J'avais un peu de mal à comprendre ce que Noâ avait en tête. Même si on n'avait jamais rien eu à me reprocher en tant que Membre, ce n'était pas forcément le cas en tant que personne. Depuis quelques années, j'avais éprouvé de plus en plus de difficultés à me mêler aux autres et encore moins à tisser des liens avec mes équipiers. Le fait d'avoir été nommée Seconde n'avait pas vraiment aidé. A cause de ce problème de sociabilité et de mes réactions bien souvent inadaptées, je commençais à être vue par certains comme une garce arrogante. Pas que l'idée me dérangeait réellement. Ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient, je m'en fichais. Noâ m'avait choisi et ce n'était pas pour rien. Je comptais bien le prouver, mais pas à eux. A elle. Je voulais la rendre fière et qu'elle ne regrette jamais de m'avoir placé à cette position. J'avais donc bien prévu de faire de mon mieux dans cette nouvelle mission qu'elle m'avait confié même si je n'y comprenais rien. Ma Chef avait probablement une idée derrière la tête, mais savoir laquelle était une toute autre histoire.

L'annonce avait été plutôt calme. Noâ m'avait au préalablement prévenue, mais je n'avais pas eu l'occasion de lui poser plus de questions avant l'arrivée de Ella, la fille dont j'avais désormais la charge. Être Mentor était une grande première pour moi et je n'étais pas tombée sur n'importe qui. J'avais en face de moi une pure Jaguar, sœur de Grey, qui traçait proprement sa route de Membre et que j'avais vu souvent au côté de Noâ. Autant dire que ça me mettait à peine la pression. Juste un tout petit peu. Même si elle n'était pas son frère, je doutais sincèrement du fait qu'elle n'ait aucun talent. Quand elle parla, je lui adressais un petit sourire maladroit. Je me souvenais bien de mon premier jour en tant que Membre puisque c'était il y a un an à peine, mais j'avais trouvé les premiers pas barbants et je ne me voyais pas trop lui faire une visite dans un silence qui serait probablement gênant. Au blabla, je préférais l'action.

- Noâ ne m'a pas dit grand chose. Ton arme de prédilection ? On va aller faire un tour et il vaut mieux ne pas sortir totalement à poil.

Sur ces mots, je me dirigeais vers l'armurerie où nous pourrions nous fournir. Ma méthode s'éloignait de l'habituelle et j’espérais vraiment que je ne me trompais pas en agissant de la sorte.

Nous avions l'air de deux filles complètement paumées, là, à se regarder sans un mot pendant un certain laps de temps. Dans le fond, à la voir comme ça, j'avais le sentiment qu'elle n'était pas plus à l'aise que moi pour le coup. Autant elle était réputée pour être une fille pas franchement à l'aise en présence des autres et du genre à rester dans son coin, autant j'étais réputée pour traîner avec un peu tout le monde, à créer de nouveaux liens sans la moindre difficulté. Nous étions, à ce niveau-là en tout cas, les parfaits opposés alors forcément, ce n'était pas évident de comprendre ce binôme mentor – élève. Mais je faisais confiance à Noâ. En plus, j'avais rapidement compris une chose, une chose que me répétait alors sans cesse Grey : il me faut apprendre à être moins extravagante et de temps en temps plus solitaire pour apprendre ce que je ne peux apprendre en groupe. Je n'avais néanmoins pas la prétention de croire que Alessandra allait devoir apprendre, elle aussi, en ma présence. Je suis sa cadette. Nous ne sommes pas au même niveau. Je le savais pertinemment.

Heureusement, elle me répondit enfin. J'avais peur d'avoir fait une bourde. En même temps, j'aurais difficilement pu faire une borde en si peu de mots, mais sait-on jamais qu'elle s'attende à ce que je sois plus disciplinée encore que ça. J'étais peut-être encore trop familière. « Mon arme de prédilection ? Je dirais plutôt les armes à feu mais plus précisément, ce sera difficile à dire. Par contre, j'étais plutôt moyenne avec l'arc. », j'étais sincère, j'y allais franchement mais poliment. Pas besoin de chichis, on avait tous nos limites, j'étais réaliste à ce niveau-là. Je connaissais mes forces et faiblesses mais j'étais persuadée que j'allais en découvrir encore suite à ces entraînements avec Alessandra. J'espérais en tout cas m'améliorer, oui, c'était mon but. Je devais être l'une des meilleures de ma fournée. Pas parce qu'on me le demandait, uniquement parce que je le voulais. C'était mon objectif. Ni Grey, ni mes parents ne m'avaient inculqué ça précisément. Ils m'avaient cependant inculqué la fierté des Jaguars et apparemment, ça avait suffi.

