Pense, pense, pense ! { Libre

Sujet: Pense, pense, pense ! { Libre Ven 31 Oct 2014 - 22:10

[1er jour post-rébellion]

J’avais appris cette nouvelle comme tout le monde sur le territoire, par la bouche de Nora, ancienne Chef. Je ne savais pas trop quoi en penser, dans le fond. Je ne m’inquiétais pas plus que de raison pour Annabella, à la fois parce que je la savais robuste et parce que je ne m’étais pas suffisamment attachée à elle, mais je m’inquiétais surtout pour les répercussions sur le clan, à cause de changement de règne provisoire et à cause des attaques perpétrées dans les usines de ravitaillement. Ce n’était jamais bon signe. Je n’étais certainement pas de celles qui avaient le plus à craindre, mais je n’étais pas la plus heureuse non plus. Comme toutes mes coéquipières, pour ainsi dire, j’avais déjà une ration à surveiller et l’idée de la voir diminuer ne m’enchantait pas plus que ça. J’aurais pu rester dans ce brouhaha inutile, rester près de toutes les autres, et quelques Soumis, mais je n’y tenais pas. Je préférais aller m’isoler, près du quartier général, certes, mais plus loin tout de même. Si je voulais penser constructivement, si je voulais avoir des pensées suffisamment ordonnées, il fallait que je m’isole. Le contact avec les autres ne m’effrayait pas mais j’avais toujours été une louve solitaire.

« Annabella à l’hôpital ? Quelle est la probabilité qu’elle en revienne avant même que tout ne soit bousculé ? » dis-je dans un soupire, un murmure pour moi-même, regardant le lance-pierre posées dans mes mains. J’avais espéré m’entraîner, ce matin-là, avant qu’on ne soit convoqués. C’était plus tôt dans la matinée, à ce moment-là, il était déjà environ midi, si pas plus tard encore. Pourtant, je n’avais pas franchement faim. Je restais concentrée sur cette affaire qui travaillait tout le monde, moi la première. « Ça veut dire aussi que je vais devoir ravitailler le clan plus sérieusement, plus régulièrement. » oui, je le savais, c’était ma part du boulot, après tout. « Tant qu’on n’en vient pas à frapper les Soumis pour leur voler leurs parts de ration. » je savais pertinemment que certaines Membres ne se gêneraient pas. La domination des femmes avait du bon pour nous mais du mauvais pour les Soumis, je le savais. Alors, forcément, je n’allais pas faire un scandale, pas tant que cela ne serait avéré, mais je me préparais à tout. Ça promettait vraiment d’être moche à voir, les jours qui suivront. Quelle partie de plaisir !

Sujet: Re: Pense, pense, pense ! { Libre Lun 10 Nov 2014 - 10:10

Pense, pense, pense ! - PV Rose (jour 1)
La nuit n'avait pas été de tout repos pour Yulia. Pour une raison encore assez floue, les libres s'étaient montrés particulièrement agités. En parcourant le centre neutre en compagnie de son équipière, elle avait bien grappillé quelques informations, mais rien de suffisamment concret. Si les paroles incohérentes qu'elle avait réussi à tirer à une fille étaient juste, il y avait du grabuge vers le sud de la ville et à proximité des entrepôts. Craignant des représailles, les libres les avaient évités et vers le matin, la zone neutre s'était progressivement vidée. Ce fait prouvait leur implication dans l'affaire, mais Yulia n'en savait pas encore assez pour tirer tout ça au clair. Autant dire qu'elle n'aimait pas ça du tout. Même les patrouilleurs des autres clans semblaient anxieux et légitimaient son inquiétude. Et puis, c'était du sud que l'on parlait et elle craignait qu'il soit arrivé quelque chose à ses proches. Elle ne voyait guère de raisons pour qu'une attaque éclate là-bas, mais au vu des dernières semaines mouvementées dans la ville, elle savait qu'elle ne pouvait plus se fier aux idées qu'elles s'étaient faites durant ses trois premières années de patrouille. La ville semblait être en pleine évolution et remettait tout en question, il lui faudrait donc jouer avec les nouvelles cartes distribuées.

