Rien n'allait bien. Cette journée avait décidément commencée d'une mauvaise façon. L'annonce de Eli à propos de l'état de Kim, la prise de pouvoir du blond ensuite et maintenant Swann. Non, ce jour ne s'annonçait vraiment pas bien. A l'heure actuelle, Seth avait repoussé bien loin ses deux premières sources d'inquiétude. Seule demeurait Swann qui lui donnait la sensation de se désagréger juste devant lui. Que s'était-il passé depuis leur discussion ? Elle semblait différente. Éteinte. Il s'en voulu immédiatement de n'avoir rien vu. De ne pas avoir été là. Il avait dit vouloir être son ami et pourtant il ne l'avait pas soutenue alors qu'elle se battait contre quelque chose. Il ne savait pas quoi et ne le saurait peut-être jamais, mais il voulait au moins l'aider. Même si c'était pour rester dans le flou, il voulait rattraper son absence en prenant au moins soin d'elle physiquement. C'était la moindre des choses. Quand elle lui annonça que ce n'était qu'un simple coup de fatigue, Seth ne l'a cru pas. Ce devait être beaucoup plus que ça. D'ailleurs son corps la trahissait. Elle était faible, il le voyait nettement maintenant et la toux qui sortit de sa gorge était alarmante. Seth lui fit face durant quelques secondes. Il pesa le pour et le contre des idées qui lui venaient en tête. Il voulait l'aider, mais il savait qu'il ne pouvait pas lui imposer les choses. Son premier réflexe était de l'emmener voir l'infirmier, mais quelque lui laissait penser qu'elle ne voudrait pas. Il sauta donc quelques idées avant de se décider. Pour le moment, il allait faire semblant de croire à cette fatigue tout en gardant un œil sur elle. Il aviserait après quand elle se reposerait.

Sans dire un mot, Seth pivota sur lui même et s'accroupit devant elle. Il avait les bras écartés et se tordait le cou pour avoir une vision de du visage de la jeune fille. Supposant que son geste ne suffirait pas, il finit par parler.

— Grimpe. Je te ramène chez toi. Et je ne prendrais pas un non pour réponse. C'est ça où je te porte comme un sac de patates sur mon épaule et je doute que ça te plaira.

Seth ne voulait vraiment pas arriver à cette extrémité, mais il aurait mis sa menace à exécution si Swann refusait. Il l'aurait fait pour la simple et bonne raison qu'elle ne devait pas peser plus lourd que le fameux sac et que ça, c'était une raison excellente pour passer à des mesures un peu plus sévères.

Les choses s'étaient précipitées depuis notre toute première rencontre. Je l'avais bien croisé depuis le jour où j'avais réparé son pantalon mais pas depuis la nuit de la rébellion, cette nuit-même où j'avais fait ce qui m'était interdit, à moi, simple Soumise. C'était peut-être mieux comme ça, en fait. Je ne suis pas certaine de la réaction qu'il aurait eue en me voyant me faire choper comme une débutante. Parce que je suis une débutante. C'était seulement la chance du débutant. Je n'avais jamais réellement utilisé d'armes auparavant. S'il y avait bien une personne que je ne voulais pas décevoir, c'était lui. Bien plus que n'importe quel ami. Il était beaucoup plus que ça. C'était indescriptible. Des amies, j'en avais un bon nombre. Je les appréciais et les respectais depuis toujours. Une fille n'avait jamais eu à franchir les remparts bien gardés de mon cœur, de mon être. Lui, oui. Tout simplement parce que c'était un garçon. Pourtant, il y était parvenu sans la moindre difficulté, sans la moindre résistance. Peut-être était-ce pour ça que je voulais faire des efforts, être une fille qu'il pourrait toujours respecter et regarder dans droit dans les yeux sans ressentir la moindre honte. Si je n'avais déjà pas pu me le cacher, j'en étais vraiment certaine, je tenais à lui et je ne voulais plus qu'il me lâche la main. Cela ne m'empêcha pas de lui mentir à cet instant précis. Je venais de lui mentir sans vergogne. Je m'inquiétais bien moins de mon état que de ce qu'il pouvait penser et je lui mentais... Je n'avais décidément toujours pas de logique. À moins que je ne sois rien de plus que ça : une fille tordue.

