Le jour tombait doucement sur le territoire des Vipères de l'Ouest. Il était rare de me voir quitter l'Atelier si tôt, je n'hésitais jamais à faire quelques heures supplémentaires lorsque j'étais sur un projet, mais aujourd'hui j'avais un rendez-vous. Il ne s'agissait pas d'amour, loin de là. Encore que... Si, en réalité, il s'agissait bien d'une histoire d'amour, mais pas de l'Amour avec un grand A qui unit deux individus et était d'un gnangnan à souhait, mais bien de l'amour des armes. Je connaissais un Soumis particulièrement motivé qui s'était passionné pour l'arbalète qui reposait sur mon épaule alors que je marchais vers les terrains d'entraînement. Remy était un gars plutôt bien intégré dans le clan et, pour cause, il était le frère d'une Membre bien connue et il avait une jolie petite gueule qui plaisait assez aux Vipères. En plus, il n'était pas farouche ce qui lui évitait sûrement bien des coups inutiles. Un héritage familial probablement.

Lorsque j'arrivais sur place, il était déjà là. La zone avait été désertée, la plupart des Membres se trouvant chez elles à l'heure actuelle. Et il était encore trop tôt pour un entraînement nocturne, c'était bien pour ça que je choisissais systématiquement cette heure. Théoriquement, je ne craignais rien, mais je n'aurais pas aimé que le brun ait des problèmes inutilement. Une fois les derniers mètres comblés, je me plantais devant lui et lui adressais un signe de la main et un 'Lut énergique. Ensuite, je fis basculer l'arme en avant et la réceptionnais de mon autre main pour la lui tendre.

- Fais gaffe quand tu l'auras armée, j'ai scié légèrement la gâchette donc elle est plus sensible que d'habitude.

Le soleil commençait à décliner à l’horizon lorsque je quittais le domicile familial en courant à petites foulées. Kat avait essayé de me retenir, mais je l’avais emmêlée dans les draps de son lit pour pouvoir lui échapper. Il était hors de question que je rate un entrainement. Heureusement, j’arrivais à temps au rendez-vous, et même en avance, Gaëlle n’étant pas encore là. J’en profitais donc pour échauffer mes bras et mes poignets, histoire de ne pas me faire mal en tirant.

La jeune femme arriva peu après moi et me salua avec entrain. Je lui rendis son salut avec un sourire.

« Salut ! »

Gaëlle me tendis l’arbalète posée sur son épaule et me mit en garde contre les nouvelles modifications. Mon sourire s’agrandit alors que je prenais délicatement l’arme et me mettais en position pour tirer. J’attrapais un carreau à sa ceinture, armais l'arme, plaçais le carreau et visais. A peine mon doigt eut-il effleuré la gâchette que le carreau partit. Surpris, je fus légèrement déstabiliser et loupais mon coup. Grimaçant, j’abaissais l’arbalète et me tournais vers la blonde.

« Ah oui quand même. Ca va toi au fait ? »

Tout à mon envie de tirer, je n’avais même pas pris la peine de demander des nouvelles de la Membre. En attendant sa réponse, j’examinais un peu les modifications apportées à l’arbalète et jouais avec la gâchette pour tester sa sensibilité.

Remy s'avéra plutôt impatient de tirer. Il s'empara rapidement de l'arme et se mit en position. Je contrôlais un peu ses gestes, m'assurant qu'il n'avait rien oublié des leçons précédentes, mais il se montrait toujours très assidu. En plus, il avait un certain talent lorsqu'il s'agissait de tirer à l'arbalète, il fallait bien l'avouer. Néanmoins, le premier coup fut plus que médiocre. La modification l'avait plus troublé que je le pensais, il faudrait que je communique ce petit détail à la prochaine personne qui l’emploierait.

- Bon, faudrait pas que l'andouille qui l'utilise habituellement la prenne, elle va gaffer sinon, c'est sûr.

Il m'était parfois difficile de confier des armes que j'entretenais à certaines Membres que je jugeais inaptes, mais il fallait bien de tout. Si je m'écoutais, le clan manquerait cruellement de combattantes.

- Tranquille. L'Atelier était calme aujourd'hui, j'ai pu travailler sans avoir trop de gens dans les pattes. Remet toi en position.

