Parfois, Seth se levait avec la désagréable sensation que rien n'allait se passer comme prévu. En ouvrant les yeux, il avait fixé le plafond dégradé de son logement avec lassitude. Allongé sur son lit, le torse nu, il se dit qu'il faisait déjà drôlement chaud et que sa garde n'en serait que plus difficile. Il avait surveillé les frontières durant une partie de la nuit et la personne qui l'avait relayée lui avait annoncé qu'il devrait aussi prendre quelques heures à la vigie durant l'après-midi. L'idée lui plaisait moyennement, il aurait préféré pouvoir s'entraîner au maniement du sabre mais ce n'était pas comme s'il avait le choix. Laissant échapper un soupire, l'aigle redressa le buste et s'assit sur sa couche en se grattant la nuque. Ses mèches avaient été récemment coupées et avoir le cou si dégagé le perturbait encore un peu. Il avait passé ces derniers mois avec les cheveux mi-longs et le changement se faisait plus brutal qu'il ne l'avait pensé. Étouffant un bâillement avec sa main, il bascula ses jambes hors du lit et se mit debout. Presque aussitôt, il se laissa tomber vers l'avant et se réceptionna sur ses paumes, entamant une série de pompes. C'était la première chose qu'il faisait en se levant et il ne se sentait pas pleinement réveillé tant qu'il n'avait pas fait un minimum d'efforts. Il fallait croire que son cerveau avait besoin de ça pour se mettre en route. Une fois son corps chaud, il entreprit de mimer quelques mouvements d'escrime. Sans arme, le spectacle était assez étrange. Heureusement, personne n'était là pour le regarder. La suite fut tout aussi habituelle. Seth se passa de l'eau sur le visage, avala un peu de ses rations et commença à s'habiller. D'abord un t-shirt, puis vint le tour du pantalon. Lorsqu'il enfonça le pied dans la jambe, il fut surpris d'entendre un « crac » peut rassurant. Baissant les yeux, il constata avec horreur une importante déchirure par laquelle passait son pied nu.

— Merde ! C'est vraiment pas le moment.

N'ayant rien d'autre sous la main, il termina d'enfiler le jean en prenant garde de ne pas agrandir le trou qui s'étendait tout le long du mollet. Il y avait plus glamour et ce n'était même pas pratique. Avant d'aller au QG, il devrait donc faire en sorte de trouver quelqu'un pour réparer les dégâts. C'était une perte de temps de se diriger vers la zone industrielle mais jusqu'à preuve du contraire, les couturières ne tombaient pas du ciel.

En sortant de chez lui, il se retrouva nez à nez avec une fille. Enfin pas vraiment nez à nez vu qu'elle était de l'autre côté de la rue, mais ils étaient pile en face l'un de l'autre. Surprit, Seth s'arrêta et la regarda. Les yeux de la demoiselle étaient fixés sur lui sans qu'il ne comprenne pourquoi. Il pensa un moment que c'était l'état de son pantalon qui la poussait à le regarder mais elle était beaucoup trop statique pour ça. Curieux, il s'avança un peu et l'aborda sans trop savoir pourquoi.

— Tu vas bien ?

Et puis, un détail le frappa. Il fallait croire qu'il devrait revoir son point de vue sur le fait que certaines personnes tombaient du ciel.

— Ton visage me dit un truc... Tu ne serais pas couturière ?

Piteusement, il baissa les yeux vers le trou dans son pantalon.


HS : Sorry pour l'attente et la situation un peu bancale, j'ai eu du mal à trouver un démarrage ^^'

Incrédule, Seth écouta la fille. Elle n'avait pas tort, sa question était stupide. Elle n'avait pas l'air d'aller particulièrement mal, elle était juste perdue dans ses pensées. La façon dont elle haussa les épaules le laissa à penser qu'il la dérangeait. C'était même certainement le cas. Étrange, elle lui avait pourtant semblé sociable en règle général les fois où il l'avait croisé. Enfin chacun avait ses lunes et ce n'était peut-être tout simplement pas une bonne journée pour elle. En temps normal, il serait simplement parti, oubliant l'affaire, mais il y avait toujours son petit problème de pantalon.

— Étrange, tu ne passes pourtant pas inaperçue.

C'était un compliment. Maladroit, certes, mais il n'avait jamais été très à l'aise avec les filles. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir cette jeune femme superbe. Et puis, il y avait quelque chose d’intrigant dans son regard qui n'avait rien à voir avec la beauté. Il fallait dire aussi que Seth avait toujours eu bonne mémoire et qu'il observait beaucoup les personnes qui évoluaient dans le même environnement que lui.

La réaction de la jeune femme le dérouta un peu. Elle avait du cran en tout cas. Et raison dans les faits.

