Dryss haletait. Il courrait sans s'arrêter. Il ne devait surtout pas s'arrêter. L'enfant sauta par-dessus un muret perdu au milieu de nulle part et poursuivit son parcours. Depuis presque un an il s'entraînait à sauter des obstacles bien plus impressionnants. Il fallait dire que son père insistait pour qu'il suive cet entraînement si particulier. Il devait avoir une idée derrière la tête mais le Dragon ignorait totalement de quoi il s'agissait. De toute façon, il avait autre chose à penser en ce moment!

Le brun sauta à nouveau un obstacle avant de tourner après un bosquet. Il serait bientôt là. Il conservait précieusement le lacet bleu vif qu'il venait de chiper à Sarah. Jude l'adorerait, il le savait. Elle recherchait justement des objets bleus pour sa nouvelle création.

Après avoir couru plusieurs centaines de mètres, il arriva enfin à destination : une petite bâtisse abandonnée et minuscule dont le toit avait été arraché par on ne sait quel cataclysme. Il ne subsistait que trois murs et une porte presque arrachée mais qui tournait toujours sur ses gonds. Le brun pénétra dans la cachette et y trouva Jude. Comme à son habitude, l'enfant était assise au milieu de la pièce et était complètement concentrée sur son travail.

Dryss s'approcha timidement et tendit sa trouvaille, plein d'espoirs

Jude regarde ce que j'ai trouvé pour toi.

Aujourd'hui était un jour comme un autre. Mais j'avais décidé de me lancer dans une nouvelle création qui, je l'espérais, égayerait un peu la maison de Dryss. Pour ce faire, j'avais choisi du bleu, une couleur apaisante et très jolie. J'étais sûre que cela lui plairait, une fois réalisé. Mais bien sûr, il n'était pas au courant, c'était une surprise. Même s'il savait que je cherchais des pièces bleues et qu'il m'aidait encore à en trouver.

Concentrée sur mon travail, j'étais en train de réaliser un petit montage représentant quatre petits bonhommes bleus. En fait, ils nous représentaient tous les quatre : Noâ, Samuel, Dryss et moi. J'étais la plus grande des quatre, Dryss étant un peu plus petit à côté de moi. Noâ nous suivait et Samuel finissait le tableau de famille. Car je considérais Dryss comme mon deuxième frère.

En parlant de lui, je sursautai légèrement en l'entendant. Je me pensais seule. Et je l'étais jusqu'à maintenant, en fait. Il était un peu essoufflé mais me tendait un lacet bleu, tout fier de sa trouvaille. Je ne cachai pas mon oeuvre car pour l'instant il ne pouvait pas deviner ce que je faisais, c'était encore trop abstrait. Je pris le lacet et l'examinai.

« Merci Dryss ! Il me sera très utile. En plus il est très beau. »

Je levai les yeux vers lui et lui souris. Puis, je me mis à rire.

« Mais tu n'étais pas obligé de te mettre dans tous tes états pour ça. »

Dryss tenta de comprendre ce que Jude pouvait bien fabriquer. Il s'agissait souvent d'objets décoratifs. Lors de leur conception, l'enfant ne parvenait que très rarement à imaginer le résultat fini. Jude avait le don pour construire des décorations magnifiques et elle passait d'ailleurs la plupart de ses journées à s'adonner à son loisir préféré. Il était heureux de pouvoir l'aider de temps en temps, même s'il était souvent pris par ses entraînements...

En plus, Jude semblait ravie par sa trouvaille. Cela le soulagea. Au moins il n'avait pas fait tout ce chemin pour rien. De toute façon, le simple fait d'être en la présence de son amie suffisait à le rendre heureux. Il s'assit en tailleur, juste à côté d'elle afin d'admirer ses petits doigts filer sur l'objet en pleine naissance. Il se demandait ce que cette création pouvait bien représenter. Pour l'instant, il aurait dit qu'il s'agissait de quatre silhouettes, mais tout pouvait encore changer. L'enfant resta silencieux plusieurs minutes. Il tenta ensuite de briser le silence, gêné par sa présence presque oppressante.

L'entraînement était dur aujourd'hui. J'ai cru que j'allais m'évanouir. Mais mon père veut absolument que je batte les autres en combat rapproché...

Jude connaissait très bien la situation et savait que Dryss détestait se battre. Il espérait qu'elle trouverait les mots justes pour le rassurer, même si elle était occupée à réaliser sa nouvelle création.

Dryss vint s'asseoir en tailleur près de moi pour me regarder travailler. Il faisait souvent ça. Ça devait le détendre. Il faut dire que ce n'était pas toujours facile chez lui, avec son père qui l'obligeait à s'entrainer tout le temps. Je connaissais Dryss et je savais qu'il détestait se battre. Ce n'était pas pour lui.

« Tu devrais lui demander de te laisser te reposer un peu ! »

Il fallait quand même que Dryss puisse respirer. Je voyais bien que ça lui pesait énormément.

« Mais vois le bon côté des choses, tu deviendras très fort et tu pourras tous nous protéger plus tard ! » ajoutai-je en lui offrant un sourire réconfortant.

Je n'aimais pas qu'il soit obligé de faire quelque chose qu'il détestait. Je trouvais que chacun avait le droit de choisir. Mais son père n'était pas du même avis... Et je devais bien avouer qu'il me faisait un peu peur !