Lorsqu'il se fut positionné, je me glissais derrière lui et plaçais son doigt de façon à ce qu'il se cale contre la protection de la gâchette.

- Tu vas devoir t'adapter en changeant la position de ta main tireuse. Prends autant de temps qu'il te faut d'habitude pour viser et déplace ton doigt au tout dernier moment. Pour l'instant, tu ne verras pas encore les bénéfice, mais je peux te dire que ça pourrait te rendre très meurtrier lorsque tu auras acquis une plus grande dextérité. Bon, par contre, si elle tombe ou subit un choc trop fort, le carreau peut partir tout seul et ça peut créer de mauvaises surprises. Ou de bonnes, cela dépendra des fois.

Je ris à la remarque de Gaëlle sur l’andouille qui utilisait d’habitude l’arbalète. Je savais la Vipère très proche de ses armes, et c’était surement un honneur qu’elle me faisait en me permettant de m’entrainer avec l’arme que je tenais. Elle me répondit ensuite que l’atelier avec été calme et que du coup elle avait pu bosser tranquillement avant de me dire de me remettre en position. Je m’exécutais et me laisser guidé par mon entraineuse, écoutant attentivement ses recommandations. A ses derniers mots, je tournais un regard amusé vers elle.

« Rassurant, merci. Je retiens donc de toujours faire en sorte qu’elle vise les abrutits alors. »

Armant à nouveau l’arme, je lui chipais à nouveau un carreau que je plaçais délicatement avant de viser. Je pris soin de suivre ses conseils attendant le tut dernier moment pour appuyer sur la gâchette. Cette fois, je réussi à toucher la cible pas très loin du centre. Je supposais que cette sensibilité était utile en cas de combat, et je me surpris à me demander si je pourrais un jour combattre ou pas. Rabaissant l’arme, je souris de nouveau en essayant d’effacer ces pensées.

« Est-ce mieux chef ? »

- C'est bien, tu as capté.

L'avantage de ce petit gars, c'était qu'il comprenait vite. Il ne lui fallait pas longtemps pour s'adapter aux nouvelles consignes et il le faisait sans broncher, en gardant le sourire. Si toutes les Vipères se montraient aussi assidues, j'aurais certainement moins de soucis à me faire, mais malheureusement, la sévérité d'Annabella ne pouvait pas nous débarrasser de toutes les idiotes. Et puis, il fallait bien garder des souffre-douleurs pour les vicieuses. C'était triste à dire, mais il y en avait à qui je ne trouvais vraiment aucune autre utilité.

Un seul coup suffit à Remy pour rattraper son score médiocre. Il pouvait naturellement faire mieux, mais il venait quand même de toucher un point dangereux. Si la cible était vivante, elle encaisserait sûrement difficilement la douleur et il pourrait tirer une nouvelle fois pour achever le travail.

- Joli ! C'est vraiment dommage que tu ne puisses pas...

Un rire de hyène m'arrêta avant que je n'ai l'occasion de terminer ma phrase. Par réflexe, je pivotais sur moi-même et constatais la présence d'une Membre qui gloussait stupidement. Depuis combien était-elle là ? Mais surtout, qu'était-elle en train d'imaginer ?

- Je n'aurais jamais cru voir une chose pareille. Gaëlle qui se fait embobiner par un mec, c'est une grande première si je m'abuse ? Je ne crois pas que Anna sera ravie d'apprendre que tu utilises le matos du clan pour entraîner des Soumis. Tu vois, ma grande, le problème avec l'amour, c'est que ça rend con.

Je grinçais des dents. Non, mais pour qui se prenait cette petite peste ?! Je ne craignais pas vraiment la réaction de ma Chef, mais Remy pourrait avoir des problèmes. Encore qu'il avait suffisamment de relations pour s'en sortir sans trop de mal, mais il aurait été bien bête d'endommager un si bon tireur. Mon cerveau trouva de lui-même une solution alors que je récupérais l'arme en lançant un regard blasé à la jeune femme.

- Utilise tes yeux, pauvre idiote ! Il m'assiste, ça s'arrête là. Je l'utilise pour tester un nouveau prototype.
- Ah ouais ?

Elle esquissa un sourire narquois.

- Prouve-le !

Cette Lisa n'était qu'une pauvre débile. A croire qu'elle n'avait jamais entendu parler de mes méthodes expéditives et de mon absence de retenue lorsqu'il s'agissait de tests. Je lui rendis son rictus avant d'indiquer la cible à Remy d'un geste du menton.

