Quelques jours s'étaient déjà écoulés depuis qu'elle en avait fini avec les épreuves. La dernière avait été de loin la plus difficile à supporter. Elle en gardait les séquelles encore aujourd'hui et elle garderait la trace toute sa vie. La douleur du marquage était encore fraîchement encrée dans sa chair et le moindre petit geste de son bras lui demandait d'énormes efforts. Voilà pourquoi elle restait lamentablement dans sa couche. Résultat, elle n'avait plus aucune notion du temps. Ce n'était pas la peine de lui demander depuis combien de temps elle était là, elle serait juste incapable de vous répondre. Pour couronner le tout, elle n'avait eu droit à aucune visite. Rien qui puisse la ramener un minimum dans la réalité du concret. Ce n'était pas comme si elle avait attendu qu'un soumis vienne prendre de ses nouvelles. Après tout, elle était heureuse d'être devenue membre et ce, même si elle avait passé les derniers jours à dormir et à récupérer de l'épreuve. Et puis dire qu'elle n'avait reçu aucune visite revenait à mentir. Elle avait bien eu droit à la tournée de l'infirmier. Un certain Charly. Elle ne l'avait jamais vu avant et dans l'état dans lequel elle se trouvait, elle ne pouvait pas non plus dire grand chose de lui. Enfin, le fait est qu'il s'occupait du suivie d'Asha, vérifiant que la brûlure n'ait pas été infectée et tout ce que faisait les infirmiers en général.

Pour tout dire, Asha ne le laissait pas vraiment en paix. Ronchonne et désagréable, elle ne l'accueillait pas de la meilleure manière qui soit. Bien sûr, c'était mal mais elle avait besoin de défouler ses nerfs face à quelqu'un et comme il était le seul à venir et bien ça tombait sur lui. Elle le fusillait du regard quand il rentrait, se plaignait de douleur avant même qu'il ait touché la plaie, le gratifiait d'une série de juron quand il y touchait et le fusillait du regard quand il repartait. Oui, une bien désagréable jeune femme.

Depuis combien de temps l'infirmier était parti ? Elle n'en savait rien. Elle s'était endormie juste après son départ et ignorait la durée de sa sieste. Elle ne tentait même plus de le deviner. Cette fois encore, elle s'était montrée particulièrement désagréable avec le jeune homme. Elle se demandait même si il avait connu plus énervante qu'elle. C'était vrai après tout. Il n'avait rien fait pour mériter pareil traitement. Bien au contraire, sa tâche était de vérifier si tout allait bien chez elle. Elle le savait pourtant. A chaque fois, elle se promettait d'être plus agréable et arrangeante avec lui mais dès qu'il passait le pas de la porte, toutes ses bonnes résolutions partaient en fumée. Et l'infirmier avait à nouveau à subir sa mauvaise humeur. Mais pas cette fois. Quand il reviendrait, elle se montrerait vraiment plus plaisante. En théorie, elle ne pouvait pas faire pire que ce qu'elle avait déjà fait. D'ailleurs, elle ne doutait pas une seconde qu'elle devait passer pour une gamine immature et particulièrement discourtoise. Et ce n'était pas vraiment l'image qu'elle tenait à montrer. Certainement pas si cette espèce de lèche-botte qui servait de seconde à Noâ venait à l'apprendre. Déterminée à lui prouver ses énormes concessions, Asha concentra tous ses efforts pour se lever et faire quelques pas dans la pièce. Elle alla même jusqu'à faire bouger ses bras, histoire de les réhabituer aux mouvements. Son premier essaie se solda par un juron retentissant mais elle ne pouvait pas s'arrêter maintenant que le mal était fait. Avec un peu plus d'entrain et de courage, elle continua ses petits exercices. Cette dépense d'énergie allait très certainement lui coûter la bonne humeur qu'elle s'était promise d'afficher face au jeune homme et elle finirait sûrement à nouveau allongée comme une mort vivante sur sa couche...C'était assez pour aujourd'hui. Elle n'aurait qu'à se bâillonner en se fourrant le coussin dans la bouche afin d'éviter un flot continu d'injure toutes aussi diversifiées les unes que les autres de s'échapper de ses lèvres. En attendant, elle alla se réinstaller au chaud sur son tas de couverture. Au début, elle guetta le moindre petit bruit qui pourrait l'informer d'une quelconque arrivée...au final, elle fixa un point imaginaire, attendant que Morphée veuille bien d'elle à nouveau. Mais celui-ci n'eut pas le temps de la plonger dans un sommeil profond car si elle ne rêvait pas, trois coups furent frappés à la porte. Bizarre. Charly ne toquait jamais avant d'entrer...Tournant le visage dans la direction de la porte, Asha fut surprise de tomber sur un visage inconnu au bataillon. Charly en avait-il tellement marre de supporter sa mauvaise humeur ? A quoi bon y réfléchir, elle venait d'avoir la réponse. Cette femme était donc la sœur de son boss. La brunette ignorait qu'elle en avait une. Ce n'était pas plus mal qu'elle se soit présentée tout de suite. Se connaissant, la nouvelle membre aurait très bien pu déraper et finir par l'insulter ou même pire. Attentive aux paroles de son interlocutrice, Asha se leva brusquement, ne désirant pas faire attendre son chef. C'est qu'elle n'avait pas encore balayé l'histoire du cannibalisme...on ne change pas du jour au lendemain, après tout. Résultat, l'adolescente étouffa un juron avant que la dénommée Jude ne puisse le comprendre.