— Je suis désolé. Un peu gêné, il glissa une main dans ses cheveux. Je me suis battu contre mon pantalon et il faut croire que c'est lui qui a gagné.

Ce n'était pas qu'une tentative pour détendre l'atmosphère, il était vraiment désolé de lui donner du travail en plus.

— Euh...

L'idée de se retrouver en caleçon dans la rue ne le dérangeait fondamentalement pas mais cela pourrait ennuyer les gens qui passeraient. La réplique de la soumise le fit néanmoins rire et il désigna la bâtisse derrière lui de la main.

— J'habite juste en face, si cela ne te dérange pas de te déplacer là-bas, ce serait peut-être plus pratique.

Mal à l'aise, Seth gratta mollement son début de barbe. Son compliment n'avait pas vraiment eu l'effet escompté. Il ne connaissait cette fille que de vue, mais il se sentit soudainement proche d'elle. Il y avait quelque chose dans son discours qui lui rappelait le sien. Ou du moins celui qu'il adoptait lorsqu'il était enfant. Après tout, il était lui aussi un oiseau qui s'était trompé de nid.

— Je crois comprendre.

Ce n'était pas des paroles en l'air. Il aurait pu continuer à parler, développer son point de vue, mais il ne voulait pas l'ennuyer avec ses histoires. Il venait déjà de l'accoster dans la rue pour lui demander de l'aide, il n'allait pas en plus lui raconter sa vie alors qu'elle cherchait peut-être juste la tranquillité.

Seth fut soulagé en l'entendant rire. Il était plus agréable de la voir un tout petit peu enjouée, elle paraissait plus vivante. L'instant ne dura pourtant pas longtemps et il se demanda ce qui avait bien pu lui arriver. Elle semblait différente de cette fille qu'il avait parfois aperçu sur le territoire. Une nouvelle vague de soulagement le traversa alors qu'elle acceptait de lui donner un coup de main. Miracle, il ne devrait pas faire sa garde à moitié à poil.

— Merci beaucoup. Considère que je t'en dois une. Enfin non, même sans ça je t'aurais dépanné si jamais tu m'avais demandé quoi que ce soit un jour. Oublie ça.

Seth se demanda un instant qui était celui qui n'avait pas la capacité de se repentir, mais il abandonna vite cette réflexion. Ce n'était pas ses affaires. Swann s'empressa ensuite de demander à une fille qui passait par là de lui ramener le matériel nécessaire pour réparer le pantalon et elle indiqua au jeune homme qu'ils pouvaient déjà aller chez lui.

— D'accord.

En lui indiquant de le suivre, l'aigle se dirigea vers son logement. Poussant la porte, il pénétra rapidement à l'intérieur et attendit qu'elle soit passée pour refermer et ainsi conserver la fraîcheur relative des lieux.

— Est-ce que tu veux un peu d'eau ?

Il faisait chaud dehors et il ne fallait pas longtemps pour terminer desséché. Se dirigeant vers sa réserve, il remplit une tasse en métal et la lui tendit.

Comme tout le monde, Seth avait des oreilles et il savait s'en servir. Autant pour écouter les personnes avec qui il parlait que pour percevoir les rumeurs qui tournaient dans le clan. Il n'était jamais ouvertement sociable et se contentait d'un cercle d'amis restreint, mais il avait souvent eu l'occasion d'entendre des choses. S'il n'en tenait généralement pas compte, il les gardait par contre en mémoire. Il savait donc ce qu'il se disait sur Swann et quelques observations lui avaient vite permis de comprendre qu'elle n'était pas comme le disait la rumeur.

— Non, ça fait du bien de parler parfois.

Il lui adressa un sourire sincère. Il ne comprenait peut-être pas tout, mais il percevait au moins un soupçon du problème et c'était déjà bien suffisant pour ressentir un peu d'empathie à son égard. Encore que cette jeune fille n'avait pas exactement l'air de vouloir que l'on la plaigne ou que l'on s'intéresse à elle. Elle avait plutôt l'attitude de quelqu'un qui voulait se faire oublier. Ou alors il se trompait et était complètement à côté de la plaque. Seth n'était pas vraiment un expert en la matière.

— Ta tâche ne définit pas forcément qui tu es. Je veux dire, je suis une sentinelle mais ça ne veut pas dire que ce rôle me colle à la peau. Protéger le clan ne me dérange pas, mais j'ai d'autres ambitions. Elles sont peut-être vaines, mais je ne veux pas les oublier.

Il ne savait pas trop pourquoi il lui disait ça. Peu désireux de réfléchir à ce genre de choses, il haussa vaguement les épaules et chassa ces pensées de son esprit.

— Pour une fois que j'ai une invitée, je peux bien me priver un peu.

Il lui tendit donc la tasse et attendit qu'elle l'ait prise pour retourner se servir un peu d'eau qu'il avala d'une traite. Sa garde serait probablement encore dure aujourd'hui au vu de la chaleur.