« Je suis sûre qu'il fait ça pour ton bien, tu sais. »

Je voulais le rassurer quand même. Je me sentais un peu comme une grande soeur pour lui, après tout.

Jude comprit sa détresse et tenta à la fois de le conseiller et de le rassurer comme elle savait si bien le faire. Demander à son père de le laisser tranquille? Dryss n'osait pas. Il y avait déjà pensé et avait plus d'une fois rechigné face à l'insistance de son père, mais il l'avait toujours payé très cher. Jude n'était peut-être pas au courant mais son éducation était très spartiate. Dryss recevait des coups. Très souvent. Et pas de simples fessées. Son père partait du principe qu'il devait pouvoir encaisser le poing d'un homme à son âge. Il n'était pas un Dragon respecté pour rien...

L'enfant n'osa cependant pas contester Jude et acquiesça. Il détestait mentir mais il ne souhaitait pas la contredire non plus, donc il se tut. Son amie l'aida ensuite à voir le verre à moitié plein : il pourrait protéger les gens qu'il aimait. Elle s'incluait forcément dans ce groupe, ce qui le réjouit. Sa remarque placée si innocemment le fit réfléchir et il y vit une bonne raison de suivre ces entraînements si éreintants. Dans le fond, c'était une excellente motivation.

Tu as raison. À partir de maintenant, je m'entraînerai pour ça. Je veux pouvoir vous protéger toi, Noâ et Sam.

La fratrie lui était dans le fond étrangère. Il ne faisait pas partie de cette famille. Pourtant ces trois personnes étaient celles qui comptaient le plus à ses yeux et il espérait que rien ne viendrait perturber cette amitié exceptionnelle.

Oui il veut que je devienne membre... Moi j'ai vraiment pas envie. Les membres passent leur temps à se taper dessus ou à courir après les Libres, rien de bien passionnant. Son regard se perdit dans le vide et il ajouta, rêveur. Moi j'aimerais plutôt sauver des vies.

Il avait déjà été à l'hôpital dans le centre avec son père. Il avait pu y observer à quel point les médecins étaient précieux et admirables. Il rêvait de pouvoir lui aussi aider les gens à s'en sortir dans une époque aussi sombre.

Dryss approuva mes paroles. Il allait s'entrainer pour nous protéger. Même s'il n'aimait pas ça. Il ajouta que son père voulait qu'il devienne Membre. Je le plaignais, je n'aimerais pas devoir me battre et être obligée de traquer des gens. Ce n'était pas moi. Mais ce n'était pas lui non plus. Je connaissais son ambition de devenir médecin, de travailler à l’hôpital. Et il m'en reparla d'ailleurs : il voulait sauver des vies, une chose extraordinaire.

« Tu sais, les médecins sont des Membres. Donc tu pourrais devenir Membre et demander à être à l'hôpital. Comme Fanny. »

Fanny était une Membre qui s'occupait toujours des enfants, et elle travaillait à l’hôpital en tant que médecin. Je me glissai à côté de lui et le pris dans mes bras, posant sa tête contre mon coeur.

« Je sais qu'un jour tu seras qui tu veux être. Tu dois persévérer ! »

Jude semblait le rassurer : devenir membre n'était pas une si mauvaise chose, il pourrait très bien devenir médecin par la suite. C'était d'ailleurs le parcours qu'avait suivi Fanny. Il savait que les enfants l'appréciaient beaucoup mais il ne la connaissait pas personnellement. Jude n'avait pas tort dans ce qu'elle disait, mais elle oubliait un détail important aux yeux du jeune Dragon :

Oui mais pour devenir membre, tu sais bien... Il y a plusieurs épreuves à passer. Il faut tuer quelqu'un... Je pourrais même mourir. C'est injuste. On ne devrait pas tuer les gens parce qu'ils ratent un stupide test.

Il ne comprenait vraiment pas le principe de cette règle. C'était inutile et cruel. Son clan ne lui ressemblait pas vraiment. Il avait entendu dire que c'était pareil dans les autres clans mais il en doutait. Heureusement qu'il avait plusieurs personnes sur qui compter sinon il ne se sentirait vraiment pas à sa place...

Soudain, Jude s'avança vers lui et le prit dans ses bras. Juste comme ça, pour le consoler. Dryss se raidit, surpris. Il ne put empêcher ses joues de s'empourprer et malgré ses efforts pour se calmer, son pouls accéléra violemment. L'espace d'un instant, il se demandait ce que son amie faisait et ce qui lui prenait de s'approcher de la sorte. Ensuite il comprit qu'elle voulait lui prouver son soutien. Alors il se détendit et se redressa en souriant.

Merci d'être là.

Il continua ensuite à admirer les talents de Jude. Son œuvre s'achevait tout doucement mais Dryss ne comprenait toujours pas ce que représentait cette décoration.

Dryss me rappela que pour devenir Membre, il devait passer des épreuves extrêmement difficiles qui pourraient le tuer. Et qui l'amèneraient à tuer quelqu'un. Il me remercia ensuite d'être là pour lui. Je le lâchai et recommençai à travailler sur la surprise que je lui préparais.

« Quand on sera grands, on changera ces règles ! Les grands s'écoutent entre eux, mais ils ne nous écoutent pas. Ca sera différent dans quelques années. »

J'étais certaine que nous pourrions changer les choses. Pour moi, tout était possible.

