jour 4 – soirée

Tu fixes d'un œil absent le pendentif accroché au bout de ta lance. Il bouge légèrement sous tes gestes et t’apparaît parfois sous la clarté de cette nuit à la lune ronde. Tu es assise contre la façade de ta maison, à profiter simplement de l'air frais de la nuit qui s'annonce. Pour la première fois depuis la rébellion la journée a été calme. A choisir tu te demandes pourtant si tu ne préférais pas l'agitation à cette étrange quiétude qui te laisse bien trop de temps pour penser. Toi aussi tu es plus calme. Tes blessures sont toujours à vif mais tu as plus de facilité à les cacher sous ta carapace. Même si ce sont tes traits habituels qui marquent ton visage, un peu narquois, un peu charmeurs, la tristesse est toujours là. Tu as finalement abandonné l'idée de voir la souffrance partir par la force. Tu as admit que tu n'as pas vraiment de contrôle sur ta peine. C'est un premier pas qui bien que minuscule te conduit peu à peu vers un horizon plus fier. L'os taillé teinte un peu contre le métal de ton arme et te sort de tes pensées. Tu ne sais pas pourquoi tu as gardé ce collier. La veille tu l'as arraché à une drôle de fille se prétendant Vipère et depuis tu ne parviens pas à le quitter. Tu l'as emporté sans t'en rendre compte et plutôt que de le jeter, tu l'as conservé sur toi. Il est resté au fond de sa poche pendant les entraînements et sous le coup d'une inspiration soudaine tu l'as accroché à ta lance. Il semble bien là. Presque à sa place malgré cette forme féline qui te nargue. Tu ne comprends pas pourquoi tu y attaches de l'importance. C'est juste plus fort que toi.

Des bruits de pas empressés font glisser ton regard vers la rue. Quelqu'un vient. Tu vois son ombre se mouvoir mais tu ne discernes pas de qui il s'agit. Par réflexe ta prise se raffermit sur ton arme. Tu t'attends à ce que le nouveau venu passe son chemin mais il se dirige vers ta maison. Il t'adresse un regard surpris. A croire qu'il est étonnant de te voir juste flâner à la nuit tombée.

DRAGON – Violette tu tombes bien je te cherchais.

Tu hausses un sourcil avant lui intimer d'en venir au fait d'un geste de la main. Ensuite tu te lèves calmement tout en restant nonchalamment appuyée au mur.

DRAGON – Je suis patrouilleur. Tu me remet ?
VIOLETTE – Passe à la suite.
DRAGON – Yulia m'a demandé de te passer un message. Elle t'attends à proximité de la vigie sud-ouest. Elle dit que tu sais pourquoi elle est venue.

Tu fronces les sourcils. Pour qui elle se prends cette fille ? Si elle croit qu'elle peut te convoquer comme ça, elle se fourre le doigt dans l’œil. Le dénommé Finn semble attendre une réponse mais tu ne lui en donnes pas. Il n'a qu'à tirer les conclusions qui l'arrangent. Plutôt que de repartir il reste planté devant toi l'air anxieux avant de se lancer.

DRAGON – Elle se doutait que tu ne viendrais pas. Elle m'a dit de te dire que ça ne l'étonnait pas d'une couarde de dragonne qui a fuit la queue entre les pattes hier.

Oh la garce ! Tu vois rouge sur le coup et tu te retiens de justesse de t'occuper du pauvre messager. Il échappe à une mort certaine car ta colère te pousse à aller mettre en pièce cette maudite Jaguar. Puisqu'elle tient absolument à te voir, tu vas lui faire ce privilège. En plus, tu seras la dernière personne qu'elle verra avant que tu ne lui crèves les yeux. Tu pars au pas de course vers le nord-ouest, fonçant directement dans le piège qu'elle t'a tendu. Tu es trop ailleurs pour te rendre compte qu'elle te manipule comme on manipulerait une gamine de cinq ans. Tu cours juste sans te soucier du reste. Seule l'arrivée a une quelconque forme d'importance. Tu dépasses les frontières du clan sans te soucier des sentinelles et tu fouilles la zone des yeux. Elle t'attends dans l'ombre d'un bâtiment. Tu la reconnais sans la voir. C'est encore une preuve qu'elle t'a plus marquée que tu veux bien l'admettre. Tu la rejoins sans plus attendre. Ta lance en main, tu te plantes devant elle en la fusillant du regard.

VIOLETTE – Tu sais ce qu'elle te dit la couarde de dragonne ?! Je n'ai pas fui. Je suis juste partie parce que ça me tuait de respirer le même air qu'une Jaguar !

Organiser une rencontre avec Violette n'avait pas été facile pour Yulia. Le clan des dragons n'était pas forcément le plus accessible et il lui avait fallu du temps pour convaincre l'un de leur patrouilleur de lui rendre un service. Heureusement, elle avait un bon contact avec ses collègues. Le problème était principalement venu du fait qu'il ne s'était pas montré très chaud pour entrer en contact avec Violette. En discutant avec lui, Yulia avait appris bien des choses sur la dragonne et au vu de ce qu'il se racontait sur elle, elle avait compris le peu de motivation manifesté par le patrouilleur. Pourtant, il avait fini par accepter de transmettre le message. Ou plutôt les messages puisque Yulia avait prévu plusieurs cas de figure. Elle se doutait bien que la dragonne ne viendrait pas aussi simplement et avait donc rusé pour être sûre de la voir la rejoindre. L'idée de revoir Violette ne l'enchantait pas vraiment. Si elle était ici, c'était uniquement car elle voulait récupérer le collier confectionné par son père.

