Face au bûché, la foule était dense. Pour ma part, je ma plaçais un peu à l’écart, pas trop proche, mais suffisamment que pour entendre le bref discours de Martin. Je ne me posais désormais plus la question de savoir pourquoi ce n’était pas Samuel qui se tenait là.

En temps normale, j’aurais scruté la foule du regard, mais pas ce soir. Non, ce soir je gardais les yeux baissés, je m’effaçais, espérant que personne ne remarquerai ma présence. J’étais inquiète, et une boule se formait lentement de ma gorge alors que les flammes montaient peu à peu vers le ciel, la fumée dissimulant les étoiles. Je réussi à lever les yeux vers le bûcher, et c’est seulement là que toute la réalité du moment sauta à la gorge, m’arrachant un sanglot douloureux. Merde, j’avais réussi à garder contenance toute la journée en faisant comme si rien n’était réel, m’inquiétant simplement pour Sam, mais Chad était mort putain ! Martin avait beau dire, il était les Dragons…

Je baissais de nouveau les yeux en respirant lentement pour tenter de dénouer le nœud qui m’étouffait, ignorant les diverses réactions qui m’entouraient. Je me sentis soudain bien seule, et je me dis que Samuel devait ressentir bien plus que de la solitude en ce moment…

Even Dragons have their endings
Année 41 - saison tempérée 1 (soirée 1)

Tu n'écoutes pas le discours de Martin. Le bruit arrive à tes oreilles mais tu ne cherches même pas à te focaliser sur les mots et leur signification parce que tu as plus important à faire. Chad est mort, c'est terminé pour lui alors que la douleur de Maxine commence à peine. Elle a besoin de toi et tu n'es pas décidé à offrir ton attention à son père dans un moment pareil. Pour une fois tu te fiches aussi qu'elle ait la tête dans les nuages. Tu la laisses penser à autre chose plutôt qu'à ce spectacle macabre et à la réalité. Tu te serres juste un peu plus fort contre elle, l'air de rien, et tu respires l'air nocturne désormais chargé de fumée. Le bois s'est enflammé rapidement et il rougeoie de cette façon qui t'a toujours plu. Le spectacle est hypnotisant et tu te laisserais sûrement emporter par la nostalgie sans une intervention nouvelle. Le contact chaud de Shira n'est pas quelque chose auquel tu es habituée mais ce n'est pas désagréable. Tu penches un peu la tête pour la laisser reposer contre la sienne et tu as ce minuscule sourire qui est si toi sur les lèvres. « On va s'en sortir. C'est pas notre première épreuve. En plus, je suis sûre que ton père à des tours dans sa manche, hein Max ? » Tu ne peux pas vraiment en vouloir à Shira de ramener le sujet sur le tapis elle ne sait pas. Mais tu te tends un peu en attendant la réaction de Max en espérant que tout ne devra pas être recommencé. « J'vous aime les filles. » Autant dire que tu es soulagée quand ce qui vient n'a rien à voir avec cette conversation. « La chaleur te rend trop sentimentale pup'. » Tu aimes Maxine et tu n'as pas honte de le dire mais il y a certaines déclarations qu'il vaut mieux garder pour soi. C'est comme s'abstenir de souffler sur des braises si on ne veut pas redémarrer le feu.

Je l’avais tout de suite repérée dans la foule. Il était difficile pour moi de ne pas la voir, tant mon regard était habitué à la chercher et la trouver, où qu’elle soit. Comme un petit insecte exécrable devant une lumière trop vive, je m’étais approchée, hypnotisée, jusqu’à pouvoir la frôler, du bout des doigts. Je ne l’avais pas fait, bien sûr. J’étais derrière elle, lorsqu’elle a enserré son amie. J’aurais crevé les yeux de ma propre mère pour être à la place de Maxine. Puis mon frère m’a rejoint.

- Joli short.
- …
- Tu voulais rendre hommage à Chad en lui montrant tes cuisses?
- …
- Emy… Je te taquine, là. Pour détendre l’atmosphère.

Il m’a serré contre son coeur et j’ai enfin détourné les yeux de sur Sawyer pour enfouir mon museau dans son chandail. Il sentait bon. Il avait raison, en dépit de son humour. Tout le monde était beau, ce soir. J’avais simplement enfilé un chandail propre et une veste à capuche. Pas de robe. Pas de noir. J’avais encore merdé. Étonnant.