Lorsqu'elle avait laissé sa place à l'équipe diurne, Yulia avait espéré en apprendre un peu plus, mais les deux filles n'étaient pas plus au courant qu'elle. Elle rentra donc vers le territoire des vipères, son allure rendue rapide à cause de l'inquiétude. Elle avait même laissé sa partenaire derrière elle et avait parcouru les derniers mètres en courant presque. En arrivant à proximité du quartier général, elle repéra une fille qui semblait faire les cent pas. C'était une rousse qui ne lui était pas inconnue, Rose si sa mémoire était exacte. En s'approchant d'elle, Yulia pu percevoir quelques bribes de ses paroles et elle ne pu s'empêcher d'y réagir.

— Il va y avoir un nouveau rationnement ?

Lorsque le fait de voler les rations des soumis était envisagé, c'était qu'il y avait du grabuge en vue. La situation devait donc être grave et cela avait sans doute un rapport avec cette histoire qui s'était déroulée aux entrepôts. Yulia avait la sensation de retarder d'une guerre et cela lui déplaisait fortement. Avait-elle raté quelque chose d'important ? Elle commençait sérieusement à ne plus en douter.

— Que se passe-t-il ?

Si je n’étais pas forcément à cheval sur la politesse entre Membres non gradées, je ne m’étais pas attendue à ce qu’on vienne m’interrompre de la sorte. Pas un bonjour, pas un mot pour me faire comprendre qu’elle me parlait. J’étais seule dans les environs du quartier général, dans les environs de l’entrée externe de celui-ci, mais tout de même. Ce n’était pas non plus la première à interrompre l’un de mes moments de solitude fétiches. Je ne savais plus quoi faire pour me terrer dans mon coin. Non pas que je détestais la compagnie des autres, néanmoins, j’en avais parfois besoin, de cette solitude, pour mieux réfléchir. En plus de ça, cette jeune fille semblait complètement à côté de la plaque, ou peut-être en retard ? Venait-elle de se lever ? Impossible. Si elle était sur le territoire, elle aurait été appelée, voire amenée, comme tout un chacun Soumis compris, à rejoindre le rassemblement pour les nouvelles que venait de nous donner Nora. Alors, elle avait dû être occupée à l’extérieur. Cela expliquait le fait qu’elle ne comprenne rien et qu’elle semble aussi agitée. J’aurais pu la nier, j’aurais pu continuer de vivre dans mes pensées, mais je préférai la rassurer, bien que ce ne soit pas le mot le plus adéquat, je vous l’accorde.

« Annabella est à l’hôpital, suite à des blessures causées lors de l’affrontement chez les Jaguars. Nora prend la relève le temps qu’elle se remette mais ça risque de mettre du temps, si j’ai bien compris. », expliquais-je la plus neutre possible. Au fond, je ne détestais pas Annabella, je n’avais aucune raison de la détester, aucune raison particulière ou personnelle. Je n’avais aucune animosité non plus envers Nora. Du moment que le clan allait le mieux possible, avec tous ces évènements, je me moquais bien de savoir qui le gérait. « Elle a dit que les règles sous le règne d’Annabella ne changeront pas, elles resteront en vigueur, même si elle la remplace. Il n’y aura sans doute qu’un seul changement, sans doute inévitable, c’est-à-dire, des restrictions de rationnements. C’est difficile mais les temps sont durs avec la perte momentanée de notre Chef et l’attaque, par les Libres, des entrepôts. », ajoutais-je perplexe. Cela ne m’enchantait pas plus que ça de piquer dans les rations des Soumis mais si nous n’avions pas d’autres choix, je me disais que c’était les règles. Moi aussi, en tant que Soumise, j’avais vécu cela, quelques fois. Si les Soumises étaient contre cela, il leur suffirait de grimper les échelons à l’âge requis. Pour les garçons, c’était une autre histoire. La vie n’est pas toujours juste.

« J’espère que ça t’aura aidé à comprendre la situation parce que ça va aller en s’accélérant, je crois. Nora avait un ton grave. Ce n’est pas de la rigolade même si nous ne sommes pas les plus à plaindre. », je sous-entendais, bien évidemment, que les Jaguars allaient évidemment souffrir après une telle bataille. « Je n’en ai pas encore eu l’occasion, mais je crois que si je croise des Jaguars lors d’un ravitaillement, je leur demanderai ce qu’il s’est réellement passé et leur situation actuelle. », ce n’était peut-être pas un acte franchement bien vu mais au fond, je n’avais rien contre eux. Je m’inquiétais tout de même de leur situation. Je ne suis pas certaine que les Vipères auraient pu tenir le coup, si elles avaient été dans le même pétrin, dans un même soulèvement à la même période. Alors, je compatis, c’est la seule chose que je puisse faire de ma place.

