[FB] Give Me Some Sunshine
Louise & Icare

An 40 (Début de la deuxième saison tempérée)

L'entraînement fut particulièrement long, ce matin. Si j’avais cette chance de surveiller la citerne deux jours consécutifs sur quatre, et ainsi d’échapper à deux séances d'entraînement, il devenait difficile d’esquiver ces sessions lors de mes jours de repos. À quelques reprises, seulement, je n’avais pas su résister et je m’étais enfuie vers le Sud, vers les Jaguars, loin des Dragons ; libérée, délivrée. Puisque ma première petite escapade passa inaperçue et que, par le fait même, je n’avais pas subi le courroux terrible d’un Dragon gradé et enragé, j’ai évidemment renouvelé l’expérience. Je n’étais pas totalement inconsciente, toutefois. J’espaçais de mon mieux ces très rares moments de liberté où on ne s’efforçait pas de me clouer au sol avec force et brusquerie, pour me montrer quelques prises douloureuses.

Parlant de brusquerie, c’était la quatrième fois qu’on me faisait chuter lourdement au sol. Le grand gaillard qui me surplombait dissimula un ricanement, comme si le fait de mettre à terre une adversaire de ma trempe était hilarant. Je partageais cependant un sourire avec lui, le regard brillant : d’ici, j’avais une vue imprenable sur la chute de reins d’Icare. À quoi bon luter pour rester debout, dans ces conditions? Mon opposant me releva, une main sur mon avant-bras, comme si je ne pesais rien du tout, sourire goguenard en étendard. Je pris soin de défroisser mon débardeur -qui n’était pas froissé- pour gagner quelques précieuses secondes. Il soupirait, je souriais de plus bel. Comme si mes prières étaient exaucées, on annonçait la fin de l'entraînement au moment même où nous reprenions positions.

Malgré la douleur lancinante qui irradiait de mon épaule, je trottinais jusqu’à mes effets pour y glisser mon sac à bandoulière. Je ménageais mon zèle d’avoir enfin terminé, traînant un tantinet les pattes, pour ne pas être la première à sortir, pour ne pas trop attirer l’attention sur mon bonheur manifeste d’enfin quitter l’endroit. Sitôt sortie, je levai le museau vers le soleil, m’assurant de capter sa lumière et sa chaleur sous une mimique appréciatrice. Les ruines, du côté Nord de la rue, conféraient une certaine dignité au versant de la place. Je faisais mine de m’y attarder, guettant néanmoins la sortie du blondinet, d’Icare, l’un de mes rares amis dans ce clan. Je le saluai d’un discret hochement de tête et d’un sourire large, comme nous faisions souvent lorsque nous n’étions pas disposés à parler au calme. Et à la vue de ses responsabilités et de mes promenades, c’était chose rare, trop, à mon goût.

Ma petite manie, mon petit plaisir coupable, avait débuté quelques mois après mon intégration à la citerne en tant que gardienne. J’avais rejoint une équipe rigolote et surtout humaine qui me permettait non seulement de m’épanouir, mais aussi d’oublier, parfois, le quotidien violent de mon clan. Le retour à la réalité brutale que m’accordaient les Dragons m’ennuyait de plus en plus. C’est à ce moment que j’ai commencé à suivre mes frères de garde jusque dans leur territoire. J’avais pris soin de m’assurer de leur réelle amitié, avant tout, pour m’éviter trop d’ennui, s’il advenait qu’on me dénonce. Suivre leur quotidien me permettait d’oublier le mien. Suivre Icare me démangeait de plus en plus; je voyais bien qu’il souffrait, lui aussi, de l’ambiance de notre clan. Il était spécialiste, certes, mais je ne l’avais jamais vu abuser de son grade. Je ne l’imaginais d’ailleurs jamais le faire.

Devant les ruines, je le laissais s’éloigner de plusieurs mètres avant de m’élancer à sa suite, à pas de chat. Bientôt, il était seul, tournant à droite, traversant un tas de débris, puis prenant à gauche, sous un parcourt labyrinthique qui me semblait improbable. Je me doutais bien qu’il se savait suivi, il ne méritait pas son titre par hasard. Peut-être cherchait-il à entraîner son poursuiveur pour le prendre à revers? Ou alors était-ce réellement sa destination? Prise d’un doute, car après tout, je ne voulais que suivre son quotidien, en faire partie, je m’éclaircis la voix, lui donnant une raison de pivoter.

Je gardais les mains à mon dos, adoptant une posture d’enfant sage. Mon sourire, par contre, contrastait cette apparente candeur en creusant une fossette de pure espièglerie à ma joue.

- Je suis certaine qu’ils font sonner la sirène un eu plus tôt, à chaque matin, pour nous faire gagner une poignée des minutes d'entraînement..

Comme pour lui signifier que je ne désirais pas le retarder, je m’avançais de quelques foulées pour arriver à sa hauteur, et me permis de continuer sur un ou deux pas afin d’initier la suite de la promenade.

