Jour 3 - fin de soirée

Échappée. Voilà, je m’étais échappée du territoire, échappée des corvées de nettoyage et de reconstruction… Je m’étais enfuie purement et simplement et avait réussi, par je ne sais quel miracle, à passer les frontières et à me retrouver dans le Centre Neutre. Enfin, sortir ça allait encore, surtout avec la clarté qui déclinait, ce serait pour rentrer que les choses pourraient se compliquer… Mais je m’en fichais pas mal. Ils pouvaient bien m’empêcher de rentrer, ça ne serait pas ça qui allait me démonter. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu’on me fout dehors, et j’étais toujours là ! Là… pourquoi j’étais là en fait ? Pourquoi étais-je venue me fourrer dans un clan… ? Je me serai donnée en pâture à des cannibales que ça aurait été moins chiant et contraignant… et moins violent… Dans ce genre de situation, les choses auraient été vite finies, et avec un peu de chance ils m’auraient vite achevée en plus. Mais voilà, je ne m’étais pas faite bouffer par des hommes affamés, non, à la place je m’étais faite enrôlée dans des histoires qui me dépassait de très loin, à devoir suivre des règles qui m’insupportaient au plus haut point et à me salir les mains pour réparer leur bordel… Salir les mains… Normalement, je ne me salissais que si j’y trouvais un intérêt, ici je n’en voyais aucun… Non, je m’étais salie les mains pour rien ! Et cette putain de crasse me collait désormais à la peau, ne voulant pas partir malgré tous mes efforts. Ma chair était à vif, mais la crasse était toujours là, tenace, et tout ça pour quoi ? Pour leurs conneries ! Je n’avais rien demandé moi, j’aurais dû partir depuis longtemps… Partir, mais bien sûr ! Partir, j’allais partir, là, maintenant ! Et me débrouiller comme je l’avais toujours fait. Peut-être que la crasse s’effacerait enfin si je partais… Non ?

Non… La crasse ne partirait jamais… je pouvais même me couper les deux mains qu’elle serait toujours là… Tout ça à cause d’eux… J’étais salie à jamais, et quoi que je fasse cela n’y changerait rien…

Je me trouvais dans le Centre le Neutre, cachée dans un coin écarté du chemin, assise contre un mur à m’arracher désespérément la peau des mains, le corps secoué de sanglots… Je maudissais la ville, je maudissais les Jaguars, je maudissais cet homme, et surtout… surtout je me maudissais moi-même…

HJ:

Ça faisait précisément deux jours qu’on avait fait cramer Chad sur un bûcher. C’était sans doute plus poétique dans le moment, cela dit.. Je peinais encore à comprendre tout ce qui se passait dans la ville puisqu’on me révélait les informations par bribes ou par erreur, et que je traînais franchement très peu sur le territoire.  Je savais qu’il y avait eu une attaque, que les libres avaient dégusté comme jamais et que les frontières avaient été capricieuses jusqu’à avant-hier. Ça me mettait mal pour les sans clans, non seulement ils crevaient de faim, mais en plus ils se faisaient démonter par les enragés d’élite de mon clan. Et probablement des autres clans. C’était égoïste, sans doute, et un manque cruel de curiosité intellectuelle, mais moins j’en savais sur leur guerre puérile, mieux je me portais. Donc je ne me questionnais pas trop, je crapahutais dès que possible chez les Jaguars ou bien je rigolais un bon coup avec mon équipe de garde, à la citerne.

Justement, j’avais terminé ma garde vers la fin de la nuit et je m’étais bien changée les idées. Je traversais le centre-neutre d’un pas rapide pour rejoindre le territoire du Nord au plus vite. Je n’avais pas envie d’avoir trop d’ennui, en pleine nuit. Puis c’est environ là que je l’ai entendu, un couinement étrange que j’avais associé tout d’abord à un gros rat. Quoi d’autre, par ici? Il n’y avait visiblement personne. Ah..! Si. Une petite tête rousse. En m’approchant, je me suis vite rendue compte que c’était une adolescente, et qu’elle ne couinait pas mais sanglotait. Et fortement par-dessus le marché. Mon coeur s’est probablement émietté de compassion; la gorge me serrait déjà et une moue envahissait mon minois. Voir les gens pleurer m’était douloureux, surtout lorsque s’était à gros bouillon, comme celle-là. Il faut dire qu’il était rare de voir les gens pleurer, chez les Dragons. Je n’y étais pas vraiment habituée. Sans m’annoncer, j’enjambais une roche, à ses côtés, pour me poser, à califourchon.

