J’avançais donc pas à pas, le plus discrètement possible, suivant ce chemin tout tracé par ce sang. Qu’il soit frais ou non, je n’en savais rien pour le coup, mais ça n’avait pas trop d’importance pour le coup. Je me demandais dans un premier temps qui avait pu faire couler autant de sang. Après tout, les Libres étaient rarement en forme olympique, tout cela n’avait donc pas de sens. Un des rebelles des Jaguars ? Peut-être… Rien ne dit qu’ils n’aient pas laissé s’échapper l’un ou l’autre malencontreusement. Nous ne sommes que des humains. Et l’erreur est humaine, même à notre époque chaotique. En tout cas, ça semblait être la solution la plus plausible. À moins que ce ne soit un règlement de compte entre Libres, un véritable lynchage. C’est connu, les Libres sont opportunistes et lâches et ils survivent avec les moyens du bord, comme on dit.

Quand j’arrivai au carrefour des chemins de sang, que je pensais pourtant unique au départ, je découvris un spectacle horrifiant. Oh, certains pourraient trouver cela artistique et même la preuve d’un rite mortuaire. Digne d’un rituel, même moi, je ne pouvais dire le contraire. Cela dit, artistique… Disons que ce n’était pas à mon goût… Pour ne pas dire autre chose. Je ne sus quoi dire dans un premier temps. Sûrement fallait-il que le franc tombe et que je percute réellement ce qui se tramait sous mes yeux. Et encore… Des questions allaient et venaient à une allure folle dans ma tête. Alors, je me tournai vers Seth, encore incapable de dire quoi que ce soit pendant facilement quelques secondes. Ce n’était pas tant l’horreur qui me déstabilisait, j’avais déjà vu des horreurs, mais sûrement toute la théâtralité. Je ne percevais pas la subtilité. « Tu comprends quelque chose que je ne vois pas ? », au moins, je lançais la discussion. Sait-on jamais qu’il voie quelque chose que je ne captais pas encore. « Enfin, à part le message. Et leur désir de nous prévenir qu’ils sont là. », oui mais qui « ils » ? Qui étaient ces ombres ?

Ce chemin de sang était morbide. Seth suivait Enzo en laissant une distance respectable entre eux. Il n'avait pas la discrétion de l'espion et il préfèrerait ne pas le faire repérer. Assurément Enzo était un bon éclaireur. Il marchait donc derrière, assurant ses arrières, et vérifiant une deuxième fois chaque intersection. La piste était vraiment inratable. Un corps n'avait pas pu laisser une trace aussi nette. Plus il la voyait, plus Seth se demandait si quelqu'un ne s'était pas amusé à marcher avec un bidon percé remplit de sang. C'était loufoque, mais ça lui semblait avoir du sens. Seulement, qui aurait perdu son temps à faire ça ? Et pourquoi aujourd'hui ? Ils étaient occupés à traquer pour tuer un maximum de libres et voilà qu'ils devaient enquêter sur une mystérieuse piste de sang. C'était ridicule.

Enzo s'arrêta soudain ce qui poussa Seth à se tendre. Il accéléra et oublia la discrétion pour la rapidité. L'attitude de l'espion était étrange. Quand il arriva son premier réflexe fut de le regarder lui, puis enfin il se tourna vers ce qu'il observait. La mâchoire de Seth tomba aussitôt. Ses yeux s'écarquillèrent. Il y avait devant eux une pile de cadavres. Des dizaines de corps mutilés rassemblés au même endroit. Ses bras en tombèrent même et il sentit son arme peser moins lourd dans sa main quand la crosse se retrouva à reposer sur le sol.

Seth était tellement pris par ce spectacle macabre qu'il ne réagit pas aux premiers mots de Enzo. Il ne percuta que quand il reprit en parlant d'un message auquel Seth n'avait même pas fait attention. Il le lu une fois. Deux fois. Trois fois. Tout ça n'avait pas de sens. Les quatre clans étaient ici, en pleine chasse. Les libres avaient été les cibles et leur nombre avait considérablement diminué. Mais le message suggérait qu'il y avait un sixième groupe existant dans cette ville. Seth se secoua pour se reprendre et il s'appuya sur sa carabine, le souffle un peu court.

— Je n'y comprends rien. C'est complètement fou.