Le rituel de sang

J’avais sommé un garçon d’aller quérir Sonay, au Sud. Une belle femme à l'aura de tigresse. Je lui avais dit qu’il la reconnaîtrait facilement, ou qu’un autre la reconnaîtrait pour lui. Sonay ne pouvait pas passer inaperçu, du moins, j’en étais convaincue. Je ne me faisais donc pas de souci. J'étais persuadée que la belle Jaguar viendrait tôt ou tard à ma rencontre, et j’avais tant à faire, encore, en attendant sa venue! La possibilité qu’elle soit occupée à une tâche, ce soir, était présente. En pareil cas, j'espérais que mon jeune messager revienne me dire ce dont il retournait et ne me laisserait pas attendre, bredouille, la venue d'une amie qui ne viendrait pas. Sonay était faite du même bois que moi, comme si les dieux créateurs nous avaient sculptées toutes deux a partir d’une unique branche : deux entités jumelles. Je savais que si Sonay était occupée, elle renoncerait probablement a ses occupations pour venir me retrouver. Ma requête, en plein soir, n'était pas banale et attirerait probablement l’attention de ma féline amie.

Trouver le sang avait été le plus difficile. Mais je possédais désormais l'outil le plus important de ma cérémonie à demi improvisée. Les yeux clos, je cherchais à me remémorer les symboles que ma mère avait utilisés, jadis, pour condamner les autres.  Il y avait le cercle dans lequel la spirale sans fin de la vie était tracée: symbole d'éternité et de réminiscence; le passé revenait toujours, et la mort n'était pas une fin puisqu’elle nous permettait une seconde vie. Je comptais demander aux entités de condamner mon malfaiteur dans cette vie, uniquement, et de ne jamais jouir d’une seconde chance. C’était encore bien doux pour punir un homme ayant levé une main pour moi. Qu’avais-je d’autre? Demander l’aide d’un homme me semblait improbable tant l’humiliation était grande, en moi.

- Qu’il se désintègre lentement. Que son corps le renie pour l’affront qu’il m’a fait. Que son âme ne voyage jamais au-delà de ces ruines.

Je scandais ces mêmes mots, à mi voix, lorsque mon cercle primaire fut tracé. Mon bâton s'enfonçait rudement dans la terre battue. Je grattais, je creusais, et même si mes bras me faisaient souffrir, je persévérais. Je tenais bon car j'espérais que bientôt, ce soit lui qui souffre. Il ne me fallu pas longtemps pour que ma spirale de vie fût marquée à même le sol, à la sueur de mon front, et je me trouvais en son centre, appuyée sur mon bâton. Malgré la gravité de la symbolique de mon geste, je me permis un petit sourire, tout juste croqué. Je n’étais pas assurée que tout ce cirque mène à quoi que ce soit -qui étais-je pour attirer le regard des dieux ou du destin sur quelqu’un?-, mais me savoir au centre d’un schéma, comme l’avait fait ma mère avant moi, avait quelque chose de beau et de fort. D’autant plus que je me trouvais au centre de la marque, de la grande spirale symbolisant le retour incessant du passé. N’en étais-je pas la preuve vivante, à ce moment précis?

Un bruissement attira mon attention, sur ma gauche. Je n’avais pas cette vigilance propre aux sentinelles, mais je devinais qu’il s’agisse de mon amie. Qui viendrait jusqu’ici en plein milieu de la nuit? Toujours armée de mon bâton, je prononçais quelques mots pour saluer l’arrivée de la Jaguar au sein de mon rituel.

- Sonay… Ce soir, nous allons attirer le regard des dieux et des ancêtres sur Morris.