Par contre, sa remarque quant à la tenue me fit rougir instinctivement. J'espérais qu'elle ne sous-entende pas quoi que ce soit au sujet des rumeurs qui circulaient sûrement déjà à mon sujet sur le territoire entier. « Sortir totalement à poil ?! », voilà tout ce que je pus sortir, dans un cri un poil exagéré. La gêne peut vous causer bien des tours. J'espérais sincèrement que ce n'était qu'un malentendu et qu'elle ne pensait pas déjà ça de moi, son élève. Mon premier réflexe fut de taper mon corps du bas vers le haut pour m'assurer que j'avais au moins un t-shirt sans manche et un short. C'était le minimum. Je constatai rapidement en tapotant de la sorte que c'était le cas et je fus encore plus gênée quand je réalisai que j'avais bel et bien fait ça sous ses yeux.

L'ambiance était indéniablement tendue. Même moi qui me fichait généralement de ce genre de trucs, je me sentais mal à l'aise. Sérieusement, pourquoi Noâ voulait-elle que je devienne Mentor ? Moi ? J'allais faire fuir notre nouvelle recrue à toutes jambes à cette allure. Qu'est-ce que j'étais sensé lui apprendre réellement ? Si ça se trouvait, elle en savait même autant que moi grâce à son frère. Non, peut-être pas à ce point là. Il fallait que j'arrête de me prendre la tête. C'était juste une nouvelle et j'allais la guidée... Oh mon dieu, elle n'avait quand même pas beaucoup de chance... Non ! Penser positif ! J'allais trouver quelque chose à lui apprendre. Comme améliorer ses compétences en tir à l'arc. J'étais heureuse qu'elle soit plutôt spécialisée dans le tir, au moins nous aurions un point commun et peut-être qu'on arriverait à faire un truc. Discuter même. Enfin, nous discutions déjà, théoriquement, mais avec un peu moins de gêne ce serait sûrement plus agréable. Comme si tout ça n'était pas déjà assez bizarre, elle réagit à ma proposition d'une façon légèrement étrange. Je m'arrêtais net, parfaitement confuse, et me retournais vers elle. Elle était en train de se tâter le corps, le visage rouge. Et maintenant, elle regardait sa tenue. Okay... Qu'est-ce qu'il se passait ici ?

- Euh...

Et puis, il y eut l'illumination. Oh ! Oh ! D'accord. Visiblement, nous n'étions pas du tout sur la même longueur d'onde. Est-ce qu'elle avait vraiment cru ne pas être habillée ? Ou que je sous-entendais un truc du style ? Soudainement, je me sentis moins bizarre au milieu de tout ça. D'une façon différente, elle était littéralement aussi paumée que moi. Je lâchais un fou rire nerveux que je cachais rapidement derrière ma main en tentant de me reprendre. Merde, elle m'avait vraiment prise de court et voilà que je rigolais stupidement dans le hall du QG. Supposant que tout ça n'arrangerait rien, j'essayais de caser quelques mots au milieu de tout ça.

- Pas à poil, à poil. Des armes. Sortir sans armes.

Toute cette situation n'était pas drôle du tout. Ridicule, oui, mais pas drôle. Le souffle légèrement court, je passais la main dans mes cheveux et l'accrochais avec ma nuque tout en continuant de parler, mal à l'aise. Maintenant, je ne pouvais pas m'empêcher de donner des détails.

- Parce que ce serait dangereux. Aller en mission sans prendre d'armes, ce serait une super mauvaise idée. Voilà, leçon numéro un : toujours être armée d'autre chose que ton couteau quand tu sors. Parce qu'il y a des agressifs à l'extérieur. Puis souvent, les missions c'est pas une promenade de santé. Bref, t'as compris l'esprit.