Après un temps qui lui parut infini, une silhouette passa enfin les frontières des dragons. Appuyée à la façade d'une bâtisse détruite, Yulia attendit simplement que Violette vienne vers elle. Elle était aujourd'hui bien armée et se tenait prête à dégainer au besoin son arbalète. Elle avait aussi ses deux dagues accrochées aux cuisses. L'idée de se battre ne l'enchantait pas, mais elle avait préféré se préparer à tout. En constatant la mauvaise humeur de la dragonne, Yulia comprit que le patrouilleur avait probablement dut utiliser la deuxième méthode pour la faire venir. Elle eut un petit sourire satisfait en l'entendant vociférer, mais ne lui fit pas le plaisir de réagir. Violette pouvait dire ce qu'elle voulait, elle avait fui aux yeux de Yulia.

— Je ne suis pas là pour ça. Je veux juste que tu me rendes mon pendentif.

Cette fois-ci, elle ne comptait pas se laisser démonter par cette Violette. Elle était venue avec un but et ne repartirait que lorsqu'elle l'aurait atteint. Elle ne s'en éloignerait pas non plus. Elle ignora ainsi le rappel à l'épisode de la jaguar. De toute façon, Yulia se doutait que Violette n'écouterait pas ce qu'elle avait à dire. Elle pouvait donc penser ce qu'elle voulait.

Tu ne pensais pas que c'était possible mais cette meuf est encore plus froide que la veille. C'est à peine si ton arrivée semble l'intéresser. Elle se fiche même de tes paroles. Elle ne relève pas un mot et se contente de sourire. Son petit sourire satisfait te fait rouler des yeux vers le ciel et tu serres ta lance un peu plus fort. Tu rêves ou elle te cherche ?

YULIA – Je ne suis pas là pour ça. Je veux juste que tu me rendes mon pendentif.

Même pas. En fait, elle n'en a juste rien à faire de toi. Tout ce qu'elle veut c'est son collier. Tu te retiens de justesse de le fixer. Dans l'obscurité, elle ne verra peut-être pas qu'il est accroché à ton arme si tu évites de bouger. Après une infime réflexion, tu hausses les épaules. Tu feins de ne pas voir de quoi elle parle.

VIOLETTE – Tu t'es déplacée pour rien. J'l'ai pas ton truc.

Tu lui adresses une moue faussement désolée avant d'écarquiller les yeux comme sous le coup d'une soudaine illumination.

VIOLETTE – Ah mais oui, c'est vrai ! Je l'ai balancé sur le chemin du retour. C'était trop encombrant, tu comprends ?

Tu détestes son attitude et tu comptes bien la lui faire payer. Si elle pense qu'elle est la seule à pouvoir jouer à ça, elle se fourre le doigt dans l’œil.

Face à l'énervement de Violette, Yulia ne fit que lever un sourcil. Elle était tellement facile à agacer que ce n'en était même pas drôle. Elle n'avait quasiment rien eu à dire. Il suffisait qu'elle fasse semblant de ne pas remarquer ses provocations pour qu'elle se tende comme un arc. La dragonne devait avoir un sérieux problème d'orgueil pour ne pas supporter qu'on l'ignore. A croire que le fait qu'on la craigne était un besoin vital. Elle n'aurait même pas été étonnée d'apprendre qu'il y avait une blessure narcissique cachée là-dessous.

Pour en finir plus vite, elle se résolut à conserver cette attitude distante et purement intéressée. Yulia ne voulait pas perdre de temps avec Violette. Si la dragonne semblait ne pas vouloir respirer le même air qu'une jaguar comme elle le disait, Yulia, elle, ne voulait tout simplement pas la fréquenter. Au vu de ce point commun, on aurait pu croire qu'elles parviendraient rapidement à un arrangement, mais c'était sans compter la réaction de la grande brune. Violette prétendait ne pas avoir le collier. Yulia était pourtant certaine qu'elle l'avait emporté avec elle la veille. Lorsque les traits de la dragonne s'éclairèrent de compréhension, Yulia comprit qu'elle se foutait d'elle. Il aurait fallu être complètement stupide pour ne pas voir qu'elle faisait semblant. Mais l'information qu'elle lui fournissait pouvait être véridique. Violette n'aurait sûrement eu aucun scrupule à jeter un objet qui ne lui appartenait pas même s'il avait de l'importance pour quelqu'un d'autre. Pour Yulia, ce pendentif était tout. C'était un présent de son père et elle y tenait vraiment. Elle n'hésita donc pas une seconde avant de saisir le col de la dragonne à une main, dégainant l'une de ses dagues de l'autre. Dague qu'elle lui glissa sous la gorge comme Violette l'avait fait la veille avec elle.

— J'espère vraiment pour toi que tu ne l'as pas fait ou tu vas passer toute la nuit à le chercher.

Violette ne s'en sortirait pas aussi facilement. Il ne lui suffisait pas de dire qu'elle l'avait balancé pour que l'affaire s'arrête. C'était même la meilleure façon de la condamner à passer du temps en la compagnie de celle qu'elle pensait être une jaguar.

Yulia reste de glace. Comme toujours te surprends-tu à penser alors que tu la connais depuis un jour seulement. Pour dire qu'elle est une véritable reine de la saison Polaire tu n'as pas l'impression de devoir la connaître plus que ce qu'elle a laissé entrapercevoir. Ce n'est pas non plus comme si tu cherches à la connaître. Tu te fiches bien de qui elle est, d'où elle vient et de ce qu'elle recherche. Si tu écoutais la petite voix en toi, tu te rendrais sûrement compte que tu étais plus curieuse à son sujet que tu ne le désirais mais tu n'as l'habitude de lui donner la parole. Elle est bien trop trompeuse à tes yeux. Comme cette Yulia qui s'emporte sans en avoir l'air. Sans préavis, elle te saisit par le col et te menace d'une lame sous ta gorge. Elle a été si vive que tu n'as pas réagis. Même lorsque tu te rends compte de ce qu'il se passe tu ne réagis pas plus. Yulia ne te fait pas peur, tu croyais pourtant lui avoir fait comprendre la veille. Pas impressionnée pour un sou, tu ne bouges pas. Tu te contentes de la regarder dans les yeux, un petit sourire au coin des lèvres.

