La discussion que j'avais eu avec Noâ s'était révélée être bénéfique. J'avais eu peur suite à sa convocation, mais cette entrevue nous avait permis de faire le point. Je n'avais pas hésité à tout lui dire cette fois et d'une certaine façon, notre relation était revenue à zéro. Tout était à reconstruire et je savais qu'elle attendait beaucoup de moi. Je devrais regagner sa confiance, mais je ne savais même pas comment je le pourrais. Sans parler du fait qu'à l'heure actuelle, j'étais toujours considérée comme bannie du territoire. Je me devais donc de me faire discrète alors que je retournais vers la maison de mon père en compagnie de Grey. Il m'avait prêté son sweat-shirt dont j'avais rabattu la capuche sur ma tête et nous progressions vite dans les rues. Il nous fallait faire vite avant que les Membres partit chercher à l'autre bout du territoire ne soit de retour.

- Merci pour tout, Grey. C'est promis, je ferais ce qu'il faut pour ne pas t'attirer d'ennuis.

Il était affecté à notre surveillance à Eli et à moi. Il devrait venir vérifier que nous ne bougions pas de façon régulière et c'était lui qui ferait le lien entre Noâ et nous. Il avait toujours été l'un de ses hommes de confiance et je n'étais pas étonnée qu'elle l'ait choisi pour cette mission. Il me répondit d'un simple hochement de tête, l'ombre d'un sourire apparaissant sur ses lèvres. Avant de rentrer dans la maison, je lui rendis son pull, puis je me glissais à l'intérieur de la bâtisse en poussant un soupir soulagé. J'étais de retour.

Le temps s’écoulait beaucoup trop lentement à mon goût. J’avais réussi à finir mon bol, plus par politesse que par faim, et étais ensuite resté allongé sans bougé en attendant le retour d’Alessandra. Aaron respectait mon silence, seulement brisé par ma respiration un peu trop saccadée.

Finalement, la porte s’ouvrit enfin sur la Jaguars. Je me redressais vivement… ou du moins aussi vivement que me le permettais mes blessures, et la scrutais afin de voir si elle allait bien. A première vue, elle n’avait aucunes blessures physique apparentes, et ne semblait pas abattue non plus. Je me détendis légèrement, voulant parlé, mais ne sachant pas trop comment commencer. Finalement, je réussi à prendre la parole d’une petite voix.

« Ca a été ? »

Dans la maison, la situation n'avait pas vraiment changée. Eli était allongé dans mon lit et mon père occupait un fauteuil dans lequel il s'était visiblement assoupi. A moins qu'il ne feignait le sommeil de façon à nous accorder quelques minutes de potentielles intimités ? C'était difficile à dire, j'avais de toute façon toujours eu beaucoup de mal à le cerner. Il pouvait parfois se montrer étrangement calculateur lorsqu'il s'agissait de me faire prendre conscience de certaines choses ou qu'il voulait me pousser à me remettre en question. Je le fixais un instant, cherchant dans son expression un quelconque signe de réveil, mais j'abandonnais bien vite. Il était trop fort pour moi. La voix du blond me rappela sa présence et je lui accordais finalement un regard. Il avait toujours l'air aussi mal en point et semblait en plus ne pas être à son aise. Son attitude avait sûrement un rapport avec la façon dont nous nous étions quittés. J'aurais dû m'en vouloir, mais je ne parvenais pas à m'excuser. Certes, je portais une partie des torts, mais je voulais qu'il comprenne que ma réaction n'était pas vide de sens.

- Je crois. C'était...bizarre.

Résumer mon entrevue avec Noâ me paraissait impossible tellement elle avait été étrange.

S'il y avait encore une chose qu'il n'avait pas changé en mon absence, c'était bien l'odeur qui flottait. Elle était plus légère, mais on discernait encore clairement les fragrances du ragout. Morte de faim, j'allais m'installer à table et m'emparais du bol que j'avais abandonné un peu plus tôt. Je le mangeais froid, m'embarrassant peu des détails.

