I have to make an end so we begin
Année 41 - première saison tempérée (nuit 10)

Tes paupières se soulèvent avec lenteur. Ton corps est lancinant comme après ces raclées que tu prenais quand tu étais encore enfant. Chacun de tes muscles semble avoir une plainte à formuler si bien que tu n'oses pas bouger. Tu le veux parce qu'il fait sombre autour de toi et que tu te sens perdue, un coup d’œil te permettrait donc d'en apprendre plus mais tu ne peux pas te résoudre à faire autre chose que fixer le plafond. Ton souffle se cale dans ta poitrine avant que ton cœur ne se mette à battre frénétiquement car ton esprit est vide. Tu n'as aucun souvenir, aucune pensée cohérente. Tout ce que tu sais c'est que tu es épuisée et meurtrie par un mal qui t'échappe. Ta bouche est sèche et il y a une contraction désagréable dans ton estomac que le stress n'améliore pas. Ça fait longtemps que tu ne t'es pas sentie aussi mal dans ta peau. Tu te sens à la merci de tout et surtout des ombres qui dansent sur les murs à cause d'une bougie allumée sur un meuble. Il y a des voix qui viennent de quelque part autour de toi mais tu ne les comprends pas. Elles sont lointaines, étouffées par les pulsations de ton sang au niveau de tes tempes. L'angoisse te fait tourner la tête et avant que tu ne puisses penser plus loin ta conscience s'évapore.

Le matelas coule sous un poids inconnu et le remuement te sort une seconde du sommeil. Une main fraîche glisse sur ta peau surchauffée et disparait bien trop vite. Tu entends un geignement ridicule juste après mais tu es bien incapable de comprendre que c'est toi qui vient d'émettre ce bruit. Depuis les brumes tu cherches à te décaler vers cette chaleur familière qui irradie à tes côtés mais tu ne parviens pas à l'atteindre. Tu es frustrée par ton corps qui n'obéit pas, ton esprit irrationnel et par le froid qui s'insinue à l'intérieur de toi et te fait frissonner au moment où le lit bouge encore. Il y a aussi du désespoir devant cette solitude retrouvée. Durant une seconde, tu t'étais sentie rassurée mais maintenant tu es à nouveau perdue au milieu de nulle part et tu ne peux rien faire de mieux que de laisser les ténèbres gagner. Encore.  

Quand tu te réveilles pour la troisième fois, l'impression de familiarité est toujours là. Tu as l'impression d'être à la maison et pourtant tu es sûre que tu n'es pas dans ton lit. Tout est différent mais ton corps se sent contenu entre ces draps. Tu te sens toujours aussi mal et tes précédents essais t'ont appris qu'il valait mieux limiter tes actions. Tu ne cherches même pas à ouvrir les yeux, à la place tu te déplaces un peu pour t'allonger sur le flanc et tu remues tes jambes endolories. Ta tête te semble un poil moins lourde malgré le poids que tu sens sur ton front. Il s'échappe quand tu termines ton mouvement et tu laisses échapper une plainte en sentant la sueur sur ta peau se réchauffer sous la fièvre. La fièvre c'est ça qui te bloque. Pas les ombres, pas la peur. C'est juste ton corps qui te protège en mettant enfin ton esprit au repos.

Revenir sur le territoire des vipères après avoir passé tant de temps chez les jaguars était étrange. Malgré les années qui s'étaient écoulées et sa bonne intégration à l'ouest, Yulia peinait encore à considérer cet endroit comme sa maison. Il y aurait toujours une place qui serait pour elle plus accueillante parce que c'était là que se trouvait sa famille. Chez les vipères, elle avait des gens qu'elle aimait et des amis, mais ce ne serait jamais exactement pareil. Épuisée par toute cette marche après ses jours de repos, elle entra dans la maison obscure en poussant un soupir. Il était tard, elle avait déjà mangé et elle ne rêvait maintenant plus que de s'écrouler dans son lit. Alors qu'elle progressait vers la chambre, elle se crispa pourtant, une main refermée sur la bandoulière de son sac. Durant la journée, Yulia avait été suffisamment occupée pour ne pas trop penser, mais maintenant qu'elle était seule, c'était une autre histoire. Toutes les émotions refoulées lui revinrent en pleine figure et elle songea une seconde à repartir. Mais son corps la rappela bien vite à l'ordre. Il fallait vraiment qu'elle se repose sous peine de faire traîner inutilement sa convalescence. Et si elle devait rester plus longtemps que prévu au repos, ça voudrait aussi dire encore plus de temps pour penser ce qui n'arrangerait absolument pas ses affaires.

Une fois dans la chambre, Yulia jeta son sac à côté de son lit pour le garder à portée de main (impossible de lâcher totalement cette fichue chemise). Elle bougea ensuite jusqu'à la commode pour allumer quelques bougies le temps de se préparer pour la nuit. Quand elle se retourna, tous ses projets tranquilles volèrent en éclat. Son lit était occupé par une forme beaucoup trop familière. Elle se frotta un moment les yeux, pas forcément sûre de la fiabilité de son esprit. A force de chercher à ne pas penser à Violette, elle s'était peut-être détraquée et fantasmait sa présence. Mais non. Violette paraissait bien là.

— C'est une blague... murmura-t-elle plus pour elle-même.

