bad news is usually good news for somebody else.

Je marchais rapidement, poussé par l'ampleur de ce à quoi nous venions d'assister. Il fallait que l'on ait rejoint notre territoire avant les autres, il fallait que nous soyons les premiers à apporter la nouvelle au clan...ou plutôt à Samuel. C'en était drôle. Annabella et Kim s'entretuant. Court, mais drôle...et instructif. Je résistais difficilement à l'idée d'embrasser Bonnie sur le front, comme un porte-bonheur, ne cessant de me tourner vers elle, la fixant un instant avant de reposer les yeux sur la route. Elle était magique, il n'y avait pas d'autres solutions. C'était dans ces moments-là que je me rendais compte qu'elle avait considérablement changé ma vie. Depuis que je la connaissais, tout me souriait ou presque. J'avais enfin gagné ce terrain de jeu que je désirais depuis si longtemps...non, j'avais gagné une vie grâce à elle. Une nouvelle vie à explorer. Nous n'avions besoin de personne...aussi longtemps que j'avais Jo et Loukas à mes côtés, j'étais le maître du monde. Le reste n'était que des pions à placer ça et là pour s'amuser...D'ailleurs, alors que nous passions les frontières du territoire, je ne pus m'empêcher de me demander ce qu'il était arrivé aux autres membres de l'équipe. Qu'était-il advenu de Thalia ? De Michael et de la petite asiatique ? Je m'interrogeais même sur le sort de Violette...Il faudrait changer ça...Nous avions l'habitude de nous entraîner en équipe mais il faudrait plus d'entraînements entre ces dernières. Les rendre cohérentes, organisées et efficaces...pas cet espèce de foutoir sans nom qui faisait honte à notre clan. Ils avaient plutôt intérêt à rentrer sain et sauf. Ce serait idiot de perdre des membres de niveau à cause d'un sombre délire familiale de notre chef.

La prochaine fois, il a plutôt intérêt à mieux s'organiser ce tocard.

La marche allait être ennuyeuse jusqu'au clan et je savais que Loukas ne manquerait pas de se plaindre sur le chemin. Je m'y étais déjà préparé. Au fur et à mesure que nous avancions, l'air se faisait moins saturé par la fumée et les couleurs chaudes du feu s'atténuaient. Le vacarme diminuait jusqu'à ne plus entendre que le silence. Seuls nos bruits de pas venaient déranger le calme de la nuit. Et puis, finalement, notre cher territoire se dessina enfin sous nos yeux. Je me décidai donc de porter Bonnie sur mon dos afin d'aller plus vite et sans trop lui laisser le choix. Comme elle n'avait jamais été très lourde, elle ne fut pas difficile à porter et même les quelques membres encore éveillés ne seraient pas surpris de nous voir arrivés de la sorte...enfin, peut-être seraient-ils surpris de voir Bonnie dehors à cette heure. Mais ce n'était qu'un détail. Pressant le pas, je nous dirigeai directement vers le QG, dans la salle de réunion privée. Peut-être qu'ils avaient tous fini par rentrer après tout ! A quoi bon s'obstiner pour une soumise du clan des Jaguars ? Mais il n'y avait personne ! Génial, nous allions devoir patienter !

Retour à la case départ !

Je balançai Loukas sans ménagement sur l'un des sofas qui occupaient la pièce, m'octroyant le trône de Samuel, m'amusant à imiter son maintien assuré avant de m'affaler totalement.

Ils ont intérêt à arriver et plus vite que ça ! Bonnie ! Utilise tes pouvoirs magiques ! Si tu le souhaites assez fort, ils finiront peut-être par se montrer.