Seth l'écoutait. Il était simplement attentif à sa présence et appréciait le moment qu'il passait ici. Il avait encore un peu de temps avant l'heure de sa garde et il ne voyait aucune raison de se presser. De la presser même. Il n'aurait même eu aucun scrupule à arriver en retard si la situation l'exigeait. Après tout, ce n'était vraisemblablement pas tous les jours que Swann parlait à quelqu'un et il aurait été idiot de briser cet élan. Elle-même lui signifia qu'il était agréable de parler avec quelqu'un de conciliant ce qui le poussa à sourire. Etait-il conciliant ? Seth ne savait pas trop. L'important était qu'il prenait ça pour un compliment. Elle l'avait dit en ce sens, il l'avait donc pris aussi simplement.

Lorsque qu'elle lui dit qu'elle devrait adopter un peu plus son mode de pensée, il s'en trouva étrangement gêné. Il ne savait pas trop où se mettre. Seth ne pensait pas que ses réflexions étaient les meilleures, pour lui chacun devait juste agir de la façon qui lui convenait le mieux. C'était une affaire personnelle, un choix qu'il valait mieux prendre en son fort intérieur. Mais Swann avait tiré quelque chose de positif de son discours. S'accrocher à ses envies était bien la meilleure chose à faire. Enfin selon Seth.

— Nous n'avons pas choisis de vivre cette vie alors autant profiter des maigres décisions qui s'offrent à nous.

Parler avec Swann était aussi terriblement salvateur pour Seth. Ces derniers temps, il avait oublié ses objectifs, ses envies. Ces petites détails qui faisaient battre son coeur et lui permettaient de vivre vraiment. La discussion lui permettait de se recentrer, de retrouver son chemin initial en quelque sorte. Il fallait croire que cette rencontre aurait un bon impact sur les deux aigles même si le résultat serait différent.

Tranquillement, Seth alla s'adosser au mur et il fixa doucement son invitée. Il la trouvait touchante.

— Alors discutons encore. De tout, de rien. Je vais peut-être paraître ridicule en te disant cela, mais je serais honoré d'être ton ami.

Il était sincère et ce n'était pas une déclaration faite à la légère.

Cette discussion avait quelque chose d'irréelle. Qui aurait pu dire une heure plus tôt qu'une amitié allait se lier ici. Entre une soumise et un membre qui ne se connaissaient pas vraiment avant d'être confrontés par le hasard. En entendant la réponse de Swann, le sourire de Seth s'élargit. Il était réellement heureux. Sa maladresse était légendaire, mais elle avait pour une fois eu un sens et il gagnait désormais une compagnie qui serait assurément importante dans sa vie. Comme quoi, le destin pouvait même se trouver dans les gaffes.

— Avec plaisir ! dit-il avec enthousiasme.

Seth était à la fois gêné et heureux d'être sa première décision. Il était bien incapable d'effacer cet énorme sourire qui lui mangeait le visage. Swann était plus modérée dans le sien, mais il se doutait que cet étirement de lèvres qu'elle affichait était une victoire parce qu'il était vrai.

— Je n'en doute pas.

Il souriait encore. L'aigle se fichait bien de ce que les autres pouvaient raconter. Il la croyait sincère et c'était tout ce qui comptait. Et qu'importe qu'elle ne soit pas du genre facile tant qu'elle ne jouait pas un rôle avec lui.

— Je suis une bonne poire trop patiente qui fait des gaffes. Certains disent que je suis un boulet même. Et je suis absolument nul avec les filles. Mais je n'abandonne jamais personne. En fait, je suis le gars qui s'accroche trop et qui se retrouve comme un con à la fin de l'histoire. Et je devrais peut-être te brosser un portrait plus flatteur avant que tu ne fuis à toutes jambes.

Seth se montrait trop sincère tout d'un coup. Il rit un instant de sa stupidité et s'ébouriffa les cheveux. Il n'était pas vraiment gêné même si intérieurement il s'était traité d'idiot. C'était juste particulièrement bizarre.

— Mais comme ami, je ne m'en sors pas trop mal. On ne peut pas avoir tous les défauts.

