And I don't really care if nobody else believes
cause I've still got a lot of fight left in me.
Jour 6 (nuit) - PV Sawyer

Depuis ma sieste de trois jours, on ne pouvait pas dire que le sommeil avait été un compagnon très régulier. L'idée de dormir était déplaisante car elle signifiait cauchemars et réveils en panique, la sueur glacée glissant dans mon dos comme les doigts d'un mort. Malgré la présence toujours plus rassurante de Kahlan, mes démons revenaient toujours me hanter. Que ce soit de jour comme de nuit d'ailleurs. Ces moments là étaient les plus gênants. Faire un mauvais rêve après la tombée du soleil était une chose, mais se laisser happer par l'angoisse en pleine lumière en était une autre. J'étais anxieuse, mordante et probablement blessée, mais pour une toute autre raison cette fois. Demain aurait lieu un grand évènement auquel une poignée d'élus seulement pourrait participer. Deux par clans pour être exacte. Et je n'en faisais pas partie. Noâ avait choisi cette garce d'Asha. C'était puéril de mal vivre sa décision, mais j'aurais plus facilement pu supporter qu'elle m'ait laissé de côté si ça n'avait pas été pour la prendre elle. Certes, elle avait été d'une efficacité exemplaire durant la rébellion, mais elle n'était qu'une recrue là où j'étais... Eh bien... Une paria. Mon bannissement avait beau avoir été suspendu il y a deux jours, le stigmate de cette disgrâce restait aussi présent que si on m'avait imposé la Marque. Malgré ma nouvelle détermination à regagner ma place au sein du clan, il n'était pas toujours facile d'évoluer sur le territoire donc. Assez naturellement, dès que ma Chef avait annoncé les noms des traqueurs, j'avais préféré partir plutôt que de voir le chaton le plus en vogue du moment fanfaronner. Peut-être aussi pour fuir Kahlan qui lui aussi avait eu la chance d'être sélectionné. Je me refusais à gâcher le fragile quelque chose qui se tissait entre nous par jalousie. Car au final, c'était ça. J'étais jalouse de la position que Asha et lui occupait désormais au côté de Noâ, position que je cherchais désespérément à retrouver. C'était mon but, une des seules raisons qui me gardait droite depuis que j'avais perdu Eli. Non, que j'avais rejeté Eli. La douleur était encore bien présente, mais je tentais encore et toujours de me convaincre que c'était pour le mieux. Pour lui comme pour moi. J'étais nocive pour lui et, quand à moi, j'avais besoin de me recentrer. Avancer, me retrouver. J'avais depuis trop longtemps abandonné la longue route qui me mènerait à celle que je voulais devenir et je devais désormais reprendre la marche. C'était la seule solution si je voulais y voir plus clair et cesser d'être paralysée par le moindre obstacle émanant de ce passé trop trouble qui me poursuivait.

Comme toujours lorsque j'étais troublée, j'allais chercher un réconfort malsain au bord du lac. Pas celui des Jaguars, mais bien celui qui se trouvait au cœur du centre neutre, là-même où j'avais commencé à me rapprocher d'Eli. Ce choix était définitivement masochiste au vu de l'impact que ma phobie de l'eau avait déjà sur moi. Comme toujours, je restais à bonne distance de la berge. J'étais debout contrairement à dernière fois où j'étais venue, pas idiote au point de me détendre en pleine nuit au milieu de nulle part alors que les Libres étaient en ébullition. Encore aurait-il fallu de toute façon que mon corps soit apte à m'offrir un quelconque relâchement. Je poussais un long soupir en contemplant la surface trop calme de la sombre étendue. Six jours. Six foutus longs jours depuis l'attaque d'Abel et de ses sbires. Beaucoup de choses avaient changées. Trop et à la fois pas assez. J'aurais pu rester coincée dans mes pensées durant encore très longtemps si les échos d'une lutte n'étaient pas arrivés à mes oreilles. Il se passait quelque chose. Je scrutais l'obscurité et découvrais quelques silhouettes de l'autre côté de la berge. Trois, peut-être quatre. La lune était minuscule aujourd'hui et ne fournissait guère de lumière, il m'était donc impossible d'en savoir plus. Cette histoire ne me regardait pas, mais j'avais la curieuse envie de m'en mêler. Pas par pure bonté d'âme, je ressentais plutôt le besoin d'en découdre. J'avais beaucoup d'émotions à évacuer ces derniers temps et il valait mieux le faire sur de sinistres inconnus plutôt que de rugir encore sur les personnes de mon clan. Avant d'avoir réellement réfléchi à la situation, je trottinais déjà pour rejoindre le groupe, arc à la main. Une fois suffisamment proche, je piochais l'une des quelques flèches incendiaires qui se trouvaient désormais dans mon arsenal. Ces petites merveilles étaient bien trop pratiques pour que je passe à côté. Après avoir gratté la pointe sur une bande de soufre accrochée au carquois, je l'encochais alors que la flamme se développait, créant un halo lumineux qui m'offrit une meilleure visibilité, mais surtout attira l'attention de deux des trois personnes. Ce n'était pas tous les jours qu'on voyait une flamme surgir dans la nuit et l'évènement aurait assurément pu créer une nouvelle légende urbaine dans les ruines.

