I wanna fight but I can't contend
Lou & Liam - Jour 2 (nuit)

Depuis l'arrivée de Jayden dans ma vie, j'avais délibérément banni certains éléments de mon environnement. En comparaison de tout ce qu'il m'apportait, le reste du monde paraissait bien fade et inutile. Seulement, je devais bien avouer qu'une personne me manquait même si je l'avais soigneusement évitée de façon à résister à la tentation qu'il représentait. A l'instar d'Ezea, il y avait chez lui quelque chose de magnétique qui m'attirait d'une façon dérangeante. A la différence de la fille, lui n'était que bénéfique pour moi. Le tenir éloigné avait donc été d'autant plus difficile. Mais je connaissais la jalousie maladive de Clyde et je trouvais inutile de la provoquer pour une histoire sans futur. Jusqu'à cette nuit.

Planté devant le seuil de sa maison, j'hésitais à frapper. Cette attitude était particulièrement puérile et j'avouais me sentir ridicule, mais la nervosité me paralysait. Après avoir rassemblé tout mon courage, je levais pourtant le poing et cognais faiblement sur la porte. Une part de moi ne voulait pas qu'il m'entende alors que l'autre trépignait à l'idée de le revoir. Quelques bruits à l'intérieur m'informèrent qu'il avait bien entendu. Je reculais avec anxiété, les bras croisés sur ma poitrine et les ongles plantés dans ma peau à vif. La porte s'ouvrit lentement et je le découvris, la surprise peignant son visage alors qu'il en faisait de même. Je devais bien être la dernière personne qu'il s'attendait à voir ici au beau milieu de la nuit.

« Loukas ? Bon sang, mais qu'est-ce que tu fiches ici ? »

Il avait la voix rauque de quelqu'un que l'on venait de sortir du sommeil. A part la légère barbe qui s'étendait sur son visage, il n'avait pas vraiment changé. C'était toujours le même Liam, grand, fort, avec une douceur étonnante dans son regard pourtant tranchant. Je n'eus pas un mot à dire pour qu'il comprenne que quelque chose n'allait pas. Inquiet, il se poussa et m'invita à entrer, mais j'étais bien incapable de faire un geste. Alors, d'une main ferme, il se saisit de mon poignet et me tira à l'intérieur avant de me serrer dans ses bras. Il s'était adossé à la porte et je pouvais percevoir aux battements frénétiques de son cœur qu'il ne savait pas quoi faire d'autre.  

« Lou... Il va falloir que tu me parles si tu veux que je comprenne. »

Est-ce que je voulais qu'il comprenne ? C'était difficile à dire. En réalité, je ne savais absolument pas pourquoi j'étais venue ici. Aujourd'hui, Jayden avait été nommé Second. Il s'était emparé de la deuxième marche du podium avec une facilité étonnante. J'étais naturellement contente pour lui, mais l'amertume venait tout gâcher. Cette marche, il l'avait atteinte sans moi et je ressentais la curieuse sensation d'être inutile. Maintenant qu'il avait en partie ce qui voulait, qu'est-ce qui me garantissait une place à ses côtés ? J'avais pourtant confiance en lui, mais un rien avait suffi à souffler cette lueur de foi que j'avais pourtant crue indestructible. Et ce rien n'était pas le vent du changement, mais bien une diablesse que je pensais définitivement disparue de ma vie.

Les larmes me montèrent aux yeux sans que je ne m'en rende compte et quelques tremblements agitèrent mon corps. Liam poussa un soupir, mais il n'avait rien de las. Il était plutôt résolu et triste. Sans un mot, il passa un bras autour de ma taille et l'autre sous mes cuisses pour me porter. L'idée de me débattre ne me vient même pas. Il n'y avait rien d'alarmant dans son attitude. Il se contentait de me transporter vers sa chambre alors que je tentais tant bien que mal de contenir les perles salées qui cherchaient à couler sur mes joues. Elles passèrent les barrières de mes paupières dès qu'il me posa sur le lit et m'enroula dans sa couverture. Là, entourée par son odeur, j'étais bien incapable de chasser ce chagrin. Sa main chaude atterrit sur ma joue et je le sentis chasser mes larmes du pouce.