- Met toi en position.

Ma voix était froide, mais je profitais d'être dos à la fille pour lui adresser un sourire résolument complice pour tenter de lui faire comprendre qu'il devait m'accorder sa confiance sur ce coup. Je ne tenais vraiment pas à l'amocher et je comptais bien faire en sorte qu'il s'en sorte sans dommage. Bon la manœuvre ne serait pas forcément des plus agréables, mais ce n'était qu'un détail.

Gaëlle approuva mes paroles ainsi que mon tir. Mais elle fût coupé dans son élan alors qu’un rire peu rassurant résonna derrière nous. Dans un même mouvement, nous nous retournâmes vers la Membre qui gloussait comme une gamine. Je faillis éclater de rire à ses paroles, mais je me retins. Je n’avais aucun droit face à une Membre, je lui devais le respect. Mais sur le coup j’eu du mal a garder mon calme. Gaëlle quant à elle récupéra l’arbalète d’entre mes mains et répondit sur un ton blasé. La réponse de la Vipère me fit par contre légèrement blêmir. Prouver quoi, que j’étais une cible humaine ?! Parce que oui, je connaissais très bien les habitude de la blonde pour ce qui était d’utiliser des Soumis comme cibles mouvantes. Et l’idée d’en faire partie, même si je lui faisait confiance, ne m’attirait pas vraiment. Pourtant, c’est ce qu’il était sur le point de se passer. Gaëlle m’ordonna de me mette en position devant la cible d’une voix froide, et  ce n’est pas son sourire complice qui me rassura. Pourtant, je ne fis pas prier. Elle savait ce qu’elle faisait, j’en était sûr, et ce coup pouvait surement me sauver la mise.

Lançant un bref regard à la Vipère, puis à la blonde, j’allais prendre place d’un pas volontairement lent. Je n’avais pas rendu son sourire à la tireuse, gardant les yeux rivés au sol. J’allais me faire tirer comme un lapin pour échapper à une punition certaine si nos entraînements venaient à s’apprendre. Non pas que je risquais réellement gros, mais bon…

Une fois devant la cible, je pris une grande inspiration et me retournais pour faire face aux deux filles. Je voulus fermer les yeux mais me retins. Je n’allais tout de même pas m’abaisser à ce point devant l’autre abrutie…

Derrière moi, cette petite idiote de Lisa profitait du spectacle. Je devinais sans mal le sourire qui devait littéralement lui manger le visage alors qu'elle nous observait. Dans tous les cas, elle devait se croire gagnante. Soit je tirais et elle verrait un Soumis souffrir, soit je ne le faisais pas et elle pourrait aller rapporter ce qu'elle pensait être un scoop. Et après ça on se demandait pourquoi je ne fréquentais pas plus mes congénères... Fort heureusement, Remy ne lui offrit pas une raison supplémentaire de s'amuser en se rebellant. Il partit même vers la cible en gardant les yeux au sol dans une parfaite imitation du Soumis basique. Quand je disais que ce petit gars était malin.

Pendant qu'il allait se placer, j'en avais profité pour sortir un clé de la pochette accrochée à ma ceinture et j'avais entrepris de détendre un peu le ressort de l'arbalète. Le tout sans que Lisa ne s'en rende compte naturellement. Je récupérais ensuite une fléchette dans une boîte métallique que j'avais gardé au fond de ma poche. Il s'agissait vraiment de mon nouveau prototype que je coltinais partout avec moi de peur que quelqu'un tombe dessus, mais je n'avais pas prévu de le tester aujourd'hui. Ce n'était pas une mauvaise occasion dans les faits, surtout qu'il ne s'agissait pas d'un projectile mortel, heureusement pour Remy.  

- J'arracherais la langue au premier qui parlera de ce qu'il va voir.