Cette fois, mon bon vieux Jay devait vraiment avoir une crampe au cerveau. Alors que je marchais un peu derrière lui, je pouvais sentir son regard revenir régulièrement vers moi au point qu'un certain agacement ne tarda pas à poindre. Non, mais c'était quoi ces regards complètement chelous au milieu d'un silence étonnant au vu de la scène à laquelle nous venions d'assister ? Bien sûr, j'aurais pu parler, mais je n'en avais pas la foi. Malgré le spectacle, nous avions quand même fait une sortie nocturne pour rien et je doutais sincèrement que Samuel ait la bonne idée de nous donner notre matinée en compensation. Et vu que j'avais promis à Jayden d'être plus volontaire pour aller à l'entraînement, je ne pouvais même pas dire de sécher comme à mon habitude. Beurk, en plus j'allais devoir me taper les commentaires de l'autre grognasse qui n'aurait sûrement pas eu l'intelligence de mourir au combat chez les Jaguars.

L'éclat de la voix de mon partenaire me fit légèrement sursauté alors que je rêvais d'une mort lente et douloureuse pour Thalia. Prise en flagrant délit de rêveries sadiques, ça le faisait pas ça. Arrêtant de mordiller mon ongle, je me rapprochais de lui et lui adressais un sourire entendu.

« Comme s'il y allait avoir une prochaine fois. »

La suite du trajet fut calme. J'avançais sans jeter un regard en arrière, me fichant bien de ce qu'il pouvait se passer au Sud et de l'état de mes soi-disant camarades. Lorsque Clyde s'arrêta pour me porter - sérieusement, il lisait dans mes pensées - je ne me fis pas prier et pris place sur son dos. Il faudrait que je lui demande de me donner un porteur lorsqu'il serait roi, ce serait quand même trop cool. Seulement si le voyage fut des plus confortables, mon ami se délesta de moi d'une façon fort peu agréable dès notre arrivée dans la salle de réunion où nous allions devoir attendre les autres.

« Ouille ! La délicatesse, tu connais pas ou quoi ?! »

Depuis le sofa où j'étais à moitié avachie, je lançais un regard noir à Jayden et massais le point douloureux de mon dos. Quelle idée de me balancer comme un sac aussi ! Seulement, Monsieur avait visiblement la tête ailleurs et jouait les rois sur le trône de Samuel. Le futur pouvoir lui montait à la tête avant même qu'il ne porte la couronne, cela promettait. Comme une larve, je rampais jusqu'à l'accoudoir et y posais mon menton pour l'observer. Il paraissait drôlement impatient aujourd'hui. En me tenant proche de lui, je pouvais sentir sa nervosité m'envahir et j'eus la soudaine envie d'arpenter la salle de long en large. L'idée ne paraissait pourtant pas très bonne car elle ne ferait que mettre plus de tension dans la pièce. Après un soupir théâtrale, je me retournais sur le dos et glissais une main sous ma tête pour la surélever. Même si cela l'agaçait, j'appréciais ce moment de repos bien venu. Tout était une question d'économie d'énergie dans la vie et j'avais déjà vidé bien trop de réserves pour des conneries aujourd'hui.

« Désolé mec, souhaiter de voir arriver cette bande de cons c'est totalement impossible. Si tu savais comment j'imagine la mort de la blondasse, tu comprendrais. Et puis la magie, ça se gaspille pas pour des couilles. »

Il avait l'air de vachement y tenir à cette histoire de pouvoir magique.

« Puis jusqu'à preuve du contraire, mon lit n'est toujours pas là. Et pourtant dieu seul sait comme j'ai souhaité de le voir se pointer ici. »

- Dépêchez-vous, personne ne doit le voir comme ça.

La voix de Michael était encore plus tranchante qu'à son habitude. Ses yeux noirs scrutaient les alentours sans ciller alors qu'il cherchait toute personne susceptible d'assister à la scène. Des personnes au courant, il y en avait déjà bien trop même s'il savait pertinemment que les menaces qu'il avait soulevé suffiraient à les faire taire. Si jamais le clan venait à apprendre de façon non approprié l'état de Samuel, cela pourrait créer de graves problèmes. Déjà cela le fragiliserait, mais en plus un Membre pourrait profiter de son état de faiblesse pour le défier et ainsi prendre sa place et le Chef ne pourrait se dérober. Là était la dure loi des Dragons et la faiblesse n'était ici pas permise pour un dirigeant. Après avoir porté l'homme sur des kilomètres, il avançait toujours vite et pressait les deux sentinelles qui aidaient désormais le Chef à marcher. Le QG était tout proche, mais les gardes étaient là-bas nombreux. Le jour était désormais levé, la nuit ne leur apporterait même pas un certain anonymat. Une fois qu'il aurait géré le premier problème, il devrait monter voir les Membres se trouvant en poste sur les toits. Mais avant, il y avait plus urgent.