« Et si ce n'est pas le cas, on s'enfuira ! Et on vivra ailleurs tous ensemble, sans devoir se battre. Et tu ne devras jamais tuer personne. »

Oui, ça me paraissait être une bonne solution. Nous partirions d'ici si rien ne changeait d'ici là.

Jude poursuivait son travail et continua à le rassurer tant bien que mal. Devenir grand et changer les règles? Mais oui, ils pourraient toujours y arriver avec un peu d'entraînement. Il pourrait devenir chef et rendre le clan un peu plus humain à ses yeux. Jude avait décidément un véritable don pour le consoler! Il lui sourit.

Tu as raison, quand je serai grand je deviendrai chef et je changerai tout ça. Et tout le monde voudra rejoindre les Dragons! Ce sera le meilleur clan qui ait jamais existé.

Malgré son insouciance, il savait que ce qu'il imaginait là ne se réaliserait sans doute jamais. Mais pouvoir imaginer ce genre de chose lui faisait un bien fou. Il voulait partager ces pensées avec son amie qui l'avait lancé sur cette piste.

Et oui. Rien ne nous empêche de partir si ça ne se passe pas comme ça. On s'enfuira loin et on pourra voyager partout! J'adorerai faire ça avec vous.

Il avait déjà entendu que certaines personnes passaient leur vie à parcourir le monde et à découvrir d'autres choses chaque jour. Dryss se demandait à quoi pouvait bien ressembler le reste du monde... C'était peut-être plus joli qu'ici?

Alors qu'il se perdait dans son délire, un ricanement retentit à l'extérieur de la bâtisse. Il s'agissait de plusieurs enfants. Ils étaient là, tout près. Mais qu'est-ce qu'ils fichaient ici? Le jeune Dragon se releva précipitamment.

Reste là je vais voir ce qu'il se passe.

Il sortit ensuite à pas feutrés et jeta un oeil dehors...

Dryss finit par dire que deviendrait chef des Dragons lorsqu'il sera grand et qu'il en fera un clan bien meilleur, le meilleur qui ait jamais existé. Je lui offris un grand sourire : il le ferait, j'en étais sûre ! Il ajouta que rien ne nous empêcherait de partir si ça ne se passait pas comme ça. Il adorerait voyager avec nous, partout partout.

« C'est décidé, nous ferons ça ! »

Alors que je terminais ma phrase, un ricanement nous parvint de l'extérieur. Je fixai l'ouverture, me demandant de quoi il s'agissait. Dryss me demanda alors de rester là pendant qu'il allait voir ce qu'il se passait dehors. Je hochai la tête et restai attentive à tout ce que je pouvais entendre de là où j'étais.

Dehors, cinq enfants d'à peu près le même âge que nous (il y en avait un un peu plus âgé) attendaient que Dryss sorte. Lorsqu'il montra le bout de son nez, il se fit discrètement encercler. Le plus âgé et le plus costaud le regardait d'un air moqueur.

- T'es une mauviette, tu joues avec les filles !

Les autres rigolèrent. Gary (car oui, j'avais reconnu la voix de Gary) riait plus fort que les autres. Inquiète, je rejoignis bien vite mon ami pour le soutenir.

« Dryss n'est pas une fille ! C'est un garçon, tout comme vous. Il est juste plus gentil que vous tous réunis. »

Dryss eut à peine le temps de mettre le nez dehors qu'il fut encerclé par cinq garçons. Tous fils de Dragons. L'un d'eux avait un gabarit plus impressionnant et Dryss déglutit lorsqu'il comprit qu'il s'était mis dans une situation très délicate. Les enfants ricanèrent de nouveau et se moquèrent de lui parce qu'il jouait avec une fille... C'était complètement stupide mais c'était bien ce qu'on lui reprochait. Le brun ne put retenir un petit rire.

Pourquoi? Jouer avec une fille est interdit? Vous comptez rester entre mecs toute votre vie?

Il ne savait pas si ces imbéciles comprendraient ce qu'il sous-entendait pourtant assez clairement. Mais peu lui importait, il ne cherchait pas les ennuis et face à cette petite bande, il lui serait difficile de protéger Jude tout seul. Il fallait qu'il les écarte.

Oui ok je suis une mauviette. Vous pouvez partir maintenant?

Mais son amie l'avait rejoint. Elle le défendit et ses paroles emplirent le petit garçon de joie. Mais aussitôt, il s'inquiéta pour elle. Jude avait été très intrépide dans sa réaction et Dryss craignit que les garçons s'en prennent à elle. C'est ce qui arriva, malheureusement. L'un d'eux se saisit d'elle et la poussa très violemment.

Toi ta gueule, on t'a pas sonnée.