- Ça n'aurait rien d'étonnant de leur part. Histoire d'éliminer les mauvais éléments. Le célèbre élitisme des Dragons. Salut, Louise.

Le célèbre élitisme des Dragons.

…

Mon rire traversa mes lèvres en me surprenant au passage. C’était l’un de ces rires francs, dénué de malice et trop spontané pour être calculé. Je dérogeai de ma posture sage pour dissimuler mon amusement, de la paume de la main. La simple idée que je puisse être intégrée à ce cercle prisé des puristes Dragons démontrait le ridicule de cet élitisme. Je n’avais jamais partagé leurs idéaux, je ne m’étais jamais impliquée au sein de ce clan, pas plus qu’il n’en fallait pour survivre, du moins. Et, surtout, j’aimais tout le monde, ou presque, sans m’arrêter aux clans ou aux préjugés.

- Ils ne m’ont pas encore éliminé, pourtant. Je suis toujours là. Je dois être tenace…!
Salut, Icare.

Il avait reconnu ma voix, non? Si, il s’était retourné en disant mon nom. Il m’avait donc reconnu, même de dos. Je cherchais à ignorer la boule solaire qui embrasait mon petit coeur, ainsi que l’insoupçonné et incompréhensible sentiment de fierté que l’identification précoce d’Icare me procurait. Plutôt, je déposai une main -la même qui avait étouffé mon fou rire coupable- sur mon coeur. La toute blonde que j’étais s’inclina d’une révérence drapée de majesté, et sans l’ombre d’un doute couverte d’un voile ô combien théâtrale.  Je voulais le voir sourire, encore et toujours, au risque de faire les singeries les plus pitoyables, sans savoir m’expliquer pourquoi. D’un coup d’oeil, en me redressant, je venais m’assurer que faire le pitre avait rapporté l’effet escompté.

- Mais… Toi, tu étais très bien, ce matin. Prodigieux. Ce fut un réel bonheur de voir Henry se rouler dans la poussière presque autant que moi. Si tu continues comme ça, je risque de venir avec plus d'enthousiasme..

À ce souvenir, celui du sol approchant un peu trop rapidement se moi, la douleur à mon épaule se raviva. Je tentais d’être discrète, autant que faire se peut, pour glisser une main à mon épaule, sous mon débardeur et la sangle de mon sac. Je massouillais la zone sensible qui sera bleutée avant la tombée du jour. Sans perdre de ma superbe, et sans vouloir sembler plus impotente que je ne l’étais devant lui, je rehaussai mon sourire omniprésent et désignai le reste de la route délabrée, d’un coup de museau.

- Tu allais vers le Centre, je crois? Alors dis-moi, à moins que tu sois en mission secrète, si je promets d’être discrète -une ombre!- et que je fasse semblant de ne pas te connaître, si tu croises des gens importants… Je peux t’accompagner, dis?

J’inclinai la tête pour mieux papillonner les cils et ainsi donner plus de force à ma tentative de supplication.

- Ou bien… Je te jure de te faire rire et de te faire passer un bon moment. Au choix.»

J’avais évidemment délibérément esquivé le choix qui sous-entendait que je l’accompagnerai pas, aujourd’hui. C’était hors de question, de toute façon.

Je sentais mes joues s’embraser, en entendant les paroles d’Icare. Charmante… Charmante Louise. Je me suis sentie sotte de m’empourprer pour si peu, si bien que je détournai le minois pour me soustraire à son regard, quelques secondes, le temps de me reprendre. Je secouai la tête en riant silencieusement, comme le font les filles charmées. Ce que j’étais, probablement. Puis, en entendant la seconde part de son compliment, je me figeai. D’où il savait que je traînais? Je revins vers lui avec une curiosité palpable, le regard plein de questions. Les lèvres pincées, je n’osai pas le questionner, pas encore, du moins. Il fallait probablement ne pas trop creuser. Et c’était Icare, je pouvais lui faire confiance, je le savais. Ses petits airs torturés devant les lynchages publics ne m’avaient pas échappé; il était comme moi, une créature un peu à part, tombé loin du nid. Quoi qu’il ait pu savoir de mes sorties, il n’avait rien dit, visiblement, puisque je ne m’étais pas encore fait prendre.

- Tu sais, le problème de Henry, ce n’est tant pas qu’il soit maladroit
au combat… Il doit être plus doué que moi, de toute façon. C’est
plutôt qu’il est cruel au point où j’arrive à m’amuser de ses chutes.
C’est mauvais de ma part, hein? Je devrais prendre exemple sur toi,
cow-boy. T’es plus sage que tu en as l’air, en fait!

S’il savait à quel point il avait raison. Il me laissait l’approcher, il me laissait entrer dans sa vie, il baissait sa garde pour moi. Il pouvait être assuré que je me pointerais fidèlement à chaque entraînement s’il me le demandait, je lui devais bien ça. Et puis, qu’était-ce quelques ecchymoses matinales, après tout?