Alessandra avait l’air si forte, si indépendante, si grande, comparée à moi, la simple petite sœur de Grey. C’est sûrement parce que j’avais peur qu’on ne me connaisse qu’à travers lui que j’avais décidé depuis toute petite de faire entendre parler de moi, de différentes manières, toujours plus saugrenues, d’ailleurs. Yulia m’avait vachement bien aidé à devenir celle que j’étais actuellement. Et si elle me comparait déjà à lui ? Non. Ce n’était pas son genre. J’en étais persuadée. Du peu que je connaissais d’elle, de ce que je connaissais et non de ce qu’on racontait à son sujet, elle me laissait vraiment cette impression de fille objective, tellement qu’elle n’allait pas copiner directement avec n’importe qui. Peut-être était-ce pour ça que j’étais tendue. J’avais peur de la décevoir. Et indirectement de décevoir Noâ. Et malheureusement, j’avais déjà tout fait pour qu’elle me prenne pour une fille cruche et complètement stupide. Je venais de lâcher une bombe si grosse qu’elle devait vouloir me fuir et me donner à manger aux lions. Alors, certes, il n’y avait aucun lion à Paris, mais c’était l’image. Je suis stupide encore une fois à penser à un lion ? On est des félins, après tout !

N’étant pas la fille la plus expressive au monde et encore moins la plus bavarde, Alessandra n’arrangeait absolument rien. Je ne savais si ce rire était sincère, si elle se lâchait vraiment ou si c’était nerveux. Les mots qu’elle ajoutait n’avaient rien de sympathique, même si ce n’était pas agressif pour autant. Bref, j’étais de plus en plus paumée et surtout particulièrement honteuse. Je ne savais plus où me mettre. J’étais vraiment une championne ! Si cette scène venait jusqu’aux oreilles de Grey, comment allait-il réagir, lui-même ? Et si Noâ l’apprenait ? Surtout pas ! Ils allaient tous me prendre pour un boulet. Je voulais montrer mes griffes de félines, pas des preuves supplémentaires pour me voir uniquement comme une fille aux mœurs légères. Alors, je tentai de rattraper comme je le pouvais. « Je… Oui, je m’en doutais un peu. Je… Je suis désolée ! », avais-je à peine osé prononcer, tel un chaton dont les oreilles étaient baissées. Il fallait reprendre contenance. Il fallait se rattraper, encore.

« Donc… Toujours sortir armée et pas uniquement de mon couteau, c’est ça ! », j’essayais, moi aussi, de me reprendre et si possible de montrer mon réel intérêt. Parce que, oui, sincèrement, je voulais faire au mieux. « Est-ce que je peux emprunter constamment une arme à feu ? On m’a dit que c’était pour les missions mais les patrouilles sont aussi des circonstances autorisant le port d’arme plus sérieuse, non ? », voilà, je donnais de nouveau une image de moi plus… à-propos.

Noâ avait probablement fait une erreur. Quelle idée de faire de moi une Mentor ? Oui, j'étais honorée qu'elle ait pensé à moi, mais ce n'était peut-être pas une si bonne idée que ça. Je ne savais pas comment me comporter avec les gens, j'avais les capacités de sociabilisation d'une petite cuillère comme un Membre l'avait dit un jour. Dans ces conditions, comment étais-je donc censée accueillir quelqu'un, le mettre à l'aise et faire de lui un Jaguar plus ou moins apte à se débrouiller tout seul ? Cette situation gênante était bien la preuve que tout ça était une mauvaise idée. En quelques minutes à peine, j'avais trouvé le moyen de perturber la nouvelle. Après un raclement de gorge destinée à me redonner contenance, je tentais de ramasser les morceaux.

- Non, c'est moi. Je ne suis pas toujours très claire.

J'avais été à deux doigts de continuer en pointant à quel point j'étais nullissime avec les gens, mais j'avais réussi à ne pas m'humilier plus encore au dernier moment. Il fallait vraiment que je la ferme, que je me limite aux informations importantes. Quand elle affirma qu'elle avait bien compris cette leçon plutôt ridicule, je hochais juste vigoureusement la tête. Heureusement, Ella continua sur une voie plus facile. Parler détails pratiques, ça je savais faire.