Le chemin au travers du QG fut rapide, le sol plus lisse permettant de faire glisser plus facilement les pieds de Sam. S'il était toujours conscient, il avait perdu toute force dans les jambes et était incapable de supporter son propre poids même avec l'aide de deux des siens. Lorsqu'il pénétra en premier dans la salle de réunion, Michael eut la désagréable surprise de découvrir deux personnes qu'il ne jugeait pas vraiment comme de confiance. En voyant que le canapé était occupé, il dégagea rudement la fille pour permettre aux Membres d'allonger Samuel. En position horizontale, il avait l'air encore plus mal en point.

- Vous deux, convoquez les Lieutenants. L'Infirmier en priorité. Et ne parlez de ça à personne d'autre !

Il leur lança un regard sans équivoque et les vit partir en courant. Maintenant que cela était réglé, ils avaient deux autres moucherons à évacuer.

- Qu'est-ce que vous foutez ici ?!

Alors que nous marchions en silence, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il devait manquer une case à ce pauvre Samuel. Ce type était tout de même un chef de clan et il avait bêtement embarqué plusieurs de ses meilleurs éléments dans une entreprise qui n'avait rien de sûre ni de nécessaire. C'était idiot. Qu'aurait-il fait sans la moitié de ses troupes d'élite ? Et je m'avançais en parlant ainsi. J'ignorais, en effet, si nos coéquipiers étaient parvenus à s'en sortir indemnes ou si leurs cadavres gisaient quelque part sur le territoire des matous. D'ailleurs, Loukas n'avait pas tort. La mission semblait si peu fructueuse qu'il n'y aurait probablement pas de prochaine fois...elle ne m'impliquerait pas tout du moins...ni Loukas d'ailleurs. J'étais prêt à beaucoup de choses pour gravir les échelons mais je préférais de toute façon éviter les idées suicidaires de Sammy. Il serait dommage que Loukas et moi mourrions si tôt et si près du but.

Arrivés au QG et alors que j'avais lâché Loukas sur le fauteuil qu'occupait la pièce, Loukas laissa échapper une plainte. Moi ? Manqué de délicatesse ? C'était absurde, je levai donc les yeux au ciel ! J'étais un garçon des plus attentionné et prévenant...je ne pouvais pas deviner que ce canapé était inconfortable. Comment aurais-je pu deviner que Samuel ne se réservait pas le meilleur matériel ? Encore que ce type était bien capable d'apprécier un sofa dur comme la pierre...Gigotant sur le trône du chef en son absence, j'observai Loukas qui prenait ses aises, refusant d'user de sa magie. Elle n'avait pas tort sur le fond...Je n'étais pas non plus très pressé de retrouver notre joyeuse compagnie mais ce que nous avions appris méritait que l'on passe outre ces désagréments ! Et puis, plus vite nous annoncions la nouvelle, plus vite les choses s’enclencheraient.

Faut croire que tes pouvoirs magiques ne fonctionnent pas si tu souhaites un truc pour toi. Donc, tu dois souhaiter un truc pour moi...et je souhaite que cette bande de cons arrive plus vite. Plus vite ils arrivent, plus vite on en finit, lâchai-je en quittant le fameux trône.