- Qu’est-ce qu’on s’en fiche des fringues. Il est plus là pour les voir, le Chad.

Son murmure m’arracha un petit sourire qu’il ne vit pas. Chad était un élément important du clan, comme un rouage principal d’un mécanisme complexe. La place qu’il laissait était grande, mais personne n’était irremplaçable. Il suffisait de changer la pièce brisée. Notre clan était fort, il allait se redresser dès l’aube nouvelle, comme l’avait souligné Martin. Ce qui me chagrinait, en ce moment précis, n’était pas la mort du second. C’était de ne pas faire encore partie du clan comme je le souhaitais, de n’être qu’un élément externe à ce chagrin collectif. D’être le petit insecte exécrable qui volette autour du brasier, sans se consumer comme un véritable Dragon.

- Ils vont cramer un mouton, aussi, pour lui rendre hommage, tu crois, dis? …

Mon frère secoua la tête sans sourire. Même en voulant le taquiner pour détendre l’atmosphère, j’avais merdé. Étonnant.

Maxine sourit juste à la réponse de Sawyer. Elle avait l'habitude. Ce n'était pas comme si son amie était la personne la plus expansive sentimentalement parlant, mais ça ne l'empêchait pas de témoigner son affection autrement. Dans chaque surnom, il y avait un peu d'amour, dans chaque blague une marque de confiance. Shira souffla une remarque plus claire dans le creux de son oreille et elle fut heureuse. L'instant ne dura qu'une seconde, mais elle sourit d'une oreille à l'autre avant d'être rattrapée par le tragique de la situation. Par réflexe, elle essuya à nouveau ses yeux d'un geste vigoureux et se détacha de l'étreinte des deux filles pour attraper à chacune une main.

- Et si on squattait tous chez Sawyer cette nuit ?

L'hésitation fut claire dans les yeux de Shira durant une seconde et Max eut peur qu'elle cherche à creuser plus le sujet. Après tout, il était bizarre qu'elle ne souhaite pas rester avec son père dans un moment pareil. Quelque chose pourtant la fit changer d'avis et elle hocha rapidement la tête.

- Bonne idée. Ça fait longtemps qu'on a plus traîné ensemble. D'ailleurs, ça se voit. Tu as vu cette touffe qui sert de cheveux à Sawyer ?

Max ricana en ébouriffant un peu plus les cheveux de sa meilleure amie, mais elle fut rapidement remise à sa place par la soigneuse qui ne manquait jamais une occasion de lancer une pique.

- Ne frime pas trop, tu n'es pas si éloignée de la catastrophe capillaire que ça.
- C'est d'accord pour toi, Saw ?

Devant un commentaire désagréable, la meilleure solution, c'était encore d'ignorer...

Une chance que j'étais le genre de personne à être touchée par l'humour. Pourtant, je ne pu m'empêcher d'envoyer un coup de point léger dans l'épaule de Jayden suite à sa plaisanterie morbide. Il fallait pas déconner non plus. Enfin si, mais il le méritait ce coup-là.

« Comme si ce putain de lac était pas déjà assez toxique. »

Plaisanter me faisait du bien car ça me permettait de me concentrer sur autre chose. Le bras de Jayden autour de mes épaules avait aussi un effet apaisant et me donnait la sensation d'être un peu isolée de la foule. Avec lui, c'était toujours plus facile. Tellement que je me demandais souvent pourquoi ce connard avait mis tant de temps à venir me trouver. Et comme toujours, il comprenait aussi sans que je n'ai à m'exprimer. Il était conscient de mes problèmes et m'en protégeait à sa façon. Très vite, il nous permit une petite esquive que j'étais loin de refuser. Bordel, j'aurais même pu courir pour retrouver un quartier plus calme.

« C'est l'odeur de cochon cramé qui t'a donné la dalle ? »

C'était un peu glauque d'avoir faim après avoir regardé un mec partir en flammes, mais nous étions des Dragons, nous ne faisions pas dans la dentelle et nous étions - pour la plupart - pas des sensibles. Je me glissais de sous le bras de Jayden et sautais sans préavis sur son dos.

« J'suis fatiguée, marche pour deux et je t'aiderais pour la bouffe. »