YULIA – J'espère vraiment pour toi que tu ne l'as pas fait ou tu vas passer toute la nuit à le chercher.

Ton sourire s'agrandit plus encore. Elle est tellement sérieuse que tu as envie de la titiller un petit peu. Une main toujours serrée autour de ta lance, tu passes l'autre dans son dos pour la presser contre toi.

VIOLETTE – Je vais finir par croire que tu cherches des excuses pour que je passe la nuit avec toi.

Ta voix est enjôleuse et la façon dont tu la tiens contre toi contraste avec les menaces de Yulia. Tu laisses échapper un rire très léger avant de laisser descendre ta main vers la cambrure de ses reins.

VIOLETTE – Dis moi, si je n'ai pas jeté ton collier qu'est-ce que j'y gagne ?

Tu n'as pas envie de te laisser bousculer par la colère aujourd'hui. Tu veux juste te changer les idées, te divertir, et Yulia semble être la personne idéale pour se faire.

Yulia n'avait pas réagis sous le coup de la rage. Son geste était prémédité et méticuleux. Elle sentait poindre en elle l'énervement, mais elle le refoulait sans peine pour garder la tête froide. L'absence de réaction de Violette n'en fut pas moins difficile à accepter. Elle semblait se ficher comme d'une guigne d'avoir le tranchant d'une lame sous la gorge. Yulia fut tentée de la blesser en espérant ainsi effacer le sourire qu'elle affichait, mais elle n'en eut pas l'occasion.

En sentant la main de Violette dans son dos, Yulia se raidit. Elle s'était retrouvé plaquée contre elle avant même d'avoir pu réagir. La dragonne était chanceuse, elle n'avait pas été blessée dans cette manœuvre dangereuse. Lorsqu'elle insinua qu'elle cherchait sa présence, un léger rougissement monta sur les joues de Yulia. Elle ne s'était pas du tout attendue à ça. En fait, elle n'avait pas été aussi proche de quelqu'un depuis un certain temps. Depuis Kahlan en vérité. Kahlan était la dernière personne qui l'avait tenue contre lui avec cette sorte de possessivité étrange. Le trouble de Yulia ne fit que s'amplifier quand les doigts de la brune glissèrent plus bas sur son dos. Elle tenta de bégayer quelque chose, essaya même de s'écarter, mais elle ne savait pas comment s'y prendre. Alors elle resta là, les yeux baissés, en tentant de ne pas voir Violette. La chose était difficile puisqu'elle était pressée contre elle et que la dragonne était ainsi devenue l'intégralité de son champ de vision. Violette occupait même chacune de ses pensées à l'exception d'une petite zone qui représentait l'état d'alerte. Cette zone grandissait, reprenant progressivement le contrôle d'une situation décidément malvenue.

— Lâche-moi. La supplique était ridicule. S'il te plaît.

La dague que Yulia maintenait sur la gorge de Violette n'était qu'accessoire. Elle n'aurait même pas eu l'idée de l'utiliser pour l'éloigner. Cela aurait pourtant été tellement facile. Un coup de lame et la dragonne s'écarterait. Yulia éloigna d'ailleurs l'arme et laissa son bras tomber le long de son corps. Sa main était toujours serrée autour du vêtement de Violette, mais la poigne forte n'était plus vraiment là. Elle s'y accrochait comme on s'accroche à un objet à la surface de l'eau pour éviter de couler.

Yulia ne comprenait pas pourquoi elle était dans cet état. Sa relation avec Kahlan l'avait brisée et elle s'était appliquée à se blinder pour ne plus jamais être atteinte, mais ses bonnes résolutions étaient en train de fondre comme neige au soleil.

Tu restes interdite. En agissant de la sorte, tu as cru que Yulia se rebellerait et t'enverrait un coup pour échapper à ton étreinte mais non. Elle rougit. Comme une gamine de douze ans face à son premier béguin. La voir comme ça te donne envie de l'ennuyer encore un peu et tu pousses le jeu plus loin. Alors que ta main glisse dans son dos, tu ne peux pas t'empêcher de la trouver mignonne. Avant elle était belle dans son sérieux et sa colère mais sa gêne l'a rend plus attachante. Tu en viens presque à te demander ce que tu dois faire. Tu as déjà fait craquer des filles mais jamais de façon accidentelle. Surtout que tu ne pensais vraiment pas qu'elle était de ce bord là. Pour toi Yulia était purement hétéro. Peut-être qu'elle l'est vraiment en fait. Si ça se trouve, elle subit juste une petite faiblesse passagère. Tu aimerais croiser son regard pour en savoir plus mais ça s'avère inutile. Elle fait tout pour ne pas te regarder. C'est un signal assez évocateur. Trop évocateur.

YULIA – Lâche-moi. S'il te plaît.

Elle n'est vraiment pas convaincante. La pression sur ta gorge disparait soudain. Elle a baissé son arme. Tu écarquilles les yeux. Cette technique est diablement efficace. Sa main reste pourtant accrochée à ta chemise mais tu ne fais rien pour la chasser. Ce n'est pas si désagréable.

VIOLETTE – Désolée je n'ai rien entendu. Il va falloir répéter plus fort.

Tu la pousses un peu pour qu'elle recule jusqu'au mur. Tu avances doucement, sans la brusquer cette fois. Dès que tu le peux, tu poses ta lance et ta main libre glisse le long de sa joue. De l'index, tu redresses son menton pour qu'elle te regarde. Tu es prise dans ton propre piège. Malgré tout ce que tu peux dire Yulia t'attire et la voir si offerte te donne envie de te laisser emporter par la fièvre. Sans réellement en avoir conscience, tu cherches ses lèvres du bout des tiennes. Tu oublies tout le reste. Il n'y a plus que ce corps chaud contre toi et cette sensation grisante au fond de ton ventre.

