jour 2, fin d'après-midi.

Je venais de devenir Second. Je n'allais pas dire que la décision m'étonnait. Depuis que j'avais mis les pieds sur le territoire, Loukas et moi nous étions appliqués à me faire bien voir de la hiérarchie malgré mon statut de non-natif. Et non-natif, je l'étais, je ne l'avais jamais caché. C'était bien inutile. Mais pour un non-natif, je m'étais plutôt bien débrouillé. Je m'étais évité le statut de soumis, j'étais devenu rapidement un spécialiste. Mon ascension fulgurante n'était pas pour plaire à tout le monde. Et comme d'habitude, je m'en fichais. J'avais réussi à me mettre plusieurs personnes dans la poche, mon caractère facile, les informations de Loukas aidant. J'avais également ma petite réputation chez les soumises qui, après avoir été complimentées par deux petits mots, n'hésitaient pas à me refiler les plus sombres secrets des membres avec qui elles passaient leurs nuits. Certains étaient frustrés de me voir réussir de la sorte mais ne devaient-ils pas plutôt avoir honte ? Que moi, un non-natif, parvienne à leur faire de l'ombre ? Non, le conseil des Héros m'avait choisi, en dépit de mon statut de sang. Il y avait une raison. Parce que je n'étais pas Chad, la mission suicide sur le territoire de jaguar n'aurait jamais été cautionné, ou avec plus de véhémence. Je n'étais pas un ami de Samuel. Et je me doutais que les Anciens m'avaient en partie choisi pour cette raison, j'avais moi-même appuyé sur cet argument. Samuel pouvait se sentir menacé par ma présence, lui donner le coup de fouet nécessaire pour se reprendre et devenir le chef qu'il avait tout intérêt à devenir s'il ne voulait se retrouver humilié.

Je venais de devenir Second. Et j'avais conscience de tout le travail qui m'attendait. Même si je n'appréciais pas vraiment la personne, je ne pouvais pas nier que Chad avait été un bon Second, qu'il avait su gérer le clan comme il le fallait, malgré le poids que devait être Samuel. Le clan avait perdu un bon Second. Et j'avais tout intérêt à être à la hauteur. Je n'avais pas de craintes à ce sujet, j'avais confiance en mes capacités mais je n'étais pas natif alors je savais que je devrais bien plus d'efforts pour qu'on ne minimise pas mon travail. Enfin, si on me demandait sincèrement, l'avis des autres ne comptait pas, je me fichais bien de leurs égos bafoués. Je devais simplement me maintenir à ma place.

Je venais de devenir Second. Et j'avais décidé de m'offrir la soirée pour jubiler. Le moment aurait été plus agréable avec Loukas mais je ne désespérais pas, je finirais bien par la trouver et on fêterait ça comme il se devait. En attendant, j'avais une autre idée en tête. Ma nomination aurait un impacte sur une personne en particulier...et je ne pouvais pas résister à l'envie d'aller fanfaronner à son chevet. Oui, je parlais bien de Samuel, le chef qui avait perdu de sa superbe, avait perdu son meilleur ami et devrait à présent se coltiner un être aussi irritant que moi. Ma marche du territoire jusqu'à l'hôpital du centre neutre avait des airs de marche triomphale. La victoire baignait mes traits et un sourire en coin persistait sur mes lèvres. Je m'annonçai directement à l'entrée, me renseignant sur la chambre qu'occupait Samuel. Et puis sans me faire prier, je pénétrai dans la pièce sans même prendre la peine de toquer. La pénombre baignait l'endroit mais je n'eus pas de mal à trouver la chaise sur laquelle je m'installai nonchalamment. J'ignorai si mon chef était réveillé ou non alors je ne dis rien dans un premier temps, me contentant de chantonner bêtement jusqu'à entendre un léger grognement, à croire que ce mec était grognon en toutes circonstances. Bonsoir Samuel, content de me voir ? Tu m'excuseras de passer si tard mais tu te doutes de la raison de ma visite, j'en suis sûr.

