I wanna grow, I want to feel like you

Sawyer & Emy
Jour 10 - Après-midi

Je ne m'étais pas sentie aussi bien depuis de longues années. Depuis quatre ans. Depuis que Mads était devenu un membre actif du clan du Nord. Il y avait toute cette pression sur ma poitrine qui s’était dissipée au fil de la nuit, me laissant sereine à l’aube. Comme si mes poumons pouvaient à nouveau prendre autant d’air qu’ils le souhaitaient.  Comme si tout ce qui s’était passé, il y a quatre ans, avait été accepté par mon corps, mon coeur et mon âme. Enfin. Il était temps. Je m’étais lovée au fond de mon lit, sourire aux lèvres, alors que les premiers rayons solaires de l’aube léchaient mon visage. Les choses allaient peut-être enfin aller de mieux en mieux. Même si une petite part, à l’intérieur de moi, avait peur que ce sentiment de bien-être se dissipe aussi rapidement qu’il était apparu, j’osais espérer.

Jour de congé. Bonheur. Fou rire au petit déjeuner. Maman m’a fait griller du pain. Je la remercie avec du miel dans la voix et de l’affection plein les yeux. J’ignore si je lui ai pardonné, mais l’idée de lui tenir tête et de lui faire du mal est trop difficile à supporter, ce matin. Je mange avec l’appétit d’un ogre tout en faisant des blagues sur les chandails usés de Mads. Il n’est pas là pour les entendre, il doit s’entraîner, mais rire avec maman me fait un bien fou. J’ai à nouveau quinze ans. Je ne supporte plus le poids de la fatalité sur mes épaules. J’ai envie de bouger. On ne peut pas être heureux sans avoir envie de bouger.

Le souffle court, je cours. Je suis persuadée de prendre des rues aléatoires, ici et là, dans le quartier. Je file comme une flèche devant la maison de Jayden. Une ombre à la fenêtre. Étrange. Je hausse les épaules en continuant mon bout de chemin. Ce n’est pas la première fois que je la vois, cette ombre. Je soupçonne Jayden de mettre un pantin devant sa fenêtre pour faire fuir les curieux qui voudraient lui voler ses armes, ou que sais-je. Je me cache sous ma capuche. Ce n’est pas pour me dissimuler du reste du monde, cette fois. C’est pour me protéger du soleil. Ma tête ne se réfugie pas entre mes épaules, je ne longe pas les ruelles. Les muscles de mes jambes tirent bientôt. C’est lorsque mes poumons sont en feu que je m’arrête, les mains sur mes genoux, pour reprendre un peu de mon souffle.

Je hoquette.

Je suis devant chez-elle. Je ne l’avais même pas prémédité. Peut-être que si. Penser à elle n’est jamais très loin, dans mon esprit. Je rabats ma capuche puis approche la porte sans savoir m’en empêcher. Je frappe. Personne. Je réfléchis à toute vitesse. Quel jour sommes-nous? Elle doit travailler, aujourd’hui, c’est son jour de corvée. Connaître l’horaire de Sawyer aussi bien que le mien ne me choque pas. Je n’en ai pas honte. Je n’en ai pas honte aujourd’hui, du moins.

Sans savoir ce que je vais lui dire, sans savoir comment l‘aborder, je me pose devant chez-elle. Dans l’attente interminable, je ramasse un lacet usé pour le fourrer dans la poche de ma veste. Je fais du zèle. Elle évoluera dans un endroit agréable. Ce sera grâce à moi. J’aurais au moins fait ça pour elle.

I wanna grow, I want to feel like you
Année 41 - saison tempérée 1 (après-midi 10)

Cette rencontre avec cette fille t'a laissée plus de marques que tu ne veux bien l'admettre. Il y a ce bleu qui se forme sur ta mâchoire parmi tant d'autres fanés, cette morsure sur ta lèvre mais la trace la plus profonde n'est pas visible. Elle a déclenché quelque chose en toi et tu ne sais pas de quoi il s'agit. Tu ne veux pas savoir en fait. Tu songes même que tu n'es absolument pas disposée à la revoir. Pourtant tu sais que cela arrivera. Depuis que vous êtes enfants vous finissez toujours par vous croiser et tu sais que ça ne peut pas être un hasard. Tu n'y crois pas. Si cela se produit c'est probablement pour une raison, parce que quelque part, quelque chose vous attends. Tu reviens donc à la maison un peu perturbée. Heureusement que ta journée de travail n'est pas longue, tu n'aurais pas pu prétendre durant encore des heures. Parfois être cette coquille vide est fatiguant, d'autant plus quand comme aujourd'hui tu as eu un gros rush d'émotions. Pourtant la tranquillité ne semble pas être pour tout de suite parce que alors que tu approches, tu constates quelqu'un devant chez toi. Ton premier réflexe est de te méfier. Généralement quand on t'attends ce n'est pas pour te raconter une histoire agréable. De loin, tu discernes cette silhouette plutôt petite, bien loin des standards de tes agresseurs habituels. Tu n'en restes pas moins méfiante, ça pourrait être un piège. Mais tu continues à marcher pour arriver finalement prêt du pas de ta porte où elle est installée. Cette tête ne t'est pas réellement inconnue. Elle traîne souvent dans ton périmètre même si tu n'as jamais compris exactement pourquoi. Bien sûr tu l'as toujours vue sous le spectre de ta paranoïa, donc comme une menace potentielle, mais tu ne l'as jamais formulé. Tu ne le feras pas aujourd'hui non plus. En plus tu pourras peut-être enfin comprendre ce qu'elle te veut. « Je peux faire quelque chose pour toi ? » Voix neutre et absence d'expression comme toujours. Tu n'en oublies pas ta place, tu es une non-native et généralement c'est toi qui doit faire des choses pour les autres et pas le contraire. Comme tu ne connais pas son statut, il est d'autant plus important de lui tourner autour sur la pointe des pieds en attendant d'en savoir plus.