Yulia se sentait comme un lapin prit dans les phares. Elle était paralysée par toutes les émotions qui se bousculaient en elle. Ces émotions que Violette faisaient naître avec une facilité déconcertante. Perdue, elle ne réagit même pas lorsque la dragonne la chercha. Elle fut aussi incapable de répéter quoi que ce soit. Les mots semblaient se mélanger dans sa bouche sans jamais quitter ses lèvres. Même le mouvement que Violette l'invita à faire pour reculer ne lui parut pas dénué de sens. S'appuyer au mur semblait être d'une absolue nécessité. Yulia avait l'impression d'avoir les jambes faites de coton. Elle éprouva donc une sorte de soulagement lorsqu'elle sentit le contact de la façade dans son dos. Elle ne put pourtant pas s'y appuyer comme elle l'aurait voulu. La main de Violette la retenait contre elle. Ce n'était pas un mal non plus pensa-t-elle en constatant que cette main puissante l'ancrait. Yulia ne remarqua même pas que la dragonne s'était d'elle-même désarmée. Le rapport entre sa deuxième main libre et la lance appuyée à côté d'elle ne se faisait pas. Un nouveau frisson naquit depuis la plante de ses pieds et la traversa jusqu'à la racine de ses cheveux quand les doigts de la brune passèrent sur sa joue jusqu'à venir soulever son menton. Yulia ne lutta pas contre cet ordre tacite. Malgré sa gêne, elle leva la tête et plongea les yeux dans ceux de Violette. Ce regard noisette l'envoûtait. En voyant le visage de Violette se rapprocher, Yulia n'eut pourtant aucun mal à fermer les yeux avec un peu d'appréhension. Elle n'était pas idiote. Elle savait ce qui allait se produire. Lorsqu'elle sentit le souffle de la dragonne sur ses lèvres, elle y fut comme suspendue. Yulia avait cessé de respirer dès le moment où elle l'avait embrassé. C'était un baiser léger qui lui laissa un sentiment d'insatisfaction. Yulia en voulait plus. Dans cette étrange parenthèse à la faveur de la nuit, elle était avide de Violette. Pourtant, elle rompit ce délicieux contact en reculant la tête.

— Je crois que ce n'est pas une bonne idée. Je ne sais pas pourquoi je fais ça.

Yulia était confuse. Elle se mordilla légèrement la lèvre. Ses yeux étaient revenus vers ceux de Violette et elle aurait été bien incapable de se détourner.

— Je n'aime pas de perdre le contrôle. Je l'ai fait une fois et...

Elle était à bout de souffle. Yulia ne s'en rendit compte qu'avec un temps de retard, mais elle respirait difficilement depuis que Violette la tenait contre elle. Tout autour d'elle avait changé et ça ne lui plaisait pas. Elle avait peur de l'ivresse engendrée par ces changements trop brutaux. Malgré tout, elle ne tenta pas de se soustraire à l'étreinte. Elle tendit le visage vers la dragonne et l'appuya contre le sien. Son front touchait presque le sien lorsqu'elle poussa un soupir. Il y avait dans la tête de Yulia un bazar sans nom pleins de pensées qui se contredisaient. Tout aurait dut la pousser à s'éloigner, mais elle ne le pouvait pas. Elle ne le voulait pas. Elle n'arrivait pas non plus à faire un geste réel vers Violette et en était donc réduite à éprouver les questions et cet entre-deux déroutant.

Une pensée fugace se glisse dans ta tête. C'est trop facile. Yulia cède à chacune de tes avances. Elle ne dit pas un mot. Ne fait pas un geste. Cette docilité est plus frustrante qu'appréciable. Ce qui t'a charmé chez elle c'est justement son caractère mais voilà qu'elle l'abandonne pour n'être plus qu'une poupée obéissante. Le baiser échangé te laisse un goût amer sur les lèvres et lorsqu'elle recule tu ne caches pas ton désappointement. Tu pourrais la lâcher simplement là maintenant que cette flammèche d'envie a disparue mais son comportement a affûté ta curiosité. Tu veux comprendre le pourquoi de ce changement. Tu restes donc immobile, en attente.

YULIA – Je crois que ce n'est pas une bonne idée. Je ne sais pas pourquoi je fais ça.

Yulia semble confuse. Elle se fait aussi beaucoup d'idées d'après ce que tu comprends. A l'entendre on dirait que l'histoire est sérieuse alors que c'est juste un bisou. Un vulgaire début de flirt. Tu retiens un sourire narquois devant tant d'innocence car elle reprends la parole et tu veux tout entendre.

YULIA – Je n'aime pas de perdre le contrôle. Je l'ai fait une fois et...

Une apparence de glace et un cœur d'artichaut qu'elle tente d'ignorer. Là tout de suite, tu trouves que Yulia devient cliché. Elle exécute soudain un geste d'une étonnante intimité. Son visage est contre le tien. Un peu comme si elle avait voulu que vos fronts se rejoignent pour un long regard sans calculer votre différence de taille. Tu restes statufiée durant un instant face à cette intervention. Elle envoie des signaux vraiment contraires mais ils ont tous l'avantage de te conforter dans ta vision des choses.

VIOLETTE – Tu attends quoi là ? Que je te déclare mon amour éternel ?

Ta voix claque comme un fouet. Il n'y plus ni douceur, ni tentative de charme dans ton attitude. Juste de la dureté et peut-être une touche de moquerie. Ce genre de personnes t'agace. Tu ne crois pas à l'amour avec un grand A. Tu crois juste à ce sentiment qui rend les gens stupides et faibles. Tu n'y as jamais succombé. L'amour est une perte de temps et n'engendre jamais rien de bon. Tu desserres ton étreinte et tu recules en saisissant d'un même geste ta lance. Tu t'es arraché à la main qui tenait toujours ton col et maintenant tu te tiens à plus d'un mètre d'elle. Tu es déçue. Bien plus que tu ne devrais l'être.