- J-J'arrive tout de suite.

A nouveau sur pied, la jeune femme attendait qu'on lui montre le chemin, n'étant pas encore habituée au QG. Elle ne devait pas ressembler à grand chose mais elle essaya tout de même de défroisser quelque peu ses vêtements et de dompter sa crinière.

Si on lui avait dit que devenir membre était si douloureux, elle y aurait réfléchi à deux fois mais au final, elle n'aurait pas changé sa décision. Elle ne s'était jamais sentie aussi vivante qu'au temps présent et dans un sens, la douleur l'aidait à se rappeler qu'elle n'était plus une soumise désormais mais une membre à part entière du clan des jaguars. L'action qu'elle désirait tant ne saurait tarder. La sœur de leur chef elle-même était venue la chercher...bon, ça ne voulait absolument rien dire..ça la stressait même d'un côté. Surtout qu'elle ne ressemblait à rien. Quoiqu'il en soit, elle avançait en silence dans le dédale du QG derrière la dénommée Jude. Il fallait bien qu'elle retienne le chemin. Certes, elle était nouvelle mais elle ne désirait pas être traitée comme une bleue ou faire les frais des blagues de membres plus anciens. Le silence aurait pu être pesant mais la femme qui ouvrait la marche n'avait rien d'effrayant, elle était plutôt détendue...c'était assez étrange mais elle n'eut pas le temps de se poser trop de question, la porte de la salle de réunion se dessinant devant ses yeux. Si l'adolescente était curieuse de savoir ce qu'il attendait, elle ne put réprimer une grimace en voyant que la garce à la natte se trouvait elle aussi dans la pièce. Tant pis, elle n'avait qu'à faire comme si elle n'existait pas.  

Asha s'avança quand sa chef lui donna l'ordre, se demandant bien ce qu'elle lui réservait. La douleur à son épaule n'était plus qu'un souvenir désormais tant la curiosité la rongeait. Allait-elle lui donner sa première mission ? L'adolescente suivit la féline des yeux quand celle-ci se leva. Elle laissait traîner les choses et cela semblait l'amuser. Quand elle se mit à parler, Asha l'écouta attentivement. Elle se demandait bien pourquoi elle parlait de l'autre incapable mais elle n'allait pas l'interrompre de toute façon. Peut-être qu'elle aurait du ? C'était une sentence, une punition ? Pourquoi diable avait-elle à se farcir la garce à la natte ? Comme si une incapable comme elle pouvait lui apprendre quelque chose ! Les yeux écarquillés par la stupeur, Asha tourna la tête vers la seconde, la fixant comme si elle fixait un tas de déchet. C'était une blague, n'est-ce pas ? Un truc pour la bizuter...pas la réalité mais voyant que sa chef n'ajoutait rien...

- C'est une blague ? Je vais vraiment avoir ça comme mentor ?

Il n'y avait aucune animosité dans sa voix, simplement une réelle interrogation...

Sa déclaration avait fait son petit effet et Noâ s'en délecta avec le plus grand des plaisirs. Son sourire toujours ancré au coin des lèvres, elle avait observé les réactions des deux filles dont la surprise était visible. Asha se montra plus dédaigneuse alors qu'Alessandra conserva une apparente neutralité, cachant un véritable bouillonnement intérieur. Elle ne comprenait pas le choix de sa Chef. Même si elle faisait en sorte de mettre son hostilité de côté, elle ne voyait vraiment pas ce qu'elle pourrait faire avec cette fille. La nouvelle Membre avait besoin d'un maître qui saurait la dresser, ce n'était vraiment pas dans ses cordes. Bon, d'accord, elle avait bien du mal à la considérer sans hostilité, elle était juste incapable d'encaisser cette gonzesse, elle l'avait humiliée ! Alors que Noâ lui fasse un coup pareil était incompréhensible.

Suite à la remarque d'Asha, la Seconde lui adressa une œillade courroucé. "Ça" ? Cette garce cherchait vraiment l'affrontement. Et puis, il y avait ses regards qui lui donnaient juste envie de lui sauter à la gorge. Alors qu'elle s'était si calme en temps normal, qu'elle maîtrisait ses émotions, elle était face à la recrue incapable de se contenir. Si Noâ n'avait pas été là, elle lui aurait déjà envoyé son poing dans la figure.

Et qu'est-ce que je dois dire moi ?! Pourquoi je devrais entraîner cette sauvage ? Je n'ai rien à lui apprendre, cette fille est une bourrine qui n'a rien à faire avec un arc entre les mains.

La blonde fronça les sourcils en entendant cette remarque. Elle y allait quand même fort là. Quoi que, réflexion faite, Noâ n'était pas d'humeur à jouer les arbitres. Elle répondit donc simplement après s'être appuyée sur l'accoudoir du fauteuil.