Les mains dans les poches, je me mis à arpenter la pièce, réfléchissant à ce que nous avions vu. Si Annabella et Kim étaient vraiment mis hors d'état de nuire alors tout le fonctionnement de Paris même allait être touché...sans parler de cette bataille chez les Jaguars...et j'eus une pensée pour Jo, qui devait probablement encore dormir paisiblement...j'enviais sa position quelques secondes avant que la porte s'ouvre dans un fracas...et ce qui apparut devant mes yeux eut le don de me surprendre. Michael...Mon lieutenant...Nos regards se croisèrent et je n'eus pas vraiment l'impression qu'il s'agissait d'une bonne chose. Mais ce qui m'intéressa le plus, ce fut ce bon vieux Sammy. Sammy qui était blessé et plutôt gravement qui plus est. Et bien que son état semblait préoccupant, je n'appréciai pas du tout la façon dont il dégagea Loukas de sa place. Je grognai de mécontentement avant de m'approcher d'elle. Michael avait beau être mon supérieur hiérarchique et j'admirais sincèrement son travail mais il y avait des limites à ne pas franchir...toucher à Loukas était l'une des principales.

Croisant les bras sur mon torse, je fixai Michael en prenant un air détaché. Si Samuel était blessé, il ne pouvait en vouloir qu'à lui-même mais je me gardai bien de le signaler, préférant la jouer calmement.

On avait quelque chose d'important à annoncer à Samuel...visiblement, il n'est pas en état de l'entendre. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Où sont les autres ?

Jay me fit part d'une théorie que je trouvais des plus révoltantes. A quoi pouvait bien servir des pouvoirs magiques si on ne pouvait pas les utiliser pour soi-même ? C'était une arnaque pure et simple ! Alors bon, dans les faits, ça ne me dérangeait pas de souhaiter des trucs pour mon partenaire, mais il était hors de question que je me mette à réaliser les désirs de n'importe quel clampin. Il faudrait donc que je fasse particulièrement attention.

« Pff, c'est bien parce que c'est toi. Mais j'te préviens, je n'exaucerais pas les vœux des autres. Et en échange, tu as intérêt à réaliser tous les miens vu que cette fichue magie ne me sert strictement à rien. »

C'était un deal que je trouvais plutôt honnête. Encore que Jayden se montrait aussi généreux qu'il le pouvait avec moi, mais il savait qu'il fallait faire des sacrifices. Et sacrifier mes précieuses heures de sommeil ne le dérangeait pas plus que ça, surtout que cela ne me mettait pas en danger. Enfin, cela compromettait quand même sérieusement mon mode de fonctionnement à savoir l'économie d'énergie. Et qui savait quelles conséquences cela pouvaient avoir sur mon organisme. Mais c'était une autre histoire et je n'étais pas sûre que Jaynounet prendrait ma théorie au sérieux. A part ça, il croit à la magie... Il croit surtout à ce qui l'arrange !

Quelques instants passèrent encore jusqu'à ce qu'une drôle de sensation ne vienne me titiller le fond du ventre. Fronçant les sourcils, je me redressais un peu et tournais les yeux vers la porte. Il se passait quelque chose... Avant que je n'ai eu le temps de prévenir Clyde, un quatuor dégageant un sacré paquet de mauvaises énergies pénétra dans la pièce. Michael était en tête et il me tira brutalement hors du sofa. Je sautillais sur un pied le temps de retrouver mon équilibre et scrutais avec un certain affolement le corps de Samuel que l'on installait à la place que j'occupais un peu plus tôt. Il était vivant. Vivant, mais un peu mort à la fois. C'était étrange. Avant que je ne m'en rende compte, Jay était déjà à mes côtés et il se plaça telle une barrière humaine entre son Lieutenant et moi. Ouille, ce n'était pas bon du tout ça. Enfin, la situation générale paraissait mauvaise. Entre notre Chef qui se vidait de son sang sur le canapé, les deux sentinelles qui étaient parties chercher les gradés, et la Fine Lame qui nous faisait face, rien de positif ne semblait pouvoir arriver. Par réflexe, je me tournais à nouveau vers Sam et croisais un instant son regard. Il ne dégageait pas du tout la même aura qu'à l'accoutumé. Sa fierté, son arrogance, son machisme,... Tout cela semblait avoir disparu et il n'était plus qu'une boule de sentiments qu'il peinait à refouler. Ce que je réussis à lire dans ses yeux bleus me bouleversa et je sentis l'onde de ses émotions me traverser. Prise de vertiges, je m'accrochais à l'épaule de Jayden et posais mon front contre son dos. J'avais le souffle court et je peinais à contrôler les tremblements de mes membres alors que les émotions se fracassaient dans mon corps. Je n'arrivais pas à lâcher prise, à les laisser partir, tout était trop fort et trop amplifié.  

