Cette entrevue avec Samuel avait eu le don de me mettre les nerfs en pelote, mais il en était aussi ressorti une étrange excitation. Certes, c'était principalement mon instinct de survie qui s'était ici exprimé, mais je pouvais être fière d'avoir réussi à me contenir face à lui. La chose n'avait pourtant pas été aisée vu la façon dont il m'avait traité, pourtant j'étais belle et bien sortie de cet entretien en un seul morceau. A l'exception peut-être d'un bout de fierté en moins, mais ça repoussait contrairement aux doigts et j'en avais à revendre. Finalement, j'avais quitté le QG comme une folle, non sans emmerder aux passages les deux plantains qui montaient la garde, puis, j'avais couru à toutes jambes en riant de mon forfait. Mon Chef ne me faisait pas peur et, même si cela n'arrivait pas tout de suite, je comptais bien le lui prouver un jour. Il avait la force et le pouvoir pour lui, mais j'avais moi aussi plusieurs cordes à mon arc. Quelle image pourrie d'ailleurs, cela faisait terriblement Jaguar maintenant que j'y pensais.

Sans me soucier de réveiller les habitants du quartier que je traversais, ils le faisaient bien tous les matins sans que je ne m'en plaigne – bon d'accord, je le faisais un tout petit peu -, je rejoignis la maison où vivait Jayden et sa sœur. En arrivant devant la bâtisse, je me calmais un tout petit peu et pénétrais à l'intérieur en essayant de me faire discrète – ce dont j'étais incapable selon Commander – pour ne pas faire peur à Jo. D'un autre côté, n'était-ce pas un peu stupide de ne pas faire de bruit pour éviter de foutre la trouille à une gamine sourde ? Même si je m'étais rendue compte de mon idiotie, je ne me fis pas plus bruyante pour rester dans l'optique première, c'était l'intention qui comptait non ?

Une fois dans la chambre de mon éternel partenaire, je me débarrassais de mes chaussures pour me glisser dans son lit. La tête squattant une partie de son oreiller, je tentais une première approche à voix basse.

« Dis, dis, t'es réveillé ? J'suis désolée de te sortir du sommeil, mais faut trop que j'te raconte un truc. »

Non, en fait, je n'étais pas désolée du tout. C'était de bonne guerre vu le nombre de fois qu'il était venue me réveiller pour me traîner de force à l'entraînement. Ou pour d'autres raisons plus ou moins amusantes en fait. Malgré ma soudaine poussée d'énergie, je ne résistais pas à l'envie de lui piquer un peu de couverture, songeant qu'une petite sieste ne serait pas de refus. Ah non, il fallait d'abord que je parle !

Une fois n'était pas coutume j'avais eu l'occasion de passer toute la soirée avec ma chère et tendre petite-sœur. Un changement agréable, loin de l'agitation presque constante qui régnait ces derniers temps au sein du clan. Pas que je me plaignais de ce regain de vie mais je ne pouvais délaisser Jo plus longtemps. Elle avait toujours été ma parenthèse dorée dans ce monde des plus chaotique. Un chaos que je me plaisais à entretenir cela dit. Toutefois, j'avais toujours eu besoin d'elle, rester en sa compagnie me permettait bien souvent de pouvoir me remettre les idées au clair, d'aborder les choses sous un autre angle. Différemment de Loukas, elle demeurait une partie de moi. Je m'étais donc installée à ses côtés et nous avions discuté à notre façon puisqu'elle ne pouvait ni entendre ni parler. Ma nouvelle vie de membre me permettait de la mettre à l'abri de tous besoins...Je savais aussi qu'elle désirait pouvoir s'épanouir mais il était hors de question que je la lâche dans ce clan, elle, qui  était si fragile. Quoiqu'il en soit, j'avais attendu qu'elle se soit endormie pour aller dans ma chambre et lire un peu avant d'aller me coucher moi-même. J'eus tout de même du mal à trouver le sommeil. Je n'étais pas parvenu à mettre la main sur Loukas et cela me préoccupait. Certes, elle était assez grande pour s'occuper d'elle-même mais Bonnie avait toujours eu des occupations différentes...Enfin, je m'inquiétais sûrement pour rien. Elle devait encore fois s'être trouvé un coin tranquille pour roupiller sans être dérangée. C'était sur ces pensées que je m'étais endormi.