« La dernière fois que je t'ai vue comme ça, c'était quand elle a décrétée qu'elle n'avait plus de fille. Qu'a-t-elle bien pu faire de pire ? »

Calmement, Liam vint s'asseoir à mes côtés et passa un bras autour de mes épaules pour m'attirer contre lui. J'avais la tête posée sur son épaule alors il en profita pour poser un baiser léger sur mon front. Je ne savais même pas comment il avait fait pour deviner que c'était encore l’œuvre de cette femme nocive à souhait qui me servait de mère. Peut-être car il savait l'influence qu'elle avait eu sur moi et qu'il avait su voir la blessure profonde qu'elle m'avait laissé en guise de cadeau d'adieu. Un adieu qui n'était pourtant qu'un au revoir finalement.

Allongé sur le côté, un bras sous la tête pour la surélever, je fixais le visage de l'homme qui dormait à quelques centimètres de moi. J'avais longtemps pleuré avant de m'apaiser d'une façon aussi soudaine que cette crise passagère. Il était resté avec moi tout le temps sans jamais détacher ses bras de moi. Même après, il avait lutté contre la fatigue, mais sa volonté avait progressivement faiblis et je l'avais senti plonger doucement dans un sommeil profond. A aucun moment je n'avais parlé. J'étais resté silencieuse, mais il n'avait pas insisté. Il comprenait. Il avait toujours compris. Mes yeux se fermèrent durant quelques instants alors que je tentais d'en apaiser la brûlure. Je cherchais un peu la proximité du brun et emmêlais mes jambes aux siennes en tentant de ne pas le réveiller. Il ne broncha pas, poussant à peine un soupir léger quand je me serrais contre lui. Liam... Son prénom me tournait dans la tête depuis tout à l'heure et je peinais à ne pas laisser milles souvenirs s'insinuer dans mon esprit. La première fois que nous nous étions rencontrés, je devais avoir quatorze ans, tout au plus. C'était l'année de la mort de David. L'année de tous les changements.

La saison Polaire était presque là, ça se sentait à la froideur de l'air qui piquait la peau dès qu'on mettait le nez dehors. Malgré tout, ce jour-là, j'avais passé un long moment dehors. Je m'étais assisse sur ce petit muret où David s’asseyait toujours et je l'avais attendu tout en sachant qu'il ne reviendrait jamais parce qu'il était mort. C'était toujours ici qu'on refaisait le monde. Ou plutôt qu'il tentait de refaire le mien. Au départ, il avait essayé de me convaincre que ma mère m'aimait à sa façon, puis il avait tout simplement abandonné. Le challenge était bien trop dur et je crois que David détestait mentir. Alors, il avait essayé de me faire voir tout ce que je pourrais avoir si j'osais me dresser face à elle. Il avait voulu me montrer que j'étais forte, mais pas de la même façon qu'elle. Toutes ses leçons étaient des bulles d'oxygène et, à ses côtés, je ne pouvais que lui donner raison, mais tout était différent une fois à la maison. Maintenant qu'il n'était plus là, les entraînements de ma mère me paraissaient insupportables. J'enchainais les erreurs ce qui ne la rendait que plus dure. Plus cruelle, aurait dit David. A chaque fois que j'expirais, je ne pouvais que lui donner raison. Chaque souffle provoquait de la vapeur dans l'air glacé et m'arrachais une grimace de douleur. Sans le voir, je pouvais deviner mon buste couvert d'hématomes et je ne chassais pas la possibilité d'avoir une ou deux côtes cassées. C'était pour ça que je ne voulais pas rentrer chez moi. Dès que je passerais la porte, l'entraînement reprendrait et ce qu'importe mon état. A la place, je restais donc dehors à me les geler en espérant que quelque chose me permettrait de ne pas devoir y retourner tout de suite.

Liam était apparu à ce moment là. Il marchait en boitant légèrement, son poids soutenu par une canne. Un peu la même que celle de David. J'avais pris ça pour un signe. Il avait dit : « Il ne fait pas un peu froid pour rester ici ? », en souriant avec douceur. Je crois qu'il savait déjà qui j'étais. Avec raideur à cause de sa jambe, il s'était assis à côté de moi. Raide, je l'étais aussi. Comme un piquet. On s'approchait rarement de moi et je devais avouer que ça ne me gênait pas vraiment. Alors qu'un type sortit de nulle part se montre aussi amical me déroutait. Je me souviens encore de son tic. Il passait mécaniquement la main sur sa jambe blessée. Il avait vingt-trois ans et se remettait difficilement d'un accident qu'il avait eu durant sa dernière année au service des Dragons. Il était resté longtemps silencieux, puis il avait simplement soufflé quelques mots « A moi aussi, il me manque. ». Ça m'avait faits monter les larmes aux yeux. C'était le petit-fils de David.