« Il est mort... »

J'avais à peine murmuré et je doutais même que Clyde ait pu entendre exactement mes paroles. Je n'avais aucune affection particulière pour ce type, bien au contraire, et, pourtant, je me retrouvais à vivre sa mort comme s'il avait toujours eu une importance dans ma vie. C'était pour ça que je détestais les décès, cela déclenchait beaucoup trop d'émotions chez les autres et une personne comme Samuel était totalement incapable de les garder pour lui.

Michael n'était pas d'humeur à gérer d'autres Membres. Il était d'ailleurs assez peu souvent d'humeur à s'occuper de ses Spécialistes qu'il jugeait souvent trop geignards. Aujourd'hui et comme d'habitude, il ne comptait donc pas prendre de gants pour gérer les gêneurs et il les aurait bien dégagé à grands coups de pied aux fesses s'ils n'avaient pas été témoins de ce spectacle. Pour le moment, il devait les garder isolés des autres pour éviter que la nouvelle se répande. Et savoir ce pourquoi ils se trouvaient dans la salle de réunion alors qu'ils auraient dû être sur le territoire des Jaguars. Il avait naturellement pensé à une désertion, mais il savait que Jayden était trop intelligent pour faire une telle chose. Par contre, il connaissait moins la fille à ses côtés. Elle faisait néanmoins partie de l'équipe de Commander, il la laisserait donc gérer elle-même le problème. Par contre, il comptait bien remettre à sa place le gamin qui lui faisait face.

De son côté, Samuel peinait à rester conscient. Il se forçait à garder les yeux ouverts, mais tout autour de lui était comme flou. Il devait souvent battre des paupières pour éviter de sombrer, mais entre la tristesse et les ondes de douleur qui émanaient de chacune de ses blessures, il lui était difficile de ne pas céder à la facilité. Tomber dans les pommes serait pourtant si confortables. Dans sa lutte, il croisa les contours tremblants du visage de cette garce de Lou, il pouvait sentir son regard plongé dans le sien, mais il ne fit aucun effort pour la faire plier. Il n'était vraiment pas en état de jouer les mâles, le peu d'énergie qu'il lui restait, il devait la consacrer à son clan. Et à Chad.

- Un incident s'est produit sur le territoire. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus.

Michael n'appréciait pas du tout l'attitude de son subordonné et il se retenait difficilement de lui envoyer son poing dans la figure pour lui rappeler qui était le dominant. Mais ce n'était guère le moment de gérer un tel problème, il y avait après tout encore un détail à éclaircir.

- Ton annonce, c'est quoi ?

Que les choses soient claires, je n'avais aucun mal à reconnaître le talent et les compétences de Michael. Il était un bon membre, si ce n'est l'un des meilleurs et un bon lieutenant. Il aurait même pu être un lieutenant exceptionnel s'il n'éprouvait pas pour sa troupe une désintérêt presque total. Un manque d'attention que j'alimentais par mes frasques habituelles et provocations en tout genre. Nous n'entretenions pas une relation privilégiée, il faisait son boulot, je faisais le mien, m'efforçant de rester dans ses petits papiers afin de ne pas perdre ma place de spécialiste mais tout s'arrêtait là. Nous ne nous détestions pas et nous ne nous appréciions pas particulièrement non plus. Pourtant à l'instant, je mourrais d'envie de lui démolir le visage à coups de pied de biche. Parce que Michael pouvait se montrer trop autoritaire. Si j'acceptais de me plier à ses exigences habituellement, je ne pouvais me résigner à lui obéir dans cette situation. Loukas et moi étions aussi concernés que lui par les événements qui s'enchaînaient cette nuit. Et s'il désirait en savoir plus sur notre découverte, il devait être prêt à partager les siennes. Il ne pouvait décemment penser que j'allais lui remettre une information capitale, il pouvait se mettre le doigt dans l'œil. Cette nouvelle était notre carte à jouer, j'étais clairement réticent à l'idée d'annoncer platement que deux chefs ennemis s'étaient entretués sous nos yeux. D'ailleurs, s'il persistait à faire le malin, je ne me priverai pas pour provoquer Samuel en duel sous ses yeux sachant pertinemment que ce dernier ne pourrait pas refuser.