La raison de mon inquiétude ne tarda pas à se manifester...trop tôt à mon goût mais on pouvait dire que c'était de bonne guerre. Les situations étaient échangées pour une fois et j'eus bien du mal à me convaincre qu'il ne s'agissait pas d'une apparition dans un rêve quelconque. Je sentis son souffle me caresser le visage alors qu'elle parlait...elle était bel et bien là. Encore dans le flou, je refusai de me lever, me tournant vers le mur et lui tournant ainsi le dos. Cependant je ne pus nier plus longtemps sa présence pour plusieurs raisons. La première, j'étais curieux de nature...le fait que Loukas ne soit pas endormie à cette heure et qu'elle ait fait l'effort de se traîner jusqu'ici me poussaient à prendre ce qu'elle avait à me dire au sérieux. La seconde...elle essayait de me soutirer ma couverture...et enfin la troisième, j'avais peur qu'elle s'endorme si je la faisais poiroter trop longtemps. C'est en grognant un peu que je me tournai à nouveau pour lui faire face, n'ouvrant qu'un de mes yeux.

- Désolée ? Vraiment ?, dis-je peu convaincu par ses excuses. C'est important au moins ? Parce qu'on est bon pour une autre fournée de ragots là.

L'appel du sommeil était terriblement attrayant et s'il n'y avait pas eu cette excitation sous-jacente née de la révélation de Samuel, je me serais sûrement laissée emporter. Le lit de Jay était confortable et la chaleur qu'il dégageait sous la couverture était des plus agréables. J'aimais beaucoup faire la sieste avec lui, comme polochon, on ne faisait pas mieux. Lorsqu'il se retourna, signe qu'il se réveillait doucement, j'en profitais pour me blottir un peu plus contre lui pour squatter toujours plus de couverture. Imprégnée de son odeur rassurante, je fermais doucement les yeux et me concentrais sur le rythme de sa respiration. C'était l'un de ces instants paisibles que l'on ne vivait que trop peu dans ce monde chaotique. Enfin, j'avais tendance à les vivre plus que les autres, mais c'était un détail.

Quand il se tourna, je soulevais doucement les paupières et plongeais mon regard dans son unique œil visible. Un petit sourire amusé fleurit sur mes lèvres lorsqu'il renchérit à propos de mes piètres excuses.

« J'avoue tout, ça m'éclate d'échanger les rôles pour une fois. »

Sa remarque me fit par contre rire. Vu la position dans laquelle nous nous trouvions, il était clair que cela aurait encore mis le feu à la poudrière de rumeurs et de doutes qui planaient sur nous. Par pure provocation, je pressais un instant mes lèvres sur les siennes.

« Tant mieux, faut qu'on parle de nous, être des inconnus, ça craint ! »

Et puis, si cela faisait bisquer Ezy au passage, ce n'était pas plus mal.

« Important ? Tu oses me demander si c'est important ? Attends, je suis debout au beau milieu de la nuit, c'est une preuve irréfutable de l'importance de la nouvelle avec laquelle je viens. »

J'avais soudainement repris conscience de la raison de ma présence ici et la motivation m'avait traversée avec force. Bondissant du lit, je fis les cent pas dans sa chambre, ne sachant pas vraiment pas où commencer. Hum, par le début. Il ne serait peut-être pas ravi que j'ai été voir Sam sans lui, mais d'un côté, je n'allais pas le lui cacher. Je n'en avais déjà pas l'envie, mais en plus cela aurait été bien stupide de ma part. On se disait tout, ça faisait partie du truc.

« Je reviens du QG. Je voulais voir Sammy pour lui parler de deux, trois trucs. Sauf que ça ne s'est pas super bien passé. Il s'est énervé - bon ok, je l'ai provoqué - et j'ai bien cru qu'il allait me tordre le cou ce crétin. »

Par réflexe, je portais la main à ma gorge et effleurais les marques que je sentais encore brûlante sur ma peau. Tressaillant légèrement en sentant une pointe de douleur, je me calmais durant quelques secondes. Au moins, cela permettrait aussi à Jay de digérer les informations.