- Noâ nous couvre. Elle organisera ton extraction du territoire de façon à ce que les choses se passent sans bévue.

Alessandra répondit en hésitant, mais les choses semblaient s’être en effet bien passées. Je laissais échapper un léger soupir de soulagement alors qu’elle s’installait pour manger. Elle avait de l’appétit, c’était bon signe.

J’hésitais de nouveau à reprendre la parole, mais elle me devança en disant que Noâ nous couvrait et qu’elle ferait en sorte de m’évacuer du territoire sans bavure dès que je le pourrais. Ses paroles me crispèrent et faillirent m’arracher un rire cynique, mais je le contins de justesse. Noâ avait-elle soudainement des remords ? Si c’était bien le cas, ce devait surement être envers Alessandra. Regrettait-elle ce qu’elle lui avait fait subir ? Un sourire narquois passa brièvement sur mes lèvres à cette pensées. Cela confirmait encore mes dires dans leur sous-sol : ses actes et ses paroles se contredisaient… Mais je ne pouvais définitivement pas en parler à Al, ou en tout cas pas maintenant. Le seul son qui s’échappa alors de mes lèvres était neutre…

« Ok. »

Je laissais à nouveau planer le silence quelques instants avant de reprendre dans un soupire.

« Je suis désolé… pour tout à l’heure. »

Le fait de rester allonger là sans rien faire m’avais permis de réfléchir à ses paroles, et j’en étais arrivé à la conclusion que je m’étais comporté comme un con. En effet, si je n’avais pas du tout confiance en Noâ, Alessandra lui était fidèle, et je ne pouvais pas briser leur lien juste par peur pour elle. Elle s’avait se défendre, mais mon égo de mâle avait parfois du mal à l’accepter…

Manger faisait vraiment un bien fou. En plus, ça me donnait l'occasion de me concentrer sur autre chose que sur la présence d'Eli non loin. Je me sentais mal à l'aise dans cette ambiance tendue. Je m'appliquais donc à piocher les légumes pour les avaler par couleurs, on s'occupait comme on pouvait. Lorsqu'il souffla un mot en guise de réponse, je levais brièvement les yeux vers lui, mais son visage n'exprimait rien de particulier. Je retournais donc à mon ragout avec un peu moins d'appétit que tout à l'heure. Un soupir attira néanmoins vite mon attention une nouvelle fois. Généralement, cela n'annonçait rien de bon. Cette fois, ce n'était par contre pas le cas. La cuillère en suspend, je lui lançais un regard un peu perdu. Je savais naturellement pourquoi il s'excusait, mais je ne m'y étais vraiment pas attendue.

- J'ai été trop brusque.

"Je te pardonne" était bien trop dur à dire et ne me paraissait pas forcément adapté non plus. J'avais donc jugé plus approprié de m'excuser aussi en quelque sorte. Je ne m'en voulais pas pour mon comportement, mais rien ne m'avait obligé à le malmener de la sorte pour arriver à mes fins.

- Désolé, je ne savais pas comment procéder autrement.

La jeune femme s’excusa à son tour, à sa façon, disant qu’elle avait été trop brusque. C’était le moins qu’on puisse dire. Son coup résonnait toujours dans ma tête… Elle ajouta qu’elle ne savait pas comment procéder autrement, et je gardais quelques secondes le silence avant de répondre.