La mâchoire serrée, je m'apprêtais à lui répondre, ne cachant même plus le dédain qu'il m'inspirait à l'instant. Mais le contact du front de Loukas sur mon dos me paralysa. Je sentais que quelque chose n'allait pas. Ma Bonnie n'était pas bien. J'étais certain d'avoir entendu sa voix. Mort, c'était ce qu'elle avait dit. Troublé, je jetai un regard en biais à Samuel...peut-être que la tension naissante entre Michael et moi m'avait déconcentré, que pendant que nous nous regardions dans le blanc des yeux, ce cher Sammy rendait son dernier souffle...mais ce vieux bougre était vivant, sa poitrine se soulevait encore au rythme de ses respirations. Je ne m'inquiétai que plus. Loukas délirait. Samuel était allongé devant nous, mal en point mais vivant. Il n'avait rien de mort...Et puis un éclair de compréhension me traversa et je tournai mon regard vers le corps brisé de notre chef, les yeux écarquillés de surprise. Chad. Chad était mort. Oubliant la présence de Michael, je me tournai instinctivement vers elle, dissimulant sa frêle silhouette de ma carrure plus imposante. Je ne tenais pas à ce que la fine lame n'assiste à cette scène. Loukas avait un don qui pesait constamment sur ses épaules tel un fardeau ténébreux. Elle tremblait et je ne pus résister à l'envie de l'attirer à moi, posant mon menton sur le haut de son crâne, caressant son dos dans une tentative désespérée d'apaisement.

L'information fit son chemin de mon esprit et une grimace de déception prit place sur mon visage. Vraiment ? Alors il abandonnait comme ça ? Par la mort ! Oh, ce bon vieux Chad qui avait préféré choisir une fin définitive à la déroute. J'étais frustré. Je voulais être la personne qui le ferait tomber de son piédestal...et ce plaisir m'avait été retiré par un sac à puces ? Vraiment ? Un rire cynique se glissa hors de mes lèvres alors que je baissai les yeux vers Loukas. Tiraillé entre l'envie d'en savoir plus et celle d'éloigner ma moitié loin de toute cette concentration d'émotion, je finis par faire mon choix.

Tu seras ravis d'apprendre que notre cher Sammy n'a pas été le seul à prendre cher cette nuit. Kim et Annabella nous ont fait un cadeau en se mettant mutuellement hors d'état de nuire, lâchai-je la voix dégoulinant de condescendance. Si tu veux bien nous excuser, la nuit nous a bien fatigués nous aussi. Et Loukas passait toujours en premier. Avant mon égo, avant ma colère, avant nos plans pour faire bouger le monde.

Jayden m'avait entendu. J'avais fait une erreur en doutant de la finesse de ses oreilles. Avec un certain soulagement, je constatais son changement d'attitude. Je n'aimais pas qu'il ait à s'inquiéter pour moi, mais j'étais rassuré de le voir prendre les choses en mains. Ou plutôt de me prendre en mains. Face à un choc émotionnel si fort, je ne savais pas vraiment comme j'avais réagir et je craignais de perdre trop la face devant tous les Lieutenants réunis. Michael passait encore, mais j'avais un minimum de dignité malgré ce que l'on pouvait croire.