L'attention tournée vers moi me permit de comprendre un peu mieux la situation. Un gars un peu trapu qui me tournait le dos, une fille longiligne et une autre légèrement plus courte semblaient en plein milieu d'un débat animé. Pour ne pas dire que la plus petite se faisait rosser, la main de l'homme fermement agrippé au col de son t-shirt et la traînée sombre glissant hors de son nez étant des preuves suffisantes. Je ne savais pas dans quoi je venais de m'embarquer, mais tout ça ne m'avait en tout cas pas l'air très équitable. Pour éclater un peu la mêlée, je lâchais la corde et la flèche fila aux pieds du gars qui fit un bond sur le côté, se détachant au passage de sa victime. Le feu avait toujours son petit effet. Je secouais discrètement ma main rougie par la flamme pour refroidir la sensation de chaleur qui y perdurait. Je l'avais tenue trop longtemps et sans gant ce n'était pas des plus agréables. Le projectile flambait toujours même s'il était planté dans le sol et fournissait une lumière bienvenue qui me faciliterait la tâche pour la suite. Avant que l'un des deux ne se décident à avancer, j'encochais une nouvelle flèche - classique cette fois - et tient la fille en joug.

- C'est pas que je m'intéresse vraiment à vos conneries, mais j'aime l'idée d'un entraînement nocturne sur cibles mouvantes. Je doute que ça vous plaise par contre alors vous pourriez juste dégager, non ?

La menace était claire et je n'aurais eu aucune difficulté à la mettre à exécution. Il faisait sombre, j'avais une capuche enfoncée sur la tête et les bleus et coupures encore bien visibles sur mon visage me rendraient moins facilement reconnaissables. Au vu de la chasse qui s'annonçait demain, personne ne s'inquiéterait de découvrir deux éventuels cadavres dans le coin qui plus est.