- J’ai seulement pleuré une fois dans ma vie. Tu sais, l’effet de groupe… Un tel chiale, puis une telle renifle, et tu te sens lasse, toute vide et bizarre, et tu commences à papillonner les cils parce que les larmes montent toutes seules! Et mon ami m’a laissé détremper ses fringues de mes larmes, sans sourciller. Même avec les yeux rouges et le nez humide, je me suis jamais fait rembarrer. C’est à ce moment que je suis tombée vraiment dingue de lui, et ça été, au final, le plus beau jour de ma vie. ..Je vais pas te laisser pleurer sur ma veste, parce que la teinture m’a coûté deux jours de ration, mais j’ai un chiffon si tu veux.

Je lui souriais avec une pointe d’incertitude, tout en lui tendant le chiffon en question, Il était vieux et usé, mais il était propre et doux, à force de lavage. Je n’avais certainement pas l’art des grands orateurs, mais je n’allais tout de même pas laisser une gamine pleurer, encore moins avec ce qui se tramait entre les clans.

- Je suis Louise, au fait.

Mes larmes et la douleurs de mes écorchure assombrissait ma vision périphérique. En fait, je ne voyais carrément plus rien autour de moi, aussi ne remarquais-je la fille assise près de moi que lorsqu’elle prit la parole. Je relevais les yeux vers elle, sans comprendre un mot de ce qu’elle débitait. Je voulus m’essuyer les yeux d’un revers de main, mais la vue du sang – mon sang cette fois - m’en dissuada rapidement, et je m’empressais de cacher au mieux mes mains derrière mes genoux repliés sur ma poitrine. La fille me tendait un chiffon en souriant, et je compris vaguement qu’elle se présentait. Mes larmes ne coulaient plus, la surprise ayant stoppé les flots, mais j’étais toujours secouée de sanglots, aussi lorsque je tentais de prendre la parole, ma voix était entrecoupée.

« Va… t’en… »

Le simple de fait de parler rouvrit les vannes malgré moi, et j’attrapais le bout de tissu qu’elle me tendait sans même m’en rendre compte pour enfuir mon visage dedans et étouffer mes pleures. Sérieux, je pleurais devant une inconnue maintenant ? C’était déjà la deuxième fois en fait, deux fois de trop !

Je profitais du chiffon pour tenter de calmer ma respiration, mais la tristesse était trop violente, au point d’en être physiquement douloureuse. Je ne voulais pas que cette fille reste, qu’elle me voit ainsi, mais j’étais incapable de parler. L’accalmie de la surprise était bien vite passée… Pourtant, le coup du tissu fonctionna suffisamment que pour que j’arrive à poser une question, entre deux respirations saccadées.

« Qu’est… ce que… tu… veux ? »

Elle ne semblait pas trop vouloir de moi. J’avais cru entendre, entre deux reniflements peu invitants, un “Va-t-en” marmonné. En temps normal, j’aurais sans doute acquiescé à sa requête et me serais éclipsée sur le bout des pieds; je souhaitais bien apporter un peu de sourire ici et là sur mon passage, mais l’acharnement était un truc que je préférais ne pas exercer, surtout auprès des étrangers. Cette petite, par contre, n’était pas l’une de ces brutes que je rencontrais parfois sur le territoire du Nord, ni même un membre fait qui désirait seulement un peu de solitude. Il s’agissait avant tout d’une adolescente dans tout ses états, et bien qu’elle soit quelque peu isolée des autres, restait tout de même à portée de main d’une âme mal intentionnée. Je croyais même qu’elle ne m’avait pas entendu arriver. N’importe qui pouvait donc abuser d’elle. Je ne me voyais pas l’abandonner sur son rocher et ne plus me soucier de son état.