- Tout dépendra des besoins du jour, mais tu devrais pouvoir obtenir une arme à feu avant chaque garde. Elles vont prioritairement aux sentinelles et aux gardiens, pour le reste, ça dépends des préférences des personnes de service. Si tu veux t'assurer d'obtenir une arme particulière, le mieux, c'est de venir un peu en avance pour éviter le rush.

Parler de tout ça m'avait permis de retomber sur mes pattes et le temps d'arriver à l'armurerie, je me sentais déjà plus à l'aise. J'adressais juste un signe de tête à Peacemaker qui avait à peine lever les yeux de son ouvrage avant d'aller nous positionner devant le rayonnage des armes à feu. Vu l'heure, il n'y avait pas énormément de choix, mais au moins il y avait quelques modèles de fusils et d'armes de poing.

- Je suppose que tu connais Peacemaker au moins de nom. Ça ne sert à rien d'essayer de lui parler, ça l'ennuiera même plus si tu es trop polie. Il est là presque tout le temps et connait chaque arme et chacun de leurs possesseurs. Donc dès que ton couteau a besoin d'un aiguisage, tu le déposes juste et il te le fera rapidement parvenir. Maintenant, tu peux te servir, prends celui que tu veux. Oh et les balles simples sont dans le premier tiroir à ta gauche. Les cartouches des carabines et des fusils à pompe, c'est dans les boîtes quand tu ouvres la porte directement en dessous.

Pendant que Ella faisait son choix, je récupérais mon arc qui sortait de révision auprès de Peacemaker et un carquois de flèches classiques. Je retournais ensuite auprès de ma recrue en faisant tourner une crayon dans ma main que je lui offris avant de désigner une feuille du pouce.

- Aux heures d'affluence, il y a toujours un assistant pour tenir les listes à jour, mais si seul Peace est là, il suffit de la remplir toi-même. Il y a toujours un chiffre et une lettre gravé sur l'arme en plus de la marque du clan. Tu l'écris sur le papier accroché au mur là-bas, ainsi que le nombre de balles que tu as prise. Quand tu reviens de mission, tu notes à nouveau les informations et le nombre de balles qu'ils te restent, ça confirme que l'arme est bien revenue et ça permet de mieux gérer les stocks de projectiles. Et je dis pas ça par méfiance, juste parce que je le dois bien, mais ça sert à rien d'essayer de profiter de l'absence d'un assistant ou de Peace, on finira toujours par te choper si tu tentes de chaparder ou de garder une arme. Les vérifications sont hyper régulières et dès qu'il en manque une, les ramasseurs se mettent en branle-bas de combat et c'est pas toujours beau à voir. Ici, on y va à la confiance, mais si tu en abuses, on s'amuse plus.

Pendant quelques secondes qui me parurent une éternité, j’eus l’impression d’avoir perdu Alessandra. Cette situation nous avait tendues l’une comme l’autre. Il faut dire que j’avais mis les pieds dans le plat, comme toujours. Les bourdes, j’avais tendance à les collectionner. J’espérais secrètement ne pas avoir perdu toute crédibilité ni tout intérêt à ses yeux. J’avais beau être la sœur de Grey, je partais à pied d’égalité avec les autres Membres de ma fournée et je devais faire autant mes preuves. Et je doute qu’elle soit du genre à faire des faveurs. Ce n’était pas ce qui en ressortait quand j’entendais parler d’elle. Je ne pouvais pas décevoir la Seconde. Elle avait son caractère mais au-delà de ça, elle était forte. Je n’étais rien pour le moment. Juste une nouvelle Membre. J’avais beaucoup à apprendre d’elle et du reste des plus anciens, alors il serait dommage qu’elle ne me voie plus que comme un boulet incapable de comprendre de quoi on lui parle. Trop de questions. Trop de doutes. Je me sentais soudainement aussi minuscule et insignifiante que ses petites pierres à nos pieds. Mieux valait ne pas insister là-dessus. J’étais au moins certaine de ça. Je ne voulais pas m’enfoncer davantage dans ma bêtise. Au contraire, il fallait que je me reprenne.