La jeune fille lui répondit finalement sans exprimer son point de vue sur la situation qui devait pourtant être considérée comme tragique par certains. Annabella avait été blessée dans un combat chez les...jaguars ?! Le coeur de Yulia avait raté un battement lorsqu'elle avait entendu le nom de son ancien clan. Pourquoi un affrontement avait-il eu lieu chez les jaguars ? Elle avait fait sa garde du côté nord, la distance avait du aider, mais elle s'étonnait quand même de n'avoir entendu aucune rumeur à ce sujet là. Choquée, elle laissa Rose continuer en espérant en apprendre plus. Yulia se fichait bien du sort d'Annabella, elle n'aimait pas cette femme. Elle avait toujours préféré Nora, le fait que cette dernière reprenne le contrôle était donc pour elle une bonne nouvelle même si elle n'en profitait pas à cause de la crainte qu'elle ressentait pour sa famille. S'il y avait eu des troubles chez les jaguars, les siens avaient pu y être mêlés. Elle avait surtout peur pour son petit frère qui était membre.

La rousse continua à propos des vipères, mais elle ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas lui offrir plus de données sur les jaguars. Et puis, il était toujours utile pour Yulia d'emmagasiner des infos à ce sujet même si elle ne les utiliserait que plus tard. Elle ajouta aussi qu'il y avait eu une attaque aux entrepôts. C'était du délire. A croire que la vipère avait vécue dans une bulle durant toute la nuit. Autant dire que le retour à la réalité était particulièrement violent.

— Oui. Merci. dit-elle d'une voix faible en réponse à son attention.

Rose semblait être une fille bien, elle s'intéressait même au sort des jaguars ce qui n'était pas commun chez les vipères.

— J'aurais aimé en savoir plus à propos de la situation côté sud, mais ce ne sera sûrement pas facile pour l'heure. Yulia se mordilla légèrement la lèvre avant de continuer. Ma famille vit là-bas. dit-elle comme pour se justifier. Est-ce qu'on sait pourquoi Annabella s'est rendue là-bas ?

Yulia trouvait étonnant qu'elle se rende là-bas. C'était complètement anormal et elle se doutait qu'il devait y avoir une intention malveillante derrière cet acte. Seulement, elle ne pouvait pas le dire comme ça devant une membre qu'elle connaissait à peine. Pour la forme, elle ajouta.

— C'est malheureux ce qui lui arrive.

Je comprenais tout de suite mieux pourquoi la demoiselle avait failli s’écrouler. Oui, j’avais senti sa surprise, même si, à vrai dire, tout le monde aurait pu le remarquer à des gestes qui ne trompent pas ; son regard avait changé du tout au tout quand elle avait parlé du Sud. Enfin, disons que je l’avais remarqué quand j’avais fini d’énoncer cela. Je ne m’en rendis réellement compte que quand Yulia me dit, presque timidement, qu’elle avait encore de la famille là-bas. Selon toute logique, elle n’était pas une native des Vipères. La raison qui l’avait poussée à rejoindre ce clan plutôt qu’un autre et quitter les Jaguars ne me regardait nullement c’est pourquoi je préférai ne pas m’aventurer en territoire inconnu. À coup sûr, c’était un sujet sensible pour la jeune fille, alors, il n’était pas question d’aggraver son état déjà fébrile suite à l’annonce. Il valait même mieux oublier ce détail quitte à lui demander plus tard, pour assouvir, malgré tout, ma curiosité naturelle mais extrêmement respectueuse. Même à ce moment-là, je n’insisterai pas. Ce n’était pas mon genre. Je préférai même la rassurer, quelque part, et avec mes moyens, bien évidemment. Je ne pouvais clairement rien confirmer en temps et en heure. Je pourrais me tromper à nonante-neuf pourcents. « Ils ne sont clairement pas indemnes, ils doivent faire face à de lourdes pertes, mais je sais de source sûre qu’ils ont réussi à faire face à l’assaut puisque Noâ est encore debout et aux commandes du clan. », glissai-je tout de même, histoire de calmer les inquiétudes, même partiellement, de la jeune fille à qui je faisais face en ce moment. C’était la moindre des choses.