Elle pensait pourtant avoir été claire la veille. Violette avait elle aussi été particulièrement claire sur ses non-intentions. Elle n'avait donc rien à faire ici au beau milieu de la nuit. Profitant de l'assoupissement (étrange) de la dragonne, Yulia se prépara mentalement pour ce qui allait suivre et se rapprocha de quelques pas. Elle préférait limiter les interactions ou toute tentation de la rejoindre. Elle se trouvait ridicule d'être si prévisible. Violette se montrait et, stupidement, Yulia ne désirait qu'aller vers elle. Une part d'elle seulement. L'autre se rebellait fermement contre cette idée qui n'aurait menée qu'à une catastrophe. Il fallait qu'elle enferme son cœur à double-tour et qu'elle cesse de l'écouter si elle voulait s'en sortir.

— Debout ! Au moins, sa voix était restée stable. Hé ! Un peu plus de force, juste ce qu'il fallait pour légitimement réveiller quelqu'un. Mais seul le silence lui répondit. Violette ?

Et avant même qu'elle ne puisse contrôler quoi que ce soit, l'inquiétude était là. Bien trop présente et obsédante. Yulia combla rapidement les derniers pas et secoua l'épaule de la dragonne en espérant lui soutirer une réaction. Rien. Son cœur passa une vitesse dans sa poitrine, mais elle chassa sa peur pour vérifier les pulsations de celui de Violette. Il battait. Probablement trop vite, mais elle était vivante. Et brûlante. Elle aurait pu légitimement se demander ce que la dragonne fichait dans son lit alors qu'elle était malade, mais cela ne lui traversa même pas l'esprit. La seule chose qu'elle savait, c'était qu'elle devait faire quelque chose.

— Je reviens.

C'était bête de lui parler alors qu'elle était inconsciente, mais Yulia se dit que peut-être les mots lui parviendraient. Être malade était troublant, elle était bien placée pour le savoir. Rapidement, elle retourna sur ses pas pour sortir de la maison et alla frapper chez Leonor. Il était tard aussi la porte ne s'ouvrit pas tout de suite. Quand elle le fit enfin, une Leonor très fatiguée apparue, mais elle se réveilla d'un coup en voyant l'état de sa partenaire.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
— J'ai besoin d'un coup de main. Le gars avec qui tu sors, il est soigneur non ?
— Oui. Mais il vaudrait peut-être mieux que tu ailles voir Charlotte si tu as besoin de soin, non ?
— C'est...compliqué. Il me faut quelque chose pour traiter la fièvre. Je ne peux pas t'en dire plus ici.

Leonor avait toujours été la personne présente sur le territoire en qui Yulia avait le plus confiance. Elle avait prouvé qu'elle savait garder un secret contrairement à certaines pipelettes. Elle s'était aussi montrée fidèle à plus d'une reprise. Néanmoins, le service était ici important et même si le silence la stressa, Yulia apprécia le fait que son amie prenne le temps d'y réfléchir. Une décision correctement prise avait toujours moins d'impacts négatifs.

— Ok. Je vais voir ce que je peux faire.
— Merci.

Yulia retourna rapidement chez elle et vérifia une nouvelle fois l'état de Violette. Elle n'eut néanmoins pas le temps de faire grand chose de plus avant que Leonor ne vienne frapper à la porte, fidèle à sa promesse. Elle lui apporta quelques plantes séchées sensées faire effets avant de disparaître sans poser plus de questions. Yulia savait qu'elle ne s'en sortirait pas indéfiniment aussi facilement, mais elle pourrait toujours parler sincèrement à sa partenaire une fois que tout ça serait réglé.

Elle suivit les instructions de Leonor à la lettre et mis les feuilles à infuser. Ensuite, elle repartit dans la chambre, se perchant au bord du lit pour poser une main légère sur le front de la dragonne. Elle était toujours aussi brûlante. Pour lui faire avaler la tisane, il lui faudrait la réveiller, mais Yulia repoussait ce moment. Elle ne savait vraiment pas si elle était prête à assumer ce qu'elle allait faire. Elle n'avait pas vraiment le choix parce que son cœur lui dictait sa conduite, mais elle restait un peu effrayée. Seulement, il était désormais claire que sa priorité était de s'occuper de la dragonne, sa dragonne, pour éviter qu'elle ne tombe plus loin dans la maladie. Yulia se surprit à caresser sa joue et s'empressa d'éloigner sa main. Elle tenta de se convaincre que ce n'était qu'une habitude, mais c'était un mensonge qui n'aurait dupé personne. La plainte douce de Violette faillit bien la pousser à revenir à ce contact, mais elle se força à se redresser et à quitter la pièce après avoir déposé un lingue humide sur le front de la brune. Il ne fallait pas qu'elle craque. Elle ne devait s'autoriser aucun écart ou elle n'y arriverait jamais.

Il ne s'était pas écoulé beaucoup de temps quand elle revient. C'était plus fort qu'elle et elle avait toujours pour excuse le fait de devoir faire boire cette tisane à Violette. Le bol chaud en main, Yulia revient dans la chambre et elle découvrit une dragonne plus ou moins réveillée. Son cœur se logea dans sa gorge quand elle la vit se déplacer avec difficulté. Elle se débarrassa rapidement de son chargement et posa un genou sur le matelas pour se pencher sur la brune. Elle avait récupéré la compresse qu'elle passa sur son visage.

