Contrairement à d’habitude et contre toute attente, Hedwige était de sortie en cette matinée. Son compagnon avait une fois de plus disparu et elle se retrouvait seule. Soit, ça n’avait rien d’un problème en soi. Quand elle le souhaitait réellement, elle savait trouver un moyen de faire passer le temps. Bien que pour le moment, elle se contentait étrangement bien d’une petite balade à travers le clan. Aussi bizarre que cela puisse paraître, elle vagabondait sans réel but précis et elle n’en cherchait pas particulièrement un non plus. Des moments comme celui-ci pouvaient lui arriver, oui. Preuve en est. Toutefois, ça ne veut absolument pas dire qu’elle devient automatiquement plus aimable, gentille et agréable avec les différentes personnes qu’elle peut croiser. Ce côté-là de son humeur ne change jamais ; au grand damne de ceux qui doivent le subir quotidiennement ou qui risquent de le découvrir aujourd’hui. Pourtant, elle ne s’en réjouissait pas d’avance. Oh, elle n’était pas sadique à ce point, tout de même. Il ne faut pas tout confondre. D’ailleurs, elle espérait même passer une journée sans problème mais évidemment, elle rêvait un peu trop.

Si elle n’était pas passée près de ce quartier, elle ne l’aurait probablement pas pris en flagrant délit, lui… Cet homme qui était là ; en train de finir de se vider contre un mur. Elle prit tout de même la peine d’écouter et d’entendre des bruits de pas qui se dirigeaient par ici. Si ceux qui venaient par là le choppent, Hedwige ne donnait pas cher de sa peau. Pour une fois, elle allait l’aider et lui épargner quelques soucis. Du moins, autant qu’elle le pourra… Pour bien faire, nul doute qu’elle prendra la peine de le corriger elle-même. En effet, il était physiquement beaucoup trop âgé pour être encore un Membre et elle ne l’avait jamais remarqué parmi les Anciens ; ni jusqu’à aujourd’hui, d’ailleurs… Il devait donc être ni plus, ni moins qu’un Soumis. Certes, c’est une conclusion hâtive mais c’est la plus logique qui se soit imposée. Dans un geste vif, elle saisit donc l’homme par l’épaule et l’emmena dans un endroit plus sûr sans attendre. Une petite ruelle à peine éclairée étroite où ils échapperont aisément aux autres passant par là. Elle maintient sa main gauche sur sa bouche le temps qu’ils passent et la retira juste après. L’Ancienne ne le laissa pas réagir pour autant. Aussitôt après avoir enlevé sa main, elle ferma son poing droit, elle prit un peu d’élan avant de l’envoyer littéralement dans la joue droite de l’homme. Celle-là, il ne l’avait pas volé. Hedwige secoua légèrement ses doigts tout en s’adressant à lui ; le fixant d’un air sévère.

« Comment tu t’appelles ? » Elle réfléchit quelques secondes et haussa les épaules. Ce n’était pas la bonne approche et ce n’est pas comme si son identité l’intéressait réellement pour le moment. Elle se reprit tout de suite. « Non, en fait, ne dis rien. Au fond, j’en ai complètement rien à faire de savoir qui tu es. En revanche, j’ai du mal à tolérer ce que tu viens de faire subir à ce pauvre mur. » Elle soupira et décida qu’il était de s’adoucir. Au moins un peu. Après tout, il ne méritait pas nécessairement un tel déchaînement et ce, même malgré ce qu’il venait de faire. La Dragonne reporta à nouveau son attention sur lui pour se remettre à lui parler. « Je t’ai sauvé la mise pour cette fois mais je ne serai pas toujours là pour toi et je m’en fiche que tu n’aies demandé aucune aide. »

Et voilà, à peine quelques secondes s’étaient écroulées et déjà, l’Ancienne commençait à regretter d’avoir sauvé la mise de cet homme. Elle pouvait toujours envisager de le ramener auprès des Membres mais non, Hedwige n’en était pas encore à ce point-là, tout de même. Et ce qu’elle ne voulait pas non plus avouer, c’est qu’elle sentait aussi qu’elle éprouvait un certain intérêt pour ce Soumis. D’ordinaire, ceux qui ont à faire à elle ou à d’autres personnes plus importantes du clan se taisent et se contentent bêtement de hocher la tête de bas en haut ou l’inverse. Mais lui, il avait l'air de n’apporter aucune espèce d’importance à ces conventions. Il faisait même tout le contraire de ce que l’Ancienne lui disait de faire. A ce stade, il y avait deux possibilités : soit il est extrêmement courageux et a ses raisons pour être aussi confiant, soit… Il est juste complètement stupide et suicidaire. C’était vraiment au  choix. Qu’est-ce qui pouvait bien lui faire penser ça de lui ? Il avait quand même révélé son nom après la Dragonne ait terminé de parler. Or, elle lui avait pourtant affirmé qu’elle s’en fichait mais ça ne l’avait pas arrêté pour autant. Très bien. Elle n’allait certainement pas le punir pour ça. Contrairement à ce que les gens semblent croire d’elle, elle possède encore un minimum d’humanité. Il suffisait de bien chercher. De très bien chercher. Tout le monde ne parvenait pas à obtenir ne serait-ce que sa sympathie. Hedwige afficha tout de même un air agacé et soupira.