Bien malgré moi, un sourire prit place sur mes lèvres. Evidemment, ça devait l'amuser d'échanger les rôles. J'avais l'impression d'être l'arroseur arrosé. Qu'à cela ne tienne, la présence presque envahissante de Loukas dans ma couche m'avait toujours plu. C'était ridicule de penser ainsi mais je préférais la savoir à mes côtés, même si elle s'amusait me voler ma couverture, que de la savoir fourrée on-ne-sait-où et surtout avec on-ne-sait-qui. Alors même que je savais qu'elle était loin d'être une coureuse. Et puis je devais bien admettre que j'appréciais la sentir si proche de moi, ça me donnait l'impression d'être entier.

Profite-en, ça n'arrivera pas tous les jours.

Si je n'étais qu'à moitié endormi, le rapide baiser qu'elle déposa sur mes lèvres finit de me réveiller, sa réplique ranimant le sourire sur mes lèvres. Bientôt, les quatre clans parleraient de nous. J'allais m'assurer que notre réputation franchisse même les frontières de la ville. Pour que personne ne se fasse de fausses idées. On ne jouait pas avec Bonnie et Clyde mais ils jouaient avec vous.

Bientôt tout le monde saura qui nous sommes., lui répondis-je entre deux bâillements.

Soudain, elle sembla retrouver toute son énergie. C'était à la fois drôle et fascinant de la voir agir de la sorte. Voir une personne si paresseuse faire preuve d'autant d'entrain, en plein milieu de la nuit avait quelque chose de magique. Je laissai tout de même échapper un soupir alors qu'elle s'extirpait du lit, m'enlevant sa chaleur corporelle. Je n'avais pas d'autre choix que de me redresser, m'asseyant contre le mur, les jambes en tailleur, je l'observai faire les cents pas. Cette histoire semblait vraiment l'avoir remuée et cela ne fit que faire monter ma curiosité d'un cran.

Quand elle se mit enfin à prendre la parole, je tombai presque des nues, avalant le plus d'informations possible. Elle avait été voir Samuel, sans moi...Sans moi alors qu'elle savait que ce type était le pire misogyne qui soit. Mais la suite n'était pas mieux. De quoi avait-elle voulu lui parler ? Mais j'oubliai bien vite toutes ces questions, me relevant d'un bond pour m'approcher d'elle. Cet enfoiré de crétin avait osé lever la main sur elle ? J'ignorai pourquoi j'étais encore étonné mais je pouvais jurer que cette histoire ne finirait pas là. Il allait payer son geste d'une manière ou d'une autre, chef ou pas chef, personne n'avait le droit ne serait-ce que d'égratigner Loukas. Soucieux, j'examinai les traces laissées sur le coup de ma moitié. Je la plantai là quelques minutes, allant fouiller dans un cagibi de la maison, cherchant de quoi apaiser la douleur. Je revins rapidement auprès d'elle, un bout de chiffon et un petit pot de mixtures d'herbe dans les mains.

Laisse-moi voir ça, lui demandai-je doucement, appliquant la pommade apaisante sur les marques avait laissées cet enfoiré de Samuel. M'appliquant à ma tâche, je restai tout de même curieux.Tu lui as demandé quoi à cet espèce de crétin pour qu'il se mette dans un état pareil...

Ô qu'il aurait été bon que ce soit Jayden qui s'adapte à mon mode de vie et devienne lui aussi un paresseux. L'ennui, c'était qu'il fallait bien que l'un de nous deux bosse activement et il était clair que c'était lui le plus compétent dans ce rôle. Et puis, nos petites scènes matinales étaient devenues un véritable rituel auquel je m'étais à force attachée. Bon sur le moment même, je luttais réellement pour le sommeil et mon lit, mais une fois qu'un vainqueur s'était imposé, il n'y avait plus qu'à en rire et à profiter de cet instant passé ensemble. Et puis, bien sûr, il fallait partir à la conquête de ce monde qui nous appartiendrait un jour.