Je fus donc heureuse de sentir Clyde me serrer contre lui. Je nichais mon visage dans ses vêtements, appréciant le confort de ses bras. Même si l'angoisse était encore à mes portes, je résistais mieux auprès de lui. En plus, il me cachait désormais du regard brûlant de la Fine Lame. Même si cela ne lui plaisait pas, il révéla d'ailleurs à ce dernier les informations que nous avions découvertes durant notre petite sortie. J'aurais préféré qu'il puisse utiliser correctement ces détails, je m'en voulais d'ailleurs un peu de le mettre en défaut dans un tel moment. Parfois, cette empathie était réellement la pire des plaies...

Michael étouffa un grognement rauque lorsqu'il vit le Membre se retourner pour enlacer son idiote de copine plutôt que de lui répondre. Un sourcil dédaigneux levé, il les observa durant quelques instants en essayant de comprendre ce qu'il se passait. Car s'il n'était pas très intéressé par les autres, il n'était pas con non plus. Il avait des yeux pour voir et un cerveau pour analyser ce qu'il contemplait. Seulement, il n'arrivait pas à se connecter à leur monde si particulier où tout semblait prendre des proportions différentes. Il ne le cherchait pas beaucoup non plus, il fallait le dire. Au milieu d'un soupir de frustration, il faillit reposer sa question d'une voix froide, mais une réponse lui arriva enfin. Le Chef des Aigles et celle des Vipères s'étaient mutuellement éliminés ? Après un bref instant où il assimila l'information, un sourire carnassier reprit place sur les lèvres du Lieutenant. C'était une excellente nouvelle qui contrebalançait un peu l'échec sur le territoire des Jaguars et la mort de Chad. Il savourait cette sorte de victoire lorsque Jayden crut bon de prendre congé.

- Une minute.

Il fusilla les deux Spécialistes d'un regard mauvais. Il n'aimait pas ce comportement. Et puis, il voulait s'entretenir avec Commander du cas de cette fille. Ainsi qu'en savoir plus sur leurs actions sur le territoire. Mais d'un autre côté, il n'avait guère le temps de s'occuper de ce genre de choses au vu de la situation. Maussade, il leur désigna finalement la porte d'un signe de la main.

- Dégagez. Enfermez-vous chez vous durant la matinée, je ne veux pas vous voir traîner sur le territoire. Et naturellement, rien ne devra sortir d'ici. Si des rumeurs se répandent à ce sujet, je viendrais personnellement vous voir.

Michael sembla ravi de l'information que je venais de lui transmettre à contrecœur. Un sourire carnassier prit place sur son visage. Si je ne me serais pas privé de rebondir sur la bonne nouvelle en temps normal, je me sentais bien incapable de me réjouir avec lui tant que Loukas n'irait pas mieux. Je ne pris même pas la peine de lancer un regard vers Samuel pour étudier sa réaction...si bien sûr, il était encore dans la capacité d'en avoir une. Tout ce qui comptait à mes yeux était de quitter la pièce, de sortir Bonnie de cet endroit qui empestait la défaite et la morosité. Je savais que plus de temps nous restions sur place, plus elle aurait du mal à se remettre. Aussi avais-je pris l'initiative de prendre congé, ce qui sembla déplaire à mon lieutenant. Je dus prendre sur moi un maximum pour ne pas broncher, pour ne pas m'énerver contre lui encore plus et commettre un acte que je regretterai plus tard. Je l'écoutai donc, m'arrêtant en plein mouvement attendant qu'il parle. Les mâchoires crispées, je ne pus vraiment pas résister à l'envie de lever les yeux au ciel alors qu'il nous ordonnait de partir. N'était-ce pas justement ce que l'on essayait de faire. Gardant les lèvres closes, je ne pris pas en compte sa menace. Comme si nous étions idiots au point d'aller raconter au premier venu les tenants et aboutissants d'une mission secrète. Sans lui adresser un regard de plus, je le dépassai, gardant Loukas aussi prêt de moi que je le pouvais.

Une fois sortis de la salle, je me tournai vers Loukas, la scrutant avec attention, l'inquiétude ne quittant pas mes traits. Il fallait que je l'éloigne le plus vite possible. Aussi la traînai-je quelques pas plus loin, à l'écart du QG avant de lui offrir mon dos en guise de carrosse, m'assurant d'être plus délicat cette fois.