Immédiatement, Dryss vit rouge. Il se jeta sur l'agresseur et lui lança un coup de poing frontal en plein sur le nez. C'était un coup que lui avait appris son père il y a quelques mois. Avec cette technique, il ne fallait pas une grande force pour immobiliser ou blesser son adversaire. La paume venait heurter de front l'arête du nez et celle-ci cédait assez facilement. L'agresseur vit donc son nez cassé en un dixième de seconde et tomba à la renverse, et en pleurs. Il fut bien vite submergé par son propre sang et ne cessait de brailler. Dryss poursuivit ses assauts et lui planta plusieurs coups de pieds dans le ventre. Il détestait se battre, mais ne se contrôlait plus quand on touchait à ses amis... Il en oublia presque que les quatre autres Dragons étaient toujours là... L'un d'eux l'attrapa par les cheveux pour l'interrompre et l'écarta brusquement de son compagnon. Le brun tomba à la renverse mais se releva bien vite pour faire face aux quatre enfants restants.

Dryss leur avait avoué être une mauviette pour les faire partir. Mais il n'en était pas une, et je le savais ! Par contre, les enfants n'apprécièrent pas ma remarque. Bryan m'attrapa par les bras et me poussa avec violence. Je ne tombai pas mais ce fut de justesse. Je lui lançai un regard plutôt méchant. Mais Dryss fut le premier à réagir : il se jeta sur lui et lui cassa littéralement le nez. Bryan termina en pleurs au sol, déversant son sang dans la poussière. Mais Dryss ne s'arrêta pas là, il lui donna plusieurs coups de pieds, jusqu'à ce qu'Alexis l'attrape par les cheveux et l'écarte. Mon ami se retrouva alors par terre mais ne tarda pas à se relever pour se mesurer aux autres. Je devais bien avouer être choquée par son geste, je ne l'avais jamais vu dans un tel état et j'en étais restée bouche-bée. Lorsqu'il me montrait les gestes que son père lui apprenait sur un mannequin invisible, c'était amusant. Mais sur un autre garçon, c'était effrayant.

« Dryss, arrête. » lui demandai-je en me rapprochant de lui.

- Oh oui Dryss, arrête. rétorqua Gary en essayant de m'imiter mais en en rajoutant une couche. Viens plutôt jouer à la poupée, ou faire des trucs bizarres avec moi, continua-t-il en se moquant.

« Viens, on s'en va. Ça ne sert à rien de discuter avec eux. »

Je voulus prendre le bras de Dryss pour l'inciter à quitter les lieux avec moi mais Hugo me tira par le mien au lieu de cela.

On t'a déjà dit de la fermer, c'est avec Dryss qu'on parle ! Va donc continuer tes petits montages à la noix !

Il me faisait mal au bras tellement il serrait fort. Puis, il me poussa et je tombai par terre à mon tour, me cognant contre un pan de mur décrépi. Je laissai échapper un petit « aie » mais je n'avais pas l'impression d'être blessée. C'était déjà ça. Mais je commençais à avoir peur... La situation n'était clairement pas à notre avantage et si en plus Dryss devait les affronter tous les quatre tous seuls, que se passerait-il ? Parfois, je détestais vraiment le fait d'être née chez les Dragons...

Dryss venait de se relever et s'apprêtait à se jeter sur l'un des quatre enfants restants. Mais Jude lui demanda d'arrêter. Il y avait de la peur dans sa voix. Le Dragon se retourna vers son amie. Même si la haine continuait de l'animer, il était sincèrement désolé de l'avoir choquée et afficha une mine coupable. Mais Gary en rajouta, pour le provoquer, bien évidemment. Dryss tourna un regard haineux vers lui, et Jude (sentant certainement qu'il était à deux doigts de craquer) lui proposa de s'en aller. C'était sans doute la meilleure des choses à faire.

Tu as raison. Ce sont des imbéciles.

Mais Jude avait été interrompue par Hugo qui se saisit de son bras pour la poussa violemment. Elle tomba lourdement sur un pan de mur de la bâtisse et poussa un cri de douleur. Cette fois c'en fut de trop. Dryss s'attaqua à Hugo.

Ne la touche pas...

Son ton était menaçant. Il saisit le bras droit d'Hugo - celui avec lequel il avait attrapé Jude - et exécuta une torsion qui avait pour but de lui rompre le bras ou de lui luxer le coude. Mais alors que le Dragon s'apprêtait à exécuter la pression qui ferait hurler Hugo de douleur, les trois autres l'attrapèrent par le col pour l'empêcher de s'exécuter. Une fois de plus, il tomba à  la renverse. Gary en profita pour s'approcher et lui envoyer un coup de pied dans le ventre.

Mais c'est qu'il est féroce le petit. T'aimes pas qu'on touche à Jude hein? Ben regarde ça...

Gary attrapa Dryss par les cheveux tout en l'immobilisant. Il indiqua à l'un des deux garçons de s'en prendre à Jude. L'un d'eux hésita cependant.

-Gary... C'est qu'une fille.
-Et alors? T'es un Dragon ou pas? T'as peur d'une fillette?

Aussitôt, l'enfant se tourna vers Jude et commença à la gifler du plus fort qu'il le put. Dryss se débattait et hurlait de rage. Mais Gary le maintenait parfaitement et le brun ne pouvait bouger. Pourtant il continua à tenter de se dégager de son emprise. Il devait la protéger à tout prix.

Dryss s'énerva à nouveau et tenta de faire mal à Hugo, celui qui venait de me jeter contre le mur. Mais les autres l'en empêchèrent et il se retrouva à nouveau par terre, avant de se relever. Ensuite, Gary décida de s'acharner sur moi. Il indiqua à Pablo de s'en prendre à moi. Celui-ci protesta, je n'étais qu'une fille à ses yeux, mais Gary insista. Pablo commença donc à me gifler alors que je venais de me relever.