Oui, vous allez devoir travailler ensemble. Vous devriez être contente, vous allez avoir une bonne raison de vous taper dessus.

La réaction de la garce à la natte ne se fit pas attendre. Elle la foudroya littéralement du regard mais cela n'y changeait rien. Asha pensait chaque mot de ce qu'elle disait. A ses yeux, la Seconde était une incapable et c'était un miracle qu'elle ait accédé un échelon si élevé dans la hiérarchie. Si la jeune femme n'avait pas tant de respect envers sa chef, elle l'accuserait volontiers de corruption. Répondant à l’œillade meurtrière de la garce à la natte par un regard de défis, Asha pouffa de rire face à sa réplique. Comment osait-elle la rabaisser de la sorte ? Après tout, elle n'était qu'une nouvelle recrue, certes, mais elle était tout de même parvenue à l'acculer. Alors peut-être qu'elle n'était qu'une bourrine mais éprouver des difficultés face à une bourrine ne devait pas valoir mieux. Et puis pour qui se prenait-elle ? Pensait-elle que son arc était plus noble ?

Et bien la sauvage, elle est pas prête d'apprendre quelque chose avec une mentor si lamentable.  Elle serait capable de se foutre l'une de ses flèches dans l’œil. Autant confier mon apprentissage à un singe, j'en apprendrais plus.

Pourtant Noâ ne semblait pas décontenancée par les réactions des deux jeunes femmes. Elle semblait même y trouver un certain amusement. Pourtant, l'entente entre les deux membres était plus que compromise ; elles ne parviendraient jamais à s'entendre. Mais elle devait se rendre à l'évidence, elle se coltinerait cette garce à la natte quoiqu'il arrive.

Ça, c'est de la bonne nouvelle ! Alors, prête à m'apprendre comment me tirer une flèche dans le pied ?

A les voir, Noâ songea que son idée n'était peut-être pas si excellente que ça. Elle savait que la nouvelle serait mal prise et que les deux jeunes filles se tireraient dans les pattes, mais elles étaient bien plus virulentes qu'elle ne l'avait prévu. Pourtant, il était impossible de faire marche arrière, elle n'avait plus qu'à attendre en observant. Au pire, elle interviendrait avant que cette histoire n'aille trop loin. De toute façon, même si elles se battaient, elles s'amocheraient un peu, mais elles n'iraient sûrement pas jusqu'au bout. Du moins, elle l'espérait. Il faudrait qu'elle pense sérieusement à mettre un Membre sur leurs traces pour qu'il les arrête en cas d'entraînement trop haineux. Ouais, ça paraissait bien comme idée. Et pendant ce temps là, le duo n'en faisait encore qu'à sa tête.

C'est dans ton œil que je vais la foutre ma flèche !

Alessandra était révoltée de voir que sa Chef ne changeait pas sa position. Pourtant, il était évident que cela ne marcherait pas. Asha la détestait et elle nourrissait pour elle les mêmes sentiments, aucun compromis n'était possible. Pourtant, après les erreurs qu'elle avait fait, elle se voyait mal se dresser contre la jeune femme. Ou alors pas complètement. Un tout petit peu alors ?

Je n'ai pas l'habitude de te contredire, mais là, c'est pas possible. Noâ, je ne peux pas former cette fille. Soit un mentor s'entends avec sa recrue, soit il a l'ascendant sur lui, et ce n'est pas mon cas dans les deux configurations.
Je ne reviendrais pas sur ma décision. Je me fiche que vous ne vous supportiez pas, vous devrez dans un avenir plus ou moins proche être capables de travailler en équipe pour le bien du clan. Vous êtes des Jaguars, non ? Alors comportez-vous comme tels !

Cause toujours ! Tu veux savoir où je vais te la mettre ta flèche ?

Décidément, les deux jeunes femmes devaient s'être détestée dans une vie passée pour ne pas pouvoir se supporter de la sorte. En soi, elles ne se connaissaient pas. Elles ignoraient presque tout l'une de l'autre mais cela n'empêchait pas cette haine tenace qu'elles se destinaient. Rien ne semblait pouvoir atténuer cette rancœur. Mais on pouvait au moins dire qu'elles étaient d'accord sur une chose ; leur mésentente, justement. Et ce serait probablement le point sur lequel elles partageraient le même avis. Pourtant le petit espoir qu'elle avait s'effondra comme un château de cartes...Noâ ne revenait toujours pas sur sa décision. Croisant les bras sur sa poitrine, Asha se tourna vers la Seconde et ce qui serait visiblement son mentor. Tout le mal qu'elle pensait d'elle pouvait se lire sur son visage. Néanmoins, Noâ avait raison. Elles devraient trouver un terrain d'entente ; elles pouvaient se détester au sein du clan mais cela ne se pardonnerait pas en situation réelle. Dans une grimace et un soupir ultime, Asha se détourna de la garce à la natte, se retournant vers sa chef.

D'accord, concéda-t-elle finalement, je ferai des efforts. J'espèce que ce mot fait partie de son vocabulaire. Mais comptez pas sur moi pour que je lui serre la main, ne put-elle s'empêcher d'ajouter.