Ah qu'il était doux de lire la douleur sur les traits d'un homme. La torture faisait partie de ces petits plaisirs que James ne partageait que trop rarement. Les volontaires pour l'exercice se faisaient rares. Aussi idiots étaient-ils, les hommes finissaient toujours par comprendre que si jouissance il y avait, elle ne profitait qu'au bourreau. Tout du moins, les hommes qui savaient où se trouvait leur place. Les Aigles ne faisaient pas partie de cette catégorie de mâles bien éduqués. Et aujourd'hui, alors que tout lui semblait noir, alors qu'elle n'aurait jamais pensé apprécier la proximité avec le clan antagoniste, elle bénissait le destin d'avoir mis ces deux idiots sur son chemin. Si l'état de sa sœur lui serrait toujours le cœur, ses pensées étaient, elles, occupées par autre chose. Son habituel sourire en coin, sa marque de fabrique, illuminait son visage. Et le sang coulait, et l'aigle sombrait, et les vipères sifflaient. Les vipères sifflaient comme la langue de Lorie claquait en avertissement feutré. Et la lame dansait comme la queue du serpent, sur la peau nue, à découvert de l'oisillon trop loin du nid. Un premier trait, suivi d'un second, et d'un dernier, rythmé par les râles de douleur de l'oiseau en cage. Et James sourit de plus belle. Le moment touchait à sa fin. L'œuvre était presque terminée, ne restait plus qu'à la dévoiler au monde, à la trimballer partout. Pour prévenir. Pour aviser les autres idiots. Il n'y avait pas de pitié, pas de pardon. Les exactions des mâles ne resteraient pas impunies. Pas quand on touchait à une vipère.

Le tableau était fini. La soumise s'était relevée, fière de son travail. Qu'il était beau, son travail. James ne répondit rien à la question de la jeune femme mais elle tourna autour du malheureux, admirant chaque trait sanglant sur sa peau. Qu'il était pâle, à présent. Si pâle que l'écarlate l'habillait à merveille. James applaudit. Il s'agissait d'une belle fresque. « Ah l'Art ! Quel formidable moyen d'expression. », s'exclama-t-elle ravie. Elle s'approcha de l'homme qui avait perdu pied. Elle défit ses liens. Elles ne craignaient rien. Ses longs doigts glissèrent sous sa chemise, dans une poche cousue dans la doublure. Elle en sortie une petite pilule qu'elle glissa dans la bouche de l'aigle, un air dégoûté sur le visage. Elle s'assura qu'il la morde, bougeant elle-même sa mâchoire inférieure. Crac. L'antidote au goût âpre se rependait sur sa langue, glissant dans sa gorge. Il survivrait mais elles seraient déjà loin. « Merci pour cette distraction », ajouta-t-elle, à la fois pour lui, et pour Lorie. Elle se releva alors, s'assura que la lame du patrouilleur lui revienne, plantant cette dernière dans le pilier qui soutenait la bâtisse. Et puis, enfin, elle se tourna vers Lorolei, lui adressant un sourire comblé. « On devrait rentrer. Nous sommes sûrement attendues chez nous. » Parce qu'au milieu de tout ça, James n'oubliait pas que Charlotte attendait son matériel. Sans attendre, elle sortit de la maison en ruine, réveilla l'autre crétin de la même façon, lui donna un dernier coup de pied et reprit le chemin vers le territoire des vipères. Elle ne parlait toujours pas mais il n'y avait plus de doute à avoir, sa mauvaise humeur l'avait quittée.