Electricity in the air

Jour 3 - début de soirée.

La veille, il y a eu cet entraînement orchestré par Roxanne. Un entraînement pas des plus tendres mais ça ne m’a pas refroidi. Pour une fille qui a de l’énergie à revendre, ça tombait à pic. Ça me permettait de ne pas penser plus longtemps aux horreurs de la rébellion. Ça me permettait également de me dépasser encore un peu plus. Je ne demande qu’à faire mes preuves, c’est bien connu. J’avais pu encaisser les coups et on nous avait rappelé une leçon importante après cette rébellion : toujours être aux aguets. Je l’incrustais sérieusement dans ma petite tête même si ça m’avait toujours semblé logique sans pour autant oublier les petits plaisirs, ceux qui sont bons pour panser les blessures. Je n’oubliais pas nos morts, loin de là. Je ne voulais simplement pas oublier de me ressourcer pour maintenir le cap. En plus, pleurer de longues heures n’était pas dans ma nature. Je passais à autre chose pour mieux reprendre. Cela dit, la mort de Zoé me restait en travers la gorge. Elle plus que d’autres. Alors, voir tous les Jaguars se serrer les coudes pour relever le clan me réchauffait le cœur et me remettait d’aplomb, tandis que l’entraînement de notre Seconde m’avait remis les idées au clair. J’avais étrangement encore eu moins de difficulté à me lever à l’aube, ce jour-là.

Une journée de patrouille de plus. J’étais motivée, gonflée à bloc, tandis que ma binôme baillait encore. Pour lui, j’avais trop d’enthousiasme, surtout quand on se chargeait des gardes du matin. Je ne réalisais pas bien où était le problème et dans des cas comme celui-ci, je le traînais au début de notre patrouille. Heureusement, une fois que nous avions rejoint les frontières du territoire, il semblait déjà un poil plus bavard. Oh, il n’a jamais été très bavard. Sympathique mais pas bavard. Il m’arrivait de parler pour deux, histoire de chauffer les troupes. Il n’y eut pas trop de grabuge. Cela ne m’empêchait pas d’être sérieuse, attentive et… pipelette. J’aimais dire que c’était pour embobiner les Libres un peu trop audacieux qui pourraient croire qu’ils n’ont affaire qu’à une fille qui se moquait bien de sa tâche mais c’était en moi. Je n’avais pourtant pas encore foiré de patrouille depuis mes débuts. Oui, j’y mettais vraiment tout mon cœur.

On était rentrés au bercail dans l’après-midi, comme prévu. On avait marché, discuté – si je puis dire – surveillé les alentours mais rien à signaler. Je supposais que les Libres devaient se terrer sagement, s’ils n’étaient pas en train de se disputer un butin gagné lors des vols pendant la rébellion. Pourtant, on avait un bon tour. On aurait dû remarquer quelque chose, mais rien. Tout au plus des Libres qui n’avaient apparemment rien à se reprocher. Je n’étais pas franchement fatiguée. C’était une journée normal, aucune grande difficulté, pas de quoi être à bout de force, de ce fait. « Je me tire, j’ai des choses à faire. » Il s’en était allé après un signe de la main. Je me retrouvais seule, plantée au beau milieu du clan. Je proposai mon aide ci et là, histoire de me sentir à nouveau utile. Rien d’exceptionnel pourtant. Je finis alors par me poser dans un coin, on sentait que la soirée approchait. C’était moins étouffant. Je traînais des pattes parce que je n’avais plus rien à faire mais je n’avais pas encore envie de rentrer dans ma chambre ni dans celle d’un autre. C’était encore trop tôt pour ça.