- Qu’est… ce que… tu… veux ?

En effet, je voulais quoi, au juste, en venant là, près d’elle? Je ne m’attendais pas vraiment à quoi que ce soit. Lui venir en aide, peut-être bien, mais encore fallait-il qu’elle veuille être aidée. Et ça ne semblait pas si évident, cette fois.

- T’aider… Je peux pas te laisser ici, tu vas finir en bouilli pour gradés en manque d’activités. T’es d’ici? On t’a fait du mal?

Je désignai d’un coup de menton le sang sur ses mains. Franchement, pour me chasser, elle devait retravailler son autorité naturel, la petiote. Je plantai mes mains entre mes cuisses ouvertes et m’inclinai pour capter son regard triste à mourir. J’avais gagné en sérieux, toute attentive à ce qu’elle pouvait marmonner entre ses sanglots.

La blonde me répondit qu’elle voulait m’aider, soi-disant qu’en restant seule ici je risquais de faire de mauvaises rencontres. Elle me posa ensuite à son tour des questions, désignant mes mains pour illustrer sa dernière. Mais cette fois, au lieu de les dissimuler par réflexe, je les fixais plusieurs secondes durant lesquels mes sanglots se calmèrent légèrement. Je posais ensuite ma tête dans mes mains et poussais un long soupir tremblotant avant de répondre.

« Non… »

Non je n’étais pas d’ici… ici où d’ailleurs ? Non on ne m’avait pas fait de mal, je me l’étais fait toute seule, comme une grande… et je n’en pouvais plus. Mon corps était toujours secouer presque violement de sanglot, mais mes larmes s’étaient taries. Je serrais le bout de tissu qu’elle m’avait passé dans ma main, me concentrant sur la douleur dans mes doigts pour calme ma respiration et pouvoir reprendre la parole.

« Je me… fiche… Je me fiche de finir… en bouillie. »

Au point où j’en étais, cela aurait au moins l’avantage de mettre fin à tout ça…

Quoi qu’elle ait pu vivre, ça l’avait franchement ébranlé, la petite. Je la regardais fixer ses mains avec fascination et incrédulité avant d’oser répondre à mes questions par un “non” évasif. Je n’étais pas plus avancée. Je me suis donc cantonnée au silence quelques minutes pour observer l’âme en peine et chercher la source de tout ce sang. Rien ne me semblait anormal, du moins, physiquement… Pour savoir d’où elle venait, toutefois, ça s’annonçait plus complexe. Le fait qu’elle soit peut-être une libre rescapée ne me gênait pas particulièrement : je n'étais même pas en service. Il valait peut-être mieux ne pas trop insister sur ses origines, tout de même, que je puisse plaider l’innocence si j’étais en train d’aider la mauvaise personne.

- Moi, je m’en fiche pas, que tu termines en paillasson pour les chiens de garde.

J’étais tiraillée entre lui laver moi-même les mains ou l’enserrer d’un bras pour la réconforter. Une option comme l’autre me vaudrait probablement une paire de baffes et des injures. Je n’ai donc pas bougé d’un poil, posant plus simplement un regard compatissant sur elle. En fait, l’idée qu’elle soit tombée nez à nez avec un restant de libre me trottait dans la tête. C’était suffisant pour ébranler les plus fragiles d’entre nous, et ça expliquait le sang sur ses mains ainsi que l’absence de blessure. Je tentais de trouver une formulation délicate pour lui proposer d’enterrer sa trouvaille, mais rien ne me venait. Je sentais que je n’allais pas améliorer son état si je m’avançais dans cette voie.

- Écoute-moi, d’accord? Nous allons nous rendre au lac pour laver tes mains et te rafraichir un peu.

Une fois encore, je cherchais à croiser son regard, qu’elle retrouve un peu de lucidité pour poursuivre cette conversation fragile et décousue, avec moi.