Je haussai alors les épaules, un fin sourire mais chaleureux au visage. J’avais le sentiment qu’elle ne portait pas Annabella dans son cœur car elle ne s’était pas plus inquiétée que ça de la durée de sa convalescence ni ce genre de détails que parviennent toujours à demander les personnes qui s’inquiètent de l’état général de quelqu’un. Alors, je n’insistai pas dans ce sens. Quant à la raison qui aurait poussé notre Chef à rejoindre le territoire des Jaguars, je ne la connaissais pas. Peut-être avait-elle eu vent de ce fameux assaut ? Allez savoir. « On ne nous a rien dit par rapport ça. Je suppose qu’elle a été mise au courant d’une façon ou d’une autre de ce qui se tramait là-bas, pendant ou avant l’attaque en soi. », je me montrais franche, comme à mon habitude, d’ailleurs. Pas besoin de cacher les choses. Et puis, je ne mentais pas, j’émettais des suppositions, voilà tout. « C’est malheureux mais ce n’est jamais impossible quand on se bat. Tu dois le savoir autant qu’elle ou que n’importe quel Membre. », je n’étais ni cruelle ni compatissante. De nouveau, je voyais la réalité. J’étais objective. « Rose. », voilà que je me présentais platement. « Et toi ? », je devais être déroutante, je l’admets volontiers. Ce n’était pas un problème pour moi.

Sujet: Re: Pense, pense, pense ! { Libre Dim 15 Mar 2015 - 21:01

Yulia était indéniablement nerveuse. Pendant qu'une partie de son esprit s'escrimait à comprendre la situation et à trouver une solution pour en apprendre plus, l'autre s'appliquait à écouter la rousse. Elle était incapable de se concentrer uniquement sur ses paroles. Il fallait qu'elle s'occupe la tête sous peine de laisser venir dans son esprit des images trop déplaisantes. Les corps lacérés de son frère et de ses parents. Ses adorables cousines aussi froides que l'eau lors de la saison polaire. La vipère cligna rapidement des paupières pour tenter de faire abstraction de tout ça. Elle se contrôlait beaucoup mieux d'habitude. Mais d'habitude, elle n'avait pas à s'inquiéter de la sorte pour sa famille. Les jaguars avaient été attaqués et peut-être les siens étaient-ils tous morts. Comment aurait-elle pu être calme ? Yulia se mit à tripoter le bouton de sa manche, luttant contre l'envie de l'arracher purement et simplement.

L'autre membre parla de Noâ. Yulia ne la connaissait pas personnellement car elle avait après tout quitté son clan il y a dix ans, mais son frère lui en avait souvent parlé. C'était une femme bien. Et indéniablement une meilleure chef que Joshua même si la comparaison n'était pas très flatteuse. Son frère était toujours très loquace à propos de sa chef et semblait la respecter profondément. Yulia était certaine qu'il avait du se battre à ses côtés, il faisait après tout partie de ces membres qui comptaient dans le clan et cela la rassura autant que cela l'inquiéta. Si Noâ commandait toujours, Anton devait être entier. Elle devait se forcer à le voir victorieux. Mais le reste de sa famille était plus exposé. Son père ne pouvait pas tous les protéger.

Parler avec la rousse lui permettait au moins de chasser par moment les flashs dans sa tête.

— Au moins, ils n'auront pas à vivre dans l'insécurité de ne plus avoir un chef solide sur qui s'appuyer.

Cela n'aiderait pas forcément pour le deuil, mais au moins il y aurait quelqu'un pour s'occuper des vivants. Pour les aider à survivre.

Les informations n'étaient guère nombreuses. Même la raison de la présence de Annabella chez les jaguars était floue. C'était vraiment étrange. Prenant une longue inspiration, Yulia fit un effort pour calmer ses mains et laissa retomber ses bras le long de son corps. Il fallait vraiment qu'elle se reprenne. Elle ne serait d'aucune utilité à son clan et ne pourrait rien apprendre sur l'état de sa famille dans cet état. Elle ne s'était plus laissée envahir de la sorte par ses émotions depuis longtemps.

— Oui, les risques sont toujours là. C'est aussi ce qui rend le combat intéressant. S'il n'y avait aucun challenge, que tout était décidé avant de commencer, cela ne vaudrait plus la peine.

Yulia n'était peut-être pas la plus belliqueuse des vipères, mais elle aimait se battre. Elle aimait aussi se dépasser et repousser toujours plus loin ses limites. Si les combats n'étaient pas nécessaires, la survie serait certainement plus faciles, mais elle était plus ou moins sûre que Paris ne pourrait jamais accueillir une période de paix. La violence était trop présente dans le corps des Hommes. Et elle le savait, elle pouvait elle-même être particulièrement vicieuse parfois.