— Doucement. Tu dois avoir mal partout.

La tendresse dans sa voix était évidente, mais il fallait croire que sa conscience venait de décider de lui donner du répit car elle ne le nota même pas. Elle se permit même de se rapprocher pour écarter un peu les couvertures et serra une main autour du bras de Violette.

— J'ai quelque chose qui va t'aider. Tu te sens de te redresser un peu ?

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Année 41 - première saison tempérée (nuit 10)

Tu ne t'es même pas rendue compte qu'il y avait quelqu'un dans la pièce. Quelqu'un pour te voir dans ce moment où tu te sens si vidée de ton énergie. Mais il y a bien quelqu'un que tu ne calcules que quand le matelas s’affaisse. Tu aurais rougis si tes joues n'arboraient pas déjà une jolie couleur carmin à cause de la fièvre. Sous le contact frais sur ta peau, tu ouvres finalement les yeux et c'est un regard un peu brouillé que tu adresses à Yulia. « Doucement. Tu dois avoir mal partout. » Yulia. Pourquoi est-ce que Yulia est ici ? La confusion dans ton esprit est énorme mais les signaux de la maladie court-circuitent tout et tu es bien incapable de réfléchir. Il y a juste l'évènement de la nuit passée qui tourne en boucle dans ta tête et qui te pousse à vouloir chasser sa main malgré le confort qu'elle t'apporte. Tu n'y arrives pas néanmoins et il n'y a qu'un grognement qui quitte ta gorge. Un grognement faible qui plus est. Tu es une véritable loque. « J'ai quelque chose qui va t'aider. Tu te sens de te redresser un peu ? » Tu clignes lentement des paupières. Tu ne comprends pas son comportement. Pourquoi est-elle aussi gentille avec toi ? Son attitude est douce-amère après l'impression de rejet que tu as ressenti la veille. Mais tu es faible - et pas que physiquement - alors tu ne cherches pas à la repousser à nouveau. Tu apprécies sa proximité et son contact. Tu pourrais ramper sous sa main en cet instant parce que tu es vaincue et que tu ne parviens pas à ignorer la vérité. Tu as besoin de quelqu'un. Pour le coup, tu as besoin d'elle. Tu ne sais rien des détails mais tu es sûre de ce fait pour le moment. Tu hoches la tête en réponse et tu commences à tenter de te redresser pour aller te caler contre la tête du lit. C'est éprouvant et tu ne craches pas sur l'aide qu'elle t'offre naturellement. Un soupir de soulagement quitte tes lèvres quand tu es enfin en place et tu as même l'impression de respirer un peu mieux. Avec les couvertures disparues, tu es même un peu plus à l'aise. « Qu'est-ce que-. Qu'est-ce que je fais ici ? » Ce ici c'est probablement chez Yulia. Tu ne vois que cette hypothèse. Tu n'as aucun souvenir de ces dernières heures et à peine quelques vagues échos de celles d'avant. En tout cas tu es sûre que tu n'as pas fait le voyage jusqu'ici. Ça n'aurait même pas de sens. Pourquoi venir chercher de l'aide auprès de la fille qui t'a jetée alors que tu étais plus vulnérable que jamais ? C'est stupide et tout sauf toi. Il doit donc y avoir une explication plus logique.

Violette ne rendait vraiment pas la situation facile. Comment Yulia aurait-elle pu agir de façon froide et détachée avec un tel spectacle sous les yeux ? C'était une sensation assez nouvelle. Habituellement, elle était la première à tenir une rancœur. Quand elle avait été blessée, revenir dans ses bonnes grâces était un véritable casse-tête et elle en avait laissé plus d'un sur le bord de la route sans un regard en arrière. Avec Violette, c'était différent. Même si elle ressentait le besoin de se protéger, elle n'y parvenait pas. Elle lui en voulait pour le mal qu'elle lui avait fait, bien sûr, mais ce n'était pas suffisant. Son seuil de tolérance semblait beaucoup plus éloigné quand il advenait de cette maudite dragonne qui lui avait pourtant bien amoché le cœur. L'idée de l'abandonner à cette fièvre qui la clouait au lit était bien plus douloureuse que celle de souffrir encore de sa main. C'était complètement tordu et stupide. C'était ce putain d'amour.

Avec attention, la vipère l'aida à se redresser en calant un oreiller dans son dos, presque soulagée au final que Violette se laisse faire. Ce simple fait était un indicateur clair quand à l'état de la brunette et cela noua un nouveau nœud d'anxiété dans le ventre de Yulia. Elle posa la paume sur son front durant un instant, glissa sur sa joue, dans son cou et grimaça. Violette semblait un tout petit peu moins mal, mais cette température l'inquiétait beaucoup trop. Il ne restait plus qu'à espérer que les conseils donnés par le petit ami de Leonor seraient suffisants pour faire tomber la fièvre. Yulia ne se voyait pas vraiment aller frapper chez l'infirmière du clan pour lui demander de venir aider une dragonne entré illégalement sur le territoire. D'ailleurs, Violette mit le sujet sur le tapis d'une voix beaucoup trop faible qui donna l'irrémédiable envie à Yulia de l'enrouler à nouveau dans les couvertures avant de la serrer tout contre elle. Stupide pulsion. Elle fronça ensuite les sourcils et fixa une seconde la dragonne. Cette question, c'était elle qui aurait dû la poser.