La fille était tenace, c’était certain. Je ne savais pas ce qui la poussait à vouloir m’aider, mais je me sentais soudain trop fatiguée pour lutter contre elle. Ma respiration se calmait peu à peu, même si les sanglots me secouaient toujours. Louise me proposa alors d’aller au lac pour me laver les mains et me rafraichir. En relevant la tête, je croisais son regard, et détournais aussitôt les yeux. Me noyer dans le lac pouvait-être une idée tiens…

« Je ne sais… pas… où est… le lac… »

Je ne savais même pas où je me trouvais, alors trouver le lac… Enfin elle semblait vouloir m’y accompagner, et si je n’avais pas accepté directement, je n’avais pas refusé non plus. Sauf que…

« Ca… ça ne pa… partira pas… »

Le sang ne partira pas non… Mon sang oui, mais pas le sien… celui que je tentais désespérément de laver en m’arrachant la peau.J’étais plus calme désormais, épuisée. Je tournais à nouveau mon regard vers la blonde et réussi à garder les yeux sur elle cette fois.

« Ca ne veut pas… partir… »

Je me confiais maintenant sans m’en rendre compte à une parfaite inconnue… Je venais de passer en mode automatique, comme si ma crise de larme m’avait vidé de toute énergie pour ne laisser place qu’à une coquille vide, jusqu’à ce que les émotions me submerges de nouveau…

Quelque part, je me disais que je devais être la pire personne sur laquelle on pouvait tomber quand on était en état de choc. La fille avait probablement besoin de calme et de silence pour s’aider à se remettre, pas de babillages incessants pour lui casser les oreilles. Je me cantonnais donc à un silence relatif pour ne pas la brusquer plus que de raison. Enfin, elle semblait réagir lorsque je lui parlai du lac. ...Pour me dire qu’elle ne savait pas où c’était. Elle devait bien peu sortir de son territoire. Pauvre gamine, elle avait toutes les raisons du monde d’être secouée en ce moment.

- Alors… Le fameux lac...

Je me redressai d’un élan souple pour regarder autour et me situer. Je pointai une direction, après une brève inspection. Bras tendu, index pointé avec assurance, je savais où nous étions. Environ.

- C’est par là. Au nord ouest. Mais on risque de croiser des gens si on suit le sentier, donc on fera un petit détour.

Autant pour dissimuler ses larmes et ses mains en sang que pour me soustraire au regard d’un aspirant ou un gradé, emprunter un chemin moins pratiqué était tout indiqué. Après tout, l'entraînement devait être terminé ou tirer à sa fin et je ne désirais pas trop rappeler que je n’y étais pas allée. Les mains fourrées dans mes poches, j’entamais la marche vers quelques ruines labyrinthiques et exiguës. La fille n’était pas imposante, ni moi d’ailleurs. Nous n’aurions aucun mal à évoluer par ce chemin secondaire. Elle regardait ses mains, pendant que je m’assurai que personne n’était dans les environs, puis elle s’est mise à me dire que le sang ne partirait pas. C’était un peu flippant, trop pour une blague de fin de mois affluant.

- J’ai un truc, tu vas voir. Ma tante me dit toujours qu’on arrive à tout avec de l’eau et du sable. Il suffit de frotter.

J'espérais que la promenade la calme un peu et me revigore après ces deux journées de garde sans sommeil. La fille serait peut-être alors disposée à me parler de ses problèmes. Ou à défaut de se confier, au moins me dire son nom.

Nous étions donc en route pour le lac. Louise fût assez prévenante que pour faire en sorte que nous ne croisions personne. Je tenais debout tant bien que mal, la suivant en silence. Je ne sanglotais plus, les larmes ne coulaient plus, mais mon corps me portait à peine. C’était fou ce que le chagrin pouvait pomper l’énergie…

Lorsque la blonde repris la parole pour me dire qu’elle avait un truc pour faire partir le sang, je relevais à nouveau les yeux sur elle, ce qui me fit trébucher au passage, mais je réussi miraculeusement à ne pas m’étaler de tout mon long. Une fois que mon équilibre fut assuré, je laissais échapper un profond soupire. Elle ne comprenait rien. En temps normal, je me serai énervée, mais là je n’en avais plus la force. Et puis elle ne pouvait pas comprendre de toute façon. Elle essayer juste de m’aider alors qu’elle ne savait même pas en quoi elle devait m’aider exactement. Je repris la marche en gardant les yeux rivés au sol cette fois.

