You're not a monster

Swann et Seth

Jour 9 - en fin de journée
Pendant deux jours, la ville est devenue morte. Le clan a pas mal tourné en rond. Rares sont les personnes qui ont pu pointer le bout de leur nez en-dehors du territoire, parmi celles-ci, les noms qui sont sur toutes les lèvres sont : Enzo et Seth. Le premier, c’est un Espion que je ne connais pas et je me moque un peu de le connaître, à vrai dire. Le deuxième, par contre, c’est un ami, un proche. J’aurais aimé lui en toucher un mot depuis qu’il est rentré, il y a deux jours, mais il était pratiquement invisible. Je n’avais pas idée de ce qu’était la Traque, son ampleur, je veux dire. Dans le fond, j’avais compris leur mission et ce n’était pas la première Traque qui était organisée dans Paris. Seulement, cette fois, je connaissais un Traqueur. Et je savais pertinemment qu’il n’était pas un monstre. Alors, je me posais des questions, j’avais quelques doutes : j’avais tout simplement peur de l’impact que ça pouvait sur qui que ce soit de sainement constitué. Je ne doutais pas de ses capacités, juste de son cœur d’artichaut et de sa trop grande gentillesse. Après, j’étais aussi curieuse. On ne me changerait pas. Ce genre d’histoires étaient toujours plus croustillantes que les quelques anecdotes de Soumis.

Je m’étais pas mal pris la tête avec tout ça durant la journée alors que je bossais. Heureusement que ça me demandait beaucoup de concentration, je parvenais à oublier de temps à autre. Au fond, cet abruti de Libre devait avoir raison : je ne suis pas foncièrement égoïste. Le fait qu’il ait raison me rendait malade. Je préférais me dire que c’était parce qu’il s’agissait de Seth et que celui-ci m’avait acceptée telle que je suis. C’est pas donner à tout le monde de supporter une gamine mauvaise comme moi. J’en étais parfaitement consciente. En parlant de cette tâche, je ne savais toujours pas quoi en penser. Qu’est-ce qui était passé par la tête d’Eli à ce moment-là ? On ne peut pas dire que les Membres, ni même les Soumis ne comprennent non plus. On me regardait de travers à chaque coin de rue. Les premiers jours, surtout, mon nom faisait le tour du territoire. J’étais une bête de foire et parfois jalousée. Qu’à cela tienne, j’avais retrouvé ma force et mon caractère : je ne me laissais pas marcher sur les pieds. Et je ne voulais pas me torturer avec ça. Je m’étais suffisamment torturée jusque-là.

J’errais sur le territoire, ne sachant pas dormir pour le moment, même si la journée était finie. Comme à chaque fois dans ce genre de situation, je traînais jusqu’à ce que le sommeil me prenne et me berce. Et le hasard faisait drôlement bien les choses : je reconnaissais sa silhouette. « Seth ! Seth ! » Il fallait bien que j’attire son regard. Une fois certaine qu’il m’a vue, j’avançai dans sa direction. Cette fois, c’était lui qui semblait fragile, ailleurs, paumé. Les petites voix prenaient de l’ampleur dans ma tête. « Quelque chose ne va pas ? » J’espérais tout simplement qu’il parlerait, comme il avait réussi à me faire parler auparavant. Les rôles s’inversaient. Je devais mériter toute l’aide qu’il m’avait apportée. Je devais le mériter, à mon tour.

You're not a monster

Swann et Seth

C’était vraiment inquiétant. Si je le croisais, je l’interpelais presque naturellement mais cette fois, son état m’avait alarmée et c’était une raison plus que suffisante de ne pas hésiter. Tout dans sa manière de se tenir et dans son regard me rappelaient mon propre état il y a de cela une semaine. C’était évident : il ne va pas bien. Vraiment pas. Il ne m’a pas fallu longtemps pour qu’une hypothèse concernant cet état pitoyable me vienne à l’esprit. La Traque ne devait pas être une mince affaire et je me demandais si c’était quelque chose que pouvait supporter Seth. Je ne pensais pas me tromper. C’était trop récent. Mais on ne sait jamais. Cependant, en plus d’être récent, beaucoup de rumeurs circulaient déjà au sujet de ce qu’ils auraient pu vivre et de ce qui avait forcé le clan à fermer le territoire. Si ce n’était pas ça, ce serait une accumulation de coïncidence. Pendant un instant, je m’étais mis à sa place, me rappelant que je n’avais pas voulu l’inquiéter, en plus d’avoir une fierté mal placée dans ce genre de cas. Alors, forcément, je m’étais demandé si c’était la meilleure solution. Cette hésitation ne dura pas longtemps. « Je vois… Je comprends. » Je pris une pause, histoire d’accentuer l’effet. « Tu me prends pour une imbécile ? Je t’ai sortie la même excuse sans valeur la dernière fois. » Je n’étais pas fâchée, tout au plus, je lui rappelais que je n’étais pas crédule à ce point-là sans méchanceté. Mon ton n’était pas sévère non plus. Je lui faisais juste une petite piqûre de rappel.

Je cherchai son regard du mien, histoire d’avoir toute son attention et d’appuyer mes propos. « Avant que tu ne dises je ne sais quelle bêtise, je vais être claire. Non, tu ne m’ennuies pas. Non, tes problèmes ne sont pas un fardeau. Et je continuerai à m’inquiéter tant que tu ne parleras pas, parce que t’es important pour moi, crétin, gentil mais crétin quand même. » Bon, je l’avoue, je le disais d’une manière bien particulière mais il devait y être habitué depuis le temps. Je l’espérais pour lui comme pour moi, en tout cas. Mon but n’était pas de le froisser mais de le brusquer un minimum pour qu’il avoue tout. Et j’avais pas envie de passer par des détours inutiles. Je n’y allais jamais par quatre chemins. Je ne le lâchais pas du regard, prête à réagir si jamais il se décidait à faire une connerie.