- Oh… Merci. J’endure plus qu’autre chose, d'entraînement en entraînement.
Je vais essayer ton petit truc. Je serais peut-être soudainement plus
douée pour le corps à corps. ..Si on croit aux miracles. C’est bizarre de
ne pas filer ces trucs-là aux membres, quand même.. On souffre, pauvres
petites bêtes. Mais je te filerai un tuyau, aussi, c’est promis.

J’étais toute prête à reprendre la route, à le contourner, lorsque son visage se figea en un rictus que je ne lui connaissais pas. Je m’attendais à quelque chose de terrible, comme me demander de me taire tout au long de la promenade ou bien de marcher cinq mètres derrière lui, question qu’on ne nous voit pas ensemble. Même si une partie de moi trouvait ces possibilités totalement insensées -C’était Icare, crotte!-,  une autre part me chuchotait qu’il restait un spécialiste, et qu’il avait peut-être été contaminé par leur étrange maladie d'asociabilité.

-          Sois toi-même.

Un rire léger se fit entendre, de bonheur et de soulagement, devant son unique règle. Ses trois mots étaient entrés dans mon cœur, comme une balle perdue, irradiant mon être d’euphorie. Je ne l’avais pas vu venir et je ne m’attendais pas à un tel effet, non plus. Mon cœur manqua un battement, j’en étais persuadée, tellement il partageait ma surprise et ma joie. Je voulais glisser ma main sur son bras, je voulais l’entrainer dans une course folle jusqu’à loin, très loin, du territoire du Nord, je voulais rire et l’entendre rire. J’avais à nouveau quatorze ans. Mais je ne fis rien de tout ça. Tout au plus un mouvement de main interrompu avant même de rejoindre son bras, qui ressemblait à une invitation maladroite à me suivre. Icare, le sage Icare, souriant, réservé, moqueur, allait forcément fuir. Il n’était peut-être pas encore tout à fait prêt à confronter ma joie de vivre perpétuelle. Ou j’étais peut-être trop jeune pour être à sa hauteur…? Non. Ni l’un ni l’autre. J’avais la trouille de me heurter à un refus poli et navré, tout simplement, et de détruire notre amitié naissante et encore fragile. Ma joie immense s’étiola peu à peu, laissant dans son sillage des lambeaux de doute. Mon bien-être était toujours présent, vaguement diffus. Malgré la crainte que cette gentillesse et que ce charme discret s’évaporent, j’étais comblée, en ce moment précis. Je ne devais jamais oublier cette sensation. Celle d’être avec lui, d’être entièrement acceptée, et de n’avoir qu’à profiter du moment. Je m’en contentai.

Mon sourire charmé et conquis me trahissait, de toute manière. Je poursuivis mon chemin dans la direction où il se dirigeait, avant cette petite invitation. Je m’assurai simplement qu’il marche à ma hauteur, à égalité, puis, mains affairées à retenir la ganse de mon sac usé, je bottais un caillou, devant nous. Encore et encore. Il nous attendait sagement quelques mètres plus loin, dictant notre direction. Je brisai ce silence, après quelques instants de marches et plusieurs bottages de caillou.

-          Dis, Icare… Quand tu parlais de ton père, tout à l’heure, et de sa pression, sur toi?
...C’est ce que tu voulais, être spécialiste?

La question avait au moins le mérite d’être franche et sans détour. Comme mes yeux, deux billes céruléennes posées fixement sur lui.

Je ne pouvais pas croire que Henry avait réussi à se faufiler, entre Icare et moi, pendant plus de deux mots, plus d’une poignée de secondes. Même lorsqu’il n’était pas là, il me pourrissait la vie. La petite réplique d’Icare sur la rareté de la cruauté dragonne m’avait arraché un énième rire, plus discret, celui-là, et avait tôt fait de clore définitivement le sujet « Henry » pour la journée. Enfin, je l’espérais. Il était inconcevable que je gaspille le temps de ma première sortie avec lui pour parler de ce bouseux dégénéré. J’avais néanmoins accueilli la suggestion du grand blond d’un hochement de tête convaincu : je n’allais pas arrêter de me moquer doucement de Henry, ça, non, mais m’en prendre physiquement à lui serait une grave erreur, une confrontation trop explicite. Et j’étais trop petite et trop fine pour rivaliser avec lui, de toutes manières.

C’était vrai, cela dit, qu’après un bref massage, la douleur s’atténuait au moins pour un temps. Je replaçai tout juste la bretelle de mon débardeur  sur mon épaule, après avoir offert mes remerciements pour le tuyau, lorsqu’Icare me décontenança, une fois de plus, par ses paroles. Figée, les yeux grands, hagard, je bu littéralement ses mots et il me fallu quelques secondes supplémentaires pour bien en comprendre le sens de tout ce qu’il me disait. J’avais cette vague impression que je rêvais tout en étant éveillée, une espèce d’hallucination, non seulement j’étais en compagnie du seul spécialiste lumineux du clan, mais en plus, il me tendait la main dans la simplicité et l’évidence la plus totale.