« Pourquoi… tu fais ça ? »

Ma voix était faible, beaucoup trop faible à mon goût. Combien de temps cela allait-il durer ? Combien de temps allais-je encore me traîner de la sorte ? C’était insupportable… et pourtant je n’avais pas l’énergie de changer les choses pour le moment…

La promenade me sembla plus longue que d’habitude. Pour avoir traversé la zone de pied en cape, crapahuté dans ses moindres recoins, m’être cachée ici et là, je connaissais plutôt bien le centre-neutre et ses ruines. Rejoindre le lac, même avec un détour ne prenait pas autant de temps. Le silence qui plombait sur nous et la lenteur de ma nouvelle protégée rendait la ballade interminable. Il faisait bon, au moins, et je tentais de profiter tout de même de la tiédeur de la nuit. De temps à autre, elle trébuchait sur un caillou ou sur son lacet, si bien que j’en suis venue à désigner les obstacles de l’index, au fur et à mesure que nous les rencontrions. Elle ne semblait pas blessée, seulement épuisée et distraite. C’est son soupir long comme les gambettes de Violette qui m’a ramené à sa réalité. Si j’allais bien, la petite, elle, n’allait toujours pas mieux.

- Pourquoi… tu fais ça ?

- Je pense que la ville a assez souffert, depuis la rébellion, tu trouves pas? Je vais pas te laisser la bouche ouverte dans un buisson. Si je peux éviter encore un peu de sang, je vais le faire.

Je lui ai offert un sourire, gracieuseté de la maison. J’avais vu assez de Dragons s’en prendre aux plus faibles pour avoir envie de paix, de soleil et de santé mental. Il était donc hors de question que la petite continue sa route seule et j’étais bien déterminée à trouver son clan d’origine pour la livrer à domicile. Si elle était libre et avait miraculeusement survécu, et bien… Elle était trop jeune pour mourir, alors je l’aiderais à traverser la ville ou à se cacher. Ça me semblait simple, je ne comprenais pas en quoi ça lui semblait incompréhensible.

- Écoute… Je vais pas te laisser tomber. Comment tu t’appelles?

Je lui désignai de l’index un autre caillou, devant elle, afin qu’elle l’esquive. Devant nous, le lac se profilait. Il n’y avait que quelques mètres qui nous séparaient de lui. J’ai ralenti considérablement le pas, à l’affût. J’étais habituée d’inspecter les environs, à la citerne, pour dénicher la moindre âme qui vive. Je faisais donc pareil, pour la petite, cette fois, afin qu’aucun curieux ne vienne nous embêter.

Nous avancions lentement, Louise essayant de m’aider en me désignant les éventuels petits obstacles que je ne voyais pas et qui me faisaient trébucher.

Lorsqu’elle répondit à ma question, je relevais à nouveau brièvement les yeux sur elle, un peu surprise. Est-ce qu’elle aussi avait été impliquée dans la rébellion ? En tout cas, elle souriait, semblant réellement sincère. Ce comportement me gêna soudain, même si le sentiment que cela m’apportait n’était pas si dérangeant. Je n’avais pas l’habitude que quelqu’un s’inquiète sincèrement de mon sort. Jude avait agit à peu près pareil, et maintenant cette fille que je ne connaissais pas… et Basile aussi… Cela faisait beaucoup de gens qui me montraient un intérêt sincère. Mais je n’y étais tellement plus habitué que cela me mettait mal à l’aise… Je me méfiais, et d’habitude je dressais un mur autour de moi pour me protéger des éventuels coups bas que je redoutais tant… Mais là, mon mur s’était effondrer par manque de soutiens mental, et mon jeu était vide de toutes cartes…

Louise me redemanda mon nom alors que nous arrivions au lac. Elle avait ralentit, et j’en fis de même, restant à sa hauteur. Les mains serrées contre mon cœur, je fini par lui répondre dans un souffle.

