Je me voyais déjà passé mon Test d'Admission dans un an, dès que j'aurai atteint mes seize ans. C'était important pour moi. Je dirais même que c'était vital. J'en avais besoin pour me détacher une bonne fois de ce père stupide, de cette chiffe mole qui n'assumait pas son rang alors que ma mère, elle avait été utile et bien plus importante que lui. Il ne supportait pas d'être inférieur à elle à cause des règles matriarches du clan. S'il détestait cela, pourquoi n'était-il tout simplement pas parti à ses dix ans. Ce n'était clairement pas interdit. Je ne le comprenais décidément pas. Il ne pouvait s'en vouloir qu'à lui-même d'être resté au sein des Vipères de l'Ouest. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même d'avoir eu un enfant avec ma mère. De m'avoir eue. Je n'avais pas à subir ses sautes d'humeur. Depuis déjà deux ans, je me révoltais. Je criais mon désaccord et personne ne me le reprochait. J'étais une fille. J'avais tous les droits. Même sur un adulte Soumis qui ne respecte pas sa place. J'avais tous les droits parce qu'il n'était qu'un homme aux yeux du reste du clan. « Tu es stupide. Tu es inconscient. Tu perdras toujours. », lui avais-je sorti tout naturellement, énervée, alors qu'il semblait encore se morfondre sur son sort. Il était tout bon à faire le minimum de tâche qu'il lui était demandé de faire. C'était pitoyable. C'était à cause de lui que je me renfermais de plus en plus. Je n'étais pas fière d'avouer que je vivais ça. De toute façon, je n'aimais pas parler de mes problèmes. Heureusement, ce jour-là, j'avais décidé de m'occuper, encore une fois. Les entraînements, c'était le plus intéressant en tant que Soumise. Surtout quand les Membres partageaient leurs connaissances avec passion. J'adorais ça. Je les trouvais exceptionnelles, sans doute parce que je les idéalisais de ma place de Soumise. Certaines, pourtant, étaient bien trop du genre à rentrer dans le tas au lieu de réfléchir. Oui, quand je ne m'entraînais pas, je les observais. C'était passionnant, d'une façon bien particulière.

Je me baladais donc au sein du territoire, je pouvais faire ce que bon me semble lors de mon jour de repos. J'étais une miss touche à tout dans l'âme. J'avais bien envie d'aller me trouver une Membre qui, elle aussi, n'aurait rien à faire ce jour-là et qui traînerait dans le territoire. Les chances étaient suffisamment grandes mais il fallait tomber sur l'une d'entre elles ouverte, pas seulement disponible. En marchant, justement, je découvris notre Tireuse d'Elite, Dalia. Cette fille était réputée pour être implacable, peut-être intraitable aussi mais dans les faits, elle avait surtout eu du mal avec son recrutement, ancienne Libre. Je pouvais comprendre. Je n'étais pas un monstre. Ça devait être difficile, vraiment. Je savais aussi qu'elle n'aimait pas traîner avec tout le monde. Je ne savais pas exactement ce qu'elle pensait des Soumises mais j'avais envie de tenter ma chance. Je ne risquais pas grand-chose de plus qu'un non. Si elle faisait peur aux autres, j'étais surtout intriguée. Ce serait l'occasion de réaliser comment elle fonctionnait. « Salut, Dalia. », dis-je tout simplement en m'approchant. Elle ne devait sûrement pas me connaître. Moi, oui. Je l'avais rejoint, elle semblait revenir du terrain d'entraînement. En tout cas, ça m'en avait tout l'air vu d'où elle venait. Je risquais un « non » foudroyant mais au moins, je tentais le coup. « Tu es une Tireuse d’Élite. Je ne me suis pas encore tournée vers toi. Pourtant, tu es un élément important, la meilleure personne de qui je pourrais apprendre les éléments qui me sont manquants. », lui dis-je en chipotant malgré tout de mes mains. Un tic nerveux. J'avais beau être dans mon monde, j'avais des émotions et des moments qui pouvaient me déstabiliser, quelque part. Mon rang n'aidait évidemment pas. Néanmoins, je me dis que la meilleure solution était de lui faire face et de soutenir son regard. On n'évite jamais un prédateur. On lui fait face en masquant ses peurs. En camouflant ses émotions. En les brouillant.

La réaction qu'avait eue Dalia ne m'avait pas franchement étonnée. On disait de cette Membre qu'elle était assez solitaire, brusque et qu'elle n'y allait jamais par quatre chemins quand il était question d'écraser les autres. C'est clair, elle n'avait pas bonne réputation auprès des autres Vipères, Membres comme Soumis. D'ailleurs, elle était particulièrement sauvage. Si j'avais envie de devenir Membre, je ne savais pas sur quels critères se basaient notre Chef et de ce fait, je n'avais pas toutes les cartes en mains pour me faire une idée. Une idée sur quoi ? Sur le fait que cette fameuse Dalia était déjà promue au rang de Tireuse d’Élite alors même qu'elle s'était montrée particulièrement sauvage et réticente à l'idée de faire partie de notre clan. Je trouvais ça rapide mais je n'avais pas mon mot à dire ni même l'expérience pour oser émettre un jugement. De plus, les histoires entre Ysaline, notre Fine Lame et elle faisaient du bruit jusqu'à nos oreilles, nous, les Soumis. Et la rumeur circulait suffisamment pour qu'on le sache sans avoir besoin de fouiller ou de jouer les curieux. Alors, forcément, je ne pouvais qu'être au courant. J'avais toujours les oreilles et les yeux partout, même en dehors du territoire. Une force ? Sans doute.

Après toutes ces observations, je devais sembler bien sotte pour aller me frotter jusqu'à elle mais c'était important. J'avais besoin d'en savoir plus, d'en apprendre plus et j'étais certaine que si elle était de bonne humeur, elle pourrait m'en apprendre plus que ce que je ne sais déjà. Je faisais preuve de bonne volonté, dans les faits. Malheureusement, je sentais déjà venir la tempête. À en analyser les traits de son visage, avant même qu'elle ne parle, j'avais déjà compris qu'elle aurait préféré que je m'éclipse en un claquement de doigts. Qu'à cela ne tienne, je n'allais pas rebrousser chemin. Son ton n'avait rien de chaleureux, lui non plus. Je n'eus pas besoin de déglutir, je n'étais pas effrayée, dans les faits. Je vivais dans un monde différent, tout le monde le savait. J'analysais. Je ne fonçais pas dans le lard. Par contre, effectivement, dans mes éloges, j'en oubliais de me présenter. C'était tout moi, ça. « Rose. Pardon, Dalia. », je fis mine d'être véritablement désolée. Je l'étais, dans les faits. Mais c'était plus compliqué que ça. « Je suis vraiment désolée de te prendre de ton précieux temps », dis-je sans idées derrière la tête, je savais que c'était la vérité. « mais je sais que tu pourras m'apporter beaucoup de choses concernant les armes. Tu n'es pas la Tireuse d’Élite pour rien. », alors, c'était un constat, ça aussi, mais c'était aussi une façon de la caresser dans le sens du poils. Impossible de déceler de la sympathie exagéré, cela dit. « Est-ce que je pourrais avoir un entraînement éventuel ? », je le demandais poliment, au moins.