« Tu as eu raison… Je n’ai jamais pu me mettre des limites, ça ne fait pas de tort… qu’on me mette de temps en temps… »

Je n’avais pas pu la regarder en parlant, gardant les yeux rivés au sol. Elle s’excusait sans raison, mais je n’osais pas le lui dire clairement. En cet instant, j’aurai voulus m’enfuir pour je ne sais quelle raison, mais je ne pouvais pas bouger. La position assise n’était déjà pas très confortable, et si j’avais le malheur d’esquisser un geste pour faire mine de me lever elle m’aurait surement remis un poing… Mon regard se tourna un instant vers Aaron, qui semblait toujours dormir. Pourquoi cette gêne entre nous ? Pourquoi avions-nous tant de mal à nous parler ? Détournant à nouveau les yeux, je ne savais pas quoi ajouter alors que tant de chose auraient dû être abordées…

Eli me donna raison ce qui eu le don de m'étonner. Ah bon, j'avais bien fait ? Cette idée m'arracha un maigre sourire. Apprendre qu'il n'avait jamais su poser ses limites ne m'étonnait par contre absolument pas. C'était bien son genre. Si je pouvais dire. Néanmoins, je ne pouvais pas m'empêcher de m'en vouloir un peu pour ce coup de poing. Vu son état, j'aurais quand même pu y aller mollo. Un pain, c'était vachement expéditif.

- Il y a quand même des façons plus douces d'agir.

Je recommençais à manger et terminais enfin mon bol. Au même moment, la voix de Aaron se fit entendre et je tournais légèrement mon regard vers lui. Il avait les yeux ouverts et s'exprimait avec un peu d'autorité au fond de la voix.

- Vous devriez dormir un peu, les gosses. Il est tard et le sommeil ne vous fera vraiment pas de mal vu vos têtes.

Je ne pouvais pas lui donner tort. La journée avait été longue, la nuit avec, et je restais encore faible. Dormir ne pouvait donc être qu'une bonne chose.

La Jaguar ajouta qu’il y avait malgré tout des façons plus douces d’agir. Sur ce point, elle n’avait pas tout à fait tort, mais je m’abstins bien de confirmer ses dires. Alors qu’elle finissait de manger, son père nous interpella en nous enjoignant d’aller dormir. Depuis quand était-il réveillé ? En tout cas, ce n’était pas une proposition. Affichant un bref sourire d’acquiescement  à son encontre, je posais une dernière fois mon regard sur Al avant d’entreprendre de me recoucher. La tâche était ardue, mais la position allongée était tout de même plus confortable. Ma respiration saccadée provoquait des élans brûlant dans ma poitrine, mais je fermais les yeux pour le dissimuler. Je pressentais que ma nuit allait-être à la fois longue et courte, des images traversant mes paupières closes par à coup. Je rouvris aussitôt les yeux et fixais le plafond. Si la fatigue m’assaillait soudain, je n’étais pas prêt de dormir…

L'intervention de Aaron était bienvenue. Eli semblait lui aussi d'accord avec cette idée et je le vu se rallonger avec quelques difficultés. Dès qu'il fut installé, je me levais et me dirigeais vers le second lit sous le regard de mon père. Il semblait me surveiller pour être sûr que j'allais bel et bien aller dormir. Pourtant, ce n'était pas comme si j'avais beaucoup d'autres possibilités vu que j'étais confiné à la maison jusqu'à ce que Noâ me donne des nouvelles. J'allais donc m'asseoir au bord du matelas le temps de retirer mes chaussures avant de me coucher en tournant le dos à la pièce. Je ne fermais néanmoins pas les yeux. Malgré la fatigue, la discussion que j'avais eu avec Noâ me tournait encore dans la tête et je ne pouvais m'empêcher de vouloir que le temps passe plus vite.

- Bonne nuit.

Je râlais un peu en poussant un soupir. Il exagérait ! Pourquoi savait-il toujours tout de suite lorsque je ressassais. Je fis un effort pour fermer les yeux et me focaliser sur le sommeil. Après tout, j'aurais tout le temps de penser par la suite. C'était des jours de pensées parasites qui m'attendaient et c'était bien le problème. Je m'endormis finalement plus rapidement que ce que j'avais prévu. Il fallait croire que la fatigue m'avait enfin rattrapée.