« Je m’appelle Lucille. Paraît que je suis une Jaguars… »

Je ne sais pas pourquoi j’ajoutais cette précision. Je n’avais pas le souvenir de m’être déjà revendiquée comme appartenant au clan des Jaguars jusque maintenant… Mais les mots étaient sortit tout seuls, alors que je gardais toujours les yeux baissés.

Ma respiration s’était calmée désormais, mon corps ne tremblait plus et mes larmes ne coulaient plus non plus. Je ne me sentais pas spécialement mieux, mais au moins contrôlais-je un minimum la coquille vide qui me servait de corps…

« Merci… »

Celui-là aussi il m’avais échappé…

Pas un chat à l’horizon. Pas l’ombre d’un être humain. Du moins, de ce que je voyais. Il faisait franchement sombre, par ici. S’il y avait quelqu’un de l’autre côté du lac, il y avait peu de chance qu’il remarque notre présence. Il était encore moins plausible qu’il sache nous identifier. Les yeux plissés, j’inspectais toujours l’endroit lorsque la petite s’est décidée à me dire son nom. Encore mieux, elle me disait son clan d’appartenance. Je n’allais donc pas devoir ruser auprès de l’eau pour regarder son sigle en douce, à son poignet.

- Je m’appelle Lucille. Paraît que je suis une Jaguars…

- Ah, une Jaguar..! J’aurais dû m’en douter, vue ta moustache.

Mon sourire éclatant illuminait mon minois. Même dans l’obscurité, Lucille pouvait aisément voir que je la taquinais, vue notre proximité relative. Son merci se fit entendre distinctement, aussi. Il prouvait que, non seulement Lucille était retombée de son trop plein d’émotion et était désormais environ lucide, mais en plus, elle était reconnaissante que je prenne soin d’elle. J’avais bien fait d’insister. D’une main, j’invitais l’adolescente à rejoindre les eaux, à mes côtés. Bientôt, les cailloux et autres petits obstacles laissèrent place à une terre sableuse, aux abords du lac. Calmement, je me suis accroupie près de la rive, suffisamment près pour y plonger la main. L’eau était fraîche, le soleil s’était caché depuis plusieurs heures, désormais.

- Il faut frotter fort. Le sable va exfolier un peu, tu verras. L’eau est toxique, mais pas assez pour abîmer ta peau. Je le sais, j’ai une copine qui s’est presque noyée, ici. Sa peau semblait normale, après coup…

Je laissais un silence s’installer entre nous, le temps qu’elle se débarbouille du sang qui lui couvrait les pattes. Elle avait probablement besoin d’intimité, même symboliquement, pour chasser les traces de son traumatisme. J’en revenais donc à mon observation des environs, toute prête à déguerpir avec Lucille si une ombre s’approchait de nous.

- T’as un ami, chez les Jaguars, chez qui tu serais en sécurité?

Tout un tas de noms de Jaguars fiables et affables traversait mon esprit. Je doutais qu’on me laisse entrer sur le territoire, avec les récents événements, toutefois, mais je pouvais très certainement envoyer une sentinelle chercher April. Ma meilleure amie allait assurément s’occuper de Lucille, si je lui demandais. Et avec sa bonne humeur perpétuelle, j’étais convaincue qu’elle lui changerait les idées.

Louise tenta une blague par rapport à mon clan, mais même son sourire ne réussi pas à me faire ne serait-ce que sourire. Nous nous approchâmes de l’eau en silence et elle m’expliqua comment procéder pour nettoyer. Lorsqu’elle indiqua que l’eau était toxique, j’eu soudain un éclaire de lucidité et reculait vivement. Elle n’avais pas comprit que ce sang était le miens…

« Je ne suis pas… certaine que.. que ce soit une… bonne idée… »

Après un instant d’hésitation, je fini par tendre mes mains vers Louise pour lui montrer les dégâts, le cœur battant à tout rompre. Je tremblais de nouveau, mais je restais relativement calme malgré tout et réussi à reprendre d’une voix étranglée.