Swann riait. Swann riait et Seth ne savait plus exactement où se mettre. Il ne s'était pas attendu à ce que ses paroles aient cet effet là, mais il en était au fond ravi. C'était un spectacle de voir la brunette rigoler. C'était même agréable et il sentit son cœur se réchauffer un peu. Quelque chose lui disait que cela n'avait pas dut arriver depuis longtemps. Sa première pensée fut de se dire qu'elle était jolie lorsqu'elle riait, mais il ne voulait pas la réduire à la beauté. Il aurait eu cette pensée avec n'importe qui que ce soit une femme ou un homme. Quelqu'un qui riait, qui laissait transparaître un peu de joie, c'était toujours beau. En passant la main dans ses cheveux, Seth pensait qu'il était bien content qu'elle ne soit pas capable de lire dans ses pensées car c'était très incohérent là-haut. Mais Seth souriait toujours parce que Seth était heureux et qu'il avait tendance à sourire facilement. C'était une des raisons pour laquelle on ne le prenait pas vraiment au sérieux. En plus de son incommensurable talent pour faire des gaffes. Heureusement, il était travailleur et pouvait aussi se montrer extrêmement efficace ce qui faisaient oublier ses petites bourdes.

Seth écouta tranquillement les paroles de l'aigle qui se montrait de plus en plus bavarde. Leur serment d'amitié était tout frais, mais elle lui confiait déjà quelques détails à son propos. Il aimait en apprendre plus sur la vrai Swann et il était en cet instant prêt à passer les prochaines heures à l'écouter parler si elle en ressentait le besoin ou l'envie. Son discours laissa en effet à Seth une impression de déjà-vu. Il se reconnaissait pas mal dans les mots qu'elle avait choisi d'employer. La chute le laissa malgré tout songeur. Elle avait dit avoir un complexe avec les hommes et il hésitait sincèrement à approfondir à ce sujet. Silencieux, Seth observa un instant son visage en pesant le pour et le contre. Avant qu'il n'ait pu se décider, elle continua ce qui le poussa à garder ça dans un coin de sa tête. Il serait toujours temps de lui demander plus tard.

En l'entendant, Seth se sentit un peu gêné. Le sourire timide de Swann l'affectait. Cette sorte de compliment songeur ne le le laissait pas non plus de marbre. Il en était à se demander ce que Swann avait bien pu vivre pour qu'elle se suffise de si peu pour le considérer comme un bon ami quand quelqu'un fit irruption dans la maison. La bulle éclata lorsque l'intrus entra. C'était une fille qui bien qu'elle avait frappé n'avait pas attendu une quelconque réponse. Seth fut un peu choqué par un tel culot, mais il se décomposa littéralement quand la demoiselle fit un commentaire. Une légère rougeur passa sur ses joues et il leva les mains pour stopper les folles idées de la couturière. Avant qu'il n'ouvre la bouche, Swann intervient néanmoins avec humeur et il se trouva bien bête lorsqu'il se lança dans une explication qui allait sûrement l'enfoncer plus encore.

— C'est pas du tout ce que tu crois. On avait une discussion. Comme des gens civilisés. Et cette discussion n'avait rien à voir avec ça. dit-il dans un souffle gêné.

Oui dire ça, c'était la honte, mais la honte était une amie intime. Il sentait d'ailleurs venir les vannes des autres membres à ce sujet si cela se savait. Pas qu'il n'avait pas l'habitude. C'était bien connu qu'il n'était pas un as avec les filles et qu'il se contentait de laisser venir. Mais là, il risquait d'en entendre parler durant un moment. Dépité, Seth plaqua sa main contre son visage et laissa passer un soupir en maudissant sa malchance. Lorsqu'il libéra ses yeux, ce fut pour lancer un regard légèrement implorant à la nouvelle venue.

— Si tu pouvais éviter de colporter des rumeurs stupides dans tout le clan, ça m'arrangerait. Un peu de pitié sauverait ma dignité déjà meurtrie.

Seth pouvait toujours essayer, la mine de chien battu marchait parfois. Il lança un bref regard à Swann, s'excusant pour tout ça d'un clignement de paupières. Il espérait que cet événement n'aurait pas un mauvais impact sur leur amitié. Il ne la connaissait pas encore très bien, mais il craignait qu'elle se sente coupable ou quelque chose dans ce style là. L'aigle était donc assez impatient de voir l'autre fille partir pour qu'ils puissent parler librement. Il évita néanmoins de le laisser paraître pour éviter que son imagination galopante ne se remette en route.

Oui, Seth s'enfonçait. Il n'avait pas vraiment besoin que Swann lui souffle l'information pour le comprendre. Néanmoins, il appréciait l'effort sous la piqûre infligée à sa fierté. Il se tournait en ridicule comme il le faisait si souvent. Seth n'était pas toujours bien fier de cette facette de lui-même, mais il avait du apprendre à faire avec. Il était ce qu'il était et même s'il pouvait faire en sorte de tendre vers le changement dans le futur, il ne voulait pas devenir quelqu'un de différent. Car il savait que cette maladresse et cette sincérité faisaient aussi sa force. Son ridicule faisait rire les autres. S'il se fichait finalement bien des moqueries, il pouvait apprécier bien plus de voir quelqu'un rire innocemment de ses gaffes. Mais il n'était pas un clown pour autant et il ne voulait pas être perçu comme tel. Il voulait avoir la chance de dessiner ce qu'il était en respectant les contours déjà établis, mais en ajoutant juste des détails. Il voulait que ses efforts soient récompensés car il avait travailler dur. Il estimait qu'il ne le faisait pas encore assez et qu'il avait encore un long chemin à parcourir. A dix-neuf ans, on pouvait être un membre accompli, mais on était pas encore un homme. Et c'était ce qu'il voulait être. Un homme digne de ce clan qu'il chérissait. C'était pour cela qu'il voulait voir ses efforts aboutir. Pas pour une histoire d'orgueil, mais bien pour les siens.