-   Je peux t'apprendre à encaisser et à rendre. Le corps à corps, c'est mon domaine de prédilection et puisque personne d'autre ne te le proposera, c'est une opportunité à saisir. …Je me dis simplement que ça permettrait au moins de t'améliorer et peut-être, qui sait, un jour devenir Aspirante. C'est plus sécurisant quand on est dans ce groupe.  

- Je.. Mais..! Attends, attends. Quoi?! Tu me proposes, à moi, de m’aider à m’améliorer au corps à corps, au combat? Tu ne crois pas que je sois une cause désespérée? Je veux dire… Tu m’as bien vu me battre avec une lame, non? Ce n’est pas ma tasse de thé, pas du tout. Au moins, je peux esquiver les coups, mais.. Tu crois vraiment, sincèrement, que j’ai la moindre miette d’ombre de chance de devenir un jour Aspirante? Tu veux réellement me consacrer autant de ton temps? Je.. C’est rare, pardonne-moi, mais je ne sais absolument pas quoi te répondre, les mots me manquent! Je ne l’avais pas vu venir. Mais oui! OUI, je veux, bien sûr que je veux!

Je lui faisais face, alors que je reprenais mon souffle suite à cette explosion de mots, le minois illuminé d’intérêt et les lèvres entrouvertes devant cette conversation complètement surréaliste, mais ô combien séduisante. Cette simple invitation avait fait naître des dizaines de questionnements qui déferlaient en vague à mon esprit. Allais-je devoir renoncer à mon rôle de Gardienne, si nous supposions que j’allais un jour être Aspirante? Tom et Jackson étaient des parties intégrantes de ma vie, et la simple idée de m’éloigner d’eux me pinçait le cœur. Mais avant ça, avais-je réellement la moindre chance de m’améliorer pour m’élever? J’étais l’une des plus petites, chez les Dragons, et même les femmes me surplombaient de beaucoup. Même si nous mettions de côté cette possibilité, un entrainement régulier avec Icare voulait dire… Plus d’Icare! Purée. Je souriais à m’en creuser des fossettes, béate, j’en étais convaincue. Il me faudrait certainement la nuit entière pour me remettre de toute cette joie, et une semaine pour ne plus repasser en boucle les gentilles paroles d’Icare.

Lorsque nous nous sommes remis en route, j’étais enfin calmée. Je sentais encore mon pouls battre fort dans ma poitrine et je crois que j’avais les mains un peu froides sous le flot d’émotions qu’il m’avait fait vivre, en si peu de temps. Je me concentrai un temps sur le caillou avant d’enchaîner sur son père et le rôle de spécialiste. Il faut dire que je connaissais peu sa vie, ou encore son entourage, et l’idée d’en apprendre plus sur lui m’enchantait, évidemment. J’espérais sincèrement que grimper les échelons jusqu’à ce titre soit sa propre motivation.

-   Si on m'avait demandé mon avis, j'aurais répondu que je n'étais pas fait pour être Membre tout court. Je n'ai jamais aimé tuer. J'ai été recruté.

- Il faut être un peu dérangé pour aimer tuer…

Sa réponse m’avait fait mal au bide. J’avais eu une chance inouïe, je m’en rendais bien compte, d’avoir la famille que j’ai, moyenne, un peu cabossée mais unie par un amour sincère et inconditionnel. Ils m'avaient élevée avec un unique conseil, quant à ma vie d'adulte, ma vie d'après mes seize ans : Sois heureuse.

- J’ignore pour toi, mais mon épreuve a été vraiment éprouvante. Je ne me souviens même pas du visage de l’homme que j’ai tué. Si seulement ma mémoire pouvait restituer la couleur de ses yeux, ou la forme de sa bouche..! Je me souviens du combat, par fragment, seulement. Mes parents auraient préféré me voir soumise, je crois. Mais j’aurais eu beaucoup moins de liberté. Passage obligé! ...Oh, excuse-moi. Je parle encore, je parle tout le temps..!

Du bout de l’index, en toute discrétion, je retraçais la cicatrice de morsure, à la paume de ma main. C’était mon principal souvenir de l’homme sans nom que les Dragons m’avaient obligé à tuer. Pauvre type.