« Hedwige, ancienne n°2 du groupe des Fines Lames. » Voilà qui annonçait la couleur d’entrée de jeu et tant qu’à faire, elle avait également décidé de se présenter. Elle avait tout de même noté les quelques pas qu’il avait effectué dans sa direction. Peu importe. Ici, elle ne risquait pas grand-chose. Elle savait se défendre et après la petite correction de tout à l’heure, il devait bien se douter qu’elle n’aurait pas peur de lui resservir quelques coups. Cependant, il s’avérait être suffisamment intelligent pour ne pas prendre de risque de ce côté-là. Non, lui, c’était dans l’utilisation des mots qu’il était insolent et qu’il était susceptible d’être puni. Hedwige aurait lui asséner un nouveau coup de poing dans le visage – surtout qu’il était largement à portée – mais à la place de cela, elle se contenta de rire en entendant ses paroles. Un rire qu’elle ne parvint à stopper qu’au bout de plusieurs minutes et avec une petite difficulté. Les Soumis ont parfois le don d’être hilarants et ils ne le remarquent pas toujours. Et lui, c’était un cas assez intéressant pour qu’elle s’y penche. Une fois redevenue totalement calme, elle prit le temps de lui fournir une réponse et sans le frapper. « Rien n’est gratuit pour personne, mon cher. Mais tu vois, je ne suis pas comme les « autres »… Tu ne possèdes rien dont je puisse avoir besoin et je n’attends rien du tout de ta part. J’ai simplement fait ça parce que je passais par ce coin et que c’était l’occasion de faire quelque chose. Point barre. Sujet clos. » C’était dit. L’homme devait être plus âgé qu’elle de quelques années mais ça ne lui faisait absolument pas peur. Hedwige sait qu’il ne prendrait pas le risque de lui faire le moindre mal, après tout.

D’un coup, il se montrait étonnement plus sage. L’Ancienne ne s’en formalisa pas pour autant. Qu’importe l’attitude du Soumis, ce sera plus ou moins la même chose à ses yeux. La seule différence concrète, c’est qu’elle aurait simplement beaucoup moins de choses à lui dire. Ou de reproches à lui faire, c’est comme on veut. Lorsqu’il répondit à Hedwige, il avait probablement pris grand soin de choisir des mots corrects et non-hostiles. Une excellente attitude. Un bon Soumis, chez les Dragons, sait qu’il doit se servir de sa langue avec parcimonie et en étant très prudent ; à moins qu’il ne désire réellement se la faire couper. Après tout, l’important pour lui, c’est d’être encore en mesure de travailler pour le clan. Dans le cas contraire, ça devient un Soumis inutile. Or, dans le clan du Nord, inutilité rime très régulièrement avec mort. Ce n’est un secret pour personne. Bien entendu, l’Ancienne punissait ceux qui se rebellait malgré tout mais elle savait également faire la part des choses en « ménageant » ceux qui savent quand ils doivent se taire. Du coup, pour le moment, l’envie de lui remettre son poing au visage n’était pas encore revenue.

« Pertinente analyse… Bien qu’elle n’ait pas vraiment sa place ici. » Elle arqua un sourcil en repensant à la suite de sa phrase. Voilà qu’il se mettait à parler comme Zack quand il s’adresse à des personnes qu’il ne connaît pas. Cela dit, elle était certaine d’avoir réussi à comprendre le sens principal de sa phrase et c’est bien ce qu’il y a de plus important. « Un service ? C’est intéressant. Sache que je ne suis pas prête d’oublier ce que tu viens de me dire. On ne sait jamais… Même si, actuellement, ça paraît improbable, il se peut que j’ai tout de même besoin de toi un jour ou l’autre. Et puisque tu as le courage d’affirmer que c’est quelque chose de non-négligeable… » Hedwige porta son regard sur la main droite du Soumis. Elle se demandait ce qu’il allait sortir de son sac et au cas où, elle était prête à répliquer en le maîtrisant. L’Ancienne se méfiait peut-être à tort mais il vaut mieux prévenir que guérir. Et elle, une Ancienne, se faire blesser par un Soumis… Ce serait vraiment une honte à ses yeux. Pourtant, quelques instants plus tard, il ne sortit rien… La Dragonne retint un sourire lorsque le ventre de l’homme grogna. Quelque part, il commençait à lui plaire.