— Tu ne sais pas ? lâcha-t-elle avec hésitation.
Je t'ai trouvé inconsciente quand je suis rentrée. Je pensais que tu aurais pu me dire comment tu avais fait.

Yulia ne savait pas si ce blanc lui plaisait ou non. D'un côté, cela voulait peut-être dire que Violette était venue instinctivement. L'idée qu'elle puisse se sentir en sécurité ici, avec elle, était plaisante si on omettait l'histoire de la veille. Mais d'un point de vue plus pragmatique, cela signifiait qu'elle avait peut-être laissé beaucoup d'ennuis dans son sillage. Et puis, Yulia repensa à cette journée et aux personnes au comportement étrange qu'elle avait croisées. Peut-être que grâce à ça, Violette avait réussi à passer relativement inaperçue ? Peu désireuse de rester trop longtemps là-dessus, Yulia ramassa le bol de tisane et se rapprocha un peu plus pour le porter aux lèvres de Violette.

— Tu dois boire ça si tu veux aller mieux. Le goût est...je ne vais pas commenter. Mais il faut que tu avales tout.

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Année 41 - première saison tempérée (nuit 10)

Tu fermes les yeux sous son toucher et tu t'en veux pour ça. Tu es vraiment ridicule. Trouver du confort chez cette fille n'a aucun sens mais vraiment c'est plus fort que toi et tu continues à désirer toujours plus. Malgré ce chaud et ce froid qui se disputent un match dans ton corps tu ne serais pas contre l'idée de la draper sur toi comme une couverture. Ce serait plaisant. Rassurant. Tu pourrais dormir en paix. Mais cette possibilité n'existe pas. Hier peut-être que tu aurais pu te le permettre. Plus maintenant. Parce que tu as déconné et qu'elle t'a repoussé. Tu fais à cet instant un effort pour soulever les paupières et pour te recentrer. Yulia semble perplexe mais tu n'as pas le courage de chercher une raison à ça. Tu regrettes presque d'être réveillée et tu veux juste retomber dans les bras de Morphée en attendant. En attendant quoi, là est la question. « Tu ne sais pas ? » Ça ne sent pas bon du tout. « Je t'ai trouvé inconsciente quand je suis rentrée. Je pensais que tu aurais pu me dire comment tu avais fait. » Te voilà encore plus désorientée. Yulia n'a aucune raison de mentir alors tu la crois quand elle te fournit les informations en sa possession. Elles sont peu nombreuses mais c'est déjà mieux que les tiennes. Tu essayes de te creuser la tête à la recherche d'une réponse ou même d'un détail mais il n'y a rien. Tu ne sais absolument pas comment tu as atterri ici. Si tu te t'étais téléportée le résultat serait probablement le même. Tu es encore dans tes pensées quand l'apparition d'un bol te fait légèrement sursauter. Yulia se trouve encore plus dans ton espace et elle te présente quelque chose à l'odeur peu agréable. « Tu dois boire ça si tu veux aller mieux. Le goût est...je ne vais pas commenter. Mais il faut que tu avales tout. » Pendant une seconde tu te retrouves des années en arrière. Tu es toute petite dans un lit trop grand avec ta mère à ton chevet. A sept ans tu avais attrapé un mauvais rhume et comme toujours tes parents avaient paniqués à l'idée de perdre leur précieuse enfant. Tu renifles presque dédaigneusement à cette pensée et ça doit sortir du contexte actuel. A cette époque tu avais fait la difficile mais maintenant tu es une adulte. Tu sais que c'est pour ton bien. Donc tu soulèves une main que tu poses sur celles de Yulia pour incliner le bol et commencer à boire. Tu ne te fais pas confiance pour le soulever toute seule et c'est une excuse comme une autre pour créer un contact. Contact dont tu ne profites pas vraiment à cause de ce goût immonde qui finit par te faire avaler de travers la dernière gorgée. Tu tousses pour essayer de te récupérer et l'impression d'être tellement pitoyable revient avec l'impression désagréable de ton t-shirt qui te colle à la peau à cause d'une partie de la tisane que tu as recraché. « Désolée. Et merci. Même si l'avertissement était un peu faible. » Si c'est aussi dégoûtant qu'efficace alors tu es sauvée. Tu te décontractes à nouveau dans le lit mais maintenant que tu es plus consciente de toi il y a trop de choses qui te dérangent. La voix pleine d'hésitation, tu décides de faire un caprice puisque vous semblez coincées ici en attendant que tu ailles mieux. « Tu aurais quelque chose de propre ? » L'idée de te changer est vraiment pénible mais celle de rester dans ton t-shirt crade et maintenant humide de la veille l'est aussi. En plus la transpiration te pique la peau. Et voilà que tu joues les petites natures. Yulia tire à la fois le meilleur et le pire de toi. Tu t'en rends compte maintenant.

Le silence de Violette était plutôt évocateur. Elle semblait aussi perdue et Yulia abandonna vite l'idée d'en savoir plus. C'était inquiétant bien sûr comme situation (une petite part d'elle ne pouvait d'ailleurs pas s'empêcher de se demander ce qui avait mis la dragonne dans cet état), mais insister ne servirait pas à grand chose. Il y avait d'autres priorités. Comme soigner la brunette de façon à pouvoir la renvoyer chez elle. Ou c'était du moins les paroles de la raison.

