I've turned into a monster

matinée du troisième jour

Tu n'es pas l'une des nôtres, cracha-t-il la voix chargée de reproches. C'était une vérité brute, débitée sans aucun doute. Aucun des deux n'était aveugle au point de nier l'évidence plus longtemps. Je sais, se contenta-t-elle de répondre stoïquement. Elle n'était pas comme eux, ne le serait probablement jamais. Elle n'essaierait même pas, ne s'en sentirait pas coupable. Tu n'es pas une Jaguar, il se tut les lèvres pincées, la mâchoire serrées, tremblant de colère. Asha n'eut aucun mal à deviner l'ampleur de la haine qu'il lui vouait en ce moment. Elle ne s'en émut pourtant pas. Pour s'émouvoir de la détresse du jeune homme, elle aurait du partager sa peine. Elle aurait du avoir de l'empathie pour lui. Elle aurait du pleurer la perte de la jeune femme. Ce qu'elle était incapable de faire. Elle n'éprouvait pas de peine. Elle ignorait comment se mettre dans la peau de son interlocuteur. Et Killua ne lui manquait pas le moins du monde. Elle ne remarquait pas l'absence de la jeune femme. Avait-elle un jour remarqué sa présence ? Probablement pas. Pour apprécier une fille simple et douce comme Killua, elle aurait du avoir un cœur.  Et ça, Asha l'avait compris très jeune. Elle n'avait pas de cœur. Les mots assassins, pensés pour blesser, ne heurtaient que le vide qui occupait la place de son palpitant. Lucas en avait conscience. Il était probablement l'un des seuls. Seulement, il s'obstinait à continuer. Il ne retenait même plus ses cris. S'il ne pouvait pas atteindre la jeune femme, il pouvait au moins se décharger de tout le chagrin et de toute la fureur qui habitaient son corps depuis la perte de sa compagne. Tu n'es pas une Jaguar, pas vraiment. Tu... Les mots  s'étaient mués en hurlements déchirants. Droite, drapée dans une indifférence hautaine, Asha ne cilla pas. Il pouvait la rendre responsable de tous les maux, elle lui rirait au nez. Elle n'avait pas peur de lui. Plus qu'elle, en tout cas, le coupa-t-elle vivement. Elle éprouvait un bonheur malsain dans la souffrance qu'elle voyait au fond des yeux embués de larmes de son ancien ami. Elle savourait l'état lamentable dans lequel il s'enfonçait. Pire, elle s'amusait à lui faire enfoncer la tête sous l'eau.

Tu veux que je m'excuse ? Mais de quoi ? D'être en vie ?, lâcha-t-elle incrédule, n'essayant même pas de refréner le petit rictus moqueur qui vint décorer ses lèvres. A ce que je sache, ce n'est pas moi qui l'ai poussée. Si elle s'est explosée en bas, c'était qu'elle n'avait rien d'une membre, continua-t-elle se délectant de son effet sur le blond. Ça fait trois jours, passe à autre chose. Trois jours pour faire le deuil d'une gamine insipide même pas capable de grimper à une corde, elle estimait ce temps suffisant. Killua ne pouvait s'en vouloir qu'à elle-même d'avoir trouvé la mort cette nuit-là. Elle n'avait qu'à s'accrocher plus. Elle n'avait qu'à avoir mieux réfléchi avant de prendre la décision de devenir membre. N'importe lequel des idiots aurait pu surpasser cet obstacle. Elle se tut un instant, sourire goguenard au coin des lèvres avant de continuer, plus cruelle que jamais, enfonçant le couteau dans la plaie une fois de plus. La preuve, t'es encore vivant, toi. Un parfait crétin, voilà ce qu'il était à ses yeux. Il se donnait en spectacle, se mettait à nu devant l'attroupement qui s'était peu à peu formé autour d'eux. Des soumis qui lui accordaient l'attention qu'Asha lui avait finalement toujours refusée. L'attention qu'elle refusait à tout le monde. Là, debout devant lui, elle ne boudait pas son plaisir, elle appréciait le rôle de l'amie indigne qu'on lui avait attribué. Avait-elle seulement été leur amie un jour ? Rien n'était moins sûr. Une amie épongerait ses larmes, lui offrirait son épaule pour pleurer. Elle ne l'avait qu'exhorté à se reprendre en main, à arrêter de se plaindre pour rien. Elle l'avait poussé à bout, minimisant sans vergogne la douleur causée par la perte de la jeune femme. Il allait bien éclater un jour. Il sembla même que sa raillerie ait été celle de trop. Le coup avait filé si vite, elle ne s'y était pas préparée. Elle avait mal évalué le point de non-retour. La douleur irradia dans sa mâchoire alors qu'elle portait une main hésitante sur l'étoile à cinq branches qui rougissait sa peau. Une gifle ? Elle fut prise d'un fou rire incontrôlable.  Quoi, c'est tout ce que t'as dans le ventre ? Une gifle ?, siffla-t-elle entre deux hoquets de rire. Je ne suis peut-être pas une vraie jaguar mais toi, tu n'es qu'une mauviette déguisée en félin. Tout juste bon à être le soumis d'un ver de terre.