J'armais l'arbalète et je me mis enfin en position. Il ne restait plus qu'à bien viser pour le toucher à un endroit peu sensible. Concentrée, je me fixais pour but d'atteindre le haut de son bras droit. Pour avoir tiré sur un grand nombre de personnes, je commençais à avoir quelques notions en matière de corps humain. Je pris une brève inspiration, puis je déplaçais mon doigt pour effleurer la gâchette. La fléchette partit dans un chuintement léger et alla se planter dans sa peau. Cela devait faire l'effet d'une piqure, tout au plus. Enfin, en un poil plus douloureux bien sûr. Dans tous les cas, le but n'était pas de faire mal, mais bien de répandre un poison dans le sang. Le narcotique mitonné par une Vipère ne tarderait sans doute pas à faire effet si je ne m'étais pas trompée. Je m'étais inspiré d'une flèche paralysante dont m'avait parlé Yulia un jour où elle était passé à l'Atelier. La version officielle étant que je lui avais soutiré les informations à l'usure.

- Bonne nuit, Remy.

Satisfaite, je lui adressais un petit signe de la main avant de me tourner vers Lisa. Cette dernière semblait déçue pas cette absence d'effusion de sang, mais je me fichais bien de son opinion. Je lui lâchais un sourire trompeur avant d'abattre un grand coup de crosse sur sa mâchoire.

- Tout est pratique dans une arme, merci d'avoir servi de cobaye toi aussi ma petite Lisa.

Fallait pas venir m'emmerder comme ça.

Gaëlle n’était vraiment pas contente de devoir faire une démonstration de la sorte, allant jusqu’à menacer quiconque parlerait de ce qui allait se passer. Ces paroles ne me rassurèrent pas vraiment, et je déglutit avec difficulté alors qu’un frisson parcourait ma colonne vertébrale.

La suite se déroula assez vite. La fléchette partit sans que je m’y attende vraiment et vint se planter dans le haut de mon bras droit. Elle aurait pu viser l’autre bras quand même ! Une vive piqure m’arracha une grimace et je lançais un regard surpris alors que la Vipère me souhaitait une bonne nuit.

« Comment ça bonne… »

Mais le dernier mot resta coincé dans ma gorge alors qu’une soudaine fatigue prenait possession de mon corps et de mon esprit. La dernière chose que je vit avant de m’effondrer fut le coup de crosse que Gaëlle affligea a sa collègue. Je sentit ensuite le sol dur me frapper… ou mon corps frapper le sol dure, je ne sais pas trop… puis plus rien. Elle m’avait empoisonné…

Le pauvre Remy n'avait pas vraiment eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Surpris, il tenta d'en savoir plus à propos de ma formulation, mais il n'eut même pas le temps de finir sa phrase qu'il s'écroulait. Ce produit était diablement efficace. Pourtant, la dose était vraiment minuscule. J'avais spécifiquement demandé un soporifique qui aurait un effet immédiat, mais ne garderait pas la personne touchée dans les limbes très longtemps. Et James l'avait fait. Cette fille était une pure génie dans sa catégorie et j'avais presque autant de respect pour ses capacités que j'en avais pour les miennes. Si ça ce n'était pas un beau compliment. Il faudrait dans tous les cas que j'aille la voir pour lui parler de ce test imprévu. Et potentiellement que j'en organise un nouveau pour qu'elle puisse voir la réussite de ce prototype par elle-même.

Avec tout ça, je me retrouvais désormais en présence de deux corps inanimés. Si Lisa pouvait toujours crever à même le sol, je décidais d'aller rejoindre Remy. Je posais précautionneusement l'arbalète au sol et m'installais à ses côtés. Tout ce que je pouvais faire désormais, c'était attendre qu'il se réveille. Cela me permettrait aussi de faire une estimation de la durée de la phase de sommeil et d'en savoir un peu plus sur les sensations ressenties au réveil.

- T'es quand même tombé dans une drôle de position...

S'il se réveillait avec mal à la nuque à cause de ça, cela fausserait les indications qu'il pourrait me donner... Après un soupir, je me résolus donc à le faire pivoter de façon à l'allonger sur le dos et allais même jusqu'à ôter ma veste pour la glisser sous sa tête. Si après ça, il se plaignait que je n'étais pas gentille avec lui, je l'expédierais vite fait ailleurs à coups de botte dans les fesses.

Je ne sais pas combien de temps je restais dans les vapes, si j'y étais seulement, mais lorsque je revins à moi j'avais la bouche sèche et les membres endoloris. Sur le coup, le moindre mouvement semblait être une torture, mais je retrouvais rapidement mes capacités motrices et me redressais sur les coudes en grognant. La tête me tourna et je retombais sur quelque chose de mou. Mou... Je tâtais l'arrière de ma tête et constatais un vêtement qui me faisait office d'oreiller. Je pris alors conscience de ce qu'il venait de se passer, ou de ce qu'il s'était passé avant que je ne sombre du moins, et m'assis brusquement.