« Les blessures… Il n’y a plus… de peau… Il n’y a plus de peau à abîmer… »

Je n’avais pas fait attention à sa dernière question, et de toute façon je n’aurai pas su quoi répondre. Le seul auprès de qui j’aurai pu me sentir en sécurité n’était pas un Jaguar malheureusement…

Ainsi, elle était blessée. Et selon ce qu’elle m’avait dit un peu plus tôt, on ne lui avait pas fait de mal. Donc elle se serait fait ça toute seule? Un accident, peut-être. Malgré moi, je m’en voulais un peu de ne pas l’avoir repéré plus tôt. J’avais bien inspecté ses mains, de loin, mais il est vrai qu’avec tout le sang qui la barbouillait jumelé à mon expertise médical de très haut niveau, il y avait matière à ne pas bien voir son état général. Je me méfiais, moi aussi, de plonger une main lacérée dans le lac un tantinet toxique. Je l’aurais probablement fait pour moi, mais j’étais probablement plus résistante que la petite Lucille. Pour la rassurer, d’ailleurs, j'acquiesçais à ses doutes lorsqu’elle me présenta ses mains écorchées.

- T’as raison. Ça risque de piquer un peu si t’as une plaie ouverte. Aussi bien pas tenter le coup. Mais t’aurais dû me dire, pour ta blessure, quand je t’avais demandé si on t’avait fait du mal. J’aurais pu te guider directement au centre de soin.

Je ne lui reprochais pas vraiment d’avoir caché son état. Elle devait avoir ses raisons. J’étais surtout mal à l’aise de lui avoir fait traverser le centre neutre alors qu’elle devait souffrir. Si elle ne m’avait rien dit, c’était probablement parce qu’elle ne voulait pas être soignée. Lucille était visiblement une jeune femme complexe et dépassée par les événements. Et elle me faisait douter de ma propre capacité à avoir des gamins un jour. J’ai eu une pensée pour Icare. Était-il plus doué que moi pour comprendre les gamins? Les nôtres?

- Ils doivent encore être débordés, à l’infirmerie. Ça t’irait si je t'accompagne jusqu’au territoire du Sud? On retrouvera April, là-bas. Elle prendra soin de toi jusqu’à ce que ta famille ou tes proches se manifestent. Elle est gentille comme tout, tu verras.

Je me redressai pour l’inviter à faire de même, la main tendue vers son bras pour l’aider à la moindre difficulté. La nuitée se terminait bizarrement. Ça ne me minait pas le moral, loin de là. J’étais toujours sereine, quoi qu’un peu songeuse. Je me demandais depuis combien de temps elle errait dans le coin et pourquoi personne n’était à sa recherche, en ce moment. Je comptais bien interroger April dès que j’allais la voir; elle semblait connaître tout sur tout, quand il s’agissait des gens du Sud.

Louise confirma le fait que tremper mes mains à vifs dans l’eau n’était pas une très bonne idée, et elle me reprocha, d’une certaine façon, de ne pas l’avoir prévenue plus tôt. Elle m’avait demandé si on m’avait fait du mal, je lui avais répondu que non, ce qui était la vérité. Mon état n’était dû qu’à moi-même… Mais apparemment elle ne l’avait pas compris ainsi…

Finalement, elle décida de me ramener sur le territoire Sud pour me confier à une dénommée April. Je ne visualisais pas vraiment qui s’était, mais bon, si elle voulait me ramener ce n’était peut-être pas plus mal. Pour ce qui était de mes proches, ma famille d’accueille ne devait certainement pas courir partout pour me retrouver… Je suis donc simplement la blonde, les mains serrées contre mon cœur et le visage désormais impassible.

« On ne m’a pas fait de mal. »

Je ne sais pas pourquoi je sortais ça maintenant. Peut-être pour la déculpabiliser puisqu’elle semblait s’en vouloir de ne pas avoir agis correctement en fonction de mon état. C’était sortit comme ça, presque dans un souffle. Non, on ne m’avait pas fait de mal, je m’était fait du mal toute seule, et j’avais fait du mal à quelqu’un… Et même s’il le méritait, je n’arrivais pas à m’en remettre…