Swann était gêné et Seth l'était tout autant. Il s'en voulait indéniablement de la mettre dans pareille situation et il chercha une façon de rattraper le coup. Heureusement, il ne mit aucune de ses idées en pratique. Tout ça n'aurait conduit qu'à les enfoncer un peu plus et aurait renforcé l'idée que se faisait la couturière. Cette dernière s'était d'ailleurs approchée et elle joua du coude contre Seth qui se décala maladroitement. Il n'avait même pas eu l'occasion de répondre à la boutade de Louane que déjà les deux filles se chamaillaient gentiment. En réponse à tout ça, Seth partit dans un grand éclat de rire. La situation cocasse et toute la tension dans la pièce avait finalement eu raison de lui. Il rit à en perdre haleine, une main sur son estomac et l'autre accroché au dossier d'une chaise. C'était aussi ridicule que la situation l'était. Des larmes de joie débordant des yeux, il laissa son regard passer d'une fille à l'autre.

— Vous êtes vraiment drôles toutes les deux.

Seth ne se moquait pas. Son rire n'était peut-être pas forcément justifié non plus, mais il était venu comme ça et maintenant qu'il l'avait évacué, il se sentait moins tendu. Toujours aussi maladroit, mais la gêne avait disparue. Il essuya le bord de ses yeux et stabilisa doucement sa respiration avant de reprendre avec un peu plus de sérieux bien que son sourire restait énorme sur ses lèvres.

— Sincèrement Lou... Lou de quoi est-ce le diminutif ? Il marqua un arrêt, réellement intéressé comme toujours, avant de continuer. Je ne comprends pas que tu ais pu te faire une telle idée. Un gars comme moi ne peut espérer que de l'amitié de sa part. On est pas au même niveau, tu comprends ?

Et il était sincère. Seth n'avait jamais eu une confiance en lui énorme et cela se remarquait d'autant plus avec les femmes. Et face à une femme comme Swann, il ne faisait vraiment pas le poids.

— Mais même si on l'était, ce ne serait qu'un détail. Je suis son ami, c'est tout.

Il haussa les épaules, geste simple dénué de lassitude ou de défaite. Il ne voulait pas plus. Il n'attendrait jamais plus. Il y avait des relations comme ça. Des amitiés qui se nouaient de façon étrange et qui ne pouvaient pas être d'autres choses que des amitiés. Et puis, il y avait l'amour, l'attirance, et toutes les autres cases qui lui semblaient si complexes. L'amitié était plus simple, plus saine. C'était avant tout ce qu'il recherchait et c'était probablement parce que son cœur était resté (restait ?) bloqué trop longtemps sur quelqu'un. L'amour était douloureux et trompeur. Il pourrait s'en passer (un jour ?). Mais il lui faudrait toujours l'amitié dans sa vie.

Voilà qu'il se mettait à rire. Ce n'était pas un rire discret, d'ailleurs. Non, c'était celui qui venait des tripes et qui se faisait entendre dans toute la pièce et sûrement plus encore. Au moins, j'avais pu comprendre qu'il venait du cœur, que c'était l'un de ces rires sincères qui vous prend sans que vous ne vous y attendiez. De toute façon, du peu que je connaissais ce Seth, je m'étais aperçue que ce n'était pas son genre de se moquer. Il était gentil. Pas faible. Oh non, il ne me semblait pas faible. Un quelque chose dans sa façon de parler me prouvait qu'il était fort. En plus, être gentil ne veut pas forcément dire qu'on est faible. Mon cynisme à toute épreuve avait tout d'une faiblesse, au contraire de sa gentillesse et de sa sincérité. J'avais beau détester mon clan, il était totalement différent. C'était un Membre à part. Peut-être parce qu'il était parvenu à me percer à jour quand j'étais déjà perdue, depuis la remarque de Jéremy et celle de Jayden. Peut-être tout simplement parce qu'il était lui et nul autre. Si j'avais donné l'impression d'être vexée dans un premier temps, je souris timidement la seconde d'après. Le voir rigoler aux éclats là, devant moi, sans plus de cinéma me toucha quelque part. J'étais pourtant une fille fière. Une fille forte. Il était réellement parvenu à faire s'écrouler tout ce château de cartes qui me protégeait d'un danger que j'avais inventé sans m'en rendre encore véritablement compte. De son côté, Louane se prit dans le jeu et rigola à l'unisson avec lui. De mon côté, je rigolai mais plus discrètement. J'avais encore besoin de maîtriser ce qui me venait comme émotion. J'étais encore dans le contrôler maladif de peur de me dévoiler de trop. C'était ridicule, surtout après avoir été plus franche avant. Mais je rigolais quand même un peu.