« Qu'est-ce que... qu'est-ce que tu m'a fait ?! »

Je cherchais Gaëlle des yeux tout en m'assurant que j'allais bien. Sérieux, elle m'avais empoisonné, depuis quand j'étais un cobaye pour elle ? Enfin bon, la situation était plutôt tendue aussi, mais quand même...

Remy mit un certain temps avant de reprendre connaissance. Le dosage était un tout petit peu plus fort que je ne le pensais, mais ce n'était qu'un détail. Le principal était qu'il se réveillait. Je n'avais pas réellement de doute, ma confiance en James était totale - lorsqu'il s'agissait de poisons du moins -, mais je ressentis quand même une sorte de soulagement en le voyant remuer. Silencieuse, je le laissais récupérer. Je brûlais de lui poser des questions, mais si je le pressais trop il se montrerait potentiellement moins enclin à me répondre. Les minutes s'égrainèrent pourtant et j'avais de plus en plus de mal à réfréner mon impatience. Quand il se redressa brusquement, un grand sourire s'étira sur mes lèvres et je balayais son interrogation d'un geste de la main.

- Détails. Je t'ai juste tiré dessus. Alors qu'est-ce que tu as ressenti ? Tu t'es endormi ou est-ce que tu percevais encore certaines choses ? La fléchette était douloureuse ? Normalement, ça doit juste piquer un peu, le but c'est pas de faire mal. Mais j'avais pas prévu de tirer avec cette arbalète non plus et la distance n'était pas idéale même avec le ressort détendu.

Je réfléchis quelques instants, puis me redressais sur les genou et positionnais trois doigts devant ses yeux.

- T'en vois combien ?

Je n'avais pas encore repris pleinement conscience que Gaëlle me bombarda de questions. Je me frottais les tempes en grognant un « doucement » et fût tenté de me rallonger. La position verticale était quand même plus confortable en fait...

Lorsque la blonde me montra trois doigts en me demandant combien j'en voyais, je tournais lentement le regard vers et la fusillais du regard.

« Six ! »

J'en voyais bien trois, mais je ne comptais pas lui donner satisfaction tout de suite non plus. Sa curiosité attendra que je me remette pour être assouvie. Mais par contre, je répondit mentalement à ses questions pour faire le bilan : de la fatigue, une sorte de black out... une sensation désagréable dans le bras droit sans pour autant être douloureux, et l'impression que ma tête va se décrocher de mon corps. La bouche pâteuse... non franchement c'était vraiment désagréable comme sensation...

« T'aurai pu tirer sur elle à la dernière seconde... C'était quoi ton truc ? »

Remy était sérieusement entamé. Peut-être que le dosage était un peu trop fort ? Je n'avais pas prévu que la cible reprenne conscience avec un effet gueule de bois en bonus. Fondamentalement, ce n'était pas problématique vu qu'on parlait d'un ennemi dans les faits, mais un imprévu dans la munition me laissait une impression de travail bâclé. Et je détestais le travail bâclé. Suite à sa demande, je refrénais un peu ma curiosité et restais patiente. C'était difficile, mais je pouvais bien faire un petit effort après tout il venait de m'aider pour tester un prototype. Enfin en quelque sorte. Techniquement c'était moi qui l'avait aidé en testant le prototype sur lui. Tout ça devenait trop compliqué.

Ma question n'eut pas réellement l'effet escompté. J'ignorais l’œillade mauvaise qu'il m'adressa, mais je repérais assez facilement le sarcasme dans sa réponse. Six, n'importe quoi ! Comme si on pouvait avoir six doigts sur une seule main. Enfin si, on pouvait. J'avais déjà vu des gens avec six doigts en dehors de Paris, mais ici on aimait moins les abominations du genre.

- T'es con !

Je lui assénais un faible coup de poing à l'épaule pour le principe. C'était pas le moment de faire de l'esprit. Je poussais un long soupir et roulais des yeux vers le ciel suite à sa suggestion. Comme si je n'y avais pas pensé. Oui, j'aurais pu tirer sur l'autre garce, mais ça n'aurait pas arrangé nos affaires. Ou plutôt ses affaires à lui.