La rousse se présenta soudainement. Cherchait-elle à détendre l'atmosphère en changeant de sujet ? Sans trop y réfléchir, la patrouilleuse se lança à son tour dans les présentations.

— Yulia. Et parce qu'entretenir un peu la conversation n'était pas un mal, elle continua. Je suis patrouilleuse. C'est pour ça que je rentre seulement sur le territoire. Et toi ?

Sujet: Re: Pense, pense, pense ! { Libre Mar 31 Mar 2015 - 23:40

Je sentais cette jeune fille perdue dans ses songes. Elle n’était pas présente mentalement. Son esprit divaguait. Je dirais même qu’il voguait au rythme de ses pensées qui représentaient alors des vagues plus ou moins imposantes. Il ne fallait pas être fin observateur pour comprendre ça. Il suffisait de remarquer que son regard se faisait distant et relativement voyageur. Elle ne restait jamais coincée sur un seul détail. Elle ne me regardait que superficiellement. Oui, elle devait être ailleurs. Quelque chose semblait véritablement la préoccuper. Je devinais rapidement ce qui devait la travailler ; elle m’avait dit juste avant que sa famille vivait dans le territoire des Jaguars. C’était justement là qu’avait grondé la rébellion. Il était donc légitime de s’inquiéter si elle tenait encore assez à ses proches. Et c’était ce que j’avais compris quand elle me l’avait dit. Elle ne l’avait pas cachée, cette crainte qui la rongeait et qui s’entendait à sa façon de me le dire, sans que je n’aie demandé quoi que ce soit, d’ailleurs. Me faisait-elle suffisamment confiance ? Sinon, pourquoi le dire à n’importe quelle inconnue de son clan. Nous, les Vipères, n’étions pas connues pour avoir ni de compassion pour les nôtres ni pour ceux des autres clans. Soit elle était insouciante, soit trop craintive pour garder ça pour elle. Certaines seraient capables de jouer avec sa famille comme faiblesse de sa part. Bon, heureusement pour elle, ce n’était pas mon cas. J’étais native des Vipères mais je respectais suffisamment les autres, comme des êtres humains qu’ils sont, pour m’amuser de ce pincement de cœur. J’étais humaine mais consciente de la dure réalité des quatre clans qui ne peuvent pas se blairer. Cela ne m’empêchait pas de bien servir mon clan. Je comprenais pourtant bien que ça puisse perturber. « C’est certain. Seulement, je crois que, malgré sa réputation, Noâ aura tout de même des difficultés. Ce n’est pas évident de se relever d’un tel coup de remous. », j’étais objective, pas froide. Je voyais les choses comme elles l’étaient. Je n’y gagnais rien, dans un sens comme dans l’autre, après tout. « Regarde chez nous. Annabella n’aurait pas dû faire partie de toute cette histoire, logiquement, il n’y a qu’elle de blessée finalement, mais ça met déjà notre clan sens dessus dessous. », vu notre état, je n’osais même pas imaginer celui des Jaguars.

Je voyais bien qu’elle s’efforçait de calmer ses pulsions mais ce n’était pas gagné. Cette fille était vraiment rongée par la nervosité. C’était clair et net. Je ne voulais pourtant pas remuer le couteau dans la plaie, alors j’évitai de fixer ces tics nerveux et je n’étais pas décidée de lui dire quoi que ce soit à ce sujet. J’avais beau perdre mon temps à observer les personnes qui m’entourent, au lieu de leur parler franchement, je n’étais pas un ours mal léché et encore moins brutale. Je savais comment m’y prendre, justement parce que je les observais suffisamment. « Sinon, nous ne pourrions plus nous surpasser et ce serait vraiment dommage. Le combat n’aurait plus aucun sens. », je continuais sur sa lancée. J’étais assez raccord avec elle à ce sujet. En plus, dans un monde tel qu’il leur est proposé, c’est le meilleur moyen pour survivre, surtout face aux Libres qui pourraient risquer on ne sait quelles bêtises. À son tour, elle se présenta. J’avais mis du temps à le faire, de mon côté. J’étais rassurée de voir que je n’avais pas affaire à une Vipère trop renfermée ou trop fière que pour se présenter ou se vexer parce que je ne connaissais pas son nom. « Ravitailleuse. J’ai assisté au discours de Nora, tout à l’heure. », les présentations étaient totalement faites. « Je peux essayer de prendre de leurs nouvelles aux prochains ravitaillements et t’en faire part, si tu le désires. », comme elle s’était sentie suffisamment ouverte pour m’expliquer ce qui l’inquiétait, je lui proposais naturellement de l’aider selon les moyens du bord.