Entre nous, il n'était pas beaucoup plus logique. Il avait certainement bien plus important à faire. J'avais bien remarqué son regard quand on présenta Eli comme le Chef provisoire. Il fallait être aveugle ou totalement stupide pour ne pas comprendre qu'il ne voulait pas de ce blond comme Chef même si ce n'était que pour un temps déterminé. En plus, il était occupé avec quelqu'un d'autre, juste avant. Oui, il avait autre chose à faire que de s'occuper des cas perdus. Il n'était pas plus logique que moi. À moins que ce ne soit sa logique qui me dépasse ? De toute façon, tout me dépassait en ce moment. Avec un cerveau aussi lent que le mien, il avait évidemment le dessus. Il avait fait le premier pas, au sens figuré comme au sens propre. « Ce n'est vraiment pas nécessaire... », j'avais bien compris qu'il n'accepterait pas une telle réponse alors, dans un soupire qui m'épuisa également, je m'avançai vers lui, doucement mais sûrement. « J'ai toujours détesté les ordres. », je feignais de bouder telle une enfant qui devait rentrer chez elle alors qu'elle n'avait pas envie parce qu'elle n'était pas fatiguée, parce qu'elle devait encore terminer un truc, bref, toutes les excuses étaient bonnes dans ces cas-là. Et on était souvent de mauvaise foi. Je l'étais très clairement. Je n'avais pas envie de l'inquiéter et tout ce que je récoltais, c'était qu'il allait perdre du temps à s'occuper de moi.

Seth balaya sa maigre défense comme on chasserait une mouche. Elle pouvait dire ce qu'elle voulait, il n'était pas aveugle. Elle était dans un sale état. Il était hors de question qu'il la laisse ici dans ces conditions. Swann ne semblait vraiment pas en mesure de prendre soin d'elle-même pour le moment, il s'en chargerait donc à sa place. Elle bougea, mais ne monta pas sur son dos pour autant. Après un soupir un brin agacé, il se redressa pour lui faire face. Swann était bornée, il découvrait aujourd'hui toute l'ampleur de ce trait de caractère.

— Arrête de chipoter. Les amis ne donnent pas d'ordre, c'est plutôt une proposition très appuyée. Je veux t'aider parce que je m'inquiète pour toi. Je sais que c'est difficile de se reposer sur quelqu'un. Que c'est tout aussi difficile d'avouer sa faiblesse. Mais je tiens à toi alors je ne te laisserais pas ici.

La sincérité était la seule arme dont Seth disposait. Calmement, il se repositionna devant elle et attendit, un dernier détail glissant de ses lèvres alors qu'il regardait la foule qui se dispersait.

— Et ne t'imagine pas que c'est en jouant les dures ou en t'éloignant que tu feras ce qu'il y a de mieux pour moi. Plus tu vas me repousser, plus je serais derrière toi parce que je me fais du mouron. Évite-nous donc des manœuvres inutiles et monte.

J’avais très vite compris qu’il ne rigolait pas avec moi, pas que l’envie me vienne de rigoler. J’étais loin de vouloir le taquiner pour le moment. J’avais le sentiment de faire face à un mur incassable. Oui, voilà l’image qu’il me renvoyait à l’instant. Il n’avait plus rien du garçon timide de notre première rencontre. Pas que ça m’ait dérangé non plus. Je le trouvais touchant. Jamais je n’avais estimé un garçon avant lui. Jamais je n’avais trouvé le moindre garçon gentil, bien… alors touchant… Je ne l’avais jamais trouvé faible non plus. Mais là, c’était bien plus que ça. Il tenait bon face à ma mauvaise foi, face à mon caractère de cochon. Ça a toujours été trop difficile pour moi d’accepter la main de quelqu’un. J’étais trop fière pour ça. J’étais également loin d’être la fille la plus normale. Toujours trop tordue. Sincèrement, qui irait se lancer dans une bagarre comme celle de la rébellion chez les Jaguars ? Tordue. Complètement tordue. Et pourtant, il tenait le coup. Il persévérait. J’aurais préféré la facilité et de loin. J’aurais préféré l’énerver au point qu’il s’en aille mais mes efforts étaient ruinés avec tant d’habilité. Il était un rocher que je n’allais pas pouvoir déplacer de mon chemin. C’était bien ma veine. Je détestais la confrontation quand j’étais faible. J’avais été habituée à cacher mon malaise. Il l’avait compris de nouveau. Pourquoi fallait-il qu’il lise si facilement en moi ? Ne pouvait-il pas simplement être un crétin égoïste ? « … », ce fut tout ce que je pus dire. Je n’avais jamais été très loquace, mais là, c’était pire. J’avais beau être une empotée bornée et trop fière, je savais me reconnaître vaincue, cette fois en tout cas. Sans un mot, je me mouvais jusqu’à atteindre fébrilement son dos. Ce que j’avais l’air pitoyable. Il devait bien deviner à l’absence de mot et au visage fusilleur que je lui destinais que je n’étais pas contente de capituler de la sorte.