C'est toujours la même histoire. Les constantes ne varient quasiment jamais. Des personnages différents mais une trame et un décor identiques. Tu devrais y être habituée à force - et quelque part tu l'es - mais certaines choses continuent d'être abrasives. Tout ne coule pas comme de l'eau, parfois le liquide devient épais, gluant, et il reste sur la peau au point de devenir insupportable. Ce sont au final ces détails que tu détestes. Comme tu supportes très difficilement le crachat qui vient de te heurter la joue que tu essuies d'une main leste en gardant pour toi la grimace de dégoût que tout ça t'inspire. Inutile d'en rajouter une couche, tu es déjà dans de beaux draps. Généralement quand tu sors du territoire, tu as la paix. Les Dragons sont peu nombreux à aimer réellement sortir et la majorité de tes agresseurs potentiels ne font pas exceptions à la règle. Mais naturellement alors que tu ne recherchais qu'à faire un break à l'extérieur après une série trop longue d'évènements et de journées chaotiques, il a fallu qu'une de ces fameuses anomalies vienne te prendre la tête. Deux même. Brodie et Natacha, un duo de lézards qui ne t'est malheureusement pas inconnu. Tu avais bien essayé de les semer dans les ruines mais ils avaient été tenaces et toi tu t'étais stupidement laissé piégée à proximité du lac. L'endroit dégagé par excellence, autant dire le pire lieu pour échapper à des natifs trop fiers de leur condition. Natacha est celle qui a craché et si tu as retenu ta grimace, tu ne peux rien faire contre la colère qui passe dans tes yeux quand tu la regardes. Elle est grande mais maigre et peu musclée. Tu pourrais certainement la frapper deux ou trois fois avant qu'elle ne réplique. Pour Brodie ce sera une autre histoire. Il n'est pas rapide mais si malgré tout il te coince tu en sortiras avec de sérieux dégâts. Il te démange de sortir ta lame et tu hésites un instant parce que tu es après tout en dehors du territoire et que si tu fais proprement le travail personne ne pourra te relier à eux. Parfois tu craques. Tu accumules la pression et les coups et puis un jour ça explose silencieusement et tu rends les coups de façon mortelle. Mais pas aujourd'hui parce que tu as hésité. Tu as hésité et Brodie n'a pas loupé le regard que tu as adressé à Natacha alors il cogne. Tu vois son geste quand il est trop tard et seul ton sursaut de surprise t'évite d'avoir le nez cassé. Son poing a bien frappé par contre. La douleur te monte aux yeux et les larmes s'échappent d'elles-mêmes tout comme le sang qui commence à couler de tes narines. Malgré tout les dégâts sont superficiels. C'est une zone sensible et même si tu souffres tu sais très bien que s'il y avait eu casse, la douleur serait nettement moins supportable. Malgré tout ce n'est pas agréable et ça l'est d'autant moins quand un deuxième coup heurte ta pommette déjà couverte d'un bleu. Brodie vient de te saisir par le col et il est bien décidé à te donner une correction pour ce qu'il dit être de l'insubordination. Le mot paraît étrange dans sa bouche mais ton sourire narquois n'existe que dans ton esprit. Comme toujours, ton visage reste stable. Brodie arme son bras pour cogner à nouveau et toi tu glisses ta main à ta hanche pour prendre ton couteau. Cette fois, ça suffit. Mais une quatrième personne s'invite et tu ne peux empêcher tes yeux de s'agrandir un peu quand tu vois une flamme apparaître dans les airs. Natacha l'a visiblement vue aussi car elle lâche un couinement qui arrête Brodie. Nous voilà tous les trois en train de scruter une évènement étrange. La flamme se déplace soudain à grande vitesse et elle se loge devant les pieds de l'homme qui bondit sur le côté. Sa prise est ramollie sur ton t-shirt et tu parviens à t'arracher à sa main avant qu'il ne te force à suivre son mouvement. Par réflexe tu fais un pas de côté mais ton attention se trouve être sur la personne qui vient de tirer cette flèche qui brille au sol. Là tout de suite, elle te semble nettement plus dangereuse que ton duo de lézards insignifiants.

ALESSANDRA – C'est pas que je m'intéresse vraiment à vos conneries, mais j'aime l'idée d'un entraînement nocturne sur cibles mouvantes. Je doute que ça vous plaise par contre alors vous pourriez juste dégager, non ?

Ta vision nocturne n'est pas exceptionnelle et tu entends plus que tu ne vois ce qu'il se passe. Une fille inconnue au bataillon vous vise avec son arc. Ses paroles ne sont pas un exemple de clarté mais il semble qu'elle vient à ta rescousse ce qui te fait un peu serrer les dents. Tu n'as pas demandé à être sauvée. C'est ton choix de les laisser faire et tu apprécies toujours peu qu'on intervienne dans une histoire qui ne concerne que toi. Néanmoins la fille a au moins le mérite de ne pas se placer d'une façon trop flagrante comme une justicière. La nonchalance de sa voix et son discours font un peu mieux passer la pilule. Brodie et Natacha sont peut-être forts quand il s'agit d'agresser les non-natifs et les Soumis mais ils ne sont ni réellement idiots, ni complètement suicidaires. Ils sont assez bas dans la chaîne alimentaire et ils savent la fermer quand ils ne sont pas cachés derrière les lois de vos frontières. Aussi il n'y a rien d'étonnant à ce qu'ils détalent comme des lapins sans avoir combattus. De ton côté tu es plus incertaine. Blasée tu lèves les mains en signe de reddition.