Il était certain que les jaguars peineraient à récupérer. Cela aurait peut-être même un impact néfaste sur l'essence même du clan. Après un tel acte, il y avait de quoi refroidir les esprits les plus ouverts. L'idée que le clan puisse changer était dérangeante pour Yulia. Naturellement, sa famille était prioritaire et elle se souciait principalement des siens, mais le clan aussi avait une importance certaine à ses yeux. Même en tant que transfuge appréciant son clan actuel, elle ne pouvait s'empêcher de garder un attachement pour le sud qui l'avait vu naître. C'était probablement parce que la majorité de ses amis y vivaient. Yulia avait souvent envisagé de devoir un jour se retourner contre eux à cause d'un affrontement entre les vipères et les jaguars. Elle avait envisagé le fait de les perdre, de les trahir en quelque sorte, mais maintenant qu'elle se retrouvait dans une situation où eux étaient en danger, elle ne pouvait que constater qu'il était bien plus difficile qu'elle ne le pensait de rester spectatrice. Alors que se passerait-il si elle était un jour dans les architectes de leur destruction ?

— Les prochains jours seront sombres. Même pour nous. dit-elle songeuse.

Annabella avait beaucoup de détracteurs et sa politique basée sur la peur qu'elle inspirait aux autres ne l'aiderait pas maintenant qu'elle était dans le coma. Heureusement que le clan pouvait compter sur une chef solide comme Nora. Mais Yulia ne s'étonnerait pas de voir sortir de l'ombre des personnes étant contre la jeune chef. Sans parler des potentielles tentatives d'assassinat. C'était après tout le moment idéal pour l'achever. Elle ne l'avait jamais dit ouvertement et se garderait bien de le faire, mais Yulia avait toujours été assez retord à sa chef. Néanmoins, elle préférait ne pas se mêler à ce genre d'histoire.

Face à l'avis de Rose à propos des combats, Yulia se contenta de hocher la tête en souriant. Elle partageait son avis.

Lorsque les présentations prirent fin, l'autre vipère fit à Yulia une proposition étonnante. Elle ne s'était vraiment pas attendue à ça. Toutes les vipères n'étaient pas comme le stéréotype qu'on pouvait entendre dans les autres clans, mais elle avait rarement eu l'occasion de rencontrer quelqu'un de vraiment sympathique. Et l'une d'elles s'était encore moins montrée ouvertement gentille avec elle dès la première rencontre. Un sourire ornait ses lèvres, mais elle resta durant quelques instants bloquée par la surprise. Et peut-être un fond de méfiance. Rose n'avait pas l'air d'être le genre de fille qui se moquait des autres, mais elle n'avait aucun moyen d'en être réellement certaine.

— Tu ferais ça ? dit-elle légèrement hésitante. Désolé, c'est stupide de te poser cette question, mais je suis étonnée. Si tu en as l'occasion, ça m'aiderait beaucoup. Je vais essayer d'obtenir quelques infos durant ma prochaine patrouille, mais rien ne dit que je croiserais les patrouilleurs jaguars. Et après tout ça, je doute que je serais la bienvenue aux frontières. Toute aide et la moindre information pourrait donc apporter beaucoup.

Cette fille me semblait vraiment souffrir. Quoi de plus normal quand on sait que sa famille vit dans le clan qui a subi de tels dommages ? Tous ceux qui partiraient en bons termes s'inquiéteraient. Tous les gens sensés, en tout cas. Je ne suis pas dans sa situation, c'est clair. Pourtant, je crois que je suis apte à comprendre le déchirement que ça doit faire, au moins partiellement. De toute manière, ça se lisait franchement sur ses traits. Ils étaient tirés. Ils étaient tendus. Oui, ça la tracassait et elle pouvait difficilement mentir à ce sujet. Même si ça n'avait pas été moi qui lui faisais face à ce moment précis, je crois que tout le monde aurait été à même de comprendre. Il ne fallait pas être très intelligent. Je ne comprends pas pourquoi elle m'a délivré un telle vérité, par contre. Même si ce n'est pas interdit de changer de clan à l'âge de la Soumission, ce n'est pas quelque chose de si fréquent et même si nous n'étions pas chez les Dragons, il y a toujours un préjugé sur les transferts. Peut-être une crainte qu'ils ne sachent faire la différence entre leur ancienne vie, leurs anciens attachements et leurs nouveaux attachements et vie, le clan qui prime sur tout le reste. D'autant que les Vipères ont un ego telles que si elles devaient être trahies, Annabella - bien que dans le coma actuellement - n'accepterait pas une telle situation. Elle se montre cruelle et intransigeante concernant les trahisons et on ne sait jamais ce qu'elle considère comme trahison. Ce n'est pas franchement défini. Alors, m'avait-elle fait simplement confiance ? Allez savoir.