Heureusement, elle avait pris la perche que je lui tendais. Ouf. Je soupirai, rassurée. « Toujours en avance et parmi les premiers. C’est entendu. » C’est vrai que tant qu’à faire, je préférais avoir encore du choix parmi les armes mises à notre disposition. Je pourrais me bagarrer pour avoir celle que je veux – je suis têtue et je n’ai vraiment pas peur de me salir les mains – mais j’avais le sentiment que Peacemaker n’apprécierait pas forcément qu’on le dérange dans son atelier. Devoir se lever ou même agir alors qu’il est concentré, c’est la pire des choses qui puisse lui arriver. Autant ne pas chercher la merde pour le moment… ou tout court, en fait. Oui, autant rester calme et venir bien à l’heure. Je la suivais tout en baladant mon regard tout le long du chemin jusqu’à l’armurerie. J’étais curieuse de nature et j’adorais laisser flâner mon regard. Quand elle fit signe à l’Armurier, j’en fis de même, par mimétisme. C’est encore le plus intelligent pour réussir à s’intégrer. Surtout face à une bête de renom comme lui. Tant de choses se disent à son sujet. Je n’avais pas envie de les vérifier. « Qui ne conn… » Je me retins rapidement. Il était là. Je n’allais pas sortir un truc du genre quand même. « Oui, oui, je le connais de nom. » Il me faisait clairement froid dans le dos. Alors, je préférai me concentrer sur les explications d’Alessandra. « Bien. » Je m’exécutai rapidement, choisissant le fusil à pompe. Je me sentais plutôt à l’aise avec les armes et celle-là davantage. Après quoi, je me dirigeai vers les fameuses boîtes dont elle avait parlé, m’équipant dès lors de cartouches. J’avais tout pour l’entraînement.

Avant même de faire quoi que ce soit de plus, je me retrouvai avec un crayon dans la main droite. Elle m’indiqua également une feuille. Je compris rapidement de quoi il en retournait. « Ne pas abuser ? Ça me paraît plutôt juste. Heureusement, nous ne sommes pas des tricheurs dans la famille. Ils m’ont bien appris à respecter le clan, Grey le premier. » J’étais fière de ma famille. Ils avaient de moi une fille correcte. Sans plus attendre, je remplis tous les champs et je me tournai à nouveau vers Alessandra. « C’est bien complété ? » Je préférais en être certaine. Je ne suis pas infaillible.

Malgré sa première boulette, Ella se débrouillait plutôt bien. Elle était calme sans être silencieuse comme une morte et semblait sérieuse. C'était donc bien juste une histoire de stress. En plus, elle paraissait être attentive à mes explications ce qui m'éviterait d'avoir à tout répéter deux fois ce qui m'aurait sérieusement pris la tête. Je trouvais juste un peu étrange qu'elle parle de cette façon de sa famille. J'avais du mal à déterminer le pourquoi car j'étais bien loin du concept de fierté familiale. En plus, être l'enfant ou la sœur de gens connus ne l'aiderait vraiment pas avec moi. Avec quiconque, en réalité, les Jaguars n'étaient pas vraiment connus pour ce genre de favoritisme. C'était ce qui faisait la force de notre clan : chacun était sur un pied d'égalité pour peu qu'il ne déconne pas. La seule façon de s'élever, c'était le travail et les résultats, mais même avec ça, c'était juste de la confiance que l'on gagnait. Le respect était naturel, un droit de base. Alors, suite à sa remarque, je restais juste silencieuse. Je ne savais foutrement pas quoi dire. Heureusement, au vu de ce que je connaissais de Grey, c'était une attitude qui ne devrait pas trop la dépayser. A moins qu'il soit totalement différent en famille ? En plus, la situation était ici différente et j'étais censée mettre la nouvelle à l'aise. Décidément, ça faisait beaucoup trop de réflexions. Heureusement, elle en avait fini avec la préparation de son équipement. Je me penchais vers la feuille et scrutais une seconde la ligne ajoutée avant de hausser les épaules.

- Ouaip. Allez viens, il ne manque plus qu'un truc et puis on peut décoller.

Je soulevais la trappe présente dans un coin de la pièce et la calais avant de commencer la descente de l'escalier raide menant au premier sous-sol. C'était plus rapide de passer par ici. Une fois en bas, je l'attendis avant de me rendre vers la cuisine.

- Il y a d'autres accès, mais vu qu'on était juste à côté.