Dans notre errance, je gardais le visage levé vers le soleil pour me baigner de sa chaleur. Cette journée était parfaite. Je vivais la journée idéale. Cette simple idée m’arrachait un énième sourire. Non seulement mon ami était là, à mes côtés, mais en plus, il croyait en moi et en mes capacités et m’offrait concrètement son aide. « Une proposition d’entrainement », si j’en doutais encore… Je me voyais déjà être une furie ailée, agile, légère, la force du dragon version un mètre cinquante huit. De temps à autre, je bottais le caillou vers Icare, quelques mètres au-devant, afin de lui faire une passe. Je ne visais pas si mal, heureusement, et j’en regrettais presque mes jeux d’enfants où je n’avais que ça à faire, compter jusqu’à dix pour me cacher, ou botter de toute mes forces l’un de nos rares ballons. C’était bête, que je ne l’ai pas réellement connu plus tôt, dans notre jeunesse. J’étais certaine que je l’aurais mieux compris, ainsi que cet étrange litige le liant à sa sœur. Personne n’en parlait, ou alors du bout des lèvres, et ma mère me grondait sitôt que je voulais connaître le plus insignifiant potin. Elle ne voulait pas que sa fille unique soit une insupportable cancanière. Il était hors de question, donc, que je la questionne au sujet d’Icare et Thalia. C’était visiblement le moment idéal pour tenter une brèche dans sa carapace. Je frappais la roche, du bout du pied, avant de lui répondre.

- Mon Test, hein ?  Je ne m'en rappelle pas le moins du monde. Et quitte à paraître lâche, je préfère que ça soit comme ça.

- Je ne pense pas du tout que tu sois lâche, Icare. Ni que vouloir oublier le soit. Mais… C’est important, je crois, de ne pas oublier nos victimes, pour ressentir la culpabilité. Bon, dis comme ça, c’est un peu bizarre ou glauque, mais ce que je veux dire, c’est qu’on choisit, surtout le Chef Dragon, qui a le droit ou non de vivre, qui nous ne souhaitons pas voir dans notre petit monde, qui mérite d’être simplement retiré pour faire plus joli ou moins faiblard. C’est énorme, comme pouvoir! Et la culpabilité, notre petite honte intérieure, elle nous rappelle qu’il faut peser tout ça.

Je m’arrêtais un bref moment dans mon récit pour me concentrer sur les environs. Je ne savais plus trop où Icare désirait m’entrainer dans cette promenade, et je ne m’étais pas vraiment attardée au chemin parcouru. Je crois que nous avions rejoint le centre neutre depuis peu. Ce caillou n’avait sans doute jamais voyagé autant. Après une inspection, je retraçais le sentier poussiéreux, je retrouvais mes repères.

- Ma mère me disait que l’Homme était un loup pour l’Homme. Qu’il était un fauve, la peste, la foudre, un ravage pour l’Homme. Mais que malgré tout ça, on ne devait jamais se laisser dévorer, bouffer, assourdir et démolir, parce qu’au final, l’Homme est un proche qui permet de se soigner…

J’avais un peu honte de parler de ma mère, puis je m’en suis voulu d’avoir honte. Je tâchais de me remuer; Icare n’était pas l’un d’eux, il était comme moi, un gamin solaire. S’il ne m’avait pas jugé pour mes talents douteux au combat, s’il avait même poussé jusqu’à vouloir m’aider, il n’allait sans doute pas rigoler des paroles de maman. Je lui lançais néanmoins une œillade, par en-dessous, le minois un peu penché vers le sol, pour m’assurer de ne pas l’avoir perdu sous le flot incessant de mon caquetage. Ma prochaine étape était de le présenter à ma mère, de toute manière. S’il acceptait ses phrases philosophiques à deux balles, il allait survivre à une soirée en sa compagnie.

- Là où je veux en venir, c’est que… Je pense que c’est la notion de culpabilité qui nous différencie du fauve, de la petite bête sauvage puérile. Même si tu dis que tu as oublié, je suis certaine que tu dis ça parce que ça te fait mal au ventre et que ça te serre le cœur, de te rappeler. Et c’est tant mieux, c’est pour ça que tu es aussi important pour moi.

Les mots étaient sortis de ma gorge même si ma tête ne le souhaitait pas, comme si, habités d’une conscience, ils avaient volontairement franchi mes lèvres pour voleter jusqu’à Icare. Je m’empressais de rehausser un sourire, de faire celle qui avait bien mesuré ses paroles, celle qui parlait d’importance amicale, rien d’autre, non, non, promis, juré. Le caillou, toutefois, siffla comme une comète beaucoup plus loin de notre trajectoire. J’avais botté maladroitement, sous ma bourde verbale.

- Mais… Tu oserais me frapper, à l’entrainement, alors? Parce que je ne te ferai pas de cadeau, mmh!

Dire n’importe quoi, changer de sujet. Je déviais du sentier pour rejoindre le caillou, pauvre galet qui n’avait rien demandé pour se faire autant malmener, une victime collatérale des élans de mon petit cœur.

- Il le faut si tu veux pouvoir t'entraîner correctement mais je ne serai jamais cruel.

- Ce sera bizarre, de se faire frapper par un ami. Pour toi aussi, j’imagine. Il faudra que tu voies dans mes coups toute l’amitié que je te porte.