Je me concentrai pourtant sur elle, la regardant, de ma place, assise devant ce quartier général. « Tu as raison. Les temps sont durs pour tout le monde. Ça ne m'étonnerait pas qu'un soulèvement soit fait vu la position délicate. », j'avais dit ça tout naturellement, sans sourciller, ce qui était typique de ma part. C'était inquiétant mais au lieu de m'énerver, je m'accrochais aux faits et rien qu'aux faits. Elle semblait très cohérente, elle aussi. Cela faisait du bien de trouver quelqu'un qui résonnait et qui ne voyait pas ça comme une opportunité de prendre le dessus sur les Jaguars. En même temps, vu sa position, je la voyais mal prendre un tel plaisir. De toute façon, il n'y avait rien à faire, on ne pouvait être gourmandes maintenant, notre Chef était dans de beaux draps et ça remettait en doute toute l'organisation même du clan. Si elle ne s'en était pas mêlée, aussi...

Quant à sa réaction au sujet de ma proposition, elle était saine. Qui aurait sauté dans les bras de la personne qu'il ne connaît pas simplement parce qu'elle vous suggérait de faire un tel geste ? Les gens ne sont pas tous désintéressés. Même moi, je ne l'étais pas tout le temps. En plus, même si je le faisais pour la rassurer, je le faisais aussi par curiosité. Je voulait savoir où en étaient les Jaguars, comme ça se passait, s'ils se relevaient. Je ne me considérais pas clairement comme une âme charitable. Pourtant, si je lui faisais une telle proposition, ce n'était pas pour lui faire un coup bas. Non, j'allais vraiment le lui dire si j'en savais plus. « Ne t'excuse pas pour ça. Si je croise des Jaguars, je leur demanderai. Ça ne me coûte rien de leur demander pour ta famille par la même occasion. », j'avouais directement les choses. Il ne fallait pas qu'elle m'idéalise parce que je faisais ça. Je suis curieuse. J'en profite simplement pour l'aider, elle aussi, tant que j'en ai l'occasion. Je suis curieuse. Je ne suis pas comme les autres. Je suis étrange. Suis-je gentille ?

Maintenant qu'elle faisait face à Rose, Yulia ne pouvait pas s'empêcher de se demander pourquoi elle n'avait pas prêté plus attention à la jeune fille. Elle était intéressante, c'était indéniable. Bien sûr, elle savait pourquoi. Elle avait peu de connaissances au sein de son clan et la majorité de ses amis appartenaient à d'autres clans, alors bien sûr ça jouait un rôle. Ici, il n'y avait vraiment qu'avec Dalia et Leonor qu'elle avait pu vraiment approfondir. Elle avait des connaissances, des "copines", mais sans plus. Chez les jaguars, c'était une toute autre histoire. Et naturellement, il y avait les patrouilleurs qui l'air de rien formaient une bonne équipe. A force de se croiser et de bosser ensemble dans le centre neutre, ça créait des liens.

Un soulèvement était une chose à envisager. Déjà le rationnement risquait d'être mal pris, mais la suite pouvait éventuellement offrir une bonne occasion à certaines personnes mécontentes d'obtenir un changement. Il était difficile de dire si ce serait vraiment une bonne idée dans les faits. Comme on disait avant, on sait ce qu'on a, mais on ne sait pas ce qu'on aura. Le futur pouvait être bien pire sous la coupe d'une nouvelle chef. C'était déjà une chance d'avoir eu Nora en remplacement. La femme de confiance d'Annabella était Ysaline et avoir une fine lame à la tête d'un clan, même provisoirement, était peu tentant.

La franchise de Rose était dans tous les cas plus agréables que déroutantes. Et tout ça ne la rendait que plus intrigante. Elles n'étaient pas nombreuses les vipères qui oseraient poser les faits aussi simplement sans craindre que leur discours soit mal interprété. Car c'était ce que Rose semblait faire : juste poser les faits sans prendre parti.