« Et pourquoi aurais-je le droit à une seconde visite de ta part ? Qu’as-tu à me proposer qui, d’après toi, pourrait m’intéresser ? Vas-y, je suis curieuse. » Honnêtement, elle n’avait pas grand-chose à perdre à voir ce qu’il pouvait lui apporter. Au contraire, de son point de vue, ça pouvait même être enrichissant ; auquel cas, elle n’aurait finalement pas perdu sa journée.

D’ordinaire, l’Ancienne n’avait aucune estimation pour les Soumis. Elle ne les connaissait pas et en toute honnêteté, elle n’avait pas envie de faire l’effort de les côtoyer pour apprendre de leur part. Pourtant, avec celui-là, ça lui semblait différent. Pour un Soumis, il avait un caractère bien trempé et il n’hésitait pas à faire valoir ses opinions quand les autres de son rang faisaient le choix de se taire et d’obéir bien sagement aux ordres ; pour la plupart. Certes, en agissant de cette manière, ils ne risquaient rien… Mais l’Ancienne n’aimait pas beaucoup les gens trop peu réactifs. Alors oui, forcément, il y avait quelque chose qui lui plaisait bien chez cette personne. C’est pourquoi elle avait décidé de lui donner sa chance mais au moindre faux pas de sa part, ce serait terminé. Les erreurs, elle a du mal à les tolérer. Ou peut-être est-ce parce qu’elle est légèrement impatiente concernant quelque petites choses.

Lorsqu’il se mit à parler, Hedwige l’écouta avec une oreille particulièrement attentive. Ce Soumis pouvait réellement avoir quelque chose d’intéressant à lui proposer et elle voulait sincèrement en savoir plus sur ce qu’il pouvait avoir à lui dire. Son discours arracha un sourire des lèvres de la Dragonne. D’un côté, il n’avait pas totalement tort. Pour survivre dans le clan du Nord, il existe plusieurs moyens et il est vrai que chercher à se faire des alliés reste l’un des plus répandus ; bien que, parfois, une forte volonté et un fort tempérament peuvent largement suffire. Du moins, quand on est en mesure de pouvoir exploiter ces traits de caractère. Sans quitter son sourire, les bras croisés sur sa poitrine, Hedwige répondit spontanément aux dernières paroles du Soumis.

« J’admets que tu n’as pas tort. Cela dit, je ne joue pas systématiquement un rôle. Parfois, il peut arriver que je me dévoile même si ça reste très infime et subtile. Il faut tout de même se montrer convaincant pour gagner la confiance du potentiel allié. Et puis, comme tu en fais si justement la remarque, si les Soumis existent, c’est bien pour respecter un certain équilibre. L’outil et l’artisan… Je trouve ton idée intéressante. » Parler autant d’un coup n’était pas dans les habitudes d’Hedwige, au départ. Mais avec lui, elle n’avait pas vraiment eu le choix. Ça ne l’empêcha pas de continuer à surveiller les moindres faits et gestes exécutés par le Soumis. Elle fit quelques pas lorsqu’il recula pour se retrouver tout le temps à la même distance de séparation. L’Ancienne l’observa à nouveau plonger sa main dans son sac sans bouger le petit doigt. S’il tentait quoique que ce soit, elle était encore assez vive pour le stopper en une fraction de seconde. Finalement, il ne fit que sortir un long rouleau de papier. Pas de quoi fouetter un animal mais la Dragonne préférait continuer à rester sur ses gardes. « S’il n’a aucune valeur à tes yeux, pourquoi en aurait-il pour moi ? Et que renferme-t-il pour que tu me le montres ainsi ? » Il lui cachait quelque chose. Elle en était quasiment persuadée. Lorsqu’il le déroula, elle put voir un paysage qui n’avait plus rien à voir avec ce que l’on pouvait voir aujourd’hui. Elle n’hésita pas à le saisir doucement quand il le lui tendit pour l’observer pendant quelques secondes.

Le Soumis était en train de lui certifier qu’il n’y avait eu aucune retouche sur ce parchemin ; qu’il l’avait trouvé comme ça et qu’il était certainement sur le point de tomber sur quelque chose d’encore plus étonnant. Et là, elle se disait qu’elle avait bien fait de parier sur cette personne. « Pourquoi devrais-je l’oublier ? » C’était soudain comme question mais elle n’avait pas trouvé d’autres moyens pour aborder ce sujet avec lui. Et puis le tact, elle n’en faisait pas son principal atout, loin de là. « Tu peux te considérer comme tu le souhaites, c’est bien le cadet de mes soucis. Cependant, le reste de tes paroles peut m’intéresser. Parle-moi davantage de ce que tu juges comme étant plus grand encore. Après cela, je pourrai te dire si j’ai l’intention d’oublier cette rencontre et cette discussion. »