Je voulais lui dire d'arrêter et me protéger des coups. Mais je décidai de ne pas le faire : au lieu de cela, je retins mes larmes et le fixai droit dans les yeux. Ils n'auraient pas ce qu'ils voulaient. Je cherchais une solution pour mettre fin à cette scène mais rien ne me venait à l'esprit. Hugo s'arrêta en voyant que je ne réagissais pas.

Gary, qu'est-ce que je fais ?
- Tu frappes plus fort. Fais-la pleurer.
Mais...
- Oh la ferme Hugo ! T'es aussi mauviette que Dryss ou quoi ?

Apparemment impatient, Gary s'approcha rapidement et esquissa un geste pour me frapper sans pour autant le faire. J'avais sursauté.

- Ahah, t'as peur de moi ?

Prenant mon courage à deux mains, je lui répondis :

« Non, je n'ai pas peur. »

Je devais bien avouer que j'étais en train de mentir, du moins à moitié. Je n'avais pas vraiment peur de lui, j'avais peur de ce que lui et ses amis pourraient faire à Dryss. Il était plus jeune que moi et je le considérais un peu comme mon petit frère même si nous n'avions aucun lien de sang. Je voulais le protéger. Et lui montrer l'exemple.

« Vous n'avez rien de mieux à faire ? Vous ne vous amusez qu'en frappant les plus faibles que vous ? J'ai vraiment honte d'être dans le même clan que vous ! »

Gary ne retint pas son poing. Je l'avais énervé. Pourtant, Hugo et Pablo avaient l'air de réfléchir à mes paroles, ils n'étaient plus si sûrs d'eux. Cela venait peut-être aussi de la violence gratuite flagrante dont faisait preuve Gary. Ils voulaient bien embêter un peu les autres enfants, mais ils n'étaient pas tout à fait d'accord. Pourtant, ils n'osaient rien dire et ne faisaient rien pour empêcher celui qui les dominait tant physiquement que mentalement.

Dryss regarda Pablo gifler Jude à plusieurs reprises. Ce spectacle lui était insupportable mais Gary le forçait à regarder par sadisme. Enfin, il le lâcha et s'approcha de Jude et de ses deux acolytes afin de participer au lynchage. Il donna un coup de poing à la jeune fille et les deux autres Dragons restèrent plantés là, sans trop savoir ce qu'ils devaient faire. Cette violence semblait les dépasser et ils commençaient à douter de leur leader. De plus, le courage de la Dragonne était exemplaire et Dryss en resta bouche bée. Il ne pouvait qu'admirer un tel comportement et ne savait pas son amie aussi forte. Cela lui donna encore plus envie de la protéger...  

Qu'est-ce que vous attendez? Occupez-vous d'elle!

Aussitôt les deux garçons obtempérèrent bien que l'hésitation était désormais visible dans leur comportement. Dryss, pour sa part, se releva prestement et se dirigea vers Gary. Au fond, c'était lui le responsable de tout ça. Il était le chef de cette bande de lâches. Si Dryss parvenait à le vaincre, il aurait gagné pour de bon et les autres n'oseraient plus s'en prendre à eux. L'enfant lui sauta à la gorge alors qu'il était toujours tourné vers Jude. Gary avait trois têtes de plus que lui, mais Dryss n'était pas du tout impressionné. Il venait de lever la main sur Jude... Alors il allait payer. Le petit lui planta plusieurs coups de poings au visage, alors que le géant se débattait, tentant de faire tomber ce microbe qui s'accrochait à son dos. Dryss parvint à le blesser mais tomba bien vite à terre. Et Gary se jeta sur lui, commençant à lui asséner des coups violents au ventre et au visage. Sa puissance était telle que Dryss cracha du sang... Il était dans de sales draps... Sa précipitation lui avait porté préjudice et il était désormais à la merci de son aîné.

Gary, après m'avoir asséné un coup de poing qui me mit un peu dans les vapes, ordonna aux autres de s'occuper de moi. Ils s'approchèrent mais ne me touchèrent pas. Gary était aux prises avec Dryss qui avait réussi à le surprendre. Mais mon ami finit bientôt par se retrouver à nouveau à terre et la montagne s'acharna sur lui, le blessant un peu plus à chaque coup.

- Ça suffit ! Mais qu'est-ce qui vous prend ?

C'était Maxence, le Tireur d'élite du clan. Il venait d'arriver sur les lieux et sépara facilement Dryss et Gary. Les deux autres déguerpirent en courant, mais il les avait repérés.

- Hep tu restes ici, toi, dit-il en attrapant Gary par le col tandis que celui-ci tentait de s'échapper. Je parie que c'est encore toi qui a commencé. Je vais en parler à Martin, je ne suis pas certain qu'il appréciera ton comportement.

Un autre Membre avait suivi Maxence et ce dernier lui confia Gary. Il le poussa pour l'éloigner des lieux. Maxence se dirigea ensuite vers moi.

- Tu vas bien ? me demanda-t-il gentiment.

J'étais toujours un peu K.O. mais je hochai la tête. J'avais mal partout, pourtant j'essayai de me relever. Mes jambes me supportaient encore, c'était déjà ça. Mais mon visage me faisait atrocement mal et je sentais le sang couler de mon nez.

