La journée n'était pas exceptionnellement bonne, ni exceptionnellement mauvaise. C'était une journée normale en somme pour Yulia. Il faisait plutôt chaud comme toujours durant cette période de l'année où la proximité de la saison aride se faisait particulièrement ressentir. Yulia ne s'en plaignait pas, elle s'était habitué aux affres du temps et elle préférait encore cette chaleur aux journées plus froides. Fidèle à elle-même, Leonore bavardait. Il lui suffisait d'un rien pour monter une conversation et ce trait de caractère plaisait à Yulia. Au moins, les gardes étaient moins ennuyantes lorsqu'il n'y avait pas grand chose à faire. Comme aujourd'hui. Le coin de Paris dans lequel elles avaient patrouillé avait été sacrément calme. Elles n'avaient pas croisés grand monde et à l'exception d'une vérification auprès d'une femme armée qui s'était révélée être une intouchable dans son bon droit, elles n'avaient rien eu à faire.

Au zénith, elles se dirigèrent assez naturellement vers le cœur de la ville. Il y avait toujours plus d'activité durant ce moment là et il valait mieux avoir un œil sur les passants. C'était aussi un instant plaisant où elles pouvaient faire une pause et se restaurer au milieu d'une foule que Yulia ne trouvait pas désagréable. Elle aimait être entourée, sentir la vie autour d'elle. Cela lui apportait une sensation de familiarité presque nostalgique. C'était chaleureux un peu comme le sud pouvait l'être. Cette pensée lui arracha un sourire alors qu'elle s'approchait d'un duo arborant l'emblème des patrouilleurs. Elle connaissait bien l'un d'eux, un jaguar qu'elle appréciait, mais l'autre ne lui semblait pas vraiment familier. Un gars solide et barbu qui devait probablement être jaguar lui aussi. Elle leur adressa un signe de la main en grimpant les marches avant de se laisser tomber à leur côté, ravie de mettre un peu ses jambes au repos.

— Un nouveau ? dit-elle en désignant le grand brun d'un coup de menton.

Il semblait un peu âgé pour commencer un nouveau boulot, mais c'était peut-être juste une impression.

— Des incidents durant la matinée ?

Tout en parlant, elle fouilla sa sacoche pour en sortir un bout de pain et quelques fruits séchés. Leonor arriva un instant plus tard et prit la place libre à côté de l'inconnu en lui adressant un léger sourire et un bonjour soufflé. Elle s'attaqua tout aussi vite à son repas, les yeux fixés sur la foule.

— Il y a du monde aujourd'hui. Ils sont plus bruyants que d'habitude.

Leonor parlait bien évidemment de cette fille qui rigolait pas loin d'une façon assez désagréable. Yulia haussa juste les épaules, mais elle n'arrêta pourtant pas de fixer le groupe tout en grignotant son pain. Peut-être que la journée n'allait plus être calme pour longtemps.

Jinx était un gars sympa. Yulia ne l'avait pas connu de l'époque où elle vivait chez les jaguars, il lui avait fallu attendre de devenir patrouilleuse pour ça. Un clan, c'était grand mine de rien. Elle ne connaissait pas plus le type à ses côtés, pour preuve. Par contre, elle connaissait mieux George. Elle s'inquiéta donc vite de ce remplacement. Parfois ce n'était rien, mais un incident était vite arrivé.

— Un pépin avec George ? souffla-t-elle à Jinx.
— Blessure à la jambe. On ne sait pas trop pour combien de temps il en a, mais il s'en remettra.
— Mince, pauvre George. Tu lui souhaiteras bon rétablissement pour moi ? J'essayerais de passer le voir la prochaine fois que je serais sur le territoire.

D'un signe de tête, Jinx lui assura que le message serait passé et l’aparté s'acheva. La discussion redevient alors plus professionnelle et c'est l'inconnu au bataillon qui répondit à la question qu'elle posa. C'était idiot, mais elle n'avait pas eu le réflexe de lui demander son nom et elle se sentait mal à l'aise pour ça maintenant. Elle ne voulait pas être rude, elle avait juste été prise de court par cette histoire avec George. Encore une fois, la conversation n'alla pas bien loin avec l'arrivée de Leonor. Cela brisa un peu l'équilibre et il y eut un léger silence remplit par les bruits venant des libres et leurs propres mastications.

La remarque de Leonor relança finalement le tout et la question des présentations fut heureusement remise sur le tapis. L'inconnu se prénommait Gio et vraiment ça ne disait rien à Yulia. Elle avala son morceau de fruit sec pour répondre, mais fut précédée par sa partenaire.

— Moi c'est Leonor et elle Yulia.

Et c'est sur ça que leur pause s'acheva brutalement. Le cri avait été soudain et surprenant, mais plutôt que sursauter, Yulia avait aussitôt porté la main à l'une de ses dagues. Les jaguars se lancèrent presque aussitôt dans la mêlée et le duo vipère hésita une seconde à les suivre. Dans un premier temps, elles décidèrent finalement de rester à l'écart pour garder une vue d'ensemble de la situation. Trop vite, le tout tourna en bagarre générale pour une raison encore inconnue. Ce n'était pas vraiment un truc inhabituel, ça faisait même partie des classiques de leur boulot. Gio essaya de se faire entendre pour calmer tout le monde, mais tout ce qu'il récolta fut un coup perdu. Ce fut le moment exact où les vipères décidèrent d'agir avant que tout ça ne leur sorte trop de la main. Yulia n'était pas à l'aise en mêlée sans arme, ce n'était vraiment pas sa force, mais en frappant avec son arc, elle s'en sortirait. Les violences sur les libres n'étaient en temps normal pas autorisées, mais quand ça dégénérait, ils pouvaient bien sûr agir. Surtout quand les dits libres finissaient par s'en prendre à un membre, un gardien de la paix qui plus est. Yulia distribua quelques coups pour se frayer un chemin dans la bagarre et arriva à assommer une petite teigneuse qui s'excitait sur un autre gars au sol.

— Vous êtes enragés ou quoi ?!

La plupart du temps, les libres qui traînaient ici étaient plutôt civilisés. Pas aujourd'hui visiblement. Elle jeta un coup d'oeil derrière son épaule pour vérifier l'état de Gio et ce fut ce moment que choisit le mec à terre qu'elle avait pourtant aidé pour lui balayer les pieds.

— Merde !

Yulia se rattrapa comme elle le pouvait, mais avec le groupe qui devenait compact autour d'eux, ce n'était pas le plus aisé. Un coup de poing lui atterrit dans l'épaule, mais avant que le deuxième ne soit envoyé, elle piqua sa dague sur la gorge du libre. Leonor qui était un peu plus loin dégaina alors son revolver et tira deux coups vers le ciel.

— Vous allez vous calmez ouais ?! On est patrouilleurs au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, pas vos ennemis.