Un ricanement quitta les lèvres de Zayne. Il était tombé sur une scène curieuse qu'il avait observé avec un certain plaisir. Son élève faisait face à un petit blond visiblement ravagé par la perte d'un être cher qui ne lui disait strictement rien. C'était juste un Membre minable parmi tant d'autre qu'il aurait préféré décapiter plutôt qu'entraîner. Ce n'était qu'un couard, un pauvre imbécile qui avait sûrement survécu par chance à la rébellion. Il débitait des âneries qui auraient dû le faire bondir, mais il était resté calme et immobile. S'il ne supportait pas ses insinuations à propos d'Asha et de son statut de Jaguar, il jugeait que c'était à elle de s'opposer à une telle insulte. Elle ne le fit pas. Ou du moins pas vraiment. Cette vision lui avait tirée une moue boudeuse, mais il n'avait pas cherché plus loin. Pour elle, elle valait bien plus que tous ces félins qui se disaient Jaguars, mais n'en avaient pas les tripes. Elle valait bien mieux que ce blondinet qui venait de dépasser les bornes en lui infligeant une gifle sortie de nulle part. Plutôt que de réagir avec virulence, Asha le traita avec dédain ce qui n'était en soi pas un mal. Elle n'avait pas tort, le coup était particulièrement pitoyable. Seulement, il avait toujours mis un point d'honneur à rendre au centuple toutes les attaques portées contre lui et il aspirait à ce qu'elle en fasse de même.

Un sourire qui n'annonçait rien de bon sur les lèvres, Zayne se traça sans mal un sillage entre les Soumis qui avaient assistés à cette mascarade puérile. Il creva finalement le groupe pour atterrir à côté de Lucas. L'air compatissant, il posa une main ferme sur son épaule et la secoua légèrement.

» Te donne pas en spectacle comme ça. T'es un Membre ou un Soumis ?

Il n'adressa pas un regard à la brune, mais en lança par contre un à la ronde avant de s'exprimer d'une voix forte et peu sympathique.

» Je croyais que vous aviez du boulot ? Déguerpissez !

L'assemblée ne mit pas longtemps à se dissoudre, les laissant enfin seuls. La main qui tenait toujours l'épaule de Lucas se serra alors avec bien plus de force, chaque doigt s'incrustant comme des griffes dans sa peau. Son sourire s'effaça et il se permit enfin une œillade vers Asha.

» Une gifle, même venant d'une mauviette, ne s'excuse pas. Tu dois rendre au centuple ce que l'on te fait si tu veux qu'on te prenne réellement au sérieux. Tu dois le faire par fierté personnelle et qu'importe la personne qui te frappe. Tu n'es pas un vulgaire punching-ball sur lequel un moucheron peut passer ses nerfs.

Lorsqu'il lâcha Lucas, ce ne fut que pour le pousser à avancer d'une main puissante dans le dos. Asha n'était pas la seule à avoir besoin d'une leçon et il connaissait une façon merveilleuse de faire d'une pierre, deux coups.

» La maison à ta gauche. Tu y vas, tu ouvres, et tu la vides au besoin. On la réquisitionne pour un entraînement improvisé. Et tu as intérêt à ce qu'on ne vienne pas nous déranger.

Sa blessure au bras avait eu un effet néfaste sur l'entraînement de son élève et il s'en voulait pour ça, mais il allait immédiatement remettre leurs bonnes habitudes sur les rails. De toute façon, ce n'était pas comme s'il avait besoin de ses deux bras pour lui apprendre quelque chose. Il suffisait juste de bien choisir le cours en question.