VIOLETTE – Réveille toi pauvre idiote, on n'est pas dans un conte de fée. Si un rien suffit à te faire craquer, tu ne vas pas faire long feu ma vieille.

La réplique de Violette arriva avec violence aux oreilles de Yulia. Ce fut comme un électrochoc. Le cœur de Yulia manqua un battement devant cette vérité qui crevait les yeux, mais qu'elle avait du mal à accepter. La dragonne ne se moquait pas juste d'elle. Elle se foutait ouvertement de sa gueule. Yulia avait pourtant cru ressentir un sentiment réciproque. Juste une petite étincelle, mais quelque chose. A voir Violette désormais, elle pouvait assurer que ce n'était pas le cas. Elle s'était juste joué d'elle depuis le départ. Yulia se sentit blessée, mais la douleur émanant de son orgueil eut vite fait de chasser celle de la trahison. Pourquoi aurait-elle du ressentir quoi que ce soit pour cette fille ? Elle s'était juste fait berner par une experte. C'était tout. Yulia pouvait reconnaître qu'elle était assez naïve lorsqu'il s'agissait d'amour et Violette en avait tout simplement profité. Elle se sentit particulièrement stupide quand même. Stupide d'avoir été si facilement manipulée. Elle n'avait montré que ses faiblesses à la dragonne en plus depuis leur rencontre.

Violette recula et laissa une impression de froideur extrême derrière elle. Yulia s'était appuyée plus nettement au mur, la main qui serrait le vêtement de la dragonne étant simplement retombée le long de son corps. Elle n'avait pas lutté pour la retenir, elle n'en avait pas l'envie. Si elle s'était écouté, elle aurait su que cette envie était encore un peu présente, mais sa fierté ne pouvait pas l'admettre. Alors qu'elle avait juste envie de s'enterrer dans le sol, Yulia se força à regarder droit devant elle. Droit vers Violette. Elle aurait aimé que son regard soit meurtrier, mais il était vide. Elle était incapable de montrer une émotion décente, alors elle ne montrait rien.

Face à la voix tranchante de Violette, Yulia ne put que hausser lentement les épaules. Elle avait probablement raison. Être sentimentaliste ne lui avait jamais rien apporté de bon. La preuve, elle était tombée amoureuse de Kahlan et avait cru que c'était réciproque alors qu'elle n'était qu'une fille parmi tant d'autres. C'était ce qu'elle serait aussi avec Violette d'après la façon dont elle se comportait. Yulia poussa un long soupir. Il fallait toujours qu'elle s'entiche des pires. C'était tout elle.

— Je ne peux pas te donner tort. Mais comment est-ce que tu fais pour ne rien ressentir ? J'ai essayé de me blinder, d'être froide, mais ça ne m'empêche pas de ressentir ces sentiments que la vie apporte sans qu'on ne les veuille forcément. Comment tu as obtenu ce cœur de pierre qui semble si bien t'aller ?

La voix de Yulia n'était même pas emprunte de reproches. Elle était calme et dénuée d'émotions.

— Et rend-moi le collier.

Lèvres pincées, tu observes la réaction de Yulia. Tu t'es attendu à une explosion mais il ne se passe rien. Elle semble juste abattue. Tu devrais t'en vouloir de faire souffrir quelqu'un de la sorte pourtant ce tableau ne t'évoque rien d'autre que de la pitié. Ce n'est pas ta faute si elle a été trop naïve et si elle en paye maintenant les conséquences. Mais au fond si Violette, c'est de ta faute. Tu as voulu jouer mais le jouet n'a pas répondu à tes désirs et s'est cassé trop vite. Tu es déçue, avoue-le. Étrangement mal à l'aise, tu replaces une mèche de cheveux derrière ton oreille et tu croises le regard de Yulia. Il est creux. C'est une sensation désagréable que de regarder dans le vide.

YULIA – Je ne peux pas te donner tort. Mais comment est-ce que tu fais pour ne rien ressentir ? J'ai essayé de me blinder, d'être froide, mais ça ne m'empêche pas de ressentir ces sentiments que la vie apporte sans qu'on ne les veuille forcément. Comment tu as obtenu ce cœur de pierre qui semble si bien t'aller ?

Tu fronces les sourcils. En réalité, cette soudaine prise de parole te déroute au plus haut point. Tu ne sais même pas à quoi tu dois réagir. Elle dit que tu as un cœur de pierre mais ça semble être positif selon elle. Toi-même tu ne sais pas si c'est un bien ou un mal. C'est pratique parfois d'être insensible mais tu n'es pas certaine de l'être. Comme tout le monde tu peux être blessée. Tu l'as été bien trop souvent ce qui te pousse à être plus méfiante.

YULIA – Et rend-moi le collier.
VIOLETTE – Non !

Tu réponds trop vite. Presque rageusement. Cette fille ne te connait pas et pourtant elle se permet de te juger. Elle t'attribue une absence de ressenti dont elle ne sait rien. Et elle semble envieuse d'une idée qu'elle s'est faite.

VIOLETTE – Puisqu'il semblerait que j'ai un cœur de pierre, je ne vais sûrement pas te rendre ton précieux collier. Tu peux aller te faire voir avec tes préjugés à la con.

Peut-être pour la première fois, ton regard est glacé. Mademoiselle je sais tout n'est pas la seule à pouvoir se la jouer reine des glaces. Son attitude vient de déclencher un blizzard qui n'est pas étranger à la mort de Chad. La blessure est encore fraîche et Yulia remue tout sur son passage.