Je m’étais éraflée la main, à vouloir retrouver mon caillou perdu sous une souche à moitié effritée. Que ça m’apprenne, à m’ouvrir le cœur! Agenouillée devant le bois mort, la main perdue dans un trou obscur, profond et un brin inquiétant, je m’efforçais de lever le minois vers Icare pour continuer notre conversation, et ce, le plus naturellement du monde. Il était sacrément grand, vu d’ici. Mais au moins, il me cachait du soleil et je n’avais pas besoin de mettre ma main en visière, ce qui était sans doute un câlin à mon égo, parce qu’être accroupie devant Icare… C’était douloureux pour l’estime de soi et pour la féminité. Évidemment, j’aurais pu trouver un autre caillou à botter, mais je m’étais attachée à celui-là, il était un peu le souvenir de ma première sortie hors territoire avec la fine lame. J’avais endossé l’échange de compliment sous un sourire intimidé, bien malgré moi, et la poursuite du galet fut l’excuse idéale pour m’en remettre.

Après tout ce qu’il venait de me dire, sur la violence du rôle des fines lames, et son petit air amer, j’étais mal pour lui. Et pour moi, dans la mesure où il espérait que je me démarque dans cette voie. Je pouvais comprendre que ma situation était délicate, et que ma sécurité et mon intégrité ne tenaient pas à grand-chose, en tant que membre, mais il faut dire qu’il fallait y réfléchir deux fois, avant de formuler le souhait de tomber dans l’œil des spécialistes. Mis à part Orion, je doutais réellement que quiconque s’amuse de ce que ce titre comprenait, niveau sang sur les mains. C’était un passage obligé, pour avoir la paix et survivre. Ou, au mieux, un signe de prestige pour les plus ambitieux. En aucun cas je pouvais imaginer une gerbe de bonheur reliée à ce titre. J’espérais seulement qu’il y avait d’autres moyens de ne pas se faire piétiner… L’espoir fait vivre, comme ils disent.

- Je t’aurais bien vu être diplomate des Dragons, gentil et posé comme tu es. C’est bête, qu’on ne mise jamais sur la diplomatie, entre les factions, mais tout au plus un messager attitré uniquement pour les messages. Ça t’aurait évité d’endosser un rôle qui n’est pas fait pour toi. Et ça permettrait une réelle paix entre les clans.

Sous un petit cri de joie, je retirais mon poing fermé d’être les dents acérées de la souche, griffant un peu plus ma peau, au passage. Je tenais entre mes doigts le caillou fugueur, puis je le fis sauter dans ma main. Tout sourire, je me redressai enfin avant de retirer la terre sableuse de sur mes genoux. Sous une révérence théâtrale - la même qui l’avait fait rigolé, un peu plus tôt - je lui tendais, paumes vers le ciel, le fruit de mon labeur, le caillou magique, la galet de l’amitié, et une vue assurée sur la cicatrice, bien blanche, dans le creux de ma main.

- Tu sais, quand tu parlais de ma mère te la présenterai si tu veux, un jour. Je.. ne sais pas trop comment ça se déroule, chez-toi, avec ta famille. Ou ta sœur.. Mais tu serais le bienvenu chez-nous.

J’agitai la main pour me faire taire, la mine navrée, avant que je ne m’élance dans un autre monologue et que je le noie sous le flot terrible de mes mots. Mon sourire puait sans doute la sincérité, puisque je l’étais, sincère.

- Et je suis sérieuse..! On fait souvent des soirées de contes, tout ça.

J’étudiais bien sa réaction, prise d’un doute. Il n’y avait sans doute que moi pour inviter un spécialiste à une soirée familiale de contes, avec soumis invités et rations partagées, alors qu’il venait de me tendre la main pour un entrainement particulier. Rien qu’à repenser à cet entrainement particulier, je me sentais prise d’un vertige bien agréable… Sans trop le vouloir, je laissais mon petit sourire flotter et perdurer, à mes lippes.

Quand j’étais en sa présence, tout me semblait soudainement moins pesant, moins grand, moins problématique. C’était réellement magique. Je ne saurais trop expliquer ce qu’elle m’apportait mais ça pourrait pourtant facilement s’expliquer. J’ai toujours été un véritable rayon de soleil, du moins jusqu’à ce que je sois enrôlé dans cette vie de Fine Lame. Je l’étais encore quelques fois depuis ce moment fatidique mais seulement seul ou en présence de personnes de confiance, personnes avec qui je me lâche sans trop de difficulté. Comme elle, justement. Peut-être était-elle la petite touche, le petit rayon de soleil qu’il me manquait pour ranimer les flammes en moi. Elle est comme la petite piqûre de rappel qui me permet de me réveiller à nouveau. Je tendais vers cette explication, en tout cas mon corps puisque je n’étais plus ni crispé ni nerveux. Je n’avais tout simplement pas encore les mots ou la force, l’un ou l’autre, pour tout lui avouer. J’avais peur également de lui mettre trop de pression sur les épaules. Elle ne mérite pas ça, surtout par pour un lâche. Qu’on ne me dise pas le contraire, je suis lâche. Je n’osais même pas me montrer tel que je le suis alors qu’elle, elle n’avait aucune difficulté à ce niveau. Si seulement elle savait à quel point elle avait plus de mérite que moi…

