Jour 3 post-rébellion

Nora avait reçu un message des Jaguars tard dans la nuit et me convoqua donc aux premières lueurs de l'aube. Je devais aller porter sa réponse à Noâ. Apparemment, il y avait des problèmes avec les Libres, et je devais aller rapporter à la Chef des Jaguars que les Vipères seraient intransigeantes face à tout débordement de la part des sans clan.

Arrivée à proximité des frontières des Jaguars, je m'approchai bien en vue sans animosité aucune. Les Sentinelles habituelles me connaissaient, mais elles avaient été remplacées par de jeunes Membres qui pourraient se montrer méfiants face à une inconnue. Je devais donc me montrer prudente. Arrivée à leur hauteur, je souris.

- Bonjour, je suis Ludivine, Messagère des Vipères. J'ai un message pour Noâ.

J'avais espéré les convaincre sans ajouter rien de plus mais c'était sans compter leur méfiance après les récents évènements.

- Nous avons l'ordre de ne laisser entrer personne sans permission ! As-tu une permission ? me demanda l'un d'entre eux.

- Et qu'est-ce qui nous prouve que tu es bien ce que tu dis ? ajouta un deuxième.

Toujours plus méfiants, ils se rapprochaient pour former un bloc face à moi. Gardant mon calme, j'entrepris de leur répondre :

- Je n'ai rien pour vous le prouver, mais si vous trouvez une Sentinelle, elle saura me reconnaître. Noâ également. Elle a envoyé un message à Nora hier soir et je viens apporter la réponse des Vipères.

Ils ne semblaient toujours pas enclins à me laisser entrer, mais je devais accomplir ma mission...

Travailler sur le territoire des jaguars était plus agréable que Seth ne l'avait pensé. En revenant sur le territoire de son enfance, il avait pu découvrir que les choses avaient réellement changées et qu'il régnait ici une ambiance totalement différente. Bien sûr, la rébellion avait eu un impact sur l'humeur des gens, mais il n'y avait plus cette aura morbide qui flottait comme à l'époque de Joshua. En plus, les gens étaient sympathiques. Au départ, certains se montraient méfiants, mais les aigles étaient généralement bien accueillis. Le fait que ceux qui étaient venus durant la nuit de l'attaque étaient considérés comme des alliés aidait aussi. Tous les clans ne jouissaient par contre pas de cette ouverture. Seth avait pu voir plusieurs personnes se faire refouler à proximité des frontières. Les vipères et les dragons n'étaient pas les bienvenus dans les environs. D'après ce qu'il avait entendu, le statut des premières était encore flou alors que celui des seconds était carrément au rouge. Il avait donc appris à ne pas parler de certaines choses. Et les dragons faisaient partie des sujets tabous. Pas qu'il en parlait généralement fort heureusement.

Seth travaillait avec une équipe au déblayage lorsqu'un groupe attira son attention. Une fille avait été apostrophée par quelques jeunes non loin de la frontière. Il n'était pas suffisamment proche pour comprendre tout ce qu'ils disaient, mais il entendit le mot message ce qui lui mit la puce à l'oreille. Apercevant la tension bien présente du côté des jaguars, il arrêta son travail et décida d'aller voir ce qu'il se passait. Il n'était qu'un invité sur le territoire, il n'avait rien à dire, mais cela ne l'empêchait pas de vouloir éviter les problèmes inutiles lorsqu'il en avait la possibilité. Au pire, les jaguars l'enverraient balader. En arrivant à proximité, il se racla la gorge tout en s'essuyant les mains sur son pantalon pour attirer l'attention sur lui.

— Euh salut. dit-il en mettant en avant le brassard qu'il portait pour que les choses soient claires. Je sais qu'il y a un renforcement de la surveillance aux frontières, mais un incident diplomatique ne plaira sûrement pas à votre chef. Je suis sentinelle dans mon clan depuis trois ans, alors j'en connais un rayon à ce sujet.

Il ne voulait pas que les jeunes se sentent agressés, mais il était évident pour Seth qu'ils n'occupaient pas ce poste depuis bien longtemps. Les sentinelles connaissaient le nom et les caractéristiques des messagers pour éviter ce genre de problème. Il se tourna vers la jeune fille et lui adressa un petit signe de tête avant de continuer.

— Je la connais. Ludivine, c'est ça ?

En fait, c'était un mensonge, il avait juste saisi son prénom tout à l'heure. Il espérait qu'en semant un peu le doute dans l'esprit des jaguars, ils la laisseraient simplement passer. Ou au moins que l'un d'eux aurait l'intelligence de s'adresser à quelqu'un de plus compétent avant de faire une boulette.