Yulia ne s'était pas attendue à recevoir une réaction. Elle avait vidé son sac et c'était tout ce qui comptait. Avoir un retour de Violette ne l'intéressait pas vraiment au fond. Son seul intérêt reposait dans le fait de retrouver son collier. Si jamais cette idiote refusait de le lui donner, elle comptait aller au contact. Certes, Violette avait su lui prouver qu'elle avait le combat dans le sang, mais elle était prête à faire beaucoup de choses pour récupérer son bien. Neutraliser la dragonne pour ensuite la fouiller ne lui semblait pas être une solution trop extrême. En fait, c'était même plutôt tentant.

La voix tranchante de Violette la coupa néanmoins dans ses réflexions. Avait-elle vraiment dit non ? Bien sûr, il était possible qu'elle ait balancé le collier, mais quelque chose disait à Yulia que ce n'était qu'un mensonge. La brune refusait donc purement et simplement. Et elle le faisait avec verve. Avant que Yulia n'ait pu répliquer quoi que ce soit, elle fut assaillie par la froideur de Violette. Elle avait visiblement touché un point sensible sans réellement le vouloir. Son but n'avait pas été de blesser Violette, elle s'en voulu donc un instant avant de se reprendre. Elle ne lui devait rien et après la façon dont elle s'était comportée, Violette méritait bien de morfler un peu.

— Je ne rigole pas. Rends le moi !

Pour le lui prouver, Yulia s'empara de son arbalète, enleva la sécurité et la pointa vers Violette. Droit vers le coeur. Le tir serait presque à bout portant. Si le carreau faisait mouche, la blessure serait mortelle. Elle n'était pas certaine qu'elle tirerait, mais elle affermit ses traits de façon à prouver à Violette qu'elle était sérieuse.

Vous tournez en rond. Yulia réclame son bien et toi tu refuses de le lui donner. Dans cette situation, il n'est pas étonnant de faire face à une escalade de violence. Qu'importe tu es prête à la recevoir si la Vipère décide de passer à l'action. Tu le lui as déjà dit lors de votre première rencontre et cette fois tu vas lui prouver que tu ne parles pas pour rien.

YULIA – Je ne rigole pas. Rends le moi !

Yulia lance les hostilités. Elle pointe sur toi son arbalète. Tu vois la pointe du carreau qui brille sous les rayons de la lune. Vu votre proximité il y a une chance sur deux qu'elle loupe son coup. Tu n'apprécies néanmoins pas de voir une telle menace dirigée vers toi. Sans hésitation, tu écartes l'arme d'un mouvement brusque du bras qui t'arrache une grimace de douleur. Ton poignet vient de te lancer et si tu as pu retenir le grognement de douleur, la grimace s'est nettement imprimée sur ton visage.

VIOLETTE – J'ai dit non. Le mot est trop compliqué pour toi ?

Tu te montres railleuse pour compenser cette faiblesse affichée. Tu bascules finalement ta lance et tu poses le tranchant contre son bras.

VIOLETTE – Peut-être que si je te le gravais dans la peau ça irait mieux.

Menace en l'air. C'est vraiment trop galère d'écrire sur les gens avec une lance.

La réaction de la dragonne fut immédiate. Son bras parut sortir de nulle part aux yeux de Yulia et elle sentit son arme partir sur le côté. Violette venait de la dévier avec facilité et pour cause la vipère n'aurait jamais cru qu'elle agirait de la sorte. C'était complètement débile. Une prise de risque totalement inutile. Ses yeux s'arrondirent sous la surprise et une remarque cinglante fut à deux doigts de quitter ses lèvres, mais elle fut interrompue par une grimace étrange sur le visage de l'autre fille. Yulia jeta un bref regard à son poignet et se souvient qu'elle le maintenait en écharpe hier matin. En plus d'être idiote, Violette venait de se faire mal toute seule, c'était affligeant. Sa moquerie eut pour effet de raviver un peu l'agacement de la vipère qui maintenait toujours son arbalète pointée vers le sol, le visage dur.

— Tu crois malin de jouer à ça alors que tu aurais pu te prendre un carreau ? Si j'avais eu le doigt sur la gâchette, la blessure aurait pu être conséquente. dit-elle avec froideur.

Yulia avait toujours détestée ce type d'impétuosité. Il n'y avait aucune réflexion derrière son geste et ce manque de considération des risques aurait pu coûter cher à Violette. Pas menaçante pour un sou, la dragonne laissa sa lance reposer contre le bras de la vipère. Il n'aurait pas fallu grand chose pour que le tranchant coupe son vêtement, mais la pression était ici faible. C'était à croire qu'elle se servait d'elle comme repose-arme.

— Que de la gueule !

Yulia en avait un peu marre que cet échange se limite à des menaces sans sens. Et ne supportait pas non plus que Violette la considère aussi peu dangereuse. Sa nonchalance en sa présence était agaçante. La vipère non plus n'était pas réellement sur ses gardes à vrai dire, mais c'était une autre histoire. Lentement, elle glissa sa main libre le long de sa cuisse et empoigna le manche de sa dague pour l'ôter de son étui.

— On sait toutes les deux que si tu avais du agir, tu l'aurais déjà fait depuis longtemps.

Mais ce n'était pas le cas de Yulia. Elle n'était pas sanguine comme Violette. Elle agissait froidement et non sous le feu de l’énervement. Elle trancha l'air d'un geste vif en direction du ventre de la dragonne. Son vêtement se déchira et une estafilade rouge apparut sur sa peau découverte. Le sang colora le tissu autour de la déchirure, mais ce n'était pas profond. Yulia avait parfaitement dosé son coup pour qu'il ne s'agisse que d'un avertissement. Au moins, Violette saurait désormais qu'elle était sérieuse. Lâchant son arbalète au sol qui tomba dans un bruit métallique, elle passa le doigt sur la lame de sa dague pour récupérer un peu de sang et l'observa un instant alors qu'elle l'étalait entre le pouce et l'index.  

— J'ai visiblement moins de scrupules que toi, néanmoins. ajouta-t-elle, narquoise.