SAWYER – Si tu veux tirer vas-y mais ne compte pas sur moi pour te compliquer la tâche.

Tu ne connais pas réellement les intentions de cette fille donc tu privilégies la prudence pour le moment. Et si elle veut vraiment une cible mouvante autant rester statique. Quitte à te faire descendre, tu ne comptes pas lui faire plaisir.

Non, mais dans quoi j'avais encore été me fourrer moi ? Je n'avais jamais été très prompte à défendre les autres, mais ces derniers temps je le faisais plus qu'à l'accoutumé. Pas avec un but noble derrière la tête, non ça aurait été trop beau. J'étais juste à la recherche de conflits. J'aimais bien les conflits qui n'avaient rien à voir avec moi parce que ça ne m'attirait pas trop de pépins. En plus, on était en pleine nuit, pas sûre qu'on m'aurait reconnue une fois le jour levé. Selon Kahlan, c'était bon d'évacuer son énervement. Il fallait le faire sur le moment et non le garder en soi. Puisque j'étais souvent sur les dents ces derniers temps, il fallait que ça sorte et ça sortait très souvent. C'était aussi pour ça que je traînais autant dans le centre neutre. Moins d'embrouilles. Depuis que Noâ m'avait passé un savon l'autre jour, je me méfiais des conséquences. Seulement, cette affaire-ci n'était pas vraiment juteuse. Deux des trois personnes interpellées étaient du genre lâches et elles partirent en courant sans demander leur reste. Seule l'une des filles resta sur place. Elle semblait aussi expressive que moi à sa façon et cette constatation me troubla un peu. Elle parla finalement et je ne pu m'empêcher de hausser les épaules après avoir détendu la corde de mon arc.

- Toi, je comptais pas vraiment te tirer dessus.

Son flegme me dérangeait. C'était un peu l'hôpital qui se foutait de la charité vu le peu de réactivité que j'avais à une époque affiché, mais quand même. Elle était déroutante. Et puis c'était quoi cette façon de parler à quelqu'un qui braquait une flèche sur vous ? La dite flèche retourna dans son carquois et je me détendis sensiblement. J'allais même jusqu'à me débarrasser de ma capuche. La détente, c'était encore un truc que m'avait appris Kahlan. Ce gars était plein de surprises et de leçons.

- Ça me regarde pas et je crois pas que ça va m'intéresser beaucoup, mais je vais quand même poser la question : pourquoi tu traînes dans le coin à cette heure si t'es pas foutue de te défendre ?

Faire la conversation avec des inconnus au bord du lac en pleine nuit allait devenir une habitude à cette allure. Ça devait être l'effet du clair de lune ou un truc du genre. L'ambiance me rendait plus sociable. J'ajoutais en me frottant le nez.

- Au fait, t'as un peu de sang là au cas où tu le saurais pas.

