J'y réfléchis depuis un moment, déjà. J'avouerai que j'hésitais quant à la façon à m'y prendre. J'ai même penser attendre d'être vraiment malade question que Jay ne puisse pas me le reprocher. Que c'ait été obligatoire pour ma vie, que j'aie pas eu d'autres choix. Mais j'ai beau attendre et attendre, je ne tombe pas malade. Pire : j'ai pas le courage de manger quelque chose de crasseux juste pour tomber malade. J'ai penser tomber et me casser une jambe pour ramper et être obligée d'avoir de l'assistance, mais après coup, l'idée était vachement pourrie. On a besoin de nos jambes, dans la vie, même quand on est séquestrée. Alors bon.
J'ai eu une idée, quand même. Je vais devoir la cacher à Jay, parce qu'il trouverait peut-être pas ça drôle. L'idée manque pas de malentendus potentiels mais 'eh, au pire, ça rendra grand-frère un peu plus sympathique ?
Ça se passe aujourd'hui. Aujourd'hui, ce sera le premier contact ! Il saura même pas, surement. Il s'en rendra même pas compte - autant pas que quand je le regarde des jours et des jours par la fenêtre - mais pour moi, ça voudra dire quelque chose. J'existerai un peu à l'extérieur de la maison. Je lui murmurerai mes idées à son oreille, je réussirai peut-être même à le faire sourire, comme ça, à distance ? Ça ou il aura un petit air bizarre...
Ce matin, nous avons mangés. Jay a cuisiné, comme d'habitude, et il est plutôt doué pour faire des choses originales avec des rations toujours pareilles. Les rations sont coupées, en plus, comme on est deux et que j'en ai pas à moi. Pourtant, ça va : l'estomac s'y fait. Quand on a mangé, certains jours, il quitte tôt. C'est la sirène qui fait sortir tout le monde de chez eux et les fait marcher dans la même direction chaque matin. Quelques fois il l'ignore - l'entraînement ne lui dit pas - mais d'autres fois, il y va. Dans ces moments-là, je suis toute seule, en dedans comme en dehors. Mischa n'est pas toujours arrivé, parce qu'il y va aussi, à ces entraînements, par moment. Alors je suis toute seule. Je pourrais quitter la maison à ce moment-là, et je vous avouerai que parfois je le fais, mais faute de savoir si Mischa viendra ou pas, parfois, j'hésite.
Aujourd'hui, c'est un de ces jours. Jayden est parti après m'avoir répété les règlements, comme chaque matin. Je lui ai volé un baiser à la joue et je lui agite la patte pour lui dire au revoir. Je l'observe à son départ, je le suis des yeux par la fenêtre et, quand je ne le vois plus, j'attends. Je guette l'arrivée de Mischa, je m'assure qu'elle tarde, elle aussi. Et quand je suis sûre qu'il arrivera pas tout de suite... Je met mon plan à l'oeuvre.
Je me propulse dans ma chambre et je choppe mon crayon de charbon de bois. C'est un vieux résidus de feu de camp, tout brûlé, qui permet quand même de tracer des mots. Je prend un livre sur ma table de chevet et j'hésite. Est-ce qu'il en prendra soin ? Est-ce qu'il va le plier tout croche comme certains le font ? Je veux pas qu'il manque des pages, je veux pas qu'il soit plein de boue... Mais il a pas l'air malpropre, Mischa, je crois... Je vais lui lui dire. J'ouvre la première page et je gribouille :
Pour te changer les idées et te faire
passer le temps, je te laisse ce livre.
C'est mon préféré, prends s'en soin.
J.
"J". Jayden, Jo, qui sait ? H'ah ! Faut faire attention à ce qu'on écrit pour pas mentir ni mettre Jay dans les ennuis, mais c'est pas con, non ? Il pensera tout de suite à Jay, même si moi, je sais ce qu'il est vraiment écrit. J'ai pensé à lui dire merci pour son boulot, mais très franchement, je le remercie pas du tout. C'est mon geôlier, d'abord, l'air de rien, je m'en passerais peut-être.
Sur la pointe des pieds, je vérifie qu'il n'est toujours pas en poste, ni au bout de la rue - ni aucune rue ! - et j'ouvre la porte. Sur la chaise qu'il occupe, parfois, j'y met mon livre, tout prudemment. J'enlève un peu de poussière sur le livre pour en dégager le titre et la couverture,
Le Petit Prince, d'Antoine de Saint-Exupéry, et je me dépêche à rentrer encore.
Et puis, et puis là, je m'écrase à la fenêtre avec ma petite perche-à-miroir, et j'attends. Est-ce qu'il aimera ?
***
Quelques passages soulignés à l'intérieur du livre :
«- Apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. »
«C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d'abandonner tous les rêves parce que l'un d'entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu'on a échoué. C'est une folie de condamner toutes les amitiés parce qu'une vous a trahi, de ne croire plus en l'amour juste parce qu'un d'entre eux a été infidèle, de jeter toutes les chances d'être heureux juste parce que quelque chose n'est pas allé dans la bonne direction.
Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ. »
«J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence…»