— Alors merci pour ça.

Que pouvait-elle dire de plus ? Rien n'assurait à Yulia que Rose découvrirait des informations sur sa famille, mais au moins elle essayerait. Un peu rassurée, la vipère expira un souffle fragile. Elle y voyait plus clair désormais et même si l'inquiétude était encore bien présente, elle avait repris bien plus de contrôle et se rapprochait peu à peu de celle qu'elle était normalement. C'est ce moment que choisit Leonor pour arriver finalement. Elle semblait fatiguée et à sa moue Yulia devinait qu'elle avait été mise au courant de la situation du clan. Elle vient se planter au côté des deux filles, lançant un bref sourire à Rose en guise de salut avant de se tourner vers Yulia.

— Il faut qu'on aille rendre nos armes.

Leonor n'avait pas tort, c'était un détail que Yulia avait complètement oublié. Elle hocha la tête en signe d'acceptation et tourna son attention vers Rose.

— Dans tous les cas, nous nous reverrons je suppose. Merci de m'avoir accordé un peu de ton temps Rose.

Leonor ne disait rien, mais Yulia pouvait sentir son regard curieux sur elle et elle supposait qu'elle serait abreuvé de questions sur le chemin menant à l'armurerie. Sa curiosité venait sûrement de la rebooster. Après tout, la blonde la connaissait bien et elle n'avait pas encore l'air complètement dans son assiette. De plus, elle ne lui connaissait pas une relation avec la ravitailleuse. Mais pour l'heure, elle évitait de larguer directement ses bombes. Elle secoua la main en direction de l'autre vipère pour lui dire au revoir et attira Yulia à sa suite.

— Bonne journée Rose.

Malgré tout ce qu'il se passait, Leonor restait bienveillante et souriante. C'était quelque chose qui dépassait toujours Yulia. Elle adressa un dernier regard à Rose avant de se laisser traîner jusqu'à l'armurerie, réellement peu encline à participer à un interrogatoire à côté duquel elle ne passerait pourtant pas.

Si Yulia semblait toujours aussi tendue, elle avait pourtant l'air de sourire, sans avoir besoin de se forcer pour autant. À moins qu'elle ne soit bonne comédienne, mais ce n'était pas si évident de l'être avec moi. Je parvenais toujours, d'une façon ou d'une autre, à percer les carapaces et autres masques de tout un chacun. Oh, je ne suis pas parfaite. Je n'en ai pas la prétention. Seulement, je suis tout de même difficile à berner. Je crois pouvoir affirmer qu'elle se sentait relativement à l'aise avec moi. Ça faisait plaisir. Ça faisait plaisir de ne pas avoir affaire qu'à des jeunes femmes à l'ego démesuré. Elle semblait vraiment simple. Pas du tout hautaine pour un sou. Peut-être était-ce l'expérience des Jaguars qui se lisait en elle ? Sûrement. La réputation des Jaguars était bonne. Certes, c'était un clan poubelle, mais l'ambiance était toujours bonne. Voilà ce que beaucoup racontaient à leur sujet. D'ailleurs, c'était eux qui tenaient le fameux et célèbre quartier des jeux. Alors, forcément, l'ambiance devait très souvent être à la fête. Moins actuellement, évidemment. Il ne fallait pas se leurrer. Yulia, elle, ne se leurrait pas. Elle s'inquiétait, même. Ce que je pouvais aisément comprendre. J'allais aider à ma manière. Dès que je le pourrais. C'était le minimum.

Apparut alors Leonor. Une autre patrouilleuse. Une demoiselle que je connaissais également de vue. Elle nous interrompit rapidement. Il leur fallait y aller. Il n'y a pas de secret, dans ces cas-là, il me fallait m'effacer à mon tour. De toute manière, il n'y avait pas le choix. Si elles devaient rendre les armes à Nora qui joue le rôle de Chef actuellement, elles devaient le faire. Il ne fallait pas risquer de réveiller le courroux d'une Ancienne Chef de « remplacement » ou non. De mon côté, je n'avais rien à faire de plus. Je pouvais me replonger dans mes pensées, dans mon monde bien à part. Ça ne me dérangeait pas le moins du monde, après tout. « Merci de m'avoir fait confiance, Yulia. », je la saluais, alors. « Bonne journée à vous deux. », je les saluais toutes les deux. Je restai là encore un bon moment avant de partir.

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