Le départ des deux idiots rend la fille moins menaçante. Tu ne sais pas trop quoi penser d'elle. C'est déjà étrange de voir quelqu'un prendre la défense d'une inconnue dans le centre neutre. C'est même louche. Tout le monde n'est pas comme Maxine. D'ailleurs tu cherches la fameuse broche des patrouilleurs mais elle n'en porte pas. « Toi, je comptais pas vraiment te tirer dessus. » Elle n'a pas baissé son arme mais elle ne te tient plus en joug. La façon dont elle hausse les épaules te fait froncer les sourcils. Mais sur quoi est-ce que tu es tombée ici... « C'était pas vraiment écris sur ton front. » Tu hausses à ton tour les épaules sans exprimer de grand soulagement face à sa détente. En réalité tu l'es, soulagée. Pourtant tu ne montres rien quand elle range sa flèche. Tu ne réagis pas plus quand elle baisse sa capuche. Cette fille doit avoir ton âge. Probablement une Membre d'un autre clan. « Ça me regarde pas et je crois pas que ça va m'intéresser beaucoup, mais je vais quand même poser la question : pourquoi tu traînes dans le coin à cette heure si t'es pas foutue de te défendre ? » Tu as bien envie de répliquer que justement ça ne la regarde pas. Ce ne sont pas ses affaires après tout. Surtout qu'elle dit elle-même ne pas être intéressée par la réponse. Elle formule son interrogation vraiment étrangement et c'est peut-être ça qui te pousse à réagir. Ça et le fait que tu as un minimum de fierté même si ce n'est pas quelque chose que tu montres dans ton clan. Chez les Dragons, tu préfères être vivante et avec les mains propres plutôt que d'être morte ou vivante et couverte de sang. Mais ici tu n'as pas tellement de raison de t'écraser complètement. « Je ne comprends pas pourquoi tu affirmes que je ne sais pas me défendre. » Tu souffles entre tes dents avec un peu plus de vigueur que nécessaire. « Au fait, t'as un peu de sang là au cas où tu le saurais pas. » Cette fois tu clignes des yeux, clairement prise de court. Cette fille n'est vraiment mais alors vraiment pas comme les autres. Elle te rappelle un tout petit peu Max mais dans un registre beaucoup plus dérangé et à côté de ses pompes. Il n'y avait pas de cette innocence mignonne mais trompeuse avec cette fille aussi. Malgré toi, tu roules des yeux parce que bien sûr que tu es au courant que tu as du sang sur le visage. Tu le sens bien qui tiraille ta peau. Tu passes ta manche près de ton nez sans pour autant le toucher pour essuyer le plus gros. Tu peux bien faire l'effort si grâce à ça elle arrête de te regarder bizarrement en te faisant la conversation. « Contente ? »

La confrontation promettait d'être...intéressante. Non, en fait, le mot exact était ennuyante. Cette fille avait l'air d'être plutôt prise de tête. Le plus frustrant, c'était sûrement qu'elle me laissait cette impression en ne faisant et en disant rien. Elle semblait trop creuse et ça venait toucher un je-ne-sais-quoi de trop sensible en moi. Je me trouvais presque soulagée quand elle fit preuve d'un certain sarcasme. Okay, il y avait peut-être de la vie à l'intérieur de cette coquille. En plus, je pouvais lui concéder un point : elle avait raison, j'aurais très bien pu lui tirer dessus arbitrairement. La suite m'arracha cette fois un sourire narquois et une nouvelle vague de soulagement. Maintenant, je me sentais plus à l'aise. Elle avait du caractère, elle ne le montrait juste pas pour une raison inconnue. Il valait mieux ça plutôt que de faire face à une espèce de sociopathe chelou. Pour autant, sa réponse me perturbait beaucoup. Si elle savait se défendre pourquoi ne le faisait-elle pas ? C'était vraiment con de se laisser taper dessus. J'en étais à me dire que peut-être elle était juste con justement quand elle essuya enfin le sang, visiblement blasée.

- Tu l'as étalé, m'enfin c'pas grave.

Je haussais les épaules avant de m'accroupir pour récupérer rapidement une pierre que je balançais vers la flotte. L'eau était toujours là - menaçante - et la battre à coup de pierre avait quelque chose de plaisant. La roche coula rapidement, après à peine à rebond, et je fis la moue. On ne pouvait pas réussir à tous les coups.

- En partant du principe que tu sais te battre... Pourquoi tu ne réagis pas ? Je veux pas être vexante, mais c'est quand même vachement stupide. Tu as une sorte de fétichisme pour la douleur ? Ou alors tu as un super-pouvoir que tu ne peux pas dévoiler ?

Je ricanais à ça avant de lui jeter un coup d’œil. Je gaspillais peut-être ma salive et mon temps, mais ce n'était pas comme si j'avais autre chose à faire cette nuit.