Si je m'étais attendue à ce que mon récit soit mal pris par Jay, je fus quand même un peu surprise de sentir une telle anxiété émaner de lui. Pourtant, il n'y avait rien d'étonnant à tout ça, il avait toujours été le seul à être réellement soucieux de mon sort. Bon, il y avait aussi Ezy, à sa façon, mais il y avait quelque chose de trop tordu dans notre relation pour que cela compte vraiment. Il examina ma gorge et, alors qu'il était si proche, je me demandais un instant si je n'avais pas un peu trop sous-estimé les dégâts faits par Samuel. Il était de notoriété publique que ce type avait une force d'ours, il aurait donc pu facilement me briser entre ses doigts. J'avais bel et bien eu de la chance qu'il m'épargne. Pour une raison obscure d'ailleurs. Ah non, c'était parce qu'il avait besoin de Clyde, juste ! Ce dernier s'éclipsa durant quelques instants, puis revient avec de quoi soigner mes contusions. Ou du moins, je supposais que c'était cela. Avec douceur, il s'occupa des marques et, si je frémis en sentant le froid de la pommade, l'effet final fut bien plus agréable. Cela soulageait même et je me permis un soupir apaisé en relevant la tête pour qu'il ait plus facile.

« Ton truc marche du tonnerre. »

A sa question, je souris légèrement. Dans une telle situation, la patience n'avait jamais été son fort.

« Je lui ai dit qu'il avait intérêt à faire en sorte que ce soit toi le nouveau Chef. Cette partie là n'est pas trop mal passée, mais il a pas trop aimé que je lui demande de faire en sorte que je ne me fasse pas virée des Espions. Et, accessoirement, je me suis un peu trop approchée de la bête. Faut croire que passer le bras dans sa cage, c'était pas un bon plan. Mais faut dire que ce mec est tellement bizarre. Vu qu'il dégage toujours de l'hostilité, c'est juste impossible de sentir lorsqu'il part en vrille. »

Je fus soulagé de voir que la mixture aux plantes apaisait la douleur de Bonnie et je m'appliquai à l'étaler doucement sur les traces qu'avait laissées Samuel. J'avais réclamé cette pommade à l'infirmier du clan le jour fatidique où ma petite-sœur s'était blessée au sein même de la maison. Comme quoi, on n'était en sécurité nulle part. Quoiqu'il en soit, elle fonctionnait et c'était bien le plus important.

Je me concentrai donc à nouveau sur ce qu'allait me dire Loukas, me demandant bien ce qu'elle avait été faire chez le misogyne de service. Et le réponse me perturba d'autant plus. Devais-je être en colère, amusé, perplexe, content ? Les quatre à la fois ? Se jeter dans l'antre du dragon qu'était Samuel ne se faisait jamais sans risque mais au vue de la réaction de l'idiot, les risques avaient été mal évalués. Loukas, cependant, y était allée sans prendre de gants...et je pouvais aisément m'imaginer la scène. Samuel s'était probablement senti acculé voire insulté d'avoir été abordé de la sorte. Ce n'était pas tous les jours qu'une jeune femme lui adressait la parole sans baisser les yeux. Et il avait répondu de la seule manière dont il était capable...par la violence. Ce type avait de sérieux problèmes de gestion de la colère...entre autres parce que des problèmes, il n'en avait pas qu'un ! Et j'allais devenir son problème numéro un s'il s'en prenait ne serait-ce qu'une fois de plus à Bonnie.

C'est un vrai crevard. Il ne fait déjà pas grand chose pour le clan, il doit trop se fixer dans la glace, son incompétence l'étouffe...c'est ça qui le rend si hostile, lâchai-je pas vraiment prêt à pardonner cette histoire à Sammy de si tôt.

Je ne comprenais pas non plus pourquoi Bonnie y était allée seule. Elle aurait pu me prévenir, je l'aurais accompagnée.

T'aurais pas du y aller seule. Ce type te déteste. C'était inconséquent ! La prochaine fois, tu ne penses pas à passer le bras dans sa cage, continuai-je en m'efforçant à ne pas élever la voix et ce, même si Jo ne pouvait de toute façon pas nous entendre. En fait, non. La prochaine fois, tu ne penses même pas à y aller sans moi.

Soupirant, je m'assurai une dernière fois d'avoir bien appliqué la pommade sur tous les hématomes de Bonnie avant de lui glisser le pot dans la main. Il valait mieux qu'elle le garde si les douleurs venaient à ressurgir.  Je repris ensuite ma place sur mon lit, réfléchissant à ce que m'avait annoncé Loukas. Ce crétin n'était donc pas si secoué que ça à l'idée que je lui prenne sa place ? Vraiment ? Je balayai rapidement ses pensées de mon esprit. Au fond, je m'en fichais bien qu'il soit heureux ou non, cela n'allait nullement empêché mon ascension dans l'échelle sociale des Dragons...Il me suffirait simplement de garder un œil sur lui une fois notre but atteint.