Je me posai contre un tas de débris présents depuis la rébellion. Il y avait encore de quoi faire dans le clan, c’était certain. Je chipotai à un morceau de verre machinalement avant de réaliser ma connerie. Je m’étais légèrement entaillée, rien de bien méchant, mais je saignais. Alors, je grognai à cause de ma bêtise. Au lieu de simplement le jeter juste à côté de moi, il fallut que je le balance en avant, en plein sur la chaussure d’un Membre passant. « Imbécile ! Mon pied ! » Je me crispai. Grosse, grosse bêtise. J’allais sans aucun doute récolter ses foudres. « Euh… Excuse-moi ? C’était pas voulu ? » J’esquissais un sourire embêté. Je l’étais, vraiment. Il n’était pas franchement prêt à m’excuser, malheureusement. Je réceptionnai son poing avant qu’il ne fracasse mon nez et tentai de le calmer, bêtement. « C’est bon, je suis vraiment, vraiment désolée. Faudrait que tu te calmes. Réfléchis, on est tous énervés après cette rébellion, l’entraînement de hier. Essaie de te calmer. » Je retenais encore son poing, le maintenant précieusement dans ma main. « N’est-ce pas... Sonay ?! » La Membre passait juste à côté de nous à ce moment et ça me semblait la meilleure solution. Appuyer mon discours à l’aide d’un intervenant neutre. Je ne voulais pas le taper. Je ne connaissais, de cette Membre, que son nom et voilà que je l’impliquais dans mon bordel.

Je savais que c’était lâche d’impliquer quelqu’un dans une telle histoire mais ce Membre semblait prêt à en découdre pour des inepties. Pas que je déteste utiliser mes poings, au contraire même, mais je ne voulais pas que ça dégénère, pas maintenant. Il y avait déjà beaucoup trop de tensions sur le territoire et en plus j’avais d’autres choses à faire. Je m’étais dit, du coup, que cette Membre de la même fournée devait pouvoir m’aider. Au fond, elle n’allait pas aider que moi, elle allait aussi et surtout aider cet imbécile qui se vexait pour rien. J’étais persuadée de n’en faire qu’une bouchée. Il était peut-être plus grand que moi, j’étais définitivement plus souple, plus rapide et je connaissais les points sensibles du corps chez l’homme. En plus, j’étais suffisamment déchaînée pour m’entraîner tous les jours, il n’y avait aucune chance qu’il me batte. Trop confiante ? Absolument pas. « Tu vois ? Il faut réfléchir. Sinon, tu vas regretter ton choix. » J’y allais franchement. J’espérais qu’il comprendrait l’allusion mais ce n’était clairement pas gagné. Je voyais bien à son air que ça n’avait pas réussi à le convaincre. Sans parler de la tête de la demoiselle qui paraissait complètement perplexe face à tout ça. Oui, je savais, je n’aurais pas dû l’impliquer dans tout ce bordel mais c’était la seule solution non violente que j’avais trouvée sur le moment. Je comprenais bien que ça pouvait être frustrant. Que ce soit sa réaction ou ses réponses : tout prouvait son désarroi face à cette situation forcée. « Il s’énerve pour deux fois rien et je m’étais dit que tu pourrais m’aider à la raisonner. » Au moins, désormais, elle connaissait le fin fond de l’histoire. Je n’étais pourtant pas certaine que ça changerait son opinion. Mon regard signifiait littéralement « pitié ». J’avais bien envie qu’elle joue dans le jeu, quitte à mentir.

Elle nous demanda finalement de nous écarter l’un de l’autre. Bonne idée. Seulement, j’avais du mal à envisager la chose, surtout venant du Membre trop fier et trop stupide. Je haussai les épaules, m’écartant comme elle le proposait avant de voir le coup venir et l’éviter de justesse. « Je te l’avais dit, il faut réfléchir. » Je lançai ses mots au garçon avant de me montrer, une fois de plus, clémente. « Si je ne t’avais pas envoyé ce bout de verre par inadvertance, je t’en aurais bien collé une. » Cette fois, il était parti pour de bon. A croire qu’il était vexé. Je me tournai alors vers Sonay. « Demander à des abrutis du genre de s’écarter et se calmer, c’est comme demander à Peacemaker de sourire et de se montrer bavard. Ce n’est pas dans leurs cordes. » Je me repris. « Merci quand même de m’avoir aidée contre ton gré. Promis, la prochaine fois, j’évite de t’inclure dans mon bordel organisé. » J’espérais qu’elle m’excuserait au moins cette fois. On pouvait faire mieux comme situation de rencontre, je l’admettais volontiers. Seulement, je croisais les doigts pour qu’elle ne fuie pas. Je m’en voudrais encore plus.