Le premier jour qui avait suivi la rébellion avait été particulièrement éprouvant pour moi ; j'apprenais, d'une part, qui était mon sauveur, mon preux chevalier sur son fidèle destrier, d'autre part, je faisais une crise, une énième, d'hallucination et d'hystérie au sujet de Joshua - évidemment, vous allez me dire - et finalement, j'observais la déchéance d'Abel, le dernier de mes bourreaux en vie, non sans prendre part à la petite partie de torture et à la fête lors de la fin de soirée, le fameux bûcher funéraire. Qui l'eut cru qu'une fille comme moi, une poupée si fragile d'apparence et si souvent maltraitée puisse un jour se rebeller et montrer ses griffes ? Surtout face à cet homme, le bras droit, le préféré de ses soldats... Pas plus tard qu'il y a deux ans, il se moquait encore ouvertement et fièrement de moi. Une fille juste bonne à vendre ses fesses, son corps tout entier... Encore une fois, il m'avait écœurée, encore une fois, il m'avait peinte sous des traits grotesques. Pire encore, il avait osé me répéter que j'aurais pu être sa préférée, la préférée d'un homme que j'exécrais encore au possible. Cette mise à mort, j'en étais certaine, aurait l'effet escompté. Ce serait le dernier élément pour faire mon deuil une bonne fois pour toute, le deuil de cette enfance volée, et surtout finir par vivre avec ces horribles moments sans qu'ils ne me bouffent plus longtemps. Ce n'était pas encore totalement le cas puisque j'avais encore fait un cauchemar cette nuit mais ça n'avait rien d'étonnant. Et je dois avouer que frapper Abel, me déchaîner littéralement sur lui, hurler mon mépris, mon venin avait été salvateur. Pourtant, jamais ô grand jamais je n'avais pensé que j'en arriverais à ça. Je devais avoir surpris tant de monde. Je ne suis définitivement plus la Alice inoffensive. Je ne suis plus cette enfant naïve qu'on peut exploiter à sa guise. Je crois bien que je viens enfin de me réveiller. C'est mon éveil suprême. Je reviens d'entre les morts, d'une pause de mon âme, de mon amour propre.

C'était l'après-midi déjà. On s'était entraînés ce matin au lac de l'épreuve. Durant cet entraînement aussi, j'en avais surpris plus d'un. Néanmoins, mes pensées étaient occupées par tout à fait autre chose ; j'avais pu remarquer le regard de Logan lorsque j'avais acculé Abel. C'était autre chose que les autres. Je découvrais une autre sensation. Il devait avoir une donnée supplémentaire. Ce petit quelque chose qui changeait la donne. Je ne m'expliquais pas ça. Je ne m'expliquais pas pourquoi il ne m'avait pas retenue alors même qu'il était le plus proche de moi, sans compter Alan. D'ailleurs, ce dernier ne cessait de me regarder tantôt en arborant un rictus, tantôt en me regardant tel un ahuri. « Alice... », c'était tout ce qu'il parvenait à me dire. Ce matin, en tout cas. Avant, il n'arrivait même pas à m'approcher. J'en rigolais quand je n'étais pas excédée. Comprenait-il enfin qui j'étais ? Je zappai ce détail rapidement, très rapidement, d'un mouvement de paupières. C'est lui qui me déstabilisa à nouveau. Logan était juste en face de moi. Nous étions proche des postes de sentinelle fixes, proches de l'entrée du territoire. Je vagabondais au rythme de mes pas jusqu'à tomber nette devant lui. « Logan... », osais-je à peine dire. Je n'étais toujours pas arrivée à une conclusion convenable. Il fallait donc que je comprenne mais je ne savais pas comment le lui demander. Alors, je m'étais satisfait de ça. J'affichais pourtant mon éternel sourire. Je n'étais pas déprimée ce jour-là, juste songeuse.