Parce que tu risques d'être virée des Espions ?, dis-je perplexe. J'étais au courant des nombreuses plaintes à l'encontre de Loukas mais je n'avais jamais cru penser qu'ils iraient jusqu'à la menacer de renvoi...ce qui n'était pas prêt d'arriver. Il était hors de question que Loukas devienne de la chair à canon. Qui a encore eu cette brillante idée que j'ajoute son nom à la liste ? Cela dit, ce serait bien que tu fasses quand même plus d'efforts.

Jayden avait un point de vue hostile sur Samuel et il n'avait pas totalement tort. Seulement, je n'étais pas aussi certaine que lui qu'il était incompétent. Il avait géré très correctement le clan jusqu'à l'arrivée de Chad. Peut-être que c'était l'arrivée de ce mec qui l'avait poussé à s'enfoncer dans la suffisance et l'inutilité. C'était difficile à dire. Et je ne tenais pas vraiment à m'enfoncer dans la tête de ce gars, c'était bien trop le bordel sous sa caboche de tordu.

« Si ça se trouve, le jour où on l'aura débarrassé de l'autre con, ça ira mieux. Tu n'étais pas encore un Dragon à cette époque là, mais il n'y a pas si longtemps, Sammy était différent. Plus efficace, moins renfermé, et réellement fier d'être Chef de notre clan. »

Par contre, Jay n'avait pas tort, Sam me détestait. Je ne savais pas exactement pourquoi, mais je supposais que cela devait avoir un rapport avec le fait que je le mettais mal à l'aise. En plus, il n'aimait pas vraiment les filles et malheureusement, j'en étais une. Nous partagions ce même point de vue, mais j'avais un double détail qui m'empêchait de le partager avec lui en étant crédible.

« C'est bon, j'irais plus l'voir. »

Je fus ravie qu'il me remette le pot de crème, j'en aurais probablement encore besoin au vu de la poigne de notre Chef. Et je me voyais mal expliquer à l'Infirmier pourquoi j'avais besoin de pommade calmante. Lorsque Jay alla s'asseoir sur son lit, j'en fis de même et m'installais à ses côtés.

« La rumeur se répands chez les Basiques. Certains se voient déjà à ma place. Ils se plaignent en disant que c'est du favoritisme. Je ne pense pas que Commander ait demandé mon retrait pour le moment, mais elle pourrait le faire si ça continue. Surtout si ça engendre des problèmes dans l'équipe. »

Sa dernière remarque me révolta par contre.

« Mais je fais des efforts ! La preuve, Commander m'a traité trois fois de phacochère cette semaine ! C'est facile pour toi, tu es dans une équipe cool, mais moi je dois me farcir Thalia et des exercices trop chiants. »

La théorie que Loukas avança me laissa de glace. Je n'avais connu que le Samuel incompétent, imbu de lui-même et incapable de se remettre en question. Je n'avais toujours vu que le dévouement de Chad, la masse de travail non négligeable qu'il abattait pendant que son chef faisait on-ne-savait-quoi. Je ne portais pas Chad dans mon cœur non plus à vrai dire. Et peut-être que oui, peut-être qu'il était responsable de ce changement chez son ami. Peut-être que l'arrivée du Second avait délivré Samuel des charges qui lui incombait, qu'il en était soulagé et qu'il s'était lentement mais sûrement enfoncé dans cet état de complaisance nonchalante. Alors oui, peut-être qu'une fois Chad envoyé sur les roses, Samuel se rependrait mais en avais-je vraiment envie ? Il était toujours plus facile de faire chuter un chef pour incompétence chronique qu'un chef n'ayant rien à se reprocher.

J'espère que ce jour n'arrivera jamais et qu'on aura vite fait de se débarrasser de ce duo au complet, lançai-je de mauvaise foi, je n'avais pas tant de griefs envers le chef des Dragons en temps normal, il m'amusait même. Mais il avait touché à Loukas et cette agression me restait en travers de la gorge.