Son corps était secoué par des hoquets de rire incontrôlables. Elle ne s'était pas attendue à un coup mais une fois le petit choc passé, elle avait craqué. Une gifle, vraiment. Comment aurait-il pu croire une seule seconde qu'il parviendrait à lui faire mal ? Pire, il s'enfonçait davantage à ses yeux. Qu'était-il bon sang ? Comment avait-il fait pour passer le test d'admission ? Elle s'était déjà posé la question concernant la réussite de Killua mais finalement, l'interrogation valait aussi pour lui. Il avait pourtant l'air si furieux, il débordait de haine envers elle et malgré tout, il ne parvenait qu'à ça ? Ce n'était rien, pas une menace, pas une punition pas même un frémissement. Rien ! Ou peut-être avait-il voulu la tuer par le rire ? Parce qu'il était bien parti tant elle sentait son ventre se tordre sous l'effort. Haletante, elle peinait à soutenir son regard alors que des larmes de rire roulaient le long de ses joues et qu'elle luttait pour reprendre le contrôle. Les choses n'allèrent pas en s'arrangeant. Pas pour lui, en tout cas. Naturellement, un sourire vint étirer les lèvres de la jeune femme alors qu'elle observait son mentor surgir derrière le pleurnichard. L'air qu'il affichait, son ton faussement compatissant, tous ces petits indices lui indiquaient qu'il avait quelque chose en tête. Et comme toujours, Asha était curieuse de découvrir ce qu'il lui réservait. Il continua sur sa lancée renvoyant avec aplomb les soumis qui s'étaient attroupés autour d'eux, toujours sans lui adressé un regard. Légèrement anxieuse, la jaguar se demanda si elle avait fait quelque chose de mal, si finalement c'était elle qui allait payer les pots cassés. Cette préoccupation la quitta bien vite. Une leçon restait une leçon et les cours avec Zayne lui manquaient bien trop que pour cracher sur la perspective d'un entrainement.

Fixant le regard de Lucas, Asha pouvait aisément y déceler toute la crainte que lui inspirait cette arrivée impromptue. Toute trace de colère avait disparu. Il ne faisait plus le malin à présent qu'il était en compagnie de Zayne. Un sourire moqueur se dessina sur ses lèvres alors que Zayne s'adressait enfin à elle. Comme toujours, elle l'écouta attentivement, encaissant le reproche en silence. Il n'avait pas tort, seulement la jeune femme avait estimé que lui rendre la pareille revenait à s'abaisser à son niveau...ou pas. A vrai dire, elle ignorait elle-même pourquoi elle ne lui était pas rentrée dans le lard, elle n'aurait pas hésité deux fois dans un autre cas. Peut-être avait-elle préféré lui faire du mal par les mots, le briser intérieurement plutôt que de lui casser le nez. Confuse, elle finit par acquiescer à la demande ou plutôt à l'ordre de son mentor et se dirigea au petit trot vers la baraque qu'il lui avait indiquée. Elle entra sans faire de manière, congédiant le soumis affalé sur sa couche et lui précisant bien qu'il n'avait pas intérêt à revenir les déranger ni à laisser quiconque entrer. Encore une fois, mentionner le nom de Zayne avait toujours un effet immédiat. L'air fatigué et mécontent passait au blanc livide d'un homme mort de trouille. Et terrorisé, c'était bien l'état d'âme de Lucas. La colère lui avait donné confiance, il s'était senti vivre et là, il peinait à dissimuler le tremblement de ses jambes alors qu'il sentait l'ancien dans son dos. Il n'osait même pas lancer un coup d'œil derrière lui. Décidément, depuis la mort de Killua, il enchaînait les bêtises. S'en prendre à l'élève de la bête avait été celle de trop. Il savait qu'il n'en ressortirait pas indemne, ses lèvres tremblaient et il avait un mal fou à déglutir. Il sursauta presque en voyant son ancienne amie revenir vers eux.

Voilà, y a plus personne, affirma-t-elle alors qu'un sourire naissait sur ses lèvres. Elle avait terriblement hâte de découvrir ce que son mentor lui réservait. D'ailleurs, elle avait du mal à cacher sa satisfaction. Leur dernière leçon remontait tout de même à quelques temps. On apprendra quoi aujourd'hui ?, demanda-t-elle se doutant déjà de la réponse, ses yeux se posant sur la silhouette effacée de Lucas. Lucas qui la suppliait du regard, un regard auquel elle répondit par une moue faussement désolée et un haussement d'épaule indifférent. Elle n'était pas des leurs après tout. Devant le peu de compassion de la jeune femme, le membre eut l'idiotie d'essayer de plaider en sa faveur. S'il-te-plait Zayne, je dois aller prendre mon tour de garde, je ne recommencerai plus, je te le jure.