En réponse au sursaut de Violette, elle eut un sourire rassurant et insista avec la proximité du bol. Au départ, Yulia reçu assez peu de réaction et elle cru qu'elle aurait à faire face en plus à une malade récalcitrante. Cette impression ne fut que renforcée par le reniflement qu'elle pensa destiné au bol. Mais Violette commença à boire et la vipère l'observa faire en la laissant guider le mouvement du bol. Jusqu'à ce qu'elle se mette à cracher le reste. Le contenant fut rapidement évacué et Yulia se retrouva à tapoter le dos de la dragonne en attendant qu'elle parvienne à récupérer son souffle.

— Chochotte.

Et dire que la grande Violette se laissait ainsi vaincre par un peu de tisane au goût désagréable. Yulia ricana intérieurement, mais son sourire était ressorti un peu moqueur. L'état de Violette et la tension dans la pièce n'étaient pas suffisants pour le réprimer, c'était une occasion trop bonne. En parlant de tension, elle semblait comme moins forte dans le corps de Yulia. Comme si tout ça avait au final permis de relâcher une sorte de pression. Naturellement, elle n'était toujours pas à l'aise, mais ce moment était comme hors du temps et elle commençait à l'accepter.

Quand Violette lui demanda des vêtements, elle ne pu s'empêcher de la détailler une seconde. Elle n'avait pas fait attention jusqu'ici, mais c'est vrai qu'elle était particulièrement sale.

— Tu ne vas vraiment rien m'épargner ? soupira-t-elle pour le principe.

Yulia se redressa ensuite et partit fouiller dans la commode pour dénicher un t-shirt assez grand. Elle aurait aussi pu lui rendre sa chemise, mais elle aurait eu pour ça à la sortir de son sac et elle n'était pas certaine de pouvoir assumer les conséquences. Ou le regard de Violette. Elle ne savait même pas si elle voulait s'en séparer. Alors, elle fit comme si la chemise n'existait pas et jeta juste son vêtement sur le lit.

— Je vais te chercher un peu d'eau.

Quelques instants plus tard, elle était de retour avec une bassine peu remplie qu'elle équilibra comme elle le pouvait sur le matelas. Elle s'y installa ensuite, munie d'un linge et d'un bloc de savon qu'elle plongea dans l'eau. Elle n'en revenait pas vraiment de jusqu'où elle était prête à aller.

— On ne va pas y passer la nuit. Tu es crade et ça ne va pas t'aider à guérir.

Après une discrète inspiration pour se donner du courage, elle se redressa sur un genou et saisit les bords du t-shirt de Violette pour le soulever. Tout ça lui rappelait bien trop de choses, mais elle évita d'y penser et la débarrassa du vêtement sans se soucier des protestations. Elle passa ensuite au pantalon qu'elle déboucla rapidement pour le retirer, mais alors qu'elle tirait dessus elle s'arrêta alors qu'il était seulement au-dessus du genou. Il y avait un bandage suspect sur la cuisse de Violette.

— Tu en as encore beaucoup des comme ça ?

Elle avait noté les hématomes divers, les égratignures et les douleurs, mais pas ça. Encore que Violette lui en avait peut-être parlé la veille. Yulia termina de lui ôter son pantalon et retourna presque aussitôt au bandage. Le sang qui imbibait le tissu avait eu largement le temps de s'oxyder et arborait une couleur brune qui se mariait au final plutôt bien avec l'état général du pansement. Elle glissa la main sous la cuisse de Violette pour la surélever un peu et commença à dérouler le bandage. Il accrochait un peu, mais elle le décolla avec le plus de délicatesse possible. Quand elle vit la blessure maintenant exposée, elle grimaça. Ce n'était vraiment pas beau et plus que certainement infecté. Elle avait déjà souffert d'une pareille blessure quand elle était plus jeune, au moment où elle ne comprenait pas vraiment les risques. A l'âge de Violette, on était pourtant censé se soucier de ce genre de détails. Surtout quand on était une combattante et qu'on avait beaucoup d'ambition.

— Comment tu as pu la laisser tourner comme ça ? souffla-t-elle, un peu mordante.

Elle ne comprenait vraiment pas cette attitude plus que stupide. Les mâchoires serrées, elle récupéra le linge, le tordit, le frotta d'un peu de savon et commença à tamponner la plaie pour retirer une partie de l'excédent. Il lui faudrait de l'alcool et très certainement une pommade plus forte ensuite. Encore quelque chose qui allait être difficile à avoir sans éveiller les soupçons.