- Pour qu'elle aille pleurer chez Annabella ? Non merci ! En plus, ça ne l'aurait pas empêché de balancer que toi, un Soumis, utilisait une de nos armes.

La suite par contre eut le don d'éclairer mon visage. Enfin une question réellement intéressante.

- Une fléchette contenant un anesthésiant foudroyant, mais aux effets très courts. C'est cool, hein ? Allez boude pas. Je suis sûre que tu aurais trouvé ça génial si tu n'avais pas dû accidentellement servir de cible.

Remy était trop superficiel. C'était petite mésaventure était un détail, après tout il avait grâce à tout cela pris activement part à la réalisation d'un nouveau projectile. Je lui ébouriffais les cheveux avec amusement avant de reprendre sur un ton plus sérieux.

- Bon, j'attends. Tu réponds à mes questions ou il faut que je teste un nouveau truc sur toi pour que tu daignes le faire ?

Non, je n'avais pas du tout d'autres fléchettes nettement plus intéressantes à utiliser dont il ne voulait absolument pas connaître les effets...

Gaëlle réagit en m'assénant un léger coup de poing dans l'épaule, ce qui me fit grimacer brièvement, mais m'arracha ensuite un petit sourire.

« Tu l'as bien cherché. »

Lorsqu'elle leva les yeux au ciel avant de me répondre sur le pourquoi elle n'avait pas visé l'autre garce, qui était d'ailleurs toujours assommé non loin de nous, je pinçais les lèvres.

« Mouai... et tu crois qu'elle n'ira pas se plaindre du fait que tu l'ai assommé à coup de crosse ? »

Mais je n'eus pas de réponse directe, puisque la blonde se lança dans de grandes explication sur le poison qu'elle m'avait administré, le tout avec un grand sourire. Elle m'enjoignis ensuite de ne pas bouder avant de m'ébouriffer les cheveux, et j'écartais sa main en riant avant de me relever, pas très assuré, et ayant toujours l'impression de me taper une gueule de bois d'enfer... Mais mon sourire s'effaça quelque peu lorsque Gaëlle me menaça de m'empoisonner de nouveau si je ne répondais pas à ses questions. M'abaissant pour poser mes mains sur mes cuisses en soupirant, je pris mon temps pour répondre malgré tout. Je pouvais lui faire payer un peu, même si au final c'était pour me protéger...

« Je suis fatigué, je ne suis pas certain de comment les choses se sont passées une fois que tu as tiré, j'ai une sensation désagréable dans le bras droit mais ce n'est pas vraiment douloureux, j'ai l'impression que ma tête va se décrocher de mon corps et j'ai la bouche pâteuse... Mais les effets semble déjà se dissiper un peu, et y a pas vraiment de douleur... Contente ? »

Je me redressais en soupirant de nouveau et lançais un regard à la fille inconsciente.

« Et on fait quoi d'elle ? »

Je me fichais bien de tout ce qu'il pouvait dire. Surtout que je n'avais aucune raison de m'inquiéter d'une mauvaise publicité. Si jamais l'autre fille allait se plaindre à notre Chef, alors c'était qu'elle était bien stupide. Annabella avait sûrement autre chose à faire que de s'occuper de ce genre d'évènement stupide et sans impact. Au pire, Lisa aurait une bosse à la tête, la belle affaire ! De plus, je doutais un peu de recevoir une quelconque punition si jamais elle venait cracher sur mon dos auprès des gradés. Non, je ne voyais vraiment rien qui pourrait justifier que je me tracasse d'une quelconque répercussion. Encore une fois, le Soumis prit son temps pour répondre, mais à sa tête j'étais presque certaine qu'il allait parler cette fois. Il me connaissait assez pour savoir que je ne faisais pas de menace dans le vent et que j'avais la volonté et les moyens de tester autre chose sur son pauvre corps de mâle malchanceux. Lorsqu'il commença son explication, je pris soin de noter mentalement tous les détails histoire de pouvoir les comparer avec les effets supposés du projectile. Bien, bien, pour le moment c'était plutôt concluant.

- Très contente. Cher Remy, je t'annonce que tu contribues à une avancée majeure. Sois fier.