Ton poignet devient une gêne. Il serait facile de prendre plus régulièrement les médicaments donnés par Klaus mais tu les conserves pour pouvoir t'entraîner sans restreinte. C'est sûr que tu morfles après seulement sauvegarder les apparences te semble plus important. En temps normal tu arrives aussi à gérer. Sauf qu'ici tu fais n'importe quoi et il se rappelle douloureusement à toi. Et à Yulia qui jette un regard vers ton bras blessé. Elle savait déjà mais désormais elle se souvient. Tu pinces les lèvres. Tout ça ne te plaît vraiment pas. En plus Yulia semble être redevenue la femme de glace. Il n'y a plus rien de doux ou de chaleureux chez elle. Juste cette froide détermination teintée peut-être par l'arrogance de ses deux ans de plus que toi.

YULIA – Tu crois malin de jouer à ça alors que tu aurais pu te prendre un carreau ? Si j'avais eu le doigt sur la gâchette, la blessure aurait pu être conséquente.

Voilà qu'elle te fait la leçon. Qu'est-ce que ça peut donc bien lui faire ? Si elle a sorti son arme elle se devait d'être prête à l'utiliser pour blesser voir tuer. Elle n'a donc aucune raison de s'intéresser à une potentielle blessure qu'elle aurait pu t'infliger.

VIOLETTE – N'est-ce pas là le but ? A moins que tu n'ais pas le cran de te servir de ton arme.

Tu te montres railleuse. Si c'est vraiment le cas, elle descendra encore d'un cran dans ton estime. Quelle idée de pointer son arbalète sur quelqu'un si c'est pour ne pas tirer.

YULIA – Que de la gueule !

Ta moue est pensive. Sur le coup, elle n'a pas tort. Généralement tu ne fais jamais de menace sans au moins tenter de l'exécuter mais Yulia est bizarrement entière. Et là tout de suite tes moqueries se retournent contre toi.

YULIA – On sait toutes les deux que si tu avais du agir, tu l'aurais déjà fait depuis longtemps.

Son raisonnement est trop juste et toi tu te détestes ça. Elle voit clair en toi. Bien sûr, il serait facile de lui donner tort en lui enfonçant ta lance dans le ventre mais ça n'aurait plus aucun sens. Mais depuis quand les choses ont-elles besoin d'avoir un sens ? Depuis quand est-ce que tu te laisses ennuyer par un moucheron sans réagir ? Yulia te nargue, te provoque et tu la laisses faire. Pire tu t'en amuses la plupart du temps. Mais là Yulia n'est plus d'humeur à jouer et elle te le fait savoir en te portant un coup que tu n'aurais jamais pu prévoir. Tu sens la douleur avant de voir la dague perlant de sang qu'elle a à la main. Pendant que tu bataillais contre tes pensées, elle en a lâchement profité. Ou plutôt tu t'es stupidement laissé avoir par ses paroles qui ont semées le désordre dans ta tête. Stupéfiée qu'elle ait osé agir de la sorte, tu baisses les yeux sur la blessure qui se révèle être peu profonde. Mais tu te doutes qu'elle aurait pu faire plus de dégâts. Si elle l'avait voulu, Yulia aurait pu t'enfoncer son couteau jusqu'au manche. Tout ça parce que tu l'as sous-estimée. Presque désintéressée, elle étale ton sang sur ses doigts. Elle offre un spectacle des plus déroutants et tu commences à comprendre que tu n'as jamais vraiment cernée cette fille. Tu n'en es pas capable.

YULIA – J'ai visiblement moins de scrupules que toi, néanmoins.

Et là c'est le drame. Sa voix te sort de ce choc instigué par la surprise et tu te rends compte qu'elle t'impressionne. Un peu. Elle est froide, calculatrice et narquoise. Tu lui reconnais un petit air de déjà-vu qu'il t'est difficile d'ignorer. Il y a l'ombre de Chad en elle et ça te paume. Ça t'éclaire aussi un peu. Et bizarrement ça te libère. Depuis le début c'est juste pour ça qu'elle semble t'attirer et que tu te comportes étrangement avec elle.

VIOLETTE – Tu veux vraiment qu'on en arrive là ? Tu veux qu'on se taille en pièces pour un foutu collier ?

Refuser une bataille ne te ressemble pas. Et tu n'as jusqu'ici jamais laisser quelqu'un qui a fait couler ton sang s'en sortir aussi facilement. Pourtant tu ne ripostes pas à sa frappe. Tu ne ressens même pas de colère particulière. Yulia a raison tu n'as à aucun moment envisager le fait de la blesser et cette idée aussi dérangeante que nouvelle te parasite l'esprit.

Malgré l'absence de réaction de Yulia, la provocation de Violette n'était pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Elle renforçait encore son impression d'avoir un honneur à défendre. Pour autant, Yulia n'allait pas se laisser démonter par des railleries. Elle voulait appuyer sur leurs différences pour lui prouver qu'elle valait bien plus que Violette ne le pensait. Ce besoin d'être en quelque sorte reconnue était nouveau. Yulia savait ce qu'elle valait et cela lui suffisait généralement. Mais la vision que Violette semblait avoir d'elle était bien trop difficile à supporter pour qu'elle reste simplement de marbre.

Alors qu'elle observait la blessure qui saignait, Yulia ne ressentit pas une once de regret. Violette l'avait cherché et elle l'avait trouvée. Elle s'attendait néanmoins à devoir payer les conséquences de son acte et restait aux aguets malgré cette décontraction feinte. Le sang sur ses doigts commença pourtant à sécher et Violette n'avait pas réagis. Presque intriguée par l'absence de réaction de la dragonne, Yulia releva les yeux et scruta son visage. Violette semblait perturbée. Elle s'était attendue à de la colère, voir de la haine, mais la seule émotion qui semblait visible sur le visage de la dragonne était la stupéfaction. Un sourcil haussé, les lèvres pincées, Yulia se rendit compte qu'elle ne savait pas comment réagir face à Violette. Elle avait cru pouvoir la placer dans une case, mais elle avait échoué. Violette était plus complexe qu'elle en avait l'air. Et peut-être moins dangereuse aussi, pensa-t-elle avec un sourire en coin. Il n'y avait plus en elle cette puissance presque animale qu'elle avait ressentie la veille. La fille qui se tenait devant elle n'était pas faible, loin de là, mais elle paraissait soudain bien fragile.