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« Chochotte. » Elle se moque en te tapotant le dos et pitoyable comme tu es, tu ne parviens même pas à lui offrir une réaction digne de ce nom. Il y a aussi dans cette moquerie une familiarité rassurante. Elle ne prends pas de gants, ne te traite pas comme une étrangère. Elle te semble juste naturelle et ça te fait chauffer un peu le cœur parce que cette Yulia que tu avais fait tienne sans le savoir n'a pas complètement disparue malgré ta bêtise. Avec sa façon de s'intéresser à toi, tu n'as vraiment pas l'impression que la nuit dernière est bien réelle. S'il n'y avait pas le malêtre qui en a découlé tu pourrais presque l'oublier. C'est trompeur et la chute n'en sera que plus dure mais pour le moment tu es aux premières loges pour profiter. « Tu ne vas vraiment rien m'épargner ? » Tu te mordilles la lèvre, secoue la tête, tue un petit sourire qui ne devrait pas être là. Tu aimes son ton, son faux agacement et la domesticité de tout ça. Dans un autre monde, tu serais amoureuse et elle serait tienne. Mais là il y a toujours un bout de mur entre vous qu'elle dresse parce que la réalité existe et que tu as déconné. Parce qu'elle t'a brisé le cœur aussi même s'il semble en redemander. Elle te jette un vêtement que tu n'essayes même pas d'attraper. Conserver tes forces est ici le mot d'ordre. « Je vais te chercher un peu d'eau. » Carrément ? L'idée de te rafraichir est tentante mais il y a tellement à faire. Te changer te semble déjà insurmontable mais alors là. Pourtant Yulia est inarrêtable. Elle est déjà là avec sa bassine, fermement décidée à aller jusqu'au bout. Tu te sens curieusement mal à l'aise en ce moment. Encore une fois. Il faut que tu arrêtes d'être si gênée dans ces instants là. C'est stupide d'être pudique avec elle. « On ne va pas y passer la nuit. Tu es crade et ça ne va pas t'aider à guérir. » Loin de toi l'idée de la contredire mais tu t'étouffes sur ta propre inspiration quand elle se rapproche et qu'elle t'arrache presque ton t-shirt. Tu aides ses gestes par réflexe, en fait tu es consentante malgré toi et ça te dépasse. « Je peux le faire. » Tu bredouilles enfin mais elle est déjà en train de défaire ton pantalon et ton esprit est saturé. Tes hanches se soulèvent d'elles-mêmes quand elle tire le vêtement mais tu veux encore protester. Il y a des limites à l'efficacité et à l'infantilisation. « Yulia... » Tu veux attraper sa main pour l'arrêter mais elle le fait d'elle-même. « Tu en as encore beaucoup des comme ça ? » Dans un premier temps tu ne comprends pas de quoi elle parle. Tu suis finalement son regard et tu tombes sur le bandage sale autour de ta cuisse. Peut-être que tu as un peu oublié cette plaie. Il y avait bien eu des douleurs par moment mais la plupart du temps tu les supportais. Question d'habitude. Et puis ton errance mentale avait aidée. Maintenant que tu vois le pansement tu comprends que quelque chose cloche. Tu n'en as jamais eu un aussi moche et peut-être que ça t'inquiète un peu. Ton pantalon disparait dans la foulée et tu te fiches bien qu'elle t'ait déshabillée maintenant. Tu ne vas pas dire que la position est confortable non plus. Tu sursautes un peu lors que les doigts de Yulia sont sur ta peau. Il n'y a rien d'intime là-dedans mais elle est maintenant d'une douceur obsédante. Est-ce que c'est mal de penser que tu te contrefiches des blessures si elle en prends toujours soin comme ça ? Tu grimaces quand le bandage se décroche et plus encore quand tu vois la plaie. Elle est plus moche encore que le jour où elle a été faite. Tu palpes la peau autour et elle est plus chaude qu'ailleurs. La blessure est multicolore, criarde. Et écœurante. « Comment tu as pu la laisser tourner comme ça ? » Tu te sens disputée comme une gosse. Remise en cause comme quand Romane est dans les parages. A cause de ça tu te renfrognes un peu. Tu veux dire que ce n'est pas de ta faute, que ce n'est pas si grave mais tu sais que c'est faux. Tu passerais encore plus pour une gamine aussi. Tu serres les dents quand elle commence à nettoyer parce que cette fois tu ne peux plus ignorer le mal. Pas des plus à l'aise, tu te laisses aller contre les oreillers et tu fixes le plafond, un bras drapé sur ton visage. « Désolée de t'imposer ça. » Les mots sortent sous ton souffle, à peine audibles. « Je sais pas ce qui m'a pris de venir ici. » Bien sûr que tu sais. Enfin pas exactement mais tu te doutes de la raison qui t'a menée à cet endroit précis plutôt qu'à un autre. Mal en point comme tu étais il n'y avait que vers elle que tu pouvais aller. Elle t'avait déjà vu dans la chute et tu ne pouvais pas supporter que quelqu'un d'autre te voit comme ça. Sans Chad elle était devenue ta zone d’amerrissage d'urgence. Non elle est. Quoi qu'il advienne, tu doutes qu'il puisse y avoir quelqu'un d'autre. Et maintenant qu'une partie de ton esprit est trop pris par la fièvre, ton coeur a toute la place pour battre pour elle et vivre dans le vrai. « Je suis désolée. » Pas pour maintenant, pour la veille. Pour ce que tu avais dit. Pour avoir tout fait foirer alors que c'était toi qui était venue à elle. « J'aurais pas dû... » Dire ça. Partir. « J'ai eu la trouille. » Ce n'est pas une excuse. Elle l'a dit. Elle ne peut pas prendre le risque que tu la détruises avec ta peur stupide. « Mais tu m'as brisée. » Ce n'est même pas un reproche. C'est un fait.