Je lui envoyais une grosse tape dans le dos après m'être relevée et lâchais un sourire. Je n'avais aucune raison de faire la tête aujourd'hui, par contre j'avais bien des raisons d'être heureuse. Depuis le temps que je bricolais les mini-injecteurs, c'était un pas certain vers la consécration de mon plan. Remy revient sur le cas Lisa et je lançais un regard à la nana par réflexe. Je haussais les épaules avant de ramasser l'arbalète que je laissais reposer sur mon torse.

- On l'abandonne ici. Elle s'est mise dans les embrouilles, qu'elle se démerde. Puis sincèrement, tu as envie de l'entendre faire tout un cirque parce qu'elle s'est mangé un petit coup de rien du tout ?

Nouveau coup de la part de Gaëlle alors qu'elle m'assurait que j'avais contribué à une avancée majeure. Mouai, je m'en serais bien passé en fait...

« Yeee, je suis hyper fière, ça se vois pas ? »

Pur sarcasme, mais avec le sourire tout de même. Tirer la tronche ne servais à rien de toute façon, surtout avec la blonde...

Lorsque je demandais ce qu'on allait faire de la fille, Gaëlle répondit qu'on l’abandonnait ici. Je haussais les épaules à mon tour, après tout je m'en fichais, tant qu'elle ne m'attirait pas d'ennuis par la suite...

« Ça me va, je demandais juste. Bon ben je suppose que l'entraînement est fini du coup ? »

Au final, c'est ce qui m'emmerdait le plus, que mon entraînement de tir ai été écourter à cause de cette garce. Les occasions de tirer étaient déjà rares, mais si en plus ça se retournais en séance d'essais pour les projectiles de Gaëlle, autant abandonner tout de suite...

Ce pauvre Remy ne se rendait vraiment pas compte... Quel malheureux garçon ignorant l'importance de son sacrifice. Cette nouvelle munition allait un jour être équipée sur beaucoup d'armes de combattantes qui défendraient les intérêts du clan et accessoirement ses miches. C'était pas beau ça ? Mais non, lui restait blasé. Enfin, je n'allais pas m'échiner à lui faire comprendre la grandeur de cette histoire, j'avais mieux à faire et il n'était de toute façon pas réceptif. Sa bouille déçue par l'avortement de l'entraînement était par contre plus dérangeante. Je tentais de sauter pour lui ébouriffer les cheveux, mais cette sale bête était trop grande. Alors, je lui envoyais juste un coup de poing dans le torse. Voilà que j'allais devenir sentimentale.

- T'inquiète, on va se reprogrammer ça rapidement. Quitte à sortir pour jouer un peu...

Je remuais légèrement les sourcils à ce sous-entendu puant l'illégalité. Qu'est-ce qui aurait bien pu se passer si on allait s'entraîner en dehors des limites de notre territoire ? Après tout, j'avais le droit d'emprunter une arme et il y avait toujours moyen de bidouiller une excuse pour expliquer qu'elle se soit retrouvée entre les mains d'un Soumis. Il pouvait juste être là comme porteur par exemple. Ouais, elle était bien cette excuse !

- Bon, je m'arrache. Fais attention aux baveuses.

Absolument pas dérangée par le fait de laisser une inconsciente derrière moi, je repris le chemin de l'Atelier, en sifflotant, arbalète sur l'épaule. Cette journée n'avait pas été si mal que ça finalement.

Je regardais Gaëlle avec surprise en la voyant sauter pour je ne savais quelle raison. Ce n’est que lorsqu’elle m’envoya son poing dans la poitrine que je compris ses intentions, et je ne pu m’empêcher de sourire, particulièrement suite à ses paroles.

« Sortir pour s’amuser… Ok là tu as toute mon attention. »

Je ris avant de la saluer à mon tour alors qu’elle repartait vers l’Atelier. Jetant un dernier regard à la fille évanouie, je haussais les épaules et m’éloignais à mon tour vers mon logement. Le fait qu’elle soit restée vachement longtemps inconsciente me passa brièvement par l’esprit, puis je me rappelais qu’à cause d’elle je n’avais pas pu m’entraîner. Elle pouvait bien rester là toute la nuit, ce ne serait que justice rendue !
Mon esprit effaça donc rapidement son image, et mes pensées se tournèrent vers notre future sortie avec Gaëlle. J’avais hâte d’y être, même si rien n’avait été encore fixé…