« Elle ? Drôle ? Je dirais plutôt que c'est une fouineuse incapable de savoir où sont les limites. », ajoutais-je toujours fièrement. Pourtant, à ce moment ce mélangeait un peu de rigolade. De toute façon, on se chamaillait souvent sans être trop sérieuses. Là, je crois que je m'étais quand même montrée un peu sur mes gardes parce que je ne voulais qu'elle s'imagine n'importe quoi. C'était surprenant pour elle de voir que je me rapprochais à nouveau d'un garçon, d'un Membre qui plus est. Elle n'avait pas pu constater ça depuis fort longtemps. « Et Swann est une véritable coincée, si tu veux mon avis ! », Louane, quant à elle, jouait le jeu à fond. Je comprenais bien qu'elle voulait me pousser dans mes derniers retranchements et que dans le fond, elle était contente mais pour le coup, je la fusillai du regard. Et ça voulait dire à peu près ça : « Tu me le payeras ». Elle le savait bien.

Elle allait d'autant plus le regretter à cause du comportement que ça allait engendrer chez Seth. « C'est Louane ! », dit-elle avant qu'il ne continue sur sa lancée. Ce qui suivit me causa des pincements au cœur. C'était déchirant de sincérité. C'était affligeant. Je crois que je n'avais jamais ressenti ça jusque-là. Mon visage s'assombrit à force de la fatalité que je ressentais dans ces mots lourds de sens. Dans un premier temps, je ne sus quoi répondre. C'était déstabilisant. Comment pouvait-il ainsi se comparer à moi ? Nous n'étions si pas de parfaits opposés, des êtres avec des vécus différents et des mentalités différentes de par ce principe logique. Je voulus dire quelque chose mais je me ravisai rapidement, me mordant les lèvres. Ce qu'elle pouvait être stupide, cette Lou. Ce que je pouvais être stupide et puérile. « Tu... Tu vaux mieux que moi, Seth. », je venais de le lâcher. Moi qui suis pourtant si fière d'ordinaire. « Tu ne méprises pas l'autre sexe vainement. », j'étais sincère. J'avais la tête baissée quand je m'expliquais, comme gênée d'avoir entendu ce qu'il avait dit à notre sujet. « Tu es foncièrement gentil et c'est ce qui fait ta force. Moi, dans le fond, à part râler dans le vent, je ne fais rien d'utile. Je dis vouloir être utile, plus utile au clan mais je ne fais rien dans ce sens. », je comprenais soudainement le fossé qu'il y avait entre lui, Membre utile, gentil et sincère et moi, une Soumise qui foutait le boxon et qui n'était pas capable de voir la réalité en face, comme quand j'ai fui Jéremy pour une bêtise. Dans tout ça, Louane semblait plutôt embêtée et c'est pour ça qu'elle est restée muette. Elle comprenait qu'il valait mieux nous laisser débattre. Elle n'était pas bête.

Seth ne pouvait pas donner tort à Swann. Cette Louane semblait avoir une capacité assez hallucinante à mettre le nez là où on ne l'attendait pas. Seulement même si elle était une fouineuse sans scrupules, elle était aussi drôle. Surtout dans cette combinaison étrange qu'elle formait avec Swann. C'était un curieux duo qui le poussait à se poser des questions. Il ne connaissait pas bien la soumise bien sûr, mais il se demandait si elle se laissait titiller de cette façon par tout le monde. La réponse lui vient comme un non percutant. Louane devait avoir quelque chose de spécial. Swann ne lui donnait vraiment pas l'impression d'être une fille de foule se chamaillant avec d'autres femmes pour s'intégrer ou se faire remarquer comme il en voyait certaines faire. Le rire toujours au bord des lèvres, il observa leur gouaille. Il préférait regarder plutôt que d'y être vraiment intégré. C'était plus instructif et il n'avait jamais été très à l'aise quand quelqu'un comme Louane venait le titiller.