Avec étonnement, Yulia accueillit la question de Violette. C'était une trêve qu'elle lui proposait. Les doigts de la vipère se crispèrent sur sa lame. Elle n'y comprenait plus rien. Dans son esprit, un dragon avait plus de fierté. Il ne fuyait pas un combat. En temps normal, Yulia n'aurait pas cherché à pousser le jeu plus loin, mais il y avait son collier. Il comptait beaucoup trop pour qu'elle tourne le dos à la dragonne et qu'elle parte sans l'emporter.

— Donne le moi et on en parle plus. dit-elle d'une voix neutre avant de reprendre. Ce pendentif est très important pour moi. Mon père l'a taillé à ma naissance. Je le porte depuis toujours et j'y tiens beaucoup.

La sincérité était sa dernière carte. Si Yulia pouvait éviter un combat inutile et dénué d'intérêt pour son clan, elle serait satisfaite. Elle n'hésiterait néanmoins pas à prendre sérieusement part à cet échange si la réaction de Violette ne se montrait pas à la hauteur de ses attentes.

Demain tu te dégoûteras sûrement pour avoir été aussi faible avec cette fille mais tu vis dans le moment présent et là tu te fiches du futur. Tu n'as pas la motivation pour te battre. Physiquement tu te sens aussi très fatiguée. L'adrénaline qui court habituellement dans tes veines s'est faite la malle et ça ne te réussit pas vraiment. Donc tu n'hésites pas à lui proposer de calmer le jeu et au diable le reste. Tu veux juste rentrer chez toi pour dormir un peu. Mais Yulia n'est toujours pas de cet avis et tu la sens qui reste sur ses positions.

YULIA – Donne le moi et on en parle plus.

Ce n'est pas si simple. Oui tu veux avoir la paix mais pas au point de la satisfaire aussi simplement.

YULIA – Ce pendentif est très important pour moi. Mon père l'a taillé à ma naissance. Je le porte depuis toujours et j'y tiens beaucoup.

Elle semble sincère. Ca aurait pu marcher mais manque de bol elle a choisi le mauvais sujet. Tes mâchoires se serrent et tu la fusilles du regard. Bien sûr une petite fille à son papa. Juger n'apporte rien mais tu le fais quand même. Tu l'imagines bien au milieu d'une famille unie qui l'a encouragée dans les choix qu'elle a fait tout au long de sa vie. Cette image te fait mal et vient encore appuyer sur les paroles de Samael. Cette fois, c'est trop.

VIOLETTE – Tu sais quoi ? Reprends-le ton foutu collier !

Ton énervement est complètement injustifié. C'est tout à l'heure quand elle t'a blessée que tu aurais du exploser. A la place tu le fais maintenant. Tu dénoues avec empressement le cordon accroché à ta lance et tu le lances à ses pieds avec un dédain évident. Maintenant qu'elle a ce qu'elle veut tu espères bien qu'elle te fichera la paix tu tournes donc les talons et tu rentres au pas de course vers tes frontières. Un sourire effleure pourtant tes lèvres alors que tu passes la vigie, la tête de félin encore au creux de ta main. Elle voulait son collier ? Tu lui as rendu. Mais elle n'a pas précisé quel morceau elle voulait exactement. C'est une vengeance vile qui ne t'apporte rien de particulier mais tu restes légèrement satisfaite alors que tu fais sauter le pendentif dans ta main. Tu sais qu'elle reviendra le chercher. Tu en es certaine et tu l'attends à vrai dire de pieds fermes car cette fois tu ne la laisseras pas mener la danse.

Yulia ne croyait pas vraiment que son argument pourrait émouvoir Violette. La dragonne n'avait pas l'air d'être le type de personne qui pourrait être touchée par une telle chose. Encore une fois, c'était un préjugé, mais il se confirma assez lorsque Yulia la vit serrer les dents et lui lancer un regard dur. Violette n'avait pas la tête de quelqu'un qui allait avoir un geste sympathique.

Quand Violette éclata, la vipère fut d'autant plus surprise. Elle la regarda avec les yeux légèrement plus ouverts. Elle était confuse et comprenait de moins en moins la brune. Comme elle l'avait dit, la dragonne lui rendit son collier. Il avait été accroché à sa lance depuis le début sans que Yulia ne l'ait remarqué ce qu'elle trouva particulièrement frustrant. Un peu choquée d'être arrivé à son but, Yulia mit un temps avant de réagir. Elle regarda la dragonne qui s'éloignait avant de s'accroupir pour ramasser le collier qui avait été jeté à ses pieds. Lorsqu'elle l'eut récupéré, un manque la choqua pourtant. Il y avait le cordon, mais pas le pendentif. La chose la plus importante du collier restait donc manquante. La vipère se redressa brusquement en criant.

— Non mais tu te fous de ma gueule ?!

Ce n'était pas vraiment une question. Yulia savait pertinemment que oui, la dragonne se foutait de sa gueule depuis un bon moment déjà. Elle voulu se lancer à sa poursuite, mais la présence intimidante des frontières dragonnes l'arrêta. Elle ne pouvait pas se permettre de faire un esclandre. De toute façon, l'autre fille était déjà presque rentrée et même si elle se dépêchait, elle ne pourrait pas l'arrêter. Et Yulia se voyait mal de demander aux sentinelles de rattraper une membre sous prétexte qu'elle lui avait piqué son collier.

En rongeant son frein, Yulia tourna les talons. Ce n'était que partie remise !