« Dryss, tu vas bien ? »

Je m'inquiétais pour lui qui s'était battu pour essayer de nous défendre.

- Je vais vous emmener à l'infirmerie, vous vous êtes mis un sale état tous les deux.

Dryss subissait les coups de Gary sans pouvoir vraiment réagir. Sa précipitation et sa haine l'avaient aveuglé. Jamais il n'aurait pu le battre dans ces conditions. Il n'était pas assez fort... Pas encore. Et Gary profitait de sa supériorité physique pour le lui prouver. L'enfant recevait les coups avec courage, sans pleurer. Pourtant intérieurement, il hurlait. Sa haine ne faisait que s'accroître et il se jura de se venger un jour. Il savait que son heure viendrait. Mais pour l'instant, Dryss devait subir sans broncher, ce qu'il faisait plutôt bien. Il sentait que Gary augmentait l'intensité de ses coups en vue de le faire craquer. Juste au moment où Dryss ressentit comme une rupture, un craquement dans son corps suivi d'une douleur lancinante et puissante qu'il n'avait encore jamais ressenti, une voix s'éleva. Celle d'un adulte.

L'enfant tourna les yeux vers son sauveur : il s'agissait de Maxence, le Tireur des Dragons. Dryss ne savait pas ce qu'il faisait là mais il n'avait jamais été aussi heureux de le voir débarquer. Le Membre fit détaler les garnements mais parvint à retenir Gary qui avait lui aussi tenté de s'échapper. Un deuxième membre arriva et s'occupa du jeune homme. Ensuite, Maxence s'enquit de l'état de Jude. Dryss, lui, tenta de se relever. Mais il continuait à cracher sur sang et son épaule le faisait atrocement souffrir. Il ne put s'empêcher de retomber lourdement en lâchant un gémissement. Maxence proposa de les emmener à l'infirmerie. C'était ce qu'il y avait de mieux à faire, en effet.

Alors que le membre aidait Jude à se relever, Dryss leva piteusement la tête vers son amie qui avait elle aussi un peu de sang sur les lèvres.

Je suis désolé... Tout ça est de ma faute. J'aurais dû les empêcher de te frapper.

L'enfant ne comprenait pas son impuissance et ne pouvait que s'en vouloir après ces événements. Il ne supportait pas l'idée qu'on ait touché à son amie... Mais Maxence l'aida également à se relever.

Viens là. Ce que tu as fait était très courageux mais un peu stupide. Tu aurais dû venir chercher de l'aide.

Le garçon acquiesça. Maxence avait peut-être raison, mais Dryss n'aurait jamais pu abandonner Jude face à ces crapules. Mais bon. Le principal c'était qu'ils étaient sains et saufs maintenant...

Dryss s'excusa pendant que Maxence m'aidait à me relever. Il rejeta la faute sur lui, affirmant qu'il aurait dû les empêcher de me frapper. Mais il avait fait de son mieux, et j'étais son ainée : c'était à moi de le protéger. Alors que je voulais le rassurer, lui dire que ce n'était pas de sa faute, Maxence reprit la parole en l'aidant à se lever. Il trouvait sa réaction courageuse mais un peu stupide. Aller chercher de l'aide aurait été une meilleure solution.

- En fait, c'est moi qui aurais dû aller chercher de l'aide quand ils s'en sont pris à toi. Je suis désolée, Dryss.

Je m'en voulais de cette situation, même si je savais également que c'était la faute de ceux qui avaient cherché la bagarre. Maxence nous prit par la main et nous emmena tous les deux à l'infirmerie. Nous remerciâmes le Membre et il nous laissa, non sans nous rappeler que parfois, il était préférable de demander de l'aide. L'infirmier appliqua un baume sur nos blessures et nous donna ses recommandations. Lorsqu'il eut le dos tourné, je pris la main de Dryss, assis à côté de moi sur la couchette.

- Tu as été très brave tout à l'heure, tu sais ?

Je lui offris un sourire rougi par les coups, mais un sourire sincère tout de même.

L'enfant se laissa gronder sans broncher et suivit ensuite Maxence jusqu'à l'infirmerie aux côtés de Jude. Il n'osa regarder son amie pendant le trajet car il était encore gêné de ce qu'il venait d'arriver. Jude l'avait vu se battre pour la première fois et il avait eu du mal à contrôler sa colère... Et puis, il avait perdu face à Gary ce qui affectait son égo. Mais le pire était de savoir qu'elle avait reçu des coups de ces brutes. Ca, il n'arrivait pas à l'avaler.

Depuis l'irruption de Maxence, il ressentait une étrange douleur au niveau des épaules. D'ailleurs, l'enfant avait du mal à marcher sans grimacer et Maxence lui lança un regard inquiet. Dryss espéra que ce n'était pas trop grave sinon il ne saurait comment expliquer l'incident à son père.

Une fois à l'infirmerie, les deux enfants furent auscultés par un infirmier. Il commença par leur appliquer un baume sur les blessures externes. Ensuite, une fois que l'homme eut le dos tourné, Jude prit la main de Dryss qui tourna un regard timide vers elle. Elle lui dit qu'il avait été très brave... on aurait dit qu'elle cherchait à le consoler et à lui assurer qu'il l'avait bien défendue. Le petit ne put s'empêcher de rougir et baissa les yeux.