Zayne n'avait même pas cherché à profiter de son petit temps passé en solitaire avec le jeunot. Il n'allait pas gaspiller sa salive alors qu'il était déjà sur le point de se faire dessus. Sans parler du fait qu'il le réservait pleinement à son élève. Ce n'était pas son combat, il faisait juste en sorte qu'il soit correctement livré. Pour autant, la peur de ce type n'était pas désagréable à ressentir. Ce n'était qu'un gamin, mais un gamin con qui ne ferait aucun bien au clan tant qu'il ne se serait pas repris. Quand Asha revint, assurant que tout était clair, Zayne sourit. Bien, au moins, elle avait su se montrer efficace. Et elle semblait être impatiente d'apprendre, une chose qu'il avait toujours adoré découvrir chez ses élèves. Ceux-là étaient les meilleurs à former.

» Il a une jolie petite gueule, ce serait dommage de la lui amocher. Et puis, Noâ a déjà assez d'emmerdes, inutile de lui donner l'impression qu'il y a des tensions dans ses rangs. On va donc travailler une méthode qui ne laisse pas de trace.

Il restait encore énigmatique pour l'heure, pas vraiment pour faire trépigner son élève, mais plutôt pour laisser monsieur beau gosse se poser des questions. Il allait le pousser pour le faire avancer jusqu'à la maison, mais le blond cru bon de se mettre à geindre. Il roula des yeux, agacé d'avance par le son de sa voix, mais se contrôla. Ce n'était pas parce qu'il était un peu à cran ces derniers temps que cela devait avoir un impact sur sa leçon. Il haussa donc finalement les épaules, la mine presque innocente maintenant qu'il s'était déplacé pour lui faire face.

» Recommencer quoi ? Je ne vois pas de quoi tu parles, mon pote. Et ne t'inquiète pas pour ta tâche, je leur dirais que tu as été retenu ici. Je crois qu'ils comprendront à quel point ton aide aura été précieuse ici.

Il abattit avec force sa main sur l'épaule de Lucas et le tira finalement à sa suite. Ils n'allaient pas passer leur vie dans cette rue à attendre que la pluie tombe. Dès qu'ils furent dans la maison, il lança le Membre vers le mur et ferma la porte, s'y adossant pour empêcher toute fuite.

» Trouve leur réserve d'eau. Et une bassine. Ou une casserole. Bref, n'importe quoi dans lequel sa tête est susceptible de rentrer. Puis, tu vas la remplir et la poser sur le sol. Après, on verra comment notre ami s'en sort en apnée. Je te laisse faire la première tentative à l'instinct, on parlera théorie après.

Asha était d'une efficacité clinique et ce n'était pas pour lui déplaire. Il n'avait jamais eu l'occasion de lui enseigner ce genre de techniques alors la voir agir à l'instinct était une bonne façon de juger son niveau et ses réflexes dans ce genre de situations. Durant toute la manœuvre, il resta parfaitement silencieux et de marbre face aux suppliques de ce Lucas. Celui-là survivrait, mais il espérait vraiment le voir périr d'ici sa prochaine mission. Si prochaine mission, il y avait car il ne voyait vraiment pas en lui un Membre de terrain. Il pourrait être sentinelle, tout au plus. Il observa méticuleusement tout ce qu'il se passait jusqu'à ce que Asha tourne vers lui un regard interrogatif. Elle avait déjà procédé trois fois et attendait désormais un verdict. Encore une fois, il ne prêta pas attention au garçon qui tentait de recouvrer son souffle et s'approcha un peu, les bras toujours croisés sur son torse.

» Pas mal. C'est une bonne idée, les oreilles. Comment as-tu déterminé le temps durant laquelle sa tête restait sous l'eau ?

Une pointe de curiosité ne faisait jamais de mal.

» Laisse-lui moins de temps de répit la prochaine fois. Ici, il n'y a rien à demander, mais en situation d'interrogation, c'est une autre histoire. Deux ou trois fois rapides pour le faire craquer et puis tu lui laisses un temps pour répondre à tes questions. Et s'il n'obtempère pas, tu lui laisses la tête sous l'eau plus longtemps pour augmenter sa peur de mourir. L'instinct de survie, c'est vraiment ce qui les fait causer. D'ailleurs, fait en sorte qu'il nous dise qui est son mentor. Je veux savoir qui est l'abruti qui lui a appris à se tenir.