Face au discours de Seth, Swann restait muette. Il se sentit gêné. Peut-être aurait-il dû se taire ? Contrairement à certains autres hommes, Seth n'avait jamais été aveuglé par une fierté qui l'empêchait de parler de sentiments et d'émotions. Il pouvait être lâche dans certaines situations, mais lorsque son coeur avait quelque chose à dire, il le laissait parler. Pour autant, il ne savait pas comment réagir devant Swann. Elle était pour lui une sorte d'ovni sans pourtant lui sembler si étrangère que cela. Mal à l'aise, il passa la main dans sa nuque et un demi-sourire étira ses lèvres. S'il avait été drôle, il aurait cherché une vanne à sortir pour changer l'atmosphère, mais il ne l'était pas. Il n'était pas un rigolo, il était juste Seth le maladroit qui finissait par mettre les gens mal à l'aise.

Lorsque la voix de Swann brisa le silence, Seth se trouva tout perdu. Il ne savait pas tout, il le savait et c'était d'autant plus difficile de s'y retrouver. Seulement, il ne pouvait pas croire être mieux qu'elle. Il n'était pas si gentil que ça, après tout lui aussi pouvait avoir ses sautes d'humeur. Il détestait des gens par jalousie. Il était membre et se donnait à fond, mais parfois il venait à se demander quelles étaient ses véritables motivations. Son ambition avait été pure au départ, mais elle lui semblait de plus en plus sombre désormais et c'était peut-être pour cette raison qu'il avait été si rapide à mettre ses projets de côté. Peut-être qu'il n'était juste pas fait pour être ce genre de personne. Il n'était pas celui qu'il aurait voulu être pour réussir son plan.

— Je ne suis pas si gentil... souffla-t-il juste.

Seth ne savait pas quoi dire. Il aurait voulu montrer à Swann comme lui la voyait même si cela n'avait que peu de valeur. Seulement, il ne le pouvait pas.

— Si tu le veux vraiment et que tu n'y parviens pas, c'est que tu n'as pas encore trouvé ta place. Au moment où tu y seras, tout semblera logique. Prédestiné.

Il haussa légèrement les épaules.

— Enfin, c'est comme ça que ça c'est passé pour moi. J'ai été perdu pendant si longtemps et puis, un jour, c'est comme si j'avais eu la sensation de me trouver à l'endroit auquel j'appartenais.

Et en parlant de ça. Avec toutes ces conversations, ces évènements et cette ambiance bizarre, Seth avait oublié un détail crucial. Il travaillait dans pas longtemps et il était toujours sur le point d'y aller en caleçon. Il se racla légèrement la gorge.

— Euh... Je suis désolé de revenir avec ça, mais je dois commencer ma garde bientôt et... Ben les sous-vêtements ne sont pas exactement très pratiques pour le boulot.

Seth n'aimait vraiment pas avoir à se reposer de la sorte sur quelqu'un. S'il en avait été capable, il aurait réparé lui-même son pantalon pour ne déranger personne, mais malheureusement, il n'avait pas ces compétences. Et c'était bien, d'une certaine façon, puisque c'était grâce à ça qu'il avait pu faire cette rencontre.

Seth s’était montré bien silencieux pendant que j’étais occupée de me prendre le chou avec Louane. Dans le fond, c’était notre façon de fonctionner et de coexister. On ne se détestait pas vraiment. C’était même l’une de mes plus proches amies sur le territoire, avec Ayana, mais voilà, on ne pouvait pas faire autrement. Je comprenais cela dit que ça puisse paraître étrange vu de l’extérieur. Encore que, cette fois, nous faisions face à quelqu’un de relativement perspicace. Le jeune homme ne cessait de m’étonner. Il semblait voir clair en chacun. Peut-être était-ce parce que ma muraille ne tenait pas bien face à lui. Quelque chose d’extrêmement frustrant. Forcément, j’avais construit ce mur de protection depuis très jeune et en général, ça fonctionnait. Il faut croire qu’il me déstabilisait plus que je ne le pensais. Mais cette fois, je n’avais pas envie de fuir. Non, il avait ce quelque chose qui m’empêchait de lui faire du mal pour mieux m’en aller. D’ailleurs, il continuait dans sa lancée. Il semblait croire en moi plus que je ne l’avais jamais fait. Oh oui, j’étais capable de mentir à tout le monde, moi y compris, en disant savoir que j’étais quelqu’un de très bien et meilleur que les garçons du clan, en ventant des mérites que je ne reconnaissais même pas. Seulement, ce n’était clairement pas le cas. Et j’avais généreusement craché le morceau. Je m’étais vendue. Pour le coup, c’était à mon tour de le défendre. « En tout cas, tu l’es avec moi. Avec l’autre boulet aussi. Et c’est déjà un bel effort. Peu m’importe que tu ne le sois pas avec les autres, tu l’es quand on se parle. », ce n’était pas du pur égoïsme, même si ça semblait l’être. Je voulais juste lui montrer qu’il l’était dans ce cas-ci. Et dans tous les cas, ça ne me dérangeait pas de passer pour la plus égoïste des filles.