Merci... Dommage que ça n'ait pas suffi. Il s'enquit ensuite des impressions de la jeune fille. Tu n'as pas eu peur?

Il savait Jude brave, et même plus que lui. Cependant c'était la première fois qu'elle le voyait sous ce jour. Lui qui était si calme et serein avait complètement perdu le contrôle de lui-même. Il espérait que son amie n'avait pas changé d'opinion à son sujet.

Dryss rougit et baissa les yeux, n'osant plus me regarder. Il était déçu de ne pas avoir été assez fort pour les battre, je le voyais bien. Il me posa alors une question difficile, me demandant si j'avais eu peur. Je restai silencieuse une minute.

- Oui, j'ai eu peur.

Je ne pouvais pas le nier. Et j'avais eu un peu peur de lui au moment où il avait frappé les garçons. Enfin... je n'avais pas vraiment eu peur de lui, mais plutôt de son geste. Et de ce qu'il a engendré : des représailles encore plus violentes. Mais ce dont j'avais eu le plus peur, c'était de ce qui aurait pu arriver à Dryss.

- J'ai eu peur pour toi.

En plus, je me sentais un peu coupable. S'il n'était pas venu me rejoindre, les garçons ne se seraient pas moqué de lui. Et rien de tout ceci ne serait arrivé. Je coinçai mes mains sous mes cuisses et baissai les yeux à mon tour.

- Peut-être... peut-être que tu aurais moins d'ennuis si tu jouais avec des garçons...

Je n'osais pas le regarder en disant cela, fixant mes pieds pendant dans le vide d'un air coupable.

Même s'il s'y attendait, Dryss encaissa assez mal la réponse de Jude. Elle avait donc bien eu peur. Même si elle n'avait rien précisé, Dryss savait qu'il avait dû l'effrayer. Mais malgré tout, il espérait qu'elle ne changerait pas son regard sur lui et qu'ils pourraient tout de même rester amis. Mais elle ajouta quelque chose : elle avait eu peur pour lui. L'enfant se sentit quelque peu rassuré : elle n'avait rien à craindre, il ne lui arriverait rien tant qu'il saurait se défendre, et puis ce n'était pas son bien être à lui qui était important.

Tu ne dois pas avoir peur pour moi. Ils ne me feront rien.

Mais le Dragon n'en était pas si certain. Il pouvait craindre des représailles de Gary et de sa bande... C'était malheureusement très courant dans le clan. Pourtant il ne s'inquiétait pas trop. Il savait qu'il pouvait se défendre, il faudrait juste qu'il prenne garde à ne plus s'isoler autant.

Jude enleva sa main et baissa soudainement les yeux, songeuse. Elle aussi semblait s'en vouloir de ce qui était arrivé. Et ce qu'elle lui dit le laissa pantois : si Dryss jouait avec des garçons, on le laisserait tranquille. Elle était tellement injuste de penser ça! Même si elle avait peut-être raison, le brun refusait de l'admettre. Il ne voulait pas s'éloigner d'elle à cause d'une bande d'imbécile. Ils ne faisaient rien de mal, alors les autres n'avaient rien à dire...

Il attrapa sa manche pour ramener son bras près de lui. Non tu dis n'importe quoi! Je ne veux pas jouer avec eux, ni avec personne d'autre... Juste avec toi. Il s'interrompit, gêné de ce qu'il venait de déclarer avec tant de conviction.Je t'aime bien moi... Et j'ai envie qu'on continue à jouer ensemble. Je ne vois pas ce qu'on fait de mal...

Il rougit. Qu'est-ce qu'il lui prenait. Elle allait se moquer de lui s'il continuait à étaler ses sentiments aussi piètrement. L'infirmier se retourna ensuite pour l'ausculter et tâta sa clavicule.

C'est ici que tu as mal? Dryss ne put retenir un gémissement de douleur et l'homme fit la moue : Tu as peut-être une fracture, c'est malin...

Ensuite, il se retourna à nouveau. Il semblait préparer une piqûre ou quelque chose du genre... quelque chose de pas très agréable

Dryss m'affirma que je ne devais pas avoir peur pour lui car ces brutes ne lui feraient rien. Il attrapa ensuite ma manche pour que je ramène mon bras vers lui, ce que je fis sans vraiment résister. Pour lui, je dirais n'importe quoi, il voulait simplement jouer avec moi. Juste avec moi. Il était adorable. Il ajouta qu'il m'aimait bien et qu'il avait envie de continuer à jouer avec moi parce qu'après tout, on ne faisait rien de mal. Et il avait raison. Je lui offris un grand sourire. Je voulus lui répondre mais l'infirmier nous interrompit pour l'ausculter. Dryss eut un gémissement de douleur et l’infirmier lui révéla qu'il avait peut-être une fracture. Il se retourna ensuite pour préparer ce qu'il avait à préparer.

- Tu sais, moi aussi je t'aime bien. Je t'aime autant que que j'aime Noâ et Samuel.

Je pensais vraiment mes paroles. Même si j'avais eu envie de lui répondre qu'il valait quand même mieux ne plus jouer ensemble. Mais il était blessé, et je ne voulais pas lui faire plus de mal encore. Et puis, j'espérais que ce genre d'incidents ne se reproduiraient plus à l'avenir...