Une fois sur son dos, je réalisais que ce contact, j’y tenais énormément. Avant de le rencontrer, je ne m’entichais pas de relation amicale avec un garçon, je jouais les allumeuses et je n’en avais que faire du mal que je pouvais faire. J’étais égoïste alors pourquoi a-t-il fallu qu’il s’attache à moi ? Pourquoi a-t-il fallu que je m’attache ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement me blesser, lui aussi ? Pourquoi ne pouvait-il pas simplement ressembler à ce Libre qui n’avait aucune considération ? Au final, me montrer comme je le suis réellement, avec mes faiblesses, c’est l’une de mes plus grandes peurs. Et lui, il allait me voir avec mes nombreuses failles… Peut-être avais-je peur de lui sembler inintéressante ? « Tu es encore plus buté que la plus butée des Soumises… », il fallait que je surenchérisse, évidemment…

Swann ne parlait pas et il ne savait pas si c'était une bonne chose. Seth en était encore à se demander si elle avait juste choisi le silence face à lui, si elle était juste bouche-bée ou si elle cherchait les mots juste pour le faire partir. Aucune des solutions ne lui semblait vraiment bonne. Pour autant, il ferait avec. Il appréciait Swann et il n'était pas prêt à l'abandonner de cette façon. Donc, il attendit qu'elle fasse son mouvement. Si besoin, il adapterait sa stratégie, ce n'était pas un problème.

Finalement (miraculeusement), Swann choisit de prendre la bonne décision. La décision qui semblait bonne pour Seth, entendons-nous bien. Il la sentit s'accrocher à lui sans un mot et il lui fut difficile de retenir un petit sourire. Pas un sourire de victoire. Juste d'une certaine satisfaction teintée de soulagement car il allait ainsi pouvoir la mettre en sécurité. C'était idiot, mais il pensait qu'elle serait durant un temps sauvée d'elle-même tant qu'elle était sur son dos. Il allait se redresser quand elle parla enfin et cette fois, son sourire explosa sur ses lèvres.

— Merci pour le compliment.

Seth se savait buté après tout et il n'était pas particulièrement dérangé d'être ainsi comparé à une fille. Ce n'était pas qu'il aimait ça, mais il n'allait pas se sentir insulté non plus. Surtout pas quand c'était l'effet que recherchait Swann dans sa quête pour avoir le dernier mot.

Après s'être assuré qu'elle était bien accrochée, Seth se mit debout et s'équilibra avant de se mettre en route. Il lui fallut néanmoins très vite se rendre à l'évidence... Il ne savait absolument pas où elle vivait. Tout de suite, ça le rendait un peu moins crédible.

— Euh. tenta-t-il un peu mal à l'aise avant de se reprendre. Dans quel coin est-ce que tu vis ?

