Encore ce rêve. Ce putain de rêve qui venait me bouffer toute mon énergie durant la nuit et me laissait fatiguée et avec une humeur de chacal chaque matin. C'était presque toujours le même enchaînement avec cette course folle, puis ce basculement dans l'eau et cette noyade qui semblait sans fin. Heureusement, je finissais toujours par me réveiller en sursaut, le corps en sueur et les muscles aussi douloureux que si j'avais réellement lutté pour m'arracher à cette poigne qui tentait de m'attirer vers le fond. Même l'étau sur ma cheville semblait vrai au début jusqu'à ce que j'ai passé les doigts sur ma peau surchauffée pour vérifier que rien ne s'y était agrippé, une habitude stupide, mais devenue vitale. Après ça, il n'y avait plus qu'à calmer mes tremblements et ma respiration saccadée. Plus qu'à. Bon dieu, je détestais cette expression qui semblait toujours venir se foutre de ma gueule en minimisant mon état après le cauchemar. C'est vrai que ce n'était qu'un cauchemar, mais ça ne changeait rien au fait que tout semblait trop cruellement réel. C'était d'ailleurs le problème. Ce n'était pas qu'un songe. Des nuits agitées, j'en avais eu toute ma vie, mais la rébellion avait réveillé quelque chose qui ne semblait pas tout à fait prêt à se montrer. Ce n'était que des flashs, des sensations, qui formaient un puzzle, une énigme dont je ne parvenais pas à trouver la solution. Dans ces conditions, difficile d'accepter un jeu de patience. Alors, je me rebellais. Je luttais contre ce monstre habitant au fond du lac, la nuit, en luttant pour devenir plus forte, le jour. Peut-être que c'était désespéré, peut-être que ça ne servait à rien, mais au moins je ne restais plus statique. Pendant trop longtemps, j'avais encaissé les coups sans les rendre, mais ça, c'était terminé.

Il était encore excessivement tôt, mais je décidais pourtant de me lever. Une fois réveillée, j'étais de toute façon incapable de me rendormir et je préférais encore user de mon temps utilement plutôt que de me repasser la scène dans mon lit. J'enfilais rapidement quelques vêtements ramassés sur le sol et me glissais dans le couloir calme du QG. L'aube n'était pas encore là et les trois quart de la population Jaguar dormait encore. Tout comme Kahlan, probablement, mais je n'eus aucun scrupule à le réveiller en frappant doucement à sa porte avant de rentrer. En quelques jours, j'avais déjà pris mes habitudes avec lui et, assez étonnement, il ne s'en était jamais plains. Une fois les premiers moments passés, j'avais découvert qu'il était facile d'être à l'aise avec lui. Probablement trop facile pour que ça ne cache pas quelque chose, j'y aurais pensé si j'avais pris la peine d'y réfléchir, mais j'avais déjà trop de choses en tête. Inutile de rajouter des réflexions stupides à propos d'une relation qui s'était nouée tout naturellement. Je me fichais de savoir ce que nous étions, je me fichais de savoir pourquoi c'était si simple, je voulais juste le garder à proximité.

- Eh Kahl, je sais que tu dors, mais je me disais que-... Oups, pardon. Oublie.

Cette fille dans son lit voulait aussi le garder à proximité visiblement. Un peu perturbée par cette découverte, je m'empressais de reculer vers la porte et de sortir. J'avais beau savoir pour sa réputation, je n'avais pas pensé une seule seconde à tomber sur... Ça. C'était terriblement gênant et, pour le coup, ça foutait en l'air mon programme, mais je pouvais difficilement lui demander de jarter cette gonzesse pour qu'on puisse aller s'entraîner. Enfin... Au moins, ce n'était pas Asha. Cette pensée me fit grimacer de dégoût. N'importe qui sauf elle. Ou peut-être pas n'importe qui. Je n'étais pas jalouse - pas vraiment -, mais je devais bien avouer que tout ça piquait un peu. Le moral peut-être un tout petit peu dégonflé, je me dirigeais vers l'escalier. Tant pis pour lui : j'irais m'entraîner seule.

J'avais commencé à descendre les escaliers quand la voix de Kahlan se fit entendre. Le fait qu'il soit venu m'arracha un sourire, mais il s'effaça presque aussitôt quand je constatais que Roxanne montait les marches. Je me raidis un petit peu en la croisant, me contentant d'un signe de tête sec en guise de salut avant de continuer. Il n'aurait qu'à me retrouver en bas, je ne voulais vraiment pas multiplier mon temps inutilement avec la Seconde. En entendant le grabuge derrière, je ne pu pas m'empêcher de jeter un coup d’œil par-dessus mon épaule néanmoins. Ce pauvre Kahlan n'avait pas l'air bien fier, au ras d'une Roxanne qu'il avait bien faillit envoyer au tapis. Je m'attendais à ce qu'il se fasse ramasser pour ça, mais il n'eut droit qu'à un commentaire moqueur. Nous en fait. Je restais sur place, un peu choquée, et tentais d'évaluer la position qu'avait vraiment le brun dans le clan. Il n'était pas personne, c'était une certitude. Et visiblement, il s'entendait plutôt bien avec la Seconde contrairement à moi. Je ne sortis de ma réflexion que quand Kahlan arriva à ma hauteur, finalement vêtu, et l'air bougon.

- Comme si c'était la première fois que tu te promenais à poil dans le QG.

Et ce n'était même pas une moquerie en l'air, j'avais entendu des choses, des rumeurs, à ce sujet. Après une œillade destinée à lui faire comprendre que je n'étais pas du tout impressionnée par sa mauvaise humeur, je recommençais à descendre et sautais les trois dernières marches d'un coup. Je ne répondis qu'à l'atterrissage.

- Je voulais qu'on aille s'entraîner. Enfin toi, tu peux probablement pas beaucoup le faire, mais je pensais que tu pourrais me tenir compagnie. Ou améliorer tes compétences au tir, t'es pas une flèche avec un arc.

Le jeu de mots était pourri, mais soit. Dans les faits, il avait vraiment besoin de s'entrainer même s'il n'avait jamais caché que maîtriser l'arc n'était pas son objectif principal. Je trouvais ça dommage personnellement et j'avais en plus envie de partager ça avec lui. C'était probablement la seule chose que je pourrais lui apprendre. A l'instant, tout ça n'était par contre que des excuses. Oui, j'avais envie de m'entraîner, mais je fuyais surtout ma chambre, le sommeil et le souvenir trop vif de ce rêve. Mais ça, il n'avait pas besoin de le savoir.