Alors que les Jaguars ne semblaient pas enclins à me laisser entrer, un autre jeune homme apparut en montrant son brassard. Un Aigle qui venait travailler sur le territoire des Jaguars pour les aider, sans doute. Il les salua et tenta de calmer le jeu, affirmant qu'un incident diplomatique n'était pas ce qui plairait le plus à Noâ. Apparemment, il était Sentinelle chez les Aigles. Il se tourna bientôt vers moi en disant qu'il me connaissait. Un peu surprise, je hochai la tête à l'entente de mon prénom. Mais personnellement, je ne le connaissais pas. Je l'avais peut-être déjà aperçu à l'occasion, mais je ne savais même pas comment il s'appelait.

- C'est bien ça. Je suis Messagère assignée aux Jaguars depuis un peu plus d'un an, précisai-je en m'adressant à nouveau aux Jaguars, essayant de donner plus de crédibilité à ma demande.

L'un d'eux, un grand blond, celui qui m'avait demandé de prouver mon identité, semblait toujours dubitatif.

- Ou alors, il a juste entendu ton nom quand tu t'es présentée et il vient à ta rescousse.

- Mais est-ce que les Aigles et les Vipères ne sont pas sensés être ennemis ? Pourquoi est-ce qu'il ferait ça, Bruno ?

Au moins, l'autre semblait plus convaincu. Malheureusement pour moi, j'avais la nette impression que c'était le blond qui était en charge de diriger l'équipe.

- Si tu étais vraiment Messagère, tu aurais reçu une permission de la part de Noâ. Où est-elle, cette permission ? insista-t-il. Mais je n'en avais pas. Peut-être était un oubli de Noâ, ou même de Nora. Ça pouvait arriver, surtout en cette période où les clans étaient débordés. En tout cas, moi, je n'avais rien reçu. Et c'était embêtant.

- Je ne l'ai pas, désolée. Mais allez chercher une Sentinelle habituelle, et elle vous confirmera mon identité. Je me tournai soudain vers le jeune Aigle qui était venu à mon secours : Est-ce que tu pourrais le faire, s'il te plaît ? Tu es Sentinelle chez les Aigles, donc tu as déjà dû croiser Lizzie. Tu sais qu'Annabella ne nous laisse pas rentrer tant que notre message n'a pas été délivré...

Annabella était certes dans le coma, mais ses règles restaient d'application. Et elle n'apprécierait pas un commentaire de Nora à ce propos.

La messagère tentait d'appuyer sur les faits, mais les jaguars n'étaient pas des plus coopératifs. La rébellion les avait rendu nerveux et certains jeunes non formés semblaient s'être retrouvés à devoir s'occuper de tâches qui leur étaient encore un peu inconnues. La haute sécurisation du territoire était à la fois un bien et un mal visiblement. Les jeunes jaguars étaient en plus bavards. Seth les observa débattre sans savoir s'il valait mieux qu'il parle ou qu'il se taise. Les arguments n'étaient pas forcément mauvais, mais ils étaient un peu exagérés. Et par dessus tout, ils faisaient sûrement perdre un temps précieux à Ludivine.

Lorsque cette histoire de permission fut mise sur le tapis, Seth se demanda si les messagers en avaient réellement besoin d'une. Comment prévoir qu'un message allait être porté et ainsi assuré le port du brassard pour chaque messager venant des trois autres clans. Ce n'était pas extrêmement productif. Au milieu de tout ça, Seth accueillit la demande de Ludivine avec un certain soulagement. Oui, ça c'était quelque chose qu'il pouvait faire. Il ne connaissait Lizzie que de nom et de visage, mais il n'avait de toute façon pas besoin de ça pour rendre un rapide service à Ludivine.

— Pas de soucis. Je reviens. Après une hésitation, il tourna un rapide regard vers les jaguars. Les gars, allez-y mollo. Question de diplomatie. En cas de pépin, c'est vous qui le regretterez plus tard.

L'avertissement venait avec un grand sourire. Il n'était pas d'un côté ou d'un autre en particulier. Seth n'aimait pas le travail bâclé et il ne plaisantait pas avec les affaires politiques. Être sentinelle, c'était beaucoup plus que monter simplement la garde autour d'un territoire et il voulait le faire comprendre aux jeunes jaguars. Après un dernier regard, il partit en courant le long de la frontière en espérant croiser un jaguar sur sa route. Plusieurs centaines de mètres plus loin, il découvrit Colin appuyé sur son fusil. Il le héla de loin et lui expliqua rapidement la situation avant de le faire revenir avec lui vers l'endroit où il avait laissé les jaguars et la vipère. Colin salua Ludivine d'un signe de tête et se plaça au côté de ses compagnons. Il était nettement plus âgé et leur adressa un regard sévère qui calma leur impétuosité naturelle.

— Donc. Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Colin savait déjà, mais pour le principe il préférait entendre l'histoire par lui-même.