D’ailleurs, elle me fit sourire, encore une fois, alors qu’elle se débattait avec une souche et pour quoi exactement ? Pour une pierre, une simple pierre aux yeux de tous mais qui paraissait vraiment importante pour la jeune blonde. Elle était également très tenace. Oui, elle faisait preuve d’un entêtement sans borne. Forcément, moi, je n’avais pas l’intention de casser une telle attitude. Au contraire, je voulais tout simplement profiter du moment. Je ne voulais pas la casser dans un tel élan. Alors, j’écoutais et j’observais. « Lors des entraînements, je frappe déjà des Fines Lames qui, s’ils ne sont peut-être pas des amis traditionnels, sont au moins des personnes que je ne déteste pas franchement. Mais c’est vrai que tu devras t’y faire, toi aussi. », dis-je sur un ton on ne peut plus simple. Je ne voulais pas en rajouter. J’exprimais simplement une réalité, une dure réalité, celle des Dragons. « Tu verras, avec le temps, on s’y habitue. La tête se fait une raison, le cœur aussi et le corps encore plus rapidement. », je l’avais déjà constaté, ce détail. On le constate rapidement quand on ne désire pas être Fine Lame mais qu’on le devient car l’instinct de survie nous donne suffisamment de force pour ça.

Je glissai malgré tout quelques mots alors que je la voyais galérer et se disputer avec cette souche. « Tu t’en sors ? », rien de méchant, ni même de trop « je ne te fais pas confiance ». C’était instinctif et je lui faisais confiance pour comprendre que je ne doutais pas de ces capacités à se battre contre la nature. Heureusement, tandis qu’elle m’exprimait ses impressions me concernant, elle gagna et put sortir enfin son poing. Ce fut pour moi une délivrance, le temps de percuter toute l’ampleur du compliment pas franchement déguisé. Je n’étais pas habitué à ce que mes compétences hormis celles de Fine Lame soient reconnues. On ne vit pas dans un monde heureux, encore moins utopique. Encore moins chez les Dragons. Alors, forcément, dans un premier temps, j’avais du mal à trouver la meilleure réaction. Tout se bousculait dans ma tête. Et étrangement, mon cœur parla à la place de ma tête. Ce qui ne m’arrivait que trop rarement. Je crois bien que j’avais oublié comment ça fonctionnait que de se laisser aller. « Je suppose que je me serais vraiment épanoui dans un tel rôle. », je hochai la tête, légèrement nostalgique du temps où tout était plus simple, quand je n’étais pas cet Icare. « Merci de me rappeler ce qu’il y a de bien en moi. », je le pensais vraiment. Seulement, j’étais encore un peu perdu vis-à-vis de mon ancien moi, le vrai moi.

Elle me tendit alors le caillou qu’elle avait récupéré avec beaucoup de difficulté et si je pris du temps à comprendre le geste et à le prendre, de ce fait, je le fis avec joie. Je ne savais tout simplement pas ce que je devais dire… « Je suppose que je dois encore te remercier pour ce… cadeau ? », oui, j’étais maladroit et particulièrement perturbé. Je la remerciais par la même occasion pour l’invitation chez elle. C’était encore plus déstabilisant. C’était contraire aux règles habituelles et non dites des Dragons. Elle avait l’art de s’aventurer en dehors des sentiers battus. « Je suis certain que ça doit être chouette de se retrouver pour raconter des histoires. Ça fait fort longtemps que je n’ai pas vécu de telles expériences. Je pourrais presque dire que je n’en ai jamais eu l’opportunité. », après tout, nous n’avions jamais vécu une vie tout à fait normale à cause de notre naissance. Nous étions des légendes. Et j’avais rapidement été repéré. Alors, forcément… Ce n’était pas très fréquent pour moi. Cette réponse voulait également dire que j’acceptais volontiers l’invitation. En espérant qu’elle lise entre les lignes parce que je n’étais clairement pas simple à comprendre, je le sais bien.

Dans ma tête, ça se bousculait. Il avait dit oui! Certes, j’avais souris et marmonné un “J’t’en prie” lorsqu’il m’avait dit que je faisais ressortir le meilleur en lui -comme si il n’y arrivait pas tout seul-, mais lorsqu’il m’a avoué qu’il trouverait ça “chouette” d’écouter les histoires de ma famille, des centaines d’idées, de scénarios et de possibilités ont explosé dans mon crâne à la manière d’un système solaire. On sous-estime l’expression “la balle est dans ton camp”. On jette des miettes ici et là en espérant qu’un autre en trouve une et réagisse. Cette fois, j’avais lancé une perche grosse comme le popotin de Tatie Lucie, et Icare avait mordu à l’hameçon et avait bien réceptionné mon lancé.

- Tu dois avoir plein de rations, ça rendra la langue des vieux plus déliée, pour les histoires.