Quant à ses encouragements, je les acceptai étrangement. Bon, j’étais encore perdue parce que je n’avais clairement pas l’habitude d’exprimer ce genre de choses, donc forcément, je n’avais jamais ce genre de retour. De ce fait, je cogitai un bon moment. Si bien que j’en oubliai de répondre. Je n’étais satisfaite d’aucune réponse que ma tête s’apprêtait à renvoyer. Parfois, le silence prévaut. Côté non-verbal, je souris timidement, la tête hochée, lui montrant que j’avais pris en compte ce qu’il avait dit. J’allais sans doute continuer d’y penser par après. Je réagis néanmoins quand il me rappela pour son pantalon. Sans hésiter, je chassai Louane qui acquiesça et agis dans la seconde. « Je m’en charge tout de suite. », dis-je avant de m’installer dans un coin, concentrée, silencieuse et plutôt rapide. Une fois le travail achevé, je lui tendis son pantalon, fière à l’intérieure, un sourire un peu plus large se dessinant sur mon visage sans vraiment m’en rendre compte. Le non-verbal prenait rapidement le dessus, apparemment. Surtout en sa présence. Je ne me contrôlais plus. « Voilà ! Tu peux y aller quand tu veux maintenant. », j’attendais alors qu’il prenne ledit pantalon. « Je suis encore désolée pour le retard. », et je m’excusais encore. Je ne m’excusais pourtant jamais.

La réplique de Swann le fit sourire. Juste sourire. Seth passa maladroitement la main dans ses cheveux, ce petit sourire mi-heureux, mi-gêné au coin des lèvres. La jeune fille ne semblait pas mieux que lui, mais peut-être que ce n'était pas si mal que ça de ressembler à un duo d'idiots qui ne savaient pas exactement où se mettre.

Louane s'éclipsa et Seth lui adressa un petit signe de la main en guise d'au revoir. Swann avait déjà commencé à raccommoder son pantalon. Il l'observa avec attention, assez impressionné par sa dextérité. Cela semblait simple comme ça, mais il était certain qu'il fallait un certain talent pour arriver à un tel résultat. Elle termina bien plus rapidement qu'il ne l'eut cru possible et c'est avec étonnement qu'il récupéra le vêtement et fixa la couture discrète.

— Merci. Et ne t'excuse pas, c'est inutile. C'est plutôt moi qui devrait m'excuser de t'avoir dérangée pendant ton temps de repos. En plus maintenant j'ai un pantalon entier et grâce à toi personne ne saura pour ma maladresse.

Il lui sourit encore avant d'enfiler rapidement le pantalon. C'était nettement mieux comme ça. Il récupéra ensuite sa ceinture et y accrocha son couteau. Il n'aurait plus qu'à faire un passage au QG pour prendre une arme et il serait prêt pour le travail.

Seth se dirigea vers la porte et l'ouvrit pour Swann. Il allait quitter aussi la maison, mais un peu de galanterie n'avait jamais tué personne.

— Encore merci. Et on se recroisera. Ne compte pas sur moi pour disparaitre.

Je ne m’en étais pas rendu compte, pas vraiment de tout ce que cette rencontre m’avait apporté en si peu de temps. Certes, j’avais réalisé qu’il m’avait fait sourire mais je crois que je ne mesurais pas encore exactement la place qu’il venait de se créer dans mon petit monde, ce Seth. Il m’avait vue sans barricades. Il m’avait vue entièrement nue – c’est une métaphore, bande de pervers –, il avait découvert la véritable Swann sans difficulté, pas la moindre. Ce qui n’était pas donné à tout le monde. Louane était une fille, elle avait eu moins de problème à m’approcher, mais même elle, elle avait dû s’y prendre à plusieurs reprises pour que je ne sorte pas mes griffes. C’était totalement déconcertant. J’étais déstabilisée depuis ce moment. Je souriais bêtement. Lui aussi. On ressemblait à de parfaits imbéciles. Ce qu’on était stupides ! Ridiculement stupides. Je devrais bien vite en reparler avec Louane pour mettre les choses au clair. Pas question qu’elle fasse circuler je ne sais quelle rumeur. Enfin, ça pouvait attendre, ça. « Oh, ça me permet d’oublier le reste. Au fond, coudre me détend beaucoup. Et puis, je me serai enfin rendu utile au-delà de ma tâche en tant que telle. » C’était la toute première fois que j’avais l’impression d’avoir servi à quelqu’un. La première fois que je me sentais moins égoïste. « Grâce à toi. » J’avais à peine osé prononcer ces mots, discrètement. Je sortis la première. « Merci. » J’avais soufflé ses mots, sincèrement touchée et apaisée pour un petit moment. Je pouvais désormais déambuler dans le territoire sans penser à la moindre tâche. Ma journée de repos avait décidément bien commencé. J’étais sur un petit nuage, maintenant.