Les visites s'étaient succédé durant l'après-midi. D'abord Zack qui était venu avec des informations peu réjouissantes, puis Kiara et sa mauvaise humeur, et bien sûr Romane toutes les quelques heures. Samuel avait respecté sa promesse et s'était tenu tranquille. Il avait du mal à l'admettre, mais il savait que cette soigneuse avait raison. Il avait besoin de repos. Vraiment. Il était épuisé après deux malheureuses conversations alors il voyait mal comment il aurait pu faire tout ce qu'il avait prévu. Bien sûr, il ne lui dirait jamais. La rousse pouvait toujours courir, il n'admettrait pas ce qu'il pensait. Il ne savait pas exactement l'heure qu'il était, cette absence de fenêtre devenait vraiment agaçante, mais l'hôpital semblait progressivement se calmer. Peut-être cela annonçait-il la nuit ? L'idée n'était pas désagréable. Le brun souhaitait dormir avec légitimité. Même blessé, devoir paresser au vu et au su de n'importe qui ne lui plaisait pas. Seulement, la chute de la nuit lui faisait aussi un peu peur. Il avait eu beaucoup de temps pour penser, mais il savait que ce serait encore pire quand tout le centre hospitalier serait plongé dans l'obscurité. Le fantôme de Chad aurait alors tout le loisir de venir le hanter.

Et, pourtant, ce ne fut pas son ancien Second qui vient le hanter, mais l'actuel. La porte s'était ouverte et Jayden était apparu, glorieux. Samuel avait profité de la pénombre et de ses yeux mi-clos pour l'observer. Il n'avait fait preuve d'aucune politesse et occupait maintenant la chaise qui avait été installée à côté du lit. Deux visites officielles en une journée, c'était trop d'honneur... Le Chef grogna en se redressant un petit peu. Le repos n'était pas pour tout de suite et il doutait un peu de pouvoir le trouver après cette rencontre avec le non-natif. Il attaqua assez vite, toujours aussi joyeux et Sam le considéra avec mauvaise humeur. Lui aussi avait été heureux quand il était devenu Second, mais il n'avait pas été étalé son bonheur à la face de son Chef. Il était un Dragon, merde !

- Ouais, je suis déjà au courant, donc remballe ton discours.

Il exécrait la faiblesse de sa voix. Pour faire face à Jayden, il aurait eu besoin de toute sa puissance, mais il était blessé, fatigué et même parler était une action douloureuse. Il serra le poing, fusillant le mouflet du regard. Pour le coup, les yeux revolvers, c'était bien tout ce qu'il lui restait.

Le spectacle qui se jouait sous mes yeux était terrible. Loukas aurait du être là...ou pas. Ce type devait vivre un enfer et ses émotions auraient probablement joué sur Bonnie d'une piteuse façon. Mais cet enfer, il l'avait cherché, mérité. Tout n'était qu'un juste retour des choses et je ne ressentais aucune peine pour lui. Il devait assumer ses erreurs jusque dans la mort, dans le deuil et dans la solitude qui l'accompagnait toujours. Et clairement, je n'allais pas le ménager. J'étais son nouveau Second, pas sa nounou ou son ami. Je ne m'offusquai donc pas de sa réplique mais feignis tout de même de l'être. Quoi ? Même pas de félicitations ? Mon sourire ne quittait pas mes lèvres. Oui, j'étais satisfait de ma montée en grade mais ce qui me plaisait au-delà de cet événement, c'était bel et bien le privilège qui allait avec. Mettre ce cher Sammy le nez dans ses problèmes. S'il n'avait pas foiré, je n'aurais pas été à cette place, là, juste à ses côtés pour le narguer. Chad serait, lui, serait encore là, à rattraper ses bêtises. Mais il avait agi comme un crétin et voilà le résultat. Fais pas cette tête. C'est grâce à toi si je suis là, je te signale. Merci Sam, du plus profond de ce qui me sert de cœur, continuai-je, sourire goguenard étirant mes lèvres. Oui, j'étais là pour énerver Samuel mais je n'étais pas là que pour ça. Même si l'on ne s'appréciait pas, nous allions devoir gérer ce clan ensemble et ça allait demander énormément de travail autant pour moi, que pour lui. Nous allions devoir nous supporter, nous accorder pour que les Dragons restent au sommet de Paris. On va devoir travailler ensemble, Samuel. Il va bien falloir que tu t'y fasses. Et je serais pas comme Chad. Y aura pas d'histoire de rapt familial avec moi. Pas de caprices., continuai-je sérieusement pour une fois. Je pouvais être vu comme quelqu'un de puéril et je l'étais, je n'avais pas de mal à l'admettre. Seulement, je pouvais faire la part des choses et j'espérais qu'il puisse faire de même. Mais pour mettre les choses à plat, je devais vider mon sac avant de pouvoir commencer pleinement mon travail. Je t'ai pas pardonné pour les traces sur le cou de Loukas. Je sais que t'en as rien à foutre mais tu vois, tu l'as payé chère ta soif. J'ai lu quelque chose comme ça dans un livre. On appelle ça le Karma. Le fiasco chez les jaguars, c'est de ta faute. J'imagine que tu le sais aussi. Mais j'espère que ton séjour ici te fera réfléchir, finis-je enfin, croisant mes bras sur mon torse.