Loukas ajouta alors qu'elle n'irait plus le voir. C'était une bonne chose. Ce mec était trop imprévisible que pour la laisser seule avec lui. Hochant la tête, satisfait, je m'adossai un peu plus au mur qui jouxtait mon lit, faisant de la place pour que la jeune femme puisse prendre ses aises. Je l'écoutai alors qu'elle m'en disait plus sur cette histoire de renvoi, mon front se plissant d'irritation au fur et à mesure de son discours. Il y avait toujours eu des histoires de jalousie et de compétition entre spécialistes mais aussi et surtout en spécialistes et aspirants. Ces derniers étaient prêts à n'importe quoi pour gravir les échelons et se voir offrir une véritable place au sein de l'équipe d'élite. Et à ce niveau-là, Loukas était une cible facile pour eux, elle était en queue du peloton du groupe des espions. Mais cela ne voulait absolument rien dire. Je ne pensais pas avoir assez d'influence que pour pousser Commander à garder une membre inutile dans son équipe. A vrai dire, Commander m'avait toujours parue incorruptible. Il ne pouvait donc pas y avoir de questions de favoritisme. La lieutenant ferait ce qu'elle estimait bon pour son équipe. Si ces aspirants ne faisaient pas encore partie du groupe, c'est qu'ils n'en avaient pas le niveau. Grognant d'exaspération, je me tassai un peu plus sur place.

Aucune chance que ça n'arrive, je ne les laisserai pas faire. Tu seras virée le jour où Violette fera vœux de chasteté, affirmai-je confiant et remonté à cause de cette histoire.

Je me déridai bien vite cependant que Loukas se défendit de ne pas faire d'efforts. Je laissai même échapper un léger rire à l'appellation de phacochère. Cette Commander avait de l'imagination dans ses sobriquets. Et je fus même tenté d'imaginer dans quelles circonstances Bonnie avait hérité de ce gracieux surnom. La suite de sa justification me parut bien absurde. Mon équipe ? Cool ? Cela se voyait que ce n'était pas elle qui devait se farcir les entraînements parfois sans queue ni tête de l'équipe. Michael était loin d'être un lieutenant organisé et crédible. A vrai dire, il était si peu concerné par notre sort que l'on passait des jours à s'entraîner sans lui. Je m'amusais énormément dans mon équipe, je ne pouvais pas mentir à ce sujet. J'adorais, par exemple, faire sortir Violette de ses gongs tant c'était facile et drôle ; j'adorais inventer des jeux puérils qui n'avaient pour objectifs que de me divertir. Mais je ne pensais pas que mon équipe soit spécialement plus agréable que celle des espions. Après tout, il y avait encore cette histoire de compétition qui était bien plus exacerbée chez les fines lames que partout ailleurs à mes yeux.

Une équipe cool ? Entre Michael qui en fout pas une pour un lieutenant et la furie de Violette qui brasse de l'air en permanence en me vrillant les tympans. Y en a pas un de normal, à part Icare et encore, Icare, il est tellement discret qu'il pourrait briguer un poste chez vous.

« Ce serait louche s'ils perdaient tous les deux leurs places sur une période trop courte, il faudra prendre ton mal en patience. Puis, avec ou sans Sam, ce ne sera pas facile d'entrer dans les bonnes grâces des Dragons. »

Le sous-entendu était facile à deviner. Jayden était un non-natif et ils étaient nombreux à ne pas être prêts à voir quelqu'un comme lui prendre la tête du clan. Nous étions un clan de traditions et certaines étaient tenaces. Même des non-natifs ne voulaient pas quelqu'un comme eux au sommet, c'était dire. Clan de tarés. Parler de mon statut au sein de mon équipe n'était peut-être pas la meilleure des choses pour la tranquillité d'esprit de Clyde, mais il le saurait bien assez tôt. Et puis, s'il savait, il pourrait peut-être trouvé une solution. Je craignais de voir venir le "Il faut en faire plus", mais bon. J'eus un début de fou rire devant son affirmation, mais la suite me poussa vite à faire la moue. Chameau ! Je savais qu'il finirait par le dire. Je lui balançais un coup de poing avant de me laisser tomber contre son épaule. Il abusait, mais voilà, il était confortable.

« Tu fais genre, mais tu t'emmerderais si elle n'était pas là. Puis si je pouvais, je t'échangerais avec plaisir Icare contre cette vipère de Thalia. Cette nana me pompe l'air, mais d'une de ces forces. »