« Tu l'as étalé, m'enfin c'pas grave. » A cette allure c'est toi que je vais étaler. Tu pourrais juste hausser les épaules pour lui faire comprendre que tu te fiches que ça la dérange au final, que le sang est très bien là où il est mais finalement tu frottes un peu plus fort sur ta peau pour le retirer. Il faudra bien que tu le fasses à un moment ou à un autre. Si tu rentres avec le visage sanglant, ça va attirer l'attention sur toi. Tout ce que tu ne recherches pas en somme. Ton interlocutrice ne s'intéresse déjà plus vraiment à toi. Pendant que tu débat avec l'hémoglobine, elle fait des ricochets dans le lac. Ou du moins elle tente de faire des ricochets. Tu laisses échapper un ricanement face à son échec. Puisque vous en êtes là, autant que tu t'autorises un petit break. Souffler un coup, être toi-même durant un court instant avant de retourner dans ton rôle. « En partant du principe que tu sais te battre... Pourquoi tu ne réagis pas ? Je veux pas être vexante, mais c'est quand même vachement stupide. Tu as une sorte de fétichisme pour la douleur ? Ou alors tu as un super-pouvoir que tu ne peux pas dévoiler ? » Elle rigole mais toi pas. Son humour ne vaut pas un clou. Tu n'apprécies pas vraiment la curiosité des autres vis à vis de toi en général mais le fait qu'elle semble en réalité se ficher de la réponse te faire hésiter sur la marche à suivre. Pour te donner du temps tu t'approches du bord et tu cherches une pierre plate à ramasser. Elle reste dans ta main une seconde avant que tu ne la lances vers l'eau, la faisant rebondir trois fois avant qu'elle ne disparaisse vers le fond du lac. Tu es satisfaite de cette victoire mais tu n'affiches pas ta fierté. A la place, tu lui réponds. « C'est plus compliqué qu'il n'y paraît. Je ne peux pas me battre contre eux mais j'en ai la capacité. » Tu doutes qu'elle puisse comprendre. C'est trop obscur et elle ne sait rien à ton sujet. Peut-être qu'il aurait mieux valu que tu lui racontes que oui tu avais des super-pouvoirs secrets.

Sa moquerie me fit grincer des dents et j'eus bien du mal à ne pas me retourner pour mordre à l'aide d'une remarque cinglante. Oui, j'avais foiré mon coup, mais moi au moins je n'étais pas une sorte de punching-ball humain. Comme si ce n'était pas déjà assez clair qu'elle se foutait de me gueule, l'inconnue se prêta à mon petit jeu et me surpassa. J'observais les rebonds avec un fond d'envie avant de siffler, mauvaise perdante. C'était juste une question de matériel, elle avait choisi une meilleure pierre. Au milieu de tout ça, la question se reposa : comment pouvait-elle être aussi agaçante en se montrant si détachée ? C'était un talent inné à ce point là ! Lorsqu'elle se mit à parler, je reculais un peu et allais m'asseoir sur le sol dans une zone plus ou moins dépourvue de cailloux. Je pris le temps d'analyser sa réponse parce que c'était au final assez flou. Encore plus flou que quand elle n'avait pas encore parlé. N'était-elle pas capable de juste donner une information sans que ça ne se transforme en casse-tête ? Vraiment, je commençais à croire que j'étais tombée sur l'emmerdeuse du coin.

- On parle pas la même langue ou les gens ont besoin d'un décodeur pour te comprendre ? C'est quoi ce délire de je peux, mais je peux pas ?

I've still got a lot of fight left in me
Année 41, ST1 – Jour 6 (nuit)