A cette heure-ci, les cuisines ne brillaient pas par leur activité débordante. Il y avait juste un duo qui terminait de manger alors que des ravitailleurs entreposaient des caisses dans la réserve principale. Je ne pris pas vraiment la peine de les saluer, autant pour ne pas les déranger que parce que je ne les connaissais pas vraiment. Ce n'était pas trop mon truc, les conversations de convenance. Je m'empressais de remplir une gourde au bidon et la lançais à la nouvelle avant de m'en préparer une à mon tour. Deux paquets de biscuits secs emballés dans du tissu plus tard, je l'entrainais déjà vers le rez-de-chaussée pour sortir du QG.

- Le matin, tu te débrouilles pour le petit déjeuner même si y aura toujours des gens si tu as besoin. Les Soumis préparent des casse-croûtes aux alentours de chaque période de changement de garde que tu peux emporter. Et la bouffe est préparée le soir. Tu viens te servir et puis tu manges où tu veux. Y en a qui restent dans la cuisine, d'autres qui vont dans la salle de rassemblement pour être tous ensemble. Mais tu peux aussi monter dans ta chambre ou aller dehors. Il n'y a pas vraiment d'horaire, mais si tu viens trop tard tu risques de manger froid sauf si tu prends le temps de réchauffer ta part. Oh et si tu as des moments de creux, c'est toujours sympa de venir aider pour la préparation ou la vaisselle. Pas obligatoire hein, mais ça montre que t'es de bonne volonté. Aussi, je suppose que ton frère a déjà dû t'expliquer qu'on reçoit pas nos rations ici. Tout va dans le stock commun. Tu auras juste un sac avec des trucs à grignoter et à troquer. Des produits déjà préparés quoi. Mais pas de colis comme avant. Si le Quartier c'est ton truc, t'inquiète pas pour le fait d'avoir moins, les Membres boivent à l’œil. 'Fin c'est compris dans le deal.

Pas que ça m'intéressait vraiment cette histoire, je n'avais jamais foutu les pieds là-bas. D'autres boiraient à ma santé grâce à ma non-consommation. A la sortie du bâtiment, je vérifiais que j'avais bien tout. Gourde accrochée au ceinturon, check. De quoi grignoter au cas où, check. Armes et munitions, check. On était bon !

- En route.

Plutôt que d'aller vers le centre neutre, je privilégiais les alentours du territoire. Elle avait peut-être mis les pieds moins souvent là-bas et une petite visite de contrôle n'était jamais une mauvaise idée. Ce serait aussi une occasion de la présenter correctement aux sentinelles en poste. Et qui sait, elles auraient possiblement des informations juteuses à nous fournir. Dès que le quartier général ne fut plus vraiment en vue, je fis un effort pour continuer ma découverte de ma recrue. Je ne comprenais pas trop ce que Noâ attendait de moi, j'allais donc devoir l'apprendre comme ça.

- Et donc, pourquoi le fusil à pompe ? Tu as déjà eu beaucoup d'occasions de tirer avec ?

Elle avait un petit gabarit, c'était donc étonnant de la découvrir avec une arme si puissante et réellement efficace à courte distance. Je me serais plus attendue à ce qu'elle préfère tirer à couvert plutôt que de s'approcher de trop près d'une mêlée.

Alessandra n’était pas une fille franchement bavarde à première vue. Disons qu’elle ne parlait pas pour ne rien dire. Quand il s’agissait de m’expliquer un nouveau truc, elle n’était pas avare de précisions mais le reste du temps, elle ne parlait pas trop. Je supposais que c’était dans son caractère et je n’avais clairement pas envie de forcer les choses. En plus, vu comme je stressais, c’était mieux de garder la bouche fermée. J’étais très peu tentée à l’idée de faire de nouvelles bourdes. Je m’étais bien assez ridiculisée pour le moment. Je ne tenais pas à ce qu’elle m’abandonne déjà ou qu’elle fasse un rapport qui ternissait ma réputation. Il valait mieux que je commence bien, non ? J’avais pas non plus envie qu’on se plaigne de moi et que ça remonte jusqu’aux oreilles de Grey. Pas que ça changerait quoi que ce soit concernant l’amour que me portait mon frère, loin de là. Mais de principe, je n’avais pas envie de lui faire honte. C’est stupide quand on pense à mes mœurs légères, n’est-ce pas ? Boarf. Je devais donc me concentrer sur le but de la journée : ne pas décevoir ma Mentor et faire mes preuves, en tout cas commencer à faire mes preuves. Quand il s’agissait de me faire des amis, c’était facile, c’était inné, mais quand il s’agissait de quelque chose de plus sérieux, je perdais mes moyens. Pourtant, je ne voulais pas voir ça comme quelque chose de « basique » ou de « moins sérieux ». En somme, je me mettais une pression de dingue parce que des objectifs de malade.