- Et si tu veux continuer de jouer avec moi, je serai très contente. Parce que tu es mon meilleur trouveur d'objets ! ajoutai-je avec entrain. Qu'est-ce que je ferais sans toi ?

Je voulus lui faire un câlin mais ça me parut être une mauvaise idée s'il avait une fracture. Au lieu de cela, je déposai un bisou sur sa joue. Doucement, histoire de ne pas l’abîmer encore plus, mais aussi parce que j'avais mal à la figure moi aussi.

Alors que Dryss fixait avec anxiété la piqûre que l'infirmier préparait, Jude lui répondit. Et ce qu'elle répondit justement, le toucha au plus haut point. Il se sentit fondre à ces quelques mots qui resteraient assurément gravés en lui. S'il pensait être assez important pour Jude, il n'espérait pas que c'était à ce point. Non, il ne pensait pas valoir autant que Noâ et Samuel pour la jeune fille. Et pourtant, elle venait de lui déclarer le contraire et en tout sincérité. L'enfant ne put réprimer un sourire avant de baisser les yeux, à nouveau gêné. Cette conversation commençait à devenir embarrassante et pourtant Dryss ne voulait pas qu'elle s'arrête. C'était un sentiment assez étrange.

Et son amie ne s'arrêta pas là. Elle ajouta qu'elle accepterait volontiers de continuer à jouer avec lui, ce qui eut le don de le rassurer définitivement. Jude ne devait pas penser ce qu'elle avait dit juste avant et heureusement. Si elle avait refusé de le fréquenter, qu'est-ce qu'il aurait bien pu faire? Comment l'aurait-il supporté?

Alors qu'il s'apprêtait à la remercier pour ces mots plein de gentillesses, Jude déposa un léger baiser sur sa joue rougie par les coups. Dryss ne s'y attendait pas. Il leur arrivait de s'enlacer lorsqu'ils se retrouvaient ou pour se dire au revoir. Mais elle ne l'avait jamais embrassé comme ça, pour le remercier. À nouveau, honteux d'éprouver une telle gêne, le bambin tenta de masquer son visage en rougissant. Il aurait voulu dire ou faire quelque chose, mais il s'abstint par peur de se rendre ridicule. Et puis que diraient les autres Dragons si on le voyait agir comme ça? Même si Dryss trouvait leur rigueur parfois exagérée, il restait sensible à leurs principes.

Lorsqu'il osa enfin lever les yeux vers Jude, il voulut à nouveau lui signifier sa reconnaissance. Mais l'infirmier se retourna.

Tu peux y aller. déclara-t-il à la jeune fille. Par contre, toi, tu restes. Je dois te plâtrer. dit-il, cette fois-ci à l'adresse de Dryss. Il enfonça sans prévenir l'aiguille dans le bras de l'enfant qui, surpris, grimaça de douleur. Tsss. Arrête un peu de geindre. Pour un vrai Dragon, ce n'est rien du tout. Pas vrai?

L'enfant acquiesça, la mine sombre. C'était son père qui allait être content... Avec une fracture, il ne pourrait plus s'entraîner pendant des semaines, et ses parents allaient le gronder, voire pire. Mais ce n'était pas ce qui importait le plus pour lui en ce moment.

Est-ce qu'on je pourrai venir chez toi demain? S'enquit-il avant que son amie le quitte définitivement.

Je préférais de loin voir Dryss sourire plutôt que de le voir souffrir. Il voulut dire quelque chose mais l'infirmier l'en empêcha. Il me dit que je pouvais y aller, mais que mon ami devait rester pour être plâtré. Ce n'était pas drôle, et je savais que son père n'apprécierait pas trop qu'il ne puisse pas s’entraîner correctement. Alors que je descendais du lit, l’infirmier lui fit une piqûre et il grimaça de douleur. L'adulte lui demanda d'arrêter de geindre, car un Dragon ne ressentirait pas la douleur d'un si petit geste. Dryss n'était encore qu'un enfant, il avait le droit d'avoir mal... Mais je n'intervins pas, je ne voulais pas le mettre en colère. Il fallait qu'il fasse bien son travail et qu'il prenne bien soin de mon ami blessé. Ce dernier me demanda d’ailleurs s'il pouvait venir chez moi le lendemain. J'acquiesçai vivement.

- Bien sûr ! Tu es le bienvenu à la maison, tu le sais bien. Et puis, comme ça, tu viendras me donner de tes nouvelles.

Et chez moi, nous n'aurions pas à affronter de telles situations, nous serions en sécurité.

- Courage, lui soufflai-je doucement.

Je lui souris encore, lui fis un petit signe de la main et m'en allai. Il était temps de rentrer, j'étais fatiguée et ce qu'il s'était passé m'avait mise un peu K.O. Mais je ne pouvais pas arrêter de m'inquiéter pour Dryss, même si l’infirmier avait dit qu'il irait bien. Je rentrai et répondis aux questions de ma mère, inquiète au vu de mon état. Je n'étais pas du genre bagarreuse, loin de là, donc c'était très étonnant de me voir revenir avec quelques ecchymoses. Mais je lui racontai surtout comment Dryss nous avait défendus tous les deux, comment il avait été courageux devant cette bande d'idiots.

Cette journée avait été riche en rebondissements.