Malgré sa présence dans le centre neutre, un endroit pas vraiment recommandé surtout la nuit et ces derniers jours, la fille semble plutôt à son aise. Il irradie d'elle une sorte de confiance qui peut-être n'est qu'une façade. Ou elle est possiblement juste inconsciente des dangers. Un fait étonnant au vu de son équipement et de ses aptitudes évidentes d'un point de vue guerrier. Elle s'était assise un peu plus loin, cherchant le confort pour continuer cette étrange conversation. C'en était une même si on ne pouvait pas vraiment la décrire comme étant amicale. Elle reste un moment silencieuse et tu décides d'attendre sans pour autant te relâcher comme elle. Tu tournes maintenant le dos au lac, scrutant les environs avec les bras croisés sur ta poitrine malgré la douleur que cette position éveille dans tes côtes. C'est probablement à cause du sujet abordé – sensible le sujet – mais tu ressens le besoin de te créer une sorte de protection. « On parle pas la même langue ou les gens ont besoin d'un décodeur pour te comprendre ? C'est quoi ce délire de je peux, mais je peux pas ? » Tu roules des yeux avec agacement. Toute cette réflexion pour ça ? Vraiment tu commences toi aussi à te poser des questions sur ses capacités cérébrales. Tu veux bien admettre que ce que tu dis est un peu énigmatique mais ce n'est quand même pas à ce point là. Contre ton meilleur jugement, tu t'abaisses à son niveau, restant accroupie plutôt qu'assisse de façon à t'offrir une plus grande marge de manœuvre au cas où un danger vient. Il serait plus simple de partir plutôt que de parler bêtement avec elle mais tu n'es pas vraiment dans ton état normal et pour une fois tu aimerais que quelqu'un puisse te comprendre. Son statut d'étrangère peut aider car tu te fiches un peu de son jugement et tu ne la reverras probablement jamais. Tu soupires en fixant le sol avant de ramasser un caillou que tu fais rouler entre tes doigts puis tu lèves finalement les yeux vers elle. « Se défendre ça attire souvent plus d'ennuis que se laisser frapper. Si je ne réagis pas, le problème reste mien. Dans le cas contraire il peut avoir des répercussions que je ne veux pas avoir à assumer. Donc bien sûr je pourrais les battre mais je veux pas, je ne peux pas, à cause des conséquences. C'est plus clair comme ça ? » C'est néanmoins ta dernière tentative d'explication. Si cette fois elle ne capte pas où tu veux en venir, tu abandonneras.

Je soufflais légèrement en la voyant se détendre un peu. C'était un miracle qu'elle se pose, elle finissait par me filer des angoisses à bouger partout en surveillant les environs. Elle avait même réussi à me faire jeter un coup d’œil par-dessus mon épaule pour être sûre que rien ne venait. C'était étrange, l'impact que pouvait avoir l'attitude de quelqu'un d'autre sur nos propres réactions. Toujours nerveuse, je fixais le caillou qui roulait entre ses doigts, ne relevant les yeux qu'au moment où elle commença à parler. Et alors qu'elle se lançait enfin dans une explication concrète, je réussis à percevoir une certaine logique. Sa vision était étrange et il y avait encore des points d'ombre, mais au moins je pouvais comprendre le fond. Seulement, si agir avait des conséquences, ne pas le faire en avait aussi selon moi. Dans tous les cas, il s'agissait d'un choix qu'elle faisait. Un choix qui aurait pu se retourner contre elle dans tous les cas. Mais je n'allais pas juger les méthodes d'une inconnue. Si elle préférait se faire démolir, c'était son problème. Alors, je me concentrais sur autre chose, sur cette petite pointe bravache qui avait percée ses paroles.

- Bien sûr, tu pourrais les battre... Eh ben, on est sûre de ses capacités à ce que je vois.

Sans la voir à l’œuvre, impossible de savoir. C'était bien facile de se vanter comme ça lorsque l'on se refusait à combattre. A mes yeux, c'était une belle arnaque. Je me redressais et tapotais mon pantalon pour me débarrasser de la poussière avant de fixer à nouveau mon attention sur l'autre fille.

- J'vois où tu veux en venir, vraiment, mais de mon point de vue, tu t'enfonces sur une mauvaise pente. Tu pourras pas te laisser massacrer pour le restant de tes jours, à un moment, il y aura toujours une répercussion. Et plus ça va attendre, plus les dégâts seront importants. C'est comme ça quand tu gardes un truc sous pression, ça explose plus fort. Et je dis ça par expérience personnelle, je te juge pas. Dans les faits, tu fais ce que tu veux, c'est pas comme si j'en avais quelque chose à faire ou qu'on se reverra un jour.

Et dire que je ne voulais pas me mêler de ses affaires... C'était du beau boulot.