Il allait s’imaginer que je l’invitais pour bouffer. Ça, c’était embêtant. D’une part, c’était vrai que, plus on était vieux, plus on devenait avare de nourriture. Le poids des ans nous rendait sans doute plus fragile et un surplus de nourriture nous aidait à tenir le coup. D’un autre côté, franchement, il pouvait bien venir les mains dans les poches. La majorité des gens qui participaient était des soumis, quelques marginaux et une poignée de membres aimables, sur le territoire du Nord. Si on était lucide, on se rendait vite compte que ce n’était pas nous qui avions le plus de rations à gaspiller.

- Enfin, je dis ça pour eux. Je t’invite pas pour ta nourriture. Tu viendrais pour me donner des coups en toute amitié que ça m’irait, hein.

Je m’enfonçais. Un bourbier immense, profond et purulent, et chacun de mes gestes pour me démener me paralysait un peu plus. J’ai donc exhibé mon arme de prédilection. Sourire espiègle, fossette à la joue, fou-rire tout prêt à jaillir. La nervosité me faisait parler et me rendait plus sympathique que je ne l’étais réellement, je crois. Du moins, j’avais le rire plus facile dans ces situations.

- Et.. Conseil d’amie.. Ne reste pas seul avec Tatie Lucie. Jamais. Tu veux pas aller là.

Je le gratifiais d’un clin d’oeil léger et un brin mystérieux. La carte de mise en garde était ma meilleure porte de sortie de ce sable mouvant dans lequel je m’étais empêtrée. Ma bonne humeur était revenue, sans petite angoisse et sans rire nerveux. Quelque part, je me doutais que Tatie Lucie allait craquer sur Icare. Une fine-lame était non seulement une usine à rations -à ses yeux!- mais également une créature musclée à force de combat et assez solide pour protéger. Pour cette soirée de contes, toutefois, il était de mon devoir de protéger Icare des probables intentions malsaines de ma tante. J’allais devoir garder un oeil sur mon ami.

Depuis que j’avais accepté son invitation, Louise était devenue encore plus souriante et rigolait d’un fou-rire incontrôlable. Je devinais qu’elle était nerveuse mais je ne comprenais pas trop la raison. C’était bien elle qui m’avait invité, n’est-ce pas ? Est-ce qu’elle s’était attendu à ce que je lui réponde par la négative ? Qui suis-je pour refuser une telle occasion ? Une famille normale – ou du moins optimiste et joyeuse – ne me ferait pas de tort, bien au contraire. Ça me ferait oublier mes déboires avec Thalia sans aucun doute. De plus, je ne me considérais pas comme l’un de ces Spécialistes inaccessibles : je ne me suis jamais vraiment pris de haut et je ne fais pas réellement partie de ces vautours assoiffés de pouvoir et donc prêts à voler les places des plus haut perchés. Alors, forcément, dans tout ça, je me demandais ce qui pouvait la rendre nerveuse chez moi. J’espérais quelque part que ce n’était pas juste le ramassis de muscles qui la faisait devenir complètement folle. Il fallait que je me concentre sur autre chose. « Au moins, ils ont trouvé une astuce pour recevoir des rations supplémentaires. Ils ne sont pas stupides. » Ce n’était peut-être pas ce qu’elle aurait voulu entendre à ce sujet mais je n’avais jamais été très doué à ce niveau-là. Surtout quand je deviens moi-même nerveux. Cette nervosité me prenait à mon tour, sûrement à cause de ce doute concernant l’attitude de la petite blonde à mes côtés.

Voilà qu’elle se justifiait. Pourtant, qui aurait pu croire que Louise serait ce genre d’hôte ? J’avais plutôt le sentiment qu’elle se perdait elle-même. Il n’y avait pas besoin de m’expliquer ce genre de choses. Je l’avais déjà observée et je savais qu’elle était sûrement celle qui me ressemblait le plus sur le territoire. J’avais bien du mal à m’imaginer qu’elle soit opportuniste de ce fait. D’ailleurs, si elle l’était vraiment, elle arrêterait ses escapades pour, sans aucun doute, utiliser plus souvent cette ruse de contes familiaux ou même de quelque chose de relativement répandu dans le clan bien que plus dégradant. Je n’avais pas besoin de mettre un nom dessus, cette explication suffisait amplement. « Je le sais bien. » Ce n’était pas froid. C’était juste maladroit. Je ne savais pas trop si un long discours serait plus approprié en de pareilles circonstances. Et puis, on ne se refait pas. Je ne suis pas une très grande pipelette et j’étais parfois beaucoup plus à l’aise avec le non-verbal. Et ça se prouvait puisque je lui souriais chaleureusement, déposant par la même occasion une main sur son épaule, signifiant que je n’en doutais pas une seule seconde.

J’eus tout de même quelques frissons à sa dernière remarque. Je ne voulais certainement pas savoir ce que pourrait me réserver cette Tatie. Alors, j’allais rester près de Louise. Je n’allais pas m’éloigner. Ah, il était fier le Spécialiste ! Incapable de se défendre dans une simple maison. Que la soirée commence !