Heureusement, j’avais déjà réussi une première étape. Un des millions de couteau au-dessus de ma tête – couteaux que j’avais placés moi-même évidemment – venait de se transformer en couteau en mousse et je ne risquais plus rien, en tout cas, de celui-ci. C’était un début. Soyons positif ! Je soufflai intérieurement, bien qu’encore légèrement crispée. Au moins, avec l’attitude qu’elle avait, je ne pouvais pas avoir de doute concernant sa sincérité. Elle m’avait l’air d’être le genre à dire ce qu’elle pense sans être blessante mais en n’y allant pas non plus par quatre chemins. C’était mieux comme ça, entre nous. J’espérais qu’elle ne se retenait pas uniquement parce que c’était un ordre de Noâ. Non, ça n’avait pas l’air d’être son genre. « Okay. » Je la suivais sans un mot de plus, passant sous la trappe à mon tour avant de la refermer derrière moi. Je n’étais jamais passée par là. Il faut dire que je n’avais pas accès à l’armurerie en tant que Soumise. C’était donc normal que ce soit nouveau pour moi. Elle nous guida jusqu’à la cuisine, cuisine plutôt vide, d’ailleurs. « Je note. » C’était une expression évidemment. Je gardais les informations en tête, autrement dit. J’observais les quelques mouvements – que ce soit ceux qui mangeaient ou les ravitailleurs – d’un sourire et ajoutant un signe de main. Je ne me retenais jamais quand il s’agissait de saluer les autres. Heureusement, j’eus un bon réflexe quand mon aînée me lança la gourde remplie. « Merci. » J’étais presque timide. Pas si timide. Disons plus réservée. On avançait déjà, direction la sortie du quartier général. Je regardais alors ma gourde puis mon arme, comme si j’avais besoin de les voir pour m’assurer que je les avais toujours.

Je l’écoutais tout en marchant. Comme je l’avais imaginé, la vie des Membres était la plus sympathique de toutes. On partageait presque tout. On faisait tout ensemble. Bon, certes, on avait le choix ou non de manger avec les autres le soir et le choix d’aider ou non pour la vaisselle, mais ça faisait vraiment famille. Je comprenais que j’allais me sentir drôlement à l’aise, à ma place. « Je vois. J’irai aider de temps en temps, histoire d’avoir le sentiment de mériter les repas du soir aussi. » Parce que je ne partais pas du principe que je méritais naturellement une telle ambiance et des repas préparés. Comme tout, ça devait se mériter. Je supposais qu’elle s’en moquait un peu mais je le disais un peu pour moi-même, tout haut, certes, mais pour moi-même. Je ne devais pas me justifier et je ne cherchais pas à me faire passer pour la gentille Membre. On se mettait vraiment en route et je me demandais où elle comptait m’emmener mais dans tous les cas, je n’osais pas le lui demander. Comme une petite fille qui avait peur de déranger. Je n’étais pas mal à l’aise, juste intimidée. On avançait donc et elle parlait déjà plus que moi. Je ne m’étais pas attendu à ce que ce soit elle qui parle le plus mais ce n’était pas plus mal. « Disons que je me suis entraînée une ou deux fois avec et que j’ai tout de suite eu le coup de foudre ou un truc dans le genre. Dans tous les cas, j’ai adoré et j’aimerais bien encore m’améliorer. » C’était peut-être spécial comme confession, j’étais d’accord, mais c’était le cas. J’espérais simplement ne pas passer pour une dingue. « Pas habituel, je suppose, vu mon gabarit. » Qu’à cela ne tienne, c’était mon arme de prédilection.