Si ça n’avait pas été Seth, je crois bien que j’aurais éclaté. Sa réaction n’était pas celle que j’avais espérée secrètement. C’était ça le plus frustrant. Il l’avait balancée d’un revers de la main, mis aux oubliettes. Plus que ça, il l’avait fait en faisant exprès de ne pas jouer à mon jeu. Comme si j’avais besoin de ça en plus. C’est sûr, si ça n’avait pas été lui, j’aurais été monstrueuse. Au lieu de ça, je râlais dans mon coin, pestant de ne pas avoir plus de cordes à mon arc. Ce que c’était humiliant que d’être aussi impuissante. La punition que je m’offrais s’était encore plus retourner contre moi. On avait beau dire ce qu’on voulait au sujet de Seth, il pouvait se montrer aussi fort mentalement que n’importe quel Membre du clan. Faire face à une demoiselle aussi chiante que moi, ce n’était pas donné. D’autres auraient tout simplement craqué et auraient laissé tomber depuis fort longtemps. Lui, il tenait le coup. Il encaissait les coups, même. Une véritable force dans un monde pareil. J’en étais bien consciente. Seulement, là tout de suite, ça ne faisait absolument pas mon affaire. « Tch… » Je grognai, furieuse d’avoir essuyé un nouvel échec même si celui-ci était plutôt à mon avantage, a priori.

Il valait mieux que je me taise. Plutôt que de m’enfoncer davantage. L’espace d’un instant, le sentiment de culpabilité m’envahit mais je préférai zapper ce détail. C’était de nouveau l’effet « Seth ». Il était frustrant. Je ne me sentais pas capable de rester muette tant de temps sans que ça ne me prenne. Je l’appréciais trop. J’appréciais trop nos moments, moments qui me permettaient de m’échapper pendant quelques minutes. Cependant là, c’était plus que ça. Si je m’excusais rapidement pour mon comportement, je perdais la bataille. Une bataille que je m’étais inventée seule. Heureusement, c’est lui qui cassa le premier l’ambiance. Au moins, ça a eu le don de me faire rire. Je ne m’en croyais pas capable pour le moment. Un rire plutôt spontané, d’ailleurs. « T’es quand même le seul à dicter sa conduite à un ami sans avoir pris les précautions nécessaires avant. » Il était incroyable mais au moins il me rendait le sourire, sûrement sans l’avoir vu venir. « Avance tout droit pour le moment. Ensuite, quand tu vois ce tas de pneus, là-bas, au bout, tu tournes à droite. Je t’arrêterai quand on y sera. »

Seth venait de se ridiculiser et bien sûr, elle riait. Il sentit ses joues rougir un petit peu, mais il ne se vexa pas vraiment. Il avait l'habitude de faire des bourdes. Dans ce cas-ci, c'était même parfait. Seth était rassuré de l'entendre rire comme ça. Cela changeait de cette coquille blessée qu'il avait dû confronter avant qu'elle n'accepte bon gré, mal gré qu'il la ramène à la maison. Elle riait et lui, il souriait bêtement comme il savait aussi si bien le faire parfois. Par principe, il la secoua un peu en profitant d'un moment où il lui fallait la remonter sur son dos. C'était enfantin et plaisant. Pour lui en tout cas. Au fond, il espérait que ça l'était aussi pour elle. Et puis, il y eut ce mot : ami. Seth savait bien sûr qu'ils étaient amis, mais c'était toujours agréable de l'entendre. Il aimait ça qu'elle se reconnaisse comme son ami. Ça rendait toute leur relation d'autant plus réelle et c'était nécessaire vu comment elle s'était construite. Il n'en revenait à vrai dire toujours pas d'avoir été si candide dans sa demande. Il ne comprenait pas très bien non plus pourquoi elle avait accepté.

— J'ai été un peu pressé par mademoiselle. J'avance étape par étape. grommela-t-il faussement en guise d'excuse.

Ah, il était fier le membre qui se faisait ainsi diriger comme un canasson sur le territoire. Pourtant, le ridicule de la situation ne l'effleura pas vraiment. Il avançait vraiment étape par étape en fonction des besoins de Swann et même si elle voulait faire trois fois le tour du quartier avant de retourner à la maison, il le ferait de bon cœur. Malgré tout, Seth se dit qu'une petite vérification s'imposait.

— Tu n'es pas en train de m'entraîner dans une mauvaise direction j'espère ?

Et puis, il ajouta sur le ton de la plaisanterie.

— Parce que je marcherais complètement dedans si tu me menais droit dans un piège tendu par les soumis qui en ont assez de raccommoder mes vêtements. Silence. Peut-être que je devrais apprendre à coudre.

Il n'était qu'à moitié sérieux. Peut-être. Coudre aurait en effet pu être particulièrement utile.