui faisaient partie intégrante de sa personnalité. Raphaëlle n'insistait jamais lorsque quelqu'un ne voulait pas en dire plus. Elle comprenait le besoin de mentir, le besoin de dissimuler ses plaies et ce dans l'unique but de se protéger. Si bien que lorsque la rouquine choisit de nier ce que sa gestuelle criait, la brune haussa les épaules et sourit en coin devant la grimace en reversant un autre verre. Il y avait un moment déjà que la slave n'avait plus la gorge en feu lorsqu'elle buvait. Peut-être était-ce une bonne chose d'un certain angle, mais le désavantage de si bien tenir l'alcool, autant par les gênes que par l'habitude résidait dans l'incapacité de s'enivrer suffisamment pour oublier. Et ça...

- Oh je ne suis pas la seule productrice d'alcool tu sais. Je suis la seule productrice de vodka.

Elle savait qu'elle avait un accent, elle en avait toujours eu un et en aurait toujours un. Mais lorsque la Jaguar ne faisait pas attention, c'était pire, bon certains de ses amis tentaient bien de l'aider avec la langue, mais la fatigue et le stress qui la suivait depuis la rébellion ne l'aidait pas vraiment, si bien que Raph' fit un effort considérable pour parler convenablement, même si son accent ressortait toujours.

- Qui ne tourne pas rond ? Oh tu sais... Tout le monde a quelque chose qui cloche depuis les guerres. Et je ne crois pas que ce soit être mauvaise chose. Si tu veux pas parler, je ne vais pas te casser le bras et je vais boire en silence avec toi. Je ne suis pas ici pour emmerder les gens. Donc si ça peut t'aider je vais rester silencieuse.

Son effort pour parler clairement était considérable et elle devait se concentrer. Le liquide claire coula de nouveau dans son propre verre qu'elle leva une demie secondes vers Ezy et le cala cul sec en reversant la tête vers l'arrière avant de reposer sèchement le contenant sur la table.

- Je ne suis pas alchimiste, même si ça doit être génial. Et je ne suis pas psychologue, mais je comprendre la douleur. Et je sais que parfois parler à inconnue est mieux que de parler à des gens qui pourraient nous juger.

Son regard vogua sur la foule, peut-être à la recherche de quelqu'un en particulier, peut-être pour voir et analyser quelconque dangers potentiels. La ravitailleuse laissait sa nouvelle compagne réfléchir et peut-être changer de sujet si elle le voulait, voir même rester en silence. Raphaëlle n'aurait qu'à s'adapter.

Les consommations s’enchainaient à bon train et je me disais, peut-être qu’elle finirait par arrêter de me poser des questions, à force de la saouler. Mais pour tout vous dire, la réalité, c’est que je commençais à voir croche. Je penchais ma tête de travers pour m’assurer que ce n’était pas elle qui s’était drôlement inclinée … Merde! C’est moi qui suis en train de perdre la carte. Je le réalisais mais avant même que je ne m’en rende compte, je m’étais mise à déblatérer un paquet d’insanités.

- J’me suis en fait, ramassée ici à boire comme une alcoolo parce que toutes les Dragonnes que je côtoie sont en fait, de véritables grognasses! Tous, sans exception! Particulièrement Loukas … Merde, j’aurais jamais dû m’approcher d’elle, c’est une putain de paquet de troubles en fait!

- J’ai été stupide de croire qu’elle s’attacherait à moi, après tout c’que je lui ai fait.  J’aurais dû coucher avec tellement de fois, quand j’avais encore l’opportunité d’le faire. Maintenant … Adieu Lou!

Mes yeux se fermèrent et je pris une immense et pénible respiration pour retenir un rot. J’en perdis momentanément l’équilibre, puis je me repris en main en dirigeant ma main vers mon verre de Vodka. Je l’approchais de mes lèvres pour le terminer d’une traite et lever mon verre dans les airs, comme pour festoyer ma victoire et oublier aussitôt que j’avais révélé à Raphaëlle un secret que je gardais pour moi, depuis très longtemps.

- Viens danser avec moi!

Sans même l’attendre, je déposais maladroitement mon verre vide sur le comptoir et me dirigea à reculons vers un endroit plus propice à la chose, la fixant intensément droit en les yeux, cherchant à la défier pour qu’elle suive mon pas.

S'il y avait bien quelque chose qu'elle avait apprise avec ses frères quand elle était gamine, c'était boire. Son premier verre remontait à ses 8 ans, 7 ans peut-être... L'alcool réchauffait et endormait, il calmait les peurs et lavait les plaies. De là où elle venait, il était bien compliqué de s'en passer et on initiait les enfants dès leur plus jeune âge. Même si elle avait recracher sa première gorgée dans les cuisines. Les hommes présents s'étaient bien moqués, mais elle était rapidement devenue habituée et de plus grosses quantités avaient été nécessaire avec le temps.

Aujourd'hui, il était donc plutôt compliqué de la saouler. Et même si c'était ce que semblait vouloir faire son interlocutrice, cette dernière n'y arriverait pas de sitôt... Surtout que le goût intense de la vodka avait quelque chose de familier qui ne l'obligeait donc plus à boire cul sec, mais bien à savourer.

Raphaëlle était loin d'avoir la prétention d'être psychologue où même de connaître les humains, bien loin de là, mais si elle ne connaissait pas le genre humain, elle connaissait la douleur en contrepartie. La douleur sous toutes ses formes. Et on ne venait pas au cartier des jeux dans l'idée précise de se bourrer la gueule SEULE, sans avoir besoin de parler. Les exemples qui lui avaient prouvés qu'elle avait raison pullulaient dans les histoires passées de ce quartier.

Mais la slave n'allait certainement pas lui rappeler ce qu'elle tenait tellement à oublier. Avec un air amusé et un haussement d'épaules, la féline cala son verre et le cogna contre la table en se levant comme si le monde lui appartenait. Ce n'était certainement pas ce genre de situation qui risquait de la faire refuser. Là où certaines aurait refusée, Raph' ne disait jamais non à un moment de plaisir, de folie ou de défoulement..

Parce qu'elle aurait pu mourir demain. Parce que la guerre pourrait les priver de tout ce qui semblait agréable dans ce monde, parce que le monde pouvait cesser d'exister, parce son monde pouvait s'effondrer une nouvelle fois, comme par le passé.

Alors passant tout près d'Ezy, la productrice lui attrapa la main et se faufila dans la foule pour rejoindre une place où les corps se frôlaient et s'entremêlait. Son sac bien dissimulé derrière le bar, il n'y avait plus qu'à avoir du plaisir. Il n'y avait plus qu'à tout oublier.