Violette était soudainement bien silencieuse. Trop concentrée sur ce qu'elle faisait, Yulia n'avait pas prêté vraiment attention au reste. Elle leva les yeux de la plaie pour observer la dragonne qui fixait désormais le plafond. Elle semblait crispée et Yulia faillit lui dire de se détendre, mais elle savait comme ce genre de remarque était agaçante et difficile à appliquer. Elle choisit donc le silence et s'appliqua pour terminer le plus rapidement possible le nettoyage de cette blessure. L'atmosphère s'était à nouveau faite différente et ce n'était pas exactement pour lui plaire. Elle sentait bien que quelque chose se passait dans la tête de Violette (elle ne savait pas d'où lui venait cette certitude par contre), mais elle ne savait pas comment lui parler, ni de quoi il en retournait exactement. Elle mordilla légèrement sa lèvre, mais regretta aussitôt en rencontrant la vieille égratignure qui s'y trouvait. Ce fut le moment que choisit Violette pour finalement parler. Sa voix était particulièrement calme et faible, à peine un murmure qui tinta étrangement aux oreilles de Yulia.

— C'est rien. C'est fait maintenant.

Il était inutile qu'elle s'inquiète trop pour ça. Même si cette visite était pénible, il était plus facile pour Yulia de la savoir ici que de l'imaginer dans cet état n'importe où d'autre. Seulement, Violette semblait se ficher de ce qu'elle avait à dire pour le moment. Quand elle s'excusa à nouveau, Yulia s'arrêta cette fois complètement pour la fixer. Ici, c'était différent. Elle observa minutieusement la faible portion du visage de la dragonne qu'elle voyait, mais elle n'y détecta rien d'utile. Lorsque la suite s'amorça, le poing de Yulia se resserra autour du linge. Elle aurait dû le sentir venir, mais c'était Violette et elle ne s'était pas attendue à ce qu'elle parle si franchement de ses regrets et de ses émotions. Elle déglutit difficilement devant cet aveu beaucoup trop lourd en culpabilité. Elle n'était vraiment pas prête à entendre ça. Peut-être ne le serait-elle même jamais. Violette était ici pour guérir, ça n'avait rien à voir avec la veille (même si ça avait tout à voir) et ça ne remettrait rien en cause (ou peut-être que si ?). Non, ça ne peut pas. Rien n'a changer. C'est juste la fièvre qui parle. Mais alors pourquoi cela goûtait-il si réel ?

— Je... Elle tenta d'avaler la boule qu'elle avait dans la gorge avant de reprendre. Ça n'ira pas. Un battement de cœur. Il me faut plus de matériel.

Yulia se leva précipitamment pour enfiler ses bottes. Il y avait ici un double-sens qui n'était pas un hasard. Elle avait voulu parler, mais à la dernière minute, les mots étaient restés bloqués et elle s'était rattrapée comme elle le pouvait. Elle n'était aussi soudainement plus capable de rester aussi proche. Il fallait qu'elle mette de la distance entre Violette et elle. Qu'elle quitte cette bulle trop confortable. Et qu'elle respire de l'air frais aussi.

— Je reviens.

C'était lâche et elle détestait ça, mais elle fuyait sans un regard en arrière.

I have to make an end so we begin
Année 41 - première saison tempérée (nuit 10)

« C'est rien. C'est fait maintenant. » Tu grimaces. Cette sensation de fatalité est extrêmement désagréable, sans parler du fait que tu as soudain l'impression d'être encore plus un poids sur les épaules de Yulia. Tu te sens vraiment comme quelqu'un qu'elle doit bien traîner avant de pouvoir s'en débarrasser. Et ça blesse car c'est vrai. Tout n'est que temporaire et lié à cette blessure qui vous force presque à partager le même lieu. « Je... » Il y a un accroc dans ta respiration. Tu restes suspendue à sa bouche avec plus d'espoir que tu ne le voudrais. Et cette absence de suite te détruit. Ce vide de réponse te vole ton souffle. Les mots peuvent déjà être douloureux mais ils sont pires quand ils ne sont pas dit. Quand ils restent suspendus dans l'air, inaudibles, ils torturent l'esprit. « Ça n'ira pas. » Encore un coup droit au cœur. En cet instant tu veux juste disparaître. « Il me faut plus de matériel. » Et même si tu ne la vois pas parce que tu es bien incapable de la regarder, tu sais qu'elle fuit. Et même si ça te blesse tu es soulagée. Comment la regarder dans les yeux après ce rejet ? Tu aurais toi-même fuis si tu le pouvais. Seulement dans ton état tu n'atteindrais même pas la porte. « Je reviens. » Et elle s'échappe en te laissant une cuisante impression de douleur et de honte. Tu effaces les larmes qui viennent te piquer les yeux avant même qu'elles ne coulent et tu te recroquevilles sur le côté après t'être battue avec la couverture pour qu'elle te recouvre un peu. Le pire dans tout ça c'est que tu attends son retour. Pas par dépendance mais bien parce que tu n'es pas encore prête à dire au revoir.

La porte claqua derrière Yulia quand elle sortit et elle s'y adossa immédiatement. Son souffle était aussi court que si elle avait couru un marathon et ses côtes la faisaient souffrir alors qu'elle s'était contentée de traverser la maison. Toutes les émotions qu'elle avait eu à contenir après les mots adressés par Violette laissaient son cœur douloureux et il venait comme pousser contre sa cage thoracique. Elle batailla longuement avec sa respiration, un peu paniquée par l'impression qu'elle avait d'être bloquée. Tôt ou tard, il faudrait qu'elle revienne. Ce n'était pas une véritable fuite car elle n'avait d'autre choix que de retourner au côté de Violette. Elle ne pouvait pas fuir éternellement sa maison en espérant que la dragonne disparaisse miraculeusement. De plus, elle n'aurait pas été capable de vivre avec l'idée qu'il aurait pu lui arriver quelque chose après son départ.

Au bout d'un moment à rester plantée là au milieu de la nuit, Yulia parvient à se mettre en route. Elle commença par dénicher l'alcool, la chose la plus facile. Et puis, faute de mieux, elle retourna chez Leonor. Elle s'en voulait de la déranger encore une fois, mais elle était la seule qui pouvait l'aider. Elle la conduisit chez son petit ami soigneur qui accepta finalement de lui donner un peu de la fameuse pommade en échange d'un service et de rations. Le prix était cher, mais le produit le valait. A ce moment là, Yulia n'était de toute façon pas vraiment en mesure de marchander correctement. Si elle s'était faite pigeonner, elle s'en fichait bien.

Avec finalement tout ce qu'il lui fallait, elle retourna à la maison. Le ciel s'éclaircissait quand elle se faufila à l'intérieur avec l'espoir de trouver Violette endormie. Elle était partie pendant un certain temps, ça n'aurait rien eu d'étonnant. Elle entra silencieusement, ôta ses bottes et s'approcha finalement du lit. Pas grand chose n'avait bougé depuis son départ. Elle déposa sa cargaison sur le sol et bougea la bassine toujours présente sur le lit. Elle s'y assit ensuite et vérifia pour la dixième fois au moins aujourd'hui la température de Violette. Elle ne s'attarda pas cette fois néanmoins. Presque aussitôt, elle découvrit ses jambes et appliqua un peu de la pommade récupérée sur la plaie. Que Violette soit éveillée ou fasse semblant de dormir, c'était du pareil au même. Yulia n'était toujours pas décidée à discuter, elle voulait juste s'assurer que la guérison suivait son cours.

— Avec ça, ça devrait aller mieux. souffla-t-elle quand même avant de se laisser couler sur le sol à côté du lit.

Cette fin de nuit serait longue...

I have to make an end so we begin
Année 41 - première saison tempérée (nuit 10)

Yulia semble absente durant une éternité. Le temps passe encore plus lentement quand on est coincé dans un lit avec des périodes de somnolence irrégulières. Tu t'es retrouvé prise entre rêves et pensées et tu n'es pas bien sûre que tout est réel quand tu entends du mouvement à proximité. Et puis il y a encore ce contact sur ton front et tu penses que tout est vrai. Tu te retiens d'ouvrir les yeux, à la place tu restes parfaitement immobile en attendant quelque chose se passe. Ce n'est pas comme si tu avais quelque chose à dire de toute façon et Yulia a été claire quand à son envie de discuter de votre situation. Votre. Un mot stupide et qui ne colle vraiment pas. Il n'y a pas de nous non plus. Il y a juste Violette et Yulia qui sont forcées de collaborer. Quand la couverture se soulève c'est plus difficile de rester statique mais tu te contrôles. Tu frémis à peine au contact de la pommade froide sur la blessure et tes dents s'enfoncent dans l'intérieur de ta joue pour contenir la douleur. « Avec ça, ça devrait aller mieux. » Et encore une fois tu vas la croire parce qu'elle a bêtement acquis une confiance que tu ne donnes pourtant à personne. Encore un des mystères entourant cette fille. Elle remue encore un peu à proximité mais tu ne captes pas vraiment ce qu'elle fait. Et puis il y a le silence. Tu as bien envie de te retourner pour l'observer mais le résultat d'un tel geste semble lointain et incertain. Alors tu attends. Tu attends jusqu'à ce que ton corps devienne douloureux à force d'être resté dans la même position. Seulement à ce moment là tu bouges un peu et tu passes sur l'autre côté en veillant à ne pas trop t'appuyer sur ta cuisse blessée. C'est là que tu la vois. Plutôt que d'aller trouver un endroit plus confortable pour dormir, Yulia occupe le sol. Elle n'est même pas allongée, juste assise contre le lit. Tu t'en veux de lui piquer son lit et de la forcer à rester là mais tu pourrais difficilement évacuer maintenant pour lui laisser la place. Finalement tu bouges encore un peu jusqu'au bord du matelas pour pouvoir draper une partie de la couverture sur elle. Tu te recroquevilles ensuite sous le peu qu'il reste, un oreiller coincé sous ta tête et tes doigts emmêlés dans ses cheveux. « Demain ça ira mieux. » Tu essayes de t'en convaincre. Ce sera peut-être vrai avec la blessure mais pour le reste ? Tu n'es vraiment pas sûre. « Et bientôt tu retourneras à ta vie sans moi. » Tu souffles avec peut-être un peu trop de désespoir dans la voix parce que ça te semble beaucoup plus faisable que le reste. Elle va t'oublier alors qu